בס״ד
Jouer
de la musique à Shabboth & Yôm Tôv – Première Partie
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être téléchargé ici.
Nous allons
commencer une nouvelle série d’articles sur un sujet qui revient souvent dans
les différents messages reçus et discussions que j’ai pu avoir, à savoir le
fait de jouer d’instruments de musique à Shabboth et Yôm Tôv. A cet égard, je
vous invite à (re)lire l’article intitulé « Est-il réellement interdit de jouer de la musique à
Shabboth ? », que je
vais davantage détailler avec des preuves supplémentaires.
La musique a joué un
rôle central dans les rites traditionnels du judaÏsme à travers les époques. Et
pourtant, la pratique orthodoxe dominante est de catégoriquement interdire
l'utilisation d'instruments de musique le Shabboth et Yôm Tôv, des jours
uniquement axés sur la spiritualité et sur la transcendance du physique. Pourquoi ?
Quelle est la base de cette interdiction ? La retrouve-t-on dans les
textes fondamentaux du judaïsme ? Comment penser cette interdiction
aujourd'hui ? Nous passerons en revue les sources et proposerons quelques
modèles différents pour réfléchir à cette question ; d’un point de vue
strictement traditionnel et rationaliste.
I.
Le ṬoNo’’Kh
Commençons par les
maigres, mais significatives, preuves bibliques de l’utilisation d’instruments
de musique les jours sacrés. Le passage le plus explicite est le suivant :[1]
Et au jour de
votre réjouissance, durant vos rendez-vous et à vos Roˋshé Ḥôdhoshim, vous
sonnerez des trompettes sur vos ´ôlôth et vos Zivḥé Shalomim ;
et elles vous serviront de souvenir devant votre ˋalôhim. Je suis ˋadhônoy
votre ˋalôhim ! |
וּבְיוֹם שִׂמְחַתְכֶם וּבְמוֹעֲדֵיכֶם,
וּבְרָאשֵׁי חָדְשֵׁיכֶם--וּתְקַעְתֶּם בַּחֲצֹצְרֹת עַל עֹלֹתֵיכֶם, וְעַל
זִבְחֵי שַׁלְמֵיכֶם; וְהָיוּ לָכֶם לְזִכָּרוֹן לִפְנֵי אֱלֹהֵיכֶם, אֲנִי
יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם. |
Ce Posouq est
explicite sur le fait que des trompettes étaient jouées durant la ´avôdhoh
du Béth Hammiqdosh, au moins à Yôm Tôv et Rôˋsh Ḥôdhash, et apparemment le Shabboth aussi.[2]
Wayyiqroˋ 23:24 et Bamidhbor
29: 1 décrivent la sonnerie d’une Ṭarou´oh à Rôˋsh Hashshonoh. Wayyiqroˋ 25: 9 ordonne
la sonnerie d'un Shôphor dans l'année du Yôvél à Yôm Hakkippourim. Ces deux
fêtes sont explicitement décrites comme des saintes convocations, et Yôm
Hakkippourim un Shabboth Shabbothôn dans tout le pays, pas seulement dans
l'enceinte du Béth Hammiqdosh. Ṭahillim 92:4 décrit plus
explicitement une pratique impliquant des instruments de musique en ce qui
concerne le Shabboth. Ce Ṭahillim est intitulé מִזְמוֹר שִׁיר, לְיוֹם הַשַּׁבָּת « Un cantique pour le jour du Shabboth »
et faisait partie de la liturgie du jour, au moins dans le Béth Hammiqdosh. La
phrase עֲלֵי-עָשׂוֹר, וַעֲלֵי-נָבֶל; עֲלֵי
הִגָּיוֹן בְּכִנּוֹר « Sur un dix cordes, sur un luth, sur la lyre
mélodieuse » est donc une instruction pour jouer de ces divers
instruments à cordes le Shabboth. Tout cela pour dire que jouer d’instruments
le Shabboth et Yôm Tôv est traité dans la Bible et n’était pas une pratique
inconnue.
II.
Le Ṭalmoudh
Les sources
talmudiques donnent l’impression de l’existence d’une interdiction partielle d’instruments
de musique à Shabboth. Or, une telle interdiction n’est jamais explicitement
rapportée à travers le Ṭalmoudh ; elle est juste déduite par ceux qui
lisent ces textes. Nous allons donc rapporter ces sources pour voir de quoi il
s’agit réellement.
a.
Le Béth Hammiqdosh et la flute interdite
La Mishnoh ´arokhin
2: 3 déclare clairement que des instruments de toutes sortes étaient
utilisés dans le Béth Hammiqdosh à Yôm Tôv, et la Ṭôsaphṭoˋ ´érouvin 8:12
sous-entend qu'une harpe était jouée dans le Béth Hammiqdosh le Shabboth. Sur
la base de ces seules sources, nous pourrions nous demander : Ces
pratiques reflètent-elles une hypothèse largement répandue selon laquelle les
instruments de musique peuvent généralement être joués le Shabboth ou Yôm Tôv ?
Ou étaient-elles, comme d'autres activités dans le Béth Hammiqdosh, considérées
comme exceptionnelles et spécifiques à leur contexte sacré ?
Nous obtenons une
image plus complète à partir d'un ensemble de sources qui présentent
l'utilisation d'instruments dans le contexte du culte sacrificiel et de diverses
célébrations dans le Béth Hammiqdosh organisés à Soukkôth. Ces sources
problématisent l'utilisation d'au moins certains instruments le Shabboth
et Yôm Tôv :[3]
La flûte ne l’emporte
pas sur le Shabboth. Ribbi Yôsé bar Yahoudhoh dit : « Elle
l’emporte ! » |
החליל אין דוחה את השבת ר' יוסי בר' יהודה אומר דוחה |
Ce texte présente un
débat entre un Ṭannoˋ
anonyme selon qui « la flûte » ne l’emporte pas sur le Shabboth,
et Ribbi Yôsé bar Ribbi Yahoudhoh ז״ל, qui décide
qu’elle l’emporte sur le Shabboth. « La flûte » ici fait très
probablement référence à l’instrument à vent dont il est question dans la
longue description de la Mishnoh ´arokhin 2: 3 des divers
instruments qui accompagnaient les rites sacrificiels de Yôm Tôv. Alors que tous
conviennent que la flûte sacrificielle est jouée à Yôm Tôv, conformément à
la Mishnoh, le point de vue anonyme ici stipule qu'au moins la flûte - et peut-être
tous les instruments de musique accompagnant les Qôrbonôth des fêtes – n’était
pas jouée le Shabboth, même lorsqu'il coïncidé avec un Yôm Tôv.
Alternativement,
peut-être que « la flûte » dont il est question ici est celle
utilisée dans le cadre de la Simḥath Béth Hashshôˋévoh (le rituel de la libation d’eau), qui avait lieu
dans le Béth Hammiqdosh à Soukkôth. Cette flûte est discutée dans un autre
texte :[4]
« La flûte
l’emporte sur le Shabboth à son début ». Ce sont les paroles de
Ribbi Yôsé, le fils de Ribbi Yahoudhoh. Mais les Ḥakhomim
disent : « Elle ne l’emporte pas même sur Yôm Tôv ». |
החליל דוחה את השבת [בתחלתו] דברי רבי יוסי ברבי
יהודה וחכ"א אינו דוחה [אפילו את יו"ט]. |
Ici, Ribbi Yôsé bar
Ribbi Yahoudhoh permet de jouer de « la flûte » -
et par ricochet de s'engager dans toutes les festivités associées décrites dans
la Mishnoh de Soukkoh 5: 2 - le premier jour de Soukkôth, même quand il
tombe le Shabboth (mais pas un autre jour de Soukkôth s’il tombe le Shabboth).
Les Ḥakhomim ici sont en désaccord et interdisent cette flûte (et
toutes ses activités associées) le Shabboth et Yôm Tôv, ne lui permettant
d'être utilisée que durant les jours de Ḥôl Hammô´édh de la fête qui ont moins
de sainteté.
Si nous lisons ces
deux textes synthétiquement, Ribbi Yôsé bar Ribbi Yahoudhoh permet
toujours l'utilisation de la flûte dans le contexte des Qôrbonôth,
permet l'utilisation joyeuse de la flûte à Yôm Tôv de Soukkôth, et interdit
uniquement la flûte dans le Béth Hammiqdosh pour un usage joyeux un Shabboth
qui coïncide avec l'un des six derniers jours de Soukkôth. Ses adversaires
(en supposant que nous les considérions comme les mêmes dans les deux passages de
la Ṭôsaphṭoˋ)
déclarent que la flûte n'est jamais jouée le Shabboth ou Yôm Tôv à des fins
simplement joyeuses, et n'est jamais jouée le Shabboth dans le cadre du
culte sacrificiel. Ce n'est qu’à Yôm Tôv que la flûte peut être jouée à
des fins explicitement cultuelles. Notez que les deux positions
considèrent ici qu'il y a un plus grand problème avec la flûte le Shabboth
qu’à Yôm Tôv, 7 et les deux conviennent également que son
utilisation dans les célébrations joyeuses est plus problématique que dans le
contexte du culte sacrificiel.
La Mishnoh de Soukkoh
5: 1 prend une position définitive sur la question de la flûte de célébration :
La flûte [[est jouée
pendant] cinq ou six [jours à Soukkôth]. C’est la flûte du Béth Hashshôˋévoh, qui ne l’emporte
pas sur le Shabboth et ni sur Yôm Tôv. |
החליל, חמישה ושישה: זה חליל של בית השאובה,
שאינו דוחה לא את השבת ולא את יום טוב |
Ce texte déclare que
la flûte de célébration ne l’emporte ni sur le Shabboth ni sur Yôm Tôv, bien
qu'il sous-entende qu'une autre flûte - qui ne peut être que plausiblement la
flûte sacrificielle – l’emporterait en effet au moins sur Yôm Tôv, une
référence claire à la Mishnoh vue dans ´arokhin, et peut-être même à
l’opinion indulgente de Ribbi Yôsé bar Ribbi Yahoudhoh rapportée
dans la Ṭôsaphṭoˋ de ce
même traité de ´arokhin.
Mais le plus
important dans tous ces textes est leur utilisation du mot דוחה pour décrire l’utilisation potentielle de la flûte (dans des
contextes sacrificiels et joyeux) le Shabboth. Quand nous disons qu’A דוחה B, cela signifie que A est normalement une activité interdite
et problématique. La notion de פיקוח נפש דוחה שבת « le Piqqouaḥ Naphash l’emporte sur le
Shabboth » est que l'on est autorisé, afin de sauver une vie, à
effectuer des activités autrement considérées comme des transgressions
fondamentales du Shabboth. Ces activités ne sont normalement pas autorisées ;
seul leur contexte les rend autorisées. Par conséquent, lorsque ces sources
tannaïtiques parlent de la flûte l’emportant potentiellement sur le Shabboth et
Yôm Tôv, l'implication est claire : il est normalement interdit de jouer
de la flûte le Shabboth ou Yôm Tôv. Cette interdiction peut toutefois être
annulée par d'autres facteurs (tels que le culte sacrificiel, ou
potentiellement même son utilisation dans une joyeuse cérémonie au Béth
Hammiqdosh). Mais la décision par défaut en ce qui concerne une flûte est que
l'on ne peut pas la jouer le Shabboth ou Yôm Tôv. C’est un point essentiel à
comprendre : chaque fois que les Ḥakhomim ont émis une Gazéroh (décret),
ils n’en ont jamais fait une interdiction absolue, mais y ont toujours inclus
des exceptions, car autrement ils transgresseraient eux-mêmes l’interdiction d’ajouter
à la Ṭôroh. Nous nous devons donc toujours de comprendre la Gazéroh
et ses conditions d’application.
Cela nous amène à
une question plus fondamentale : pourquoi est-il normalement interdit de
jouer de la flûte ? Quelle est la substance de l'interdiction ici qui peut
être annulée dans certains contextes ? À partir de là, les choses se
compliquent un peu et des courants de pensée et de pratique concurrents
émergent progressivement. Ce sera l’objet du prochain article !