dimanche 10 avril 2016

Les relations avunculaires dans le Judaïsme

ב״ה

Les relations avunculaires dans le Judaïsme


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Question :

J'ai été surprise d'apprendre que le Talmud permettait d'épouser sa propre nièce. Est-ce vrai ? Et si tel est le cas, comment peut-on autoriser une telle union incestueuse, et existe-t-il des opinions divergentes sur la question dans la littérature rabbinique ?

Réponse :

Je commencerai par dire qu'il faut absolument s'éloigner du présentisme, qui consiste à juger le passé à la lumière des conditions présentes. Ce n'est pas parce qu'un acte est mal vu à notre époque que cela signifie que ceux qui agissaient ainsi dans le passé faisaient quelque chose de mal. De même, ce n'est pas parce qu'un acte était mal vu dans le passé et bien vu dans le présent que cela valide l'acte en question.

Deuxièmement, la source de notre moralité est la Tôroh, ainsi que la Halokhoh de nos Sages de mémoire bénie. C'est seulement à la lumière de ces sources que nous devons déterminer ce qui est approprié ou inapproprié, et non pas en fonction de nos goûts (ou dégoûts) personnels. Les valeurs de la société, qui sont très changeantes et subjectives, ne sont pas toujours en phase avec celles de la Tôroh, qui sont divines, immuables et éternelles. Ainsi, la société considère qu'il est mal venu de se marier « trop » jeune, alors que la Tôroh permet de se marier très tôt (déjà vers 12 ou 13 ans). De même, il est mal vu d'épouser sa cousine, alors que la Tôroh le permet.

Troisièmement, les définitions de la Tôroh ne sont souvent pas les mêmes que celles que la société adopte. Pour reprendre l'exemple du mariage avec sa cousine, bien que cela soit considéré comme de l'inceste dans plusieurs pays occidentaux, la Tôroh ne l'inclut pas dans les relations incestueuses. Lorsqu'on traite de Halokhoh, nous devons nous tourner vers les définitions halakhiques des termes plutôt que de juger la Halokhoh à la lumière de la pensée moderne laïcisante, athéiste, matérialiste et immorale.

Cette introduction ayant été faite, je vais à présenter traiter la question.

Il est rapporté ceci dans le Talmoudh1 :

Nos Rabbins ont enseigné : Celui qui aime son épouse comme [s'il s'agissait de] son propre corps2, qui l'honore plus qu'[il ne le ferait pour] lui-même, qui guide ses fils et ses filles dans le droit chemin et leur permet de se marier aux alentours de la période de leur puberté, c'est le concernant que l’Écriture dit3 : « Et tu sauras que ta tente est en paix ». Celui qui aime ses voisins, qui se rapproche d'eux, qui épouse la fille de sa sœur, ou prête une Séla´4 à un pauvre quand il est dans le besoin, le concernant l’Écriture dit5 : « Alors tu invoqueras et HaShem répondra ; tu supplieras et Il dira ''Me voici !'' ».
ת"ר האוהב את אשתו כגופו והמכבדה יותר מגופו והמדריך בניו ובנותיו בדרך ישרה והמשיאן סמוך לפירקן עליו הכתוב אומר וידעת כי שלום אהלך האוהב את שכיניו והמקרב את קרוביו והנושא את בת אחותו והמלוה סלע לעני בשעת דחקו עליו הכתוב אומר אז תקרא וה' יענה תשוע ויאמר הנני

Nous voyons de ce passage que HaZa''l ne voyaient pas d'inconvénient à ce qu'un homme épouse sa nièce sororale. D'où tirent-ils cela ?

Le Prophète Yasha´yohou ע״ה énonce toute une liste d'actes de bonté qu'un homme peut accomplir et qui amèneront HaShem ית׳ à répondre à ses prières lorsque ces actes sont accomplis avec sincérité et altruisme. Il déclare6 :

Mais voici le jeûne que J'aime: c'est de rompre les chaînes de l'injustice, de dénouer les liens de tous les jougs, de renvoyer libres ceux qu'on opprime, de briser enfin toute servitude; puis encore, de partager ton pain avec l'affamé, de recueillir dans ta maison les malheureux sans asile; quand tu vois un homme nu, de le couvrir, de ne pas te dérober à ceux de ta propre chair! C'est alors que ta lumière poindra comme l'aube, que ta guérison sera prompte à éclore; ta vertu marchera devant toi, et derrière toi la majesté de `adhônoy fermera la marche. Et alors tu invoqueras et `adhônoy répondra, tu supplieras et Il dira: "Me voici!"
הֲלוֹא זֶה, צוֹם אֶבְחָרֵהוּ--פַּתֵּחַ חַרְצֻבּוֹת רֶשַׁע, הַתֵּר אֲגֻדּוֹת מוֹטָה; וְשַׁלַּח רְצוּצִים חָפְשִׁים, וְכָל-מוֹטָה תְּנַתֵּקוּ. הֲלוֹא פָרֹס לָרָעֵב לַחְמֶךָ, וַעֲנִיִּים מְרוּדִים תָּבִיא בָיִת: כִּי-תִרְאֶה עָרֹם וְכִסִּיתוֹ, וּמִבְּשָׂרְךָ לֹא תִתְעַלָּם. אָז יִבָּקַע כַּשַּׁחַר אוֹרֶךָ, וַאֲרֻכָתְךָ מְהֵרָה תִצְמָח; וְהָלַךְ לְפָנֶיךָ צִדְקֶךָ, כְּבוֹד יְהוָה יַאַסְפֶךָ. אָז תִּקְרָא וַיהוָה יַעֲנֶה, תְּשַׁוַּע וְיֹאמַר הִנֵּנִי

Nos Sages déclarent que וּמִבְּשָׂרְךָ לֹא תִתְעַלָּם « ne te dérobe pas à ceux de ta propre chair » se réfère à un homme qui ne se refuse pas d'épouser la fille de sa sœur, en d'autres termes, sa nièce sororale. Bien qu'il existe une divergence d'opinion parmi les Ri`shônim quant à savoir si on ne parle que d'une nièce sororale ou si cela s'applique également à sa nièce fraternelle (nous y reviendrons plus bas), il est clair que le Talmoudh encourage d'épouser sa nièce. C'est ce qu'on appelle une relation avunculaire. Et HaZa''l ont demandé de ne pas s'abstenir d'épouser des femmes de sa propre famille (comme sa cousine ou sa nièce), dès lors qu'elles ne faisaient pas partie de la liste interdite. D'ailleurs, dans la Tôsafto` (une œuvre rabbinique de l'époque de la Mishnoh, et qui est fréquemment citée dans le Talmoudh sous le nom de « Barayatho` »), nous lisons ceci7 : לא ישא אדם אשה עד שתגדל בת אחותו או עד שימצא את ההגון לו « Un homme ne doit pas épouser une femme jusqu'à ce que la fille de sa sœur n'atteigne la majorité8, ou jusqu'à ce qu'il ne trouve [une autre femme] qui lui convienne ». Nous voyons donc que la priorité va d'abord aux femmes de sa propre famille (la nièce sororale) avant d'envisager épouser une autre femme.

La question qui se pose est celle-ci : le fait que la littérature talmudique ne fasse mention que de la nièce sororale indique-t-il que l'on ne peut pas épouser sa nièce fraternelle, ou est-ce cela un exemple, ce qui inclurait alors n'importe quelle nièce, quelle soit sororale ou fraternelle ? Comme nous l'avons mentionné plus haut, cette question fait l'objet d'une divergence d'opinion entre les Ri`shônim.

Rash''i ז״ל est d'avis que le Talmoudh ne permet que d'épouser la nièce sororale. D'après lui, ce serait un acte de bonté supérieur au fait d'épouser sa nièce fraternelle, parce qu'un homme aurait une affection particulière pour sa sœur (plus que pour son frère). Ainsi, en épousant la fille de sa sœur il s'assurera que son épouse sera particulièrement chérie. (Je ne crois personnellement pas à la thèse de Rash''i, car rien ne prouve qu'un homme aurait plus d(affection pour sa sœur par rapport à son frère.)

Les Tôsofôth (qui sont les gendres et petits-enfants de Rash''i) sont divisés sur cette question.9 D'un côté, nous avons l'un des petits-fils de Rash''i, le Rashba''m ז״ל, qui soutient que l'approbation talmudique s'applique également à la nièce fraternelle, pas seulement à la nièce sororale. D'après lui, le Talmoudh ne fait mention que de la nièce sororale parce qu'il est plus courant pour la sœur de quelqu'un de le convaincre d'épouser sa fille. De l'autre côté, nous avons un autre des petits-fils de Rash''i, Rabbénou Ta''m ז״ל, qui s'opposa à cette affirmation du Rashba''m et soutint plutôt que le Talmoudh ne fait uniquement mention de la nièce sororale et qu'il serait interdit d'épouser sa nièce fraternelle. Le Riva''n ז״ל (un gendre de Rash''i et oncle du Rashba''m et de Rabbénou Ta''m) souscrit à cette approche. Voici leur raisonnement : D'après les lois relatives au mariage lévirat10, un homme (A) a la Miswoh d'épouser la veuve de son frère (B) si ce dernier est mort sans avoir eu d'enfants. Mais la Mishnoh11 enseigne que si la veuve est la fille de A, A est alors exempt de cette Miswoh, puisqu'un homme a l'interdiction d'épouser sa propre fille. D'après ce raisonnement, les Rabbins auraient donc interdit à B d'épouser sa nièce, la fille de A afin d'empêcher une situation où la Miswoh du mariage lévirat ne pourrait être accomplie. Cette interdiction rabbinique concernant le mariage avec sa nièce fraternelle démontrerait que l'approbation talmudique d'épouser sa nièce ne s'appliquerait qu'à sa nièce sororale. Cette approche de Rabbénou Ta''m est également suivie par le Rov Basal`él `ashkanazi, qui fut le maître du `ar''i. Le rabbin Alsacien Yohonon Louria` (1440-1514) s'aligne également derrière l'approche de Rabbénou Ta''m.

Mais d'après le Ramba''m ז״ל, l'absence de toute mention de la nièce fraternelle n'exclut pas de pouvoir l'épouser12, car il existe des situations où les problèmes soulevés plus haut ne se pose pas, comme par exemple si A est déjà mort. Dans un tel cas, B pourrait très bien épouser la fille de A. En outre, quand bien même A serait vivant, cela ne doit pas empêcher B d'épouser la fille de A (qui est donc sa nièce fraternelle). Le fait qui B meurt empêche A d'épouser la veuve de son frère, qui est sa propre fille, n'est d'aucune importance, puisque la Tôroh elle-même prévoit des règles spécifiques lorsqu'on ne désire pas procéder à un mariage lévirat. En effet, ce type de mariage est prévu par la Tôroh, mais n'est en rien une obligation en soi. Personne n'est contraint d'épouser la veuve de son frère, bien qu'il soit une bonne chose de le faire. L'argument de Rabbénou Ta''m n'a donc aucune solidité lorsqu'on l'analyse sérieusement. C'est pourquoi le Ramba''m ne fait aucune distinction entre une nièce sororale et une nièce fraternelle, et tranche ceci dans son Mishnéh Tôroh13 :

Et il est une Miswoh des Sages qu'un homme épouse la fille de sa sœur, et la même règle s'applique à la fille de son frère, car il est dit : « Ne te dérobe pas à ceux de ta propre chair ».
וּמִצְוַת חֲכָמִים, שֶׁיִּשָּׂא אָדָם בַּת אֲחוֹתוֹ; וְהוּא הַדִּין לְבַת אָחִיו: שֶׁנֶּאֱמָר: וּמִבְּשָׂרְךָ לֹא תִתְעַלָּם

Le Mé`iri14 ז״ל est d'accord avec l'approche du Ramba''m. Rabbénou Mé`ir Halléwi `abboul´afiyoh ז״ל, qui fut un contemporain du Ramba''m, y souscrit également. Il écrit15 qu'épouser sa nièce est considéré être un acte très recommandable parce qu'en vertu du verset biblique qui nous enjoint à ne pas craindre d'épouser une personne de sa famille, la personne de sa propre chair la plus proche qu'il soit permis à un homme d’épouser est la nièce. Il n'y a, à ses yeux, aucune différence entre la nièce sororale et la nièce fraternelle, puisque le degré de parenté dans les deux cas est exactement le même. Il ajoute néanmoins qu'étant donné que le Talmoudh mentionne explicitement la nièce sororale, c'est qu'il est bien plus recommandable d'épouser sa nièce sororale que sa nièce fraternelle. D'après lui, il en est ainsi car en épousant de préférence la nièce sororale, on accomplit un grand acte de bonté envers sa sœur, qui pourrait autrement avoir des difficultés à marier sa fille. De même, le Hida''` ז״ל déclare que l'on peut aussi bien épouser sa nièce sororale que sa nièce fraternelle, et qu'il n'y a aucune différence entre les deux. Il ajoute qu'il conviendrait de donner priorité aux proches en difficulté financière. Ainsi, si la sœur de quelqu'un s'en sort bien financièrement, mais que ce n'est pas le cas de son frère, il sera préférable d'épouser sa nièce fraternelle plutôt que sa nièce sororale. Le Ramo''` ז״ל tranche lui aussi en accord avec la position du Ramba''m, et rapporte dans ses gloses sur le Shoulhon ´oroukh16 qu'il n'y a aucune différence à faire entre la fille de sa sœur et celle de son frère.

Pourquoi la Tôroh encourage-t-elle à épouser des femmes de sa propre famille, à quelques exceptions près (par exemple, il est interdit d'épouser sa mère, sa fille, sa sœur, ou encore sa tante) ? Le Moggidh Mishnéh explique qu'on a une affection naturelle pour ses proches. Ces sentiments positifs fournissent un sol fertile qui permettra à la relation de mariage de se développer mieux que lorsqu'on se marie en-dehors de sa famille. De nombreux mariages « consanguins » sont couronnés de succès précisément en raison de ces liens très étroits, et il n'est pas vrai qu'il y a automatiquement des problèmes génétiques quand ce genre de couples ont des enfants (cela va dépendre de nombreux facteurs. Il est évident qu'entre frères et sœurs il y aura des problèmes, et la Tôroh l'a interdit. Mais entre cousins, oncles et nièces, les problèmes sont plus rares, et la Tôroh l'a permis. Certains rabbins conseillent toutefois de faire un test de dépistage de la maladie de Tay-Sachs avant d'épouser une nièce).

En résumé, il n'existe aucune opinion divergente quant à la permissivité d'épouser sa nièce, et il n'y a rien d'immoral à cela. Juger des choses sur la base du présentisme est une grave erreur. Ceux qui voient ce genre d'unions d'un mauvais œil sont influencés par la société occidentale autour d'eux, qui est d'ailleurs la même société qui considère « morales » les relations homosexuelles ! Ce n'est pas d'elle que nous devons apprendre ce qui est bien ou mal, vrai ou faux, licite ou illicite ! Nous avons une Tôroh et une Halokhoh pour ça ! La seule divergence dans les textes rabbiniques concerne le fait de savoir si cette permission d'épouser sa nièce s'applique aussi bien à la nièce fraternelle que sororale, ou bien uniquement à la nièce sororale, et il y a d'éminents Ri`shônim pour soutenir les deux positions.

Je conclurai en rappelant que nous avons une règle de דִּינָא דְמַלְכוּתָא דִינָא « Dino` Dhamalakhoutho` Dhino` », c'est-à-dire que la loi du pays dans lequel on vit est la loi, et nous devons donc la respecter (à quelques exceptions près, mais ce n'est pas le sujet). Par conséquent, à moins d'être prêt à aller en prison pour cela et d'en assumer toutes les conséquences, si la loi du pays interdit d'épouser sa nièce ou sa cousine, cela devient une interdiction à laquelle l'Israélite doit se soumettre. Mais contrairement à ce que beaucoup affirment, la loi n'interdit pas forcément ces unions. J'ai pu constater que beaucoup ignoraient réellement qu'elles sont les lois de leurs pays. Par exemple, en France, les mariages entre cousins sont parfaitement légaux. De même, il est permis, sous dispense accordée par le Président de la République, d'épouser sa nièce, son neveu, son oncle ou sa tante. En Belgique, pour prendre l'exemple du pays dans lequel moi-même je vis, les mariages entre cousins sont légaux, mais pas les mariages avec sa tante, son oncle, sa nièce ou son neveu. Comme vous pouvez le voir, la législation peut varier d'un pays à l'autre, même lorsqu'ils sont voisins.

Pour ceux qui croient encore que la mariage entre cousins serait problématique, je vous invite à lire cet article.

Il est dit dans la Tôroh qu'il est interdit d'y ajouter ou retirer quoique ce soit. En méprisant ce que la Tôroh a autorisé, vous transgressez justement l'interdiction de retirer au contenu de la Tôroh ! Or, la Tôroh d'HaShem est parfaite !

1Yavomôth 62b-63a
2C'est-à-dire, qui la traite avec respect, comme si elle était une partie de son propre corps
3`iyôv 5:24
4Une pièce de monnaie de l’époque talmudique
5Yasha´yohou 58:9
6Ibid., versets 6 à 9
7Tôsafto`, Qiddoushin 1:2
8Afin de l'épouser
9Tôsofôth sur Yavomôth 62b
10Voir Davorim 25:5-10
11Yavomôth 1:1
12Commentaire sur la Mishnoh, Nadhorim 8:5
13Hilkôth `issouré Bi`oh 2:14
14Sur Yavomôth 62b
15Yadh Rama''h, Sanhédhrin 76b

16`avan Ho´azar 2:6 et 15:25
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