vendredi 20 novembre 2015

Les « anges » du Vendredi soir

ב״ה

Les « anges » du Vendredi soir


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Le Talmoudh1 déclare que lorsqu'un homme rentre chez lui de la Synagogue le Vendredi soir, deux anges l'escortent : un ange bon et un ange mauvais. Si en arrivant chez lui il trouve les lampes allumées, la table dressée et la maison rangée, l'ange bon dit « Qu'il en soit ainsi le Shabboth prochain », et l'ange mauvais est contraint de répondre « `omén ! ». Mais si l'homme ne trouve pas les lampes allumées, la table dressée et la maison rangée, l'ange mauvais dit « Qu'il en soit ainsi le Shabboth prochain », et l'ange bon est contraint de répondre « `omén ».

C'est sur la base de ce passage de la Gamoro` que les kabbalistes de Safath (Safed) composèrent, entre la fin du 16ème siècle et le début du 17ème, le Piyout (poème liturgique) de שָׁלוֹם עֲלֵיכֶם « Sholôm ´alékham », que la majorité des Juifs d'aujourd'hui chantent le Vendredi soir juste avant le Qiddoush en l'honneur de ces deux anges qui ont escorté l'homme de la Synagogue jusqu'à la maison.

Il convient de noter que nous, les Talmidhé HaRamba''m, ne chantons pas ce Piyout le Vendredi soir. Premièrement, ce que l'on appelle aujourd'hui « Qabbalath Shabboth » est une invention des kabbalistes de Safath. Avant le 16ème siècle, il n'y avait pas d'office ou rituel particulier le Vendredi soir, si ce n'est la prière de Ma´ariv et le Qiddoush. Puisque nous sommes talmudistes et anti-Qabboloh, nous ne faisons pas l'office de « Qabbalath Shabboth » et ne chantons pas non plus les Piyoutim composés par les kabbalistes. Deuxièmement, ce Piyout de « Sholôm ´alékham » est basé sur une lecture littérale de la `aggodhoh susmentionnée. Les kabbalistes prennent littéralement tous les Midhroshim et `aggodhôth. Par conséquent, ils croient réellement que chaque homme est escorté littéralement par deux anges à son retour de la Synagogue le Vendredi soir, et composèrent donc ce Piyout en conséquence. Or, nous, les Talmidhé HaRamba''m, rejetons catégoriquement la lecture et compréhension littérale de tout Midhrosh ou `aggodhoh, comme je l'ai exprimé à maintes reprises à travers divers articles publiés sur ce blog. Et nous verrons plus bas que cette `aggodhoh a un sens profond n'ayant rien à voir avec le sens littéral que lui attribuent les kabbalistes. Et enfin, Rabbi Ya´aqôv de Emden ז״ל, surnommé le Ya`avé''s (1697-1776), a fait ressortir de nombreux problèmes concernant ce Piyout, comme par exemple le fait de s'adresser à des anges, ainsi que certaines expressions contenues dans ce Piyout qui n'ont aucun sens.2

Nous savons qu'une `aggodhoh n'est pas à prendre au sens littéral. Et lorsque nous tombons sur une `aggodhoh, nous devons donc nous interroger sur toutes les particularités de la `aggodhoh en question afin de la comprendre correctement. Que sont donc ces anges ? Pourquoi n' « apparaissent-ils » que le Vendredi soir lorsqu'un homme rentre chez lui de la Synagogue ? Que veut nous enseigner la phrase « Qu'il en soit ainsi le Shabboth prochain » ? Et pourquoi les anges sont-ils contraints d'acquiescer contre leur gré ?

Chaque Midhrosh ou `aggodhoh ne peut se comprendre qu'en faisant attention aux particularités qui en ressortent. De ce fait, nous devons relever que la parabole se déroule spécifiquement le Vendredi soir. Cette `aggodhoh concerne également les préparatifs pour Shabboth (nous les avions mentionnés dans l'article sur l'allumage des bougies de Shabboth), car l'état de la maison d'un homme est réellement le reflet de ses activités plus tôt dans la journée. Enfin, il est très rare de trouver des cas d'anges décrit comme étant « contraints » de faire quelque chose.

Il est clair que ces anges doivent être compris de la façon dont on les comprend généralement tout au long du TaNa''Kh : l'homme possède un Yésér Tôv (bon penchant, qui représente l'intellect et la raison) et un Yésér Hora´ (mauvais penchant, qui représente les émotions et les passions). C'est ce que symbolisent ces deux anges dans notre `aggodhoh. Il n'y a aucune raison de chercher ici une compréhension alternative. Donc, nous devons premièrement établir que nous sommes face à une opposition entre l'intelligence de l'homme et ses émotions. Mais ne savions-nous pas déjà que ces deux forces existent, et s'opposent l'une l'autre ? C'est là que le Vendredi soir entre en scène.

Quel conflit existe-t-il dans l'homme, particulièrement chaque Vendredi soir ? C'est le conflit unique suscité par le désengagement de l'homme de ses affaires et activités de la semaine, lorsqu'il est subitement obligé de suspendre tout travail, et doit même suspendre sa manière de parler, comme le Prophète Yasha´yohou nous l'enseigne : nous ne devons pas discuter de nos affaires (professions, etc.) à Shabboth. C'est frustrant pour de nombreux hommes et femmes. Les gens sont plus soucieux de gagner leur subsistance quotidienne plutôt que de respecter le Shabboth. Beaucoup de Juifs qui ne sont pas Shômré Shabboth disent d'ailleurs ouvertement que travailler le Shabboth est le jour qui rapporte le plus. Et c'est pour cela qu'ils ne respectent pas le Shabboth. Cet envie de gagner sa subsistance est associé au désir de conquête de l'homme, ses ambitions, et son ego, qui est grandement satisfait par des succès financiers, professionnels, etc. Mettez tout cela ensemble, et vous aurez un homme qui doit être assez frustré les Vendredis soirs.

Cette `aggodhoh expose ce phénomène de frustration en décrivant les deux anges opposés dans ce conflit spécifique.

Si l'homme apprécie réellement le Shabboth, et qu'il reconnaît et considère cette période de 25 heures comme une bénédiction, un temps pour pleinement s'adonner à la Tôroh, alors sa table, ses lampes et sa maison seront préparées. Mais pourquoi l'ange mauvais doit-il consentir à cela contre son gré ? Pourquoi ses désirs ne sont-ils pas de même contraints de consentir lorsqu'il accomplit n'importe quelle autre Miswoh ? Pourquoi particulièrement à Shabboth ? La réponse est que Shabboth est unique : il englobe une période de 25 heures. Si l'homme agit correctement, et prépare sa maison pour Shabboth le Vendredi, cela signifie qu'il a exprimé un plus grand attachement à la Tôroh, que son dévouement au Shabboth n'est pas un acte qui prend dix minutes comme attacher les Tafillin ou secouer le Lôlov, ou un acte qui prend deux minutes comme allumer la Manôroh de Hanoukkoh. Non, le dévouement à Shabboth est d'une durée telle que l'homme s'éloigne de ses tendances instinctives à un degré de loin supérieur à la normale. Les instincts négatifs acquiescent contre leur gré, car ils n'ont pas d'autres choix que de s'incliner face à notre dévouement pour le Shabboth. L'homme a vaincu ses mauvais instincts par cet attachement solide envers la Tôroh, comme si ces instincts-là « acquiesçaient ». Il s'est en fait séparé de son pouls instinctif à un niveau plus élevé que la normale par son dévouement pour le Shabboth, plus que par toutes les autres Miswôth.

À présent, que veut nous apprendre cette `aggodhoh en disant que l'ange bon déclare « Qu'il en soit ainsi le Shabboth prochain » ? Cela signifie qu'un tel individu s'est tellement raffiné au point de comprendre ce que devrait être le jour préféré de l'homme qu'il anticipe un autre jour, un autre Shabboth. « Qu'il en soit ainsi le Shabboth prochain ». Il ne cherche pas à abréger ou conclure le Shabboth afin de retourner à ses affaires. Il se rend compte que l'argent n'est qu'un moyen et non l'objectif de son labeur de semaine, car son but ultime est de mener une vie pleinement imprégnée de spiritualité, de Dieu. Et il n'y a pas de meilleur jour pour cela que le Shabboth. Shabboth est donc son jour préféré. Et ce jour saint est un microcosme du Monde-à-Venir, où la paix régnera partout sur terre, et où l'on pourra pleinement s'adonner à l'étude de la Tôroh, la ´avôdhath HaShem, l'amour véritable du prochain, etc. D'ailleurs, le Monde-à-Venir est décrit comme étant יוֹם שֶׁכּוּלוֹ שַׁבָּת « Yôm Shakkoulô Shabboth – le jour qui est entièrement Shabboth ».

Mais l'inverse ne fonctionne pas exactement de la même façon, psychologiquement parlant.si un homme a en horreur le Shabboth, et exprime ce sentiment en ne préparant pas sa maison, alors, à son arrivée, ses mauvais instincts disent « Qu'il en soit ainsi le Shabboth prochain », et son intellect est contraint d'acquiescer. Cela signifie que la simple inactivité dans son manque de préparation causé par ses passions instinctives suffit à plonger plus profondément encore dans ses passions mauvaises. HaZa''l disent : « Si tu m'abandonnes un jour, je t'abandonnerai deux jours ». C'est une métaphore citant une Tôroh personnifiée. La Tôroh « parle » et dit que dès lors qu'un homme s'éloigne de l'étude, il ne perd pas seulement un jour, mais il renforce ses mauvais instincts, ce qui fait qu'il lui faudra désormais deux fois plus d'efforts (deux jours) pour s'adonner à nouveau à l'étude de la Tôroh. Il lui faudra d'abord défaire l'attachement plus fort qu'il a développé pour ses instincts (premier effort), puis réorienter à nouveau son énergie vers l'étude de la Tôroh (deuxième effort).

Nous notons également que ce conflit survient à l'entrée du Shabboth et non pas Shabboth midi, car c'est au commencement de Shabboth que l'homme est confronté à cette transition entre le travail et le repos.

Par une brève allégorie, nos Sages de mémoire bénie communique une idée profonde sur la nature humaine. Dans ce cas-ci, nous apprenons les bienfaits du Shabboth, la nature de notre conflit entre les émotions et l'intellect, et réitérons le but premier d'une vie de Tôroh, dans laquelle la vie professionnelle a sa place, mais n'est considérée que comme un moyen, et non une fin.

1Shabboth 119b

2Voir le Siddour Béth Ya´aqôv
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