lundi 1 mars 2021

Jouer de la musique à Shabboth & Yôm Tôv – Deuxième Partie

 

בס״ד

 

Jouer de la musique à Shabboth & Yôm Tôv – Deuxième Partie

 



 

Cet article peut être téléchargé ici.

 

Pour (re)lire la première partie, voir ici.

 

Nous avions terminé l’article précédent par les questions suivantes : pourquoi est-il normalement interdit de jouer de la flûte ? Quelle est la substance de l'interdiction ici qui peut être annulée dans certains contextes ?

 

     II.            Le Ṭalmoudh

 

b.    Le son du silence

 

Le contexte plus large des sources tannaitiques suggère assez clairement que le problème avec des instruments comme la flûte et le Shôphor est qu'ils étaient trop forts, et donc interféraient avec la culture du calme que nous essayons de créer le Shabboth et Yôm Tôv. La Mishnoh de Ṭomidh 3: 8 nous informe que le son de la flûte et du Shôphor sur le mont du Temple (Har Habbayith) passait vers l'est par-dessus les collines de Judée et parvenait jusqu'aux oreilles des habitants de Jéricho, une ville située à plus de trente kilomètres. Même si c'est une exagération, cela révèle clairement que cet instrument faisait toute une impression en termes de sonorité.[1] Le problème n'est donc pas celui d'un instrument de musique en soi, mais plutôt tout ce qui génère un bruit important.

 

Une multitude de sources manifestent des préoccupations similaires. Le Makhilṭoˋ Daribbi Shim´ôn ban Yôḥoˋy 12:16 énumère les applaudissements, les danses et les tapotements comme des activités non-Maloˋkhôth qui sont interdites le Shabboth, et dérive cette interdiction à partir de versets, indiquant que ces activités sont intrinsèquement problématiques le Shabboth et ne font pas simplement partie d'une préoccupation dérivée. La Mishnoh de Béṣoh 5: 2 affirme également cette interdiction. La Ṭôsaphṭoˋ de Shabboth 18:15 interdit également ces activités dans le cadre d’une tentative d’effrayer les animaux et les faire fuir de son jardin. La Mishnoh de Shabboth 5: 4 interdit à une personne de laisser un âne sortir dans le domaine public le Shabboth avec une cloche même si la cloche est bouchée. On pourrait penser qu'en bouchant la cloche, on a résolu le problème principal ; ce texte enseigne que la cloche reste un objet qu'un animal ne peut pas transporter d'un domaine à un autre le Shabboth. L'implication est claire : il est interdit de sonner une cloche le Shabboth. En effet, cela est confirmé dans la Ṭôsaphṭoˋ de Shabboth 14:15, où nous apprenons qu'un Shôphor et un hochet - bien qu'il soit interdit de les utiliser pour leur usage prévu, qui est de faire du bruit - peuvent être utilisés à d'autres fins légitimes. Néanmoins, le texte précise que l'on ne peut pas sonner une cloche ou secouer un hochet pour un enfant le jour du Shabboth. D'autres textes peuvent également refléter cette interdiction de faire du bruit.[2] Dans le Yaroushlami Béṣoh 5: 2, 63a, Ribbi ˋal´ozor énonce un principe simple et général : כל משמיעי קול אסורין בשבת « Tout bruit est interdit le Shabboth ».

 

Ce même passage dans le Yaroushlami fournit à la fois la preuve de l'opposition continue à faire du bruit le Shabboth ainsi que les efforts pour limiter, contenir et même potentiellement annuler cette interdiction :

 

Ribbi Yônoh et ses collègues : L'un a dit : « Applaudir de cette manière est autorisé et de cette manière est interdit » l'autre a dit : « C'est interdit dans les deux cas » - mais nous ne savons pas qui a dit quoi. Du fait que Ribbi Yônoh ait dit : « Il y avait des anciens qui frappaient des mains à l’envers le Shabboth », nous apprenons que c'est lui qui a dit que les applaudissements de cette manière sont autorisés et que de cette manière est interdite. Ribbi mariait son fils Ribbi Shim´ôn et les gens applaudissaient à l’envers le Shabboth. Ribbi Méˋir est passé et a entendu le son et a dit : « Nos Maîtres ! Shabboth a-t-il été autorisé ? » Ribbi a entendu sa voix et a dit : « Qui est ici pour dominer sur nous dans notre maison ? »… Ribbi Méˋir a entendu sa voix et s'est enfui… Ribbi La´ozor a dit : « Tout bruit est interdit à Shabboth ». Ribbi Shamouˋél bar Rov Yiṣḥoq a dit : « Mon grand-père était le frappeur de la synagogue ».[3] Ribbi Lél bar Ribbi ˋélam avait l'habitude de cogner sur une chaise. Ribbi ˋilloˋ étudiait [tard dans la nuit] et est rentré chez lui et a trouvé tout le monde endormi. Il s'est couché sur une échelle plutôt que de frapper à la porte le Shabboth. Ribbi Yirmayoh avait l'habitude d’étudier avec le fils de Ribbi ˋimmi. [Ribbi ˋimmi] vint le réveiller le matin du Shabboth et se mit à frapper à la porte. Il lui dit : « Père, qui t'a permis de faire ça ? »

ר' יונה וחברייא חד אמר הכין שרי והכין אסור וחורנה אמר בין הכין ובין הכין אסור ולא ידעין מאן אמר דא ומאן אמר דא מן מה דא"ר יונה אית הוה סבין ביומינן והוון מטפחין לאחורי ידיהון בשובתא הוי דו אמר הכין שרי והכין אסור רבי הוה מסב לר"ש בריה והוון מטפחין לאחורי ידיהון בשובתא עבר ר"מ ושמע קלהון אמר רבותינו הותרה השבת שמע ר' קליה אמר מי הוא זה שבא לרדותינו בתוך ביתינו שמע ר"מ קליה וערק א"ר לעזר כל משמיעי קול אסורין בשבת רבי שמואל בר רב יצחק סבר מקושה דכנישתא חדתא ר' ליל בי ר' אלם מקש על כסא ר' אילא עני בסדרא סלק לביתא אשכחון דמיכין רבע ליה על סולמא בגין דלא מקשה על תרעא בשובתא ר' ירמיה הוה פשט עם בריה דרבי אימי אזל בעי מתערתא בקריצתא דשובתא שרי מיקש על תרעא א"ל אבא מאן שרא לך

 

Au centre de ce passage se trouve une histoire sur Ribbi ז״ל, qui, avec d'autres collègues, frappait des mains à l'envers lors d'une célébration de mariage pour son fils le Shabboth. Lorsque Ribbi Méˋir ז״ל est passé et a entendu tous les applaudissements, il a accusé les personnes rassemblées d'avoir transgressé le Shabboth. Ribbi Yônoh ז״ל approuve la permission d'applaudir à l'envers le Shabboth, alors que ses collègues ont rejeté une telle clémence.

 

Ces débats semblent se demander si les interdictions tannaitiques de faire du bruit concernent le bruit en soi, ou s'il s'agit de faire ce bruit d'une certaine manière. Ribbi et Ribbi Yônoh semblent penser que tant que l'on applaudit d'une manière inhabituelle, on est autorisé à générer le même type de volume, alors que Ribbi Méˋir, une fois qu'il entendit le bruit fort émanant de la célébration du mariage, estima automatiquement que le Shabboth avait été transgressé. Ce désaccord fondamental se joue dans d'autres histoires de ce passage. Ribbi Shamouˋél bar Rov Yiṣḥoq ז״ל rapporte que son grand-père était le frappeur public de la synagogue, et Ribbi Lél bar Ribbi ˋélam ז״ל avait l'habitude de cogner sur une chaise. En revanche, Ribbi ˋilloˋ ז״ל a préféré dormir à l'extérieur de sa maison plutôt que de frapper à la porte pour réveiller ceux qui étaient à l'intérieur pour le laisser entrer ! Ribbi Yirmayoh ז״ל s’est mit à frapper à une porte pour réveiller le fils de Ribbi ˋimmi le matin de Shabboth ; ce dernier a été étonné par ce comportement permissif.

 

Ces derniers cas semblent présenter des positions indulgentes qui ne concernent que la fonction potentielle du bruit ; le bruit pour amener les gens à ouvrir les portes ou à se réveiller est acceptable, alors que le bruit interdit dans les sources tannaitiques, pourrait (selon ces opinions) pourrait l’avoir été à cause d’utilisations problématiques de bruits inappropriées pour le Shabboth. Les opinions strictes semblent focalisées sur le volume du bruit lui-même, auquel cas le mode ou le but pour lequel il est produit est sans importance. En tout état de cause, on peut voir clairement à partir de ce passage que l'axe de préoccupation n'est pas les instruments de musique en eux-mêmes, mais plutôt leur utilisation ou toute autre chose qui génère un bruit inapproprié et de manière inappropriée. Pourtant, il semble y avoir un consensus sur le fait que faire du bruit le Shabboth est une activité dont on se méfie et potentiellement problématique.

 

Dans la prochaine partie nous passerons aux sources talmudiques de l’époque des ˋammôroˋim, vu que nous avons terminé de passer en revue les sources talmudiques de l’époque des Ṭannoˋim.



[1] Notez que la description du son perçant du Shôphor colle bien avec la supposition déjà avancée par d’autres que le problème d’en sonner le Rôˋsh Hashshonoh qui tombe un Shabboth était originellement connecté à son niveau de décibels. Il est avéré et même enseigné par plusieurs Riˋshônim, dont le Rambo’’m, que les Sages ne donnaient pas toujours les raisons réelles de leurs Gazérôth.

[2] La Ṭôsaphoˋ de Shabboth 1:11 permet une foule d'activités qui commencent avant Shabboth même si elles se termineront d’elles-mêmes pendant le Shabboth. La seule exception : on ne peut pas placer le blé dans un moulin à eau (qui fonctionnera de son propre chef) juste avant le Shabboth ; le blé doit être moulu avant le début du Shabboth. Cela reflète le fait que le moulin à eau fait beaucoup de bruit, contrairement aux autres activités problématiques décrites dans ce passage. Et c’est ce qu’expliquent Ribbi Ḥaggay dans le Yaroushlami Shabboth 1: 5, 4a et Rabboh dans le Bavli Shabboth 18a. Enfin, la Mishnoh de Ṭa´nith 3: 3 n'autorise התרעה le Shabboth que dans des circonstances où la vie est en danger. Dans le Bavli Ṭa´nith 14a, ce terme se définit soit comme le fait de sonner du Shôphor, soit comme la récitation de la prière du ´anénou. Cela pourrait indiquer une interdiction normale de sonner du Shôphor le Shabboth, ou même une interdiction de gémir et de hurler. D’ailleurs, la Mishnoh déclare que si c’est pour aider, cela est autorisé, mais pas pour crier. Comme nous l'avons noté, une fois que le problème est le bruit et non les instruments de musique, il n'y a aucune raison de supposer qu'il n'y aurait pas non plus de restrictions sur la voix humaine.

[3] Celui chargé de frapper sur quelque chose afin d’attirer l’attention de la communauté, faire taire les gens, etc.

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