dimanche 28 février 2021

Jouer de la musique à Shabboth & Yôm Tôv – Première Partie

 

בס״ד

 

Jouer de la musique à Shabboth & Yôm Tôv – Première Partie

 


Cet article peut être téléchargé ici.

 

Nous allons commencer une nouvelle série d’articles sur un sujet qui revient souvent dans les différents messages reçus et discussions que j’ai pu avoir, à savoir le fait de jouer d’instruments de musique à Shabboth et Yôm Tôv. A cet égard, je vous invite à (re)lire l’article intitulé « Est-il réellement interdit de jouer de la musique à Shabboth ? », que je vais davantage détailler avec des preuves supplémentaires.

 

La musique a joué un rôle central dans les rites traditionnels du judaÏsme à travers les époques. Et pourtant, la pratique orthodoxe dominante est de catégoriquement interdire l'utilisation d'instruments de musique le Shabboth et Yôm Tôv, des jours uniquement axés sur la spiritualité et sur la transcendance du physique. Pourquoi ? Quelle est la base de cette interdiction ? La retrouve-t-on dans les textes fondamentaux du judaïsme ? Comment penser cette interdiction aujourd'hui ? Nous passerons en revue les sources et proposerons quelques modèles différents pour réfléchir à cette question ; d’un point de vue strictement traditionnel et rationaliste.

 

       I.            Le ṬoNo’’Kh

 

Commençons par les maigres, mais significatives, preuves bibliques de l’utilisation d’instruments de musique les jours sacrés. Le passage le plus explicite est le suivant :[1]

 

Et au jour de votre réjouissance, durant vos rendez-vous et à vos Roˋshé Ḥôdhoshim, vous sonnerez des trompettes sur vos ´ôlôth et vos Zivḥé Shalomim ; et elles vous serviront de souvenir devant votre ˋalôhim. Je suis ˋadhônoy votre ˋalôhim !

וּבְיוֹם שִׂמְחַתְכֶם וּבְמוֹעֲדֵיכֶם, וּבְרָאשֵׁי חָדְשֵׁיכֶם--וּתְקַעְתֶּם בַּחֲצֹצְרֹת עַל עֹלֹתֵיכֶם, וְעַל זִבְחֵי שַׁלְמֵיכֶם; וְהָיוּ לָכֶם לְזִכָּרוֹן לִפְנֵי אֱלֹהֵיכֶם, אֲנִי יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם.

 

Ce Posouq est explicite sur le fait que des trompettes étaient jouées durant la ´avôdhoh du Béth Hammiqdosh, au moins à Yôm Tôv et Rôˋsh Ḥôdhash, et apparemment le Shabboth aussi.[2]

 

Wayyiqroˋ 23:24 et Bamidhbor 29: 1 décrivent la sonnerie d’une Ṭarou´oh à Rôˋsh Hashshonoh. Wayyiqroˋ 25: 9 ordonne la sonnerie d'un Shôphor dans l'année du Yôvél à Yôm Hakkippourim. Ces deux fêtes sont explicitement décrites comme des saintes convocations, et Yôm Hakkippourim un Shabboth Shabbothôn dans tout le pays, pas seulement dans l'enceinte du Béth Hammiqdosh. ahillim 92:4 décrit plus explicitement une pratique impliquant des instruments de musique en ce qui concerne le Shabboth. Ce Ṭahillim est intitulé מִזְמוֹר שִׁיר, לְיוֹם הַשַּׁבָּת « Un cantique pour le jour du Shabboth » et faisait partie de la liturgie du jour, au moins dans le Béth Hammiqdosh. La phrase עֲלֵי-עָשׂוֹר, וַעֲלֵי-נָבֶל;    עֲלֵי הִגָּיוֹן בְּכִנּוֹר « Sur un dix cordes, sur un luth, sur la lyre mélodieuse » est donc une instruction pour jouer de ces divers instruments à cordes le Shabboth. Tout cela pour dire que jouer d’instruments le Shabboth et Yôm Tôv est traité dans la Bible et n’était pas une pratique inconnue.

 

     II.            Le Ṭalmoudh

 

Les sources talmudiques donnent l’impression de l’existence d’une interdiction partielle d’instruments de musique à Shabboth. Or, une telle interdiction n’est jamais explicitement rapportée à travers le Ṭalmoudh ; elle est juste déduite par ceux qui lisent ces textes. Nous allons donc rapporter ces sources pour voir de quoi il s’agit réellement.

 

a.     Le Béth Hammiqdosh et la flute interdite

 

La Mishnoh ´arokhin 2: 3 déclare clairement que des instruments de toutes sortes étaient utilisés dans le Béth Hammiqdosh à Yôm Tôv, et la Ṭôsaphṭoˋ ´érouvin 8:12 sous-entend qu'une harpe était jouée dans le Béth Hammiqdosh le Shabboth. Sur la base de ces seules sources, nous pourrions nous demander : Ces pratiques reflètent-elles une hypothèse largement répandue selon laquelle les instruments de musique peuvent généralement être joués le Shabboth ou Yôm Tôv ? Ou étaient-elles, comme d'autres activités dans le Béth Hammiqdosh, considérées comme exceptionnelles et spécifiques à leur contexte sacré ?

 

Nous obtenons une image plus complète à partir d'un ensemble de sources qui présentent l'utilisation d'instruments dans le contexte du culte sacrificiel et de diverses célébrations dans le Béth Hammiqdosh organisés à Soukkôth. Ces sources problématisent l'utilisation d'au moins certains instruments le Shabboth et Yôm Tôv :[3]

 

La flûte ne l’emporte pas sur le Shabboth. Ribbi Yôsé bar Yahoudhoh dit : « Elle l’emporte ! »

החליל אין דוחה את השבת ר' יוסי בר' יהודה אומר דוחה

 

Ce texte présente un débat entre un Ṭannoˋ anonyme selon qui « la flûte » ne l’emporte pas sur le Shabboth, et Ribbi Yôsé bar Ribbi Yahoudhoh ז״ל, qui décide qu’elle l’emporte sur le Shabboth. « La flûte » ici fait très probablement référence à l’instrument à vent dont il est question dans la longue description de la Mishnoh ´arokhin 2: 3 des divers instruments qui accompagnaient les rites sacrificiels de Yôm Tôv. Alors que tous conviennent que la flûte sacrificielle est jouée à Yôm Tôv, conformément à la Mishnoh, le point de vue anonyme ici stipule qu'au moins la flûte - et peut-être tous les instruments de musique accompagnant les Qôrbonôth des fêtes – n’était pas jouée le Shabboth, même lorsqu'il coïncidé avec un Yôm Tôv.

 

Alternativement, peut-être que « la flûte » dont il est question ici est celle utilisée dans le cadre de la Simḥath Béth Hashshôˋévoh (le rituel de la libation d’eau), qui avait lieu dans le Béth Hammiqdosh à Soukkôth. Cette flûte est discutée dans un autre texte :[4]

 

« La flûte l’emporte sur le Shabboth à son début ». Ce sont les paroles de Ribbi Yôsé, le fils de Ribbi Yahoudhoh. Mais les Ḥakhomim disent : « Elle ne l’emporte pas même sur Yôm Tôv ».

החליל דוחה את השבת [בתחלתו] דברי רבי יוסי ברבי יהודה וחכ"א אינו דוחה [אפילו את יו"ט].

 

Ici, Ribbi Yôsé bar Ribbi Yahoudhoh permet de jouer de « la flûte » - et par ricochet de s'engager dans toutes les festivités associées décrites dans la Mishnoh de Soukkoh 5: 2 - le premier jour de Soukkôth, même quand il tombe le Shabboth (mais pas un autre jour de Soukkôth s’il tombe le Shabboth). Les Ḥakhomim ici sont en désaccord et interdisent cette flûte (et toutes ses activités associées) le Shabboth et Yôm Tôv, ne lui permettant d'être utilisée que durant les jours de Ḥôl Hammô´édh de la fête qui ont moins de sainteté.

 

Si nous lisons ces deux textes synthétiquement, Ribbi Yôsé bar Ribbi Yahoudhoh permet toujours l'utilisation de la flûte dans le contexte des Qôrbonôth, permet l'utilisation joyeuse de la flûte à Yôm Tôv de Soukkôth, et interdit uniquement la flûte dans le Béth Hammiqdosh pour un usage joyeux un Shabboth qui coïncide avec l'un des six derniers jours de Soukkôth. Ses adversaires (en supposant que nous les considérions comme les mêmes dans les deux passages de la Ṭôsaphṭoˋ) déclarent que la flûte n'est jamais jouée le Shabboth ou Yôm Tôv à des fins simplement joyeuses, et n'est jamais jouée le Shabboth dans le cadre du culte sacrificiel. Ce n'est qu’à Yôm Tôv que la flûte peut être jouée à des fins explicitement cultuelles. Notez que les deux positions considèrent ici qu'il y a un plus grand problème avec la flûte le Shabboth qu’à Yôm Tôv, 7 et les deux conviennent également que son utilisation dans les célébrations joyeuses est plus problématique que dans le contexte du culte sacrificiel.

 

La Mishnoh de Soukkoh 5: 1 prend une position définitive sur la question de la flûte de célébration :

 

La flûte [[est jouée pendant] cinq ou six [jours à Soukkôth]. C’est la flûte du Béth Hashshôˋévoh, qui ne l’emporte pas sur le Shabboth et ni sur Yôm Tôv.

החליל, חמישה ושישה:  זה חליל של בית השאובה, שאינו דוחה לא את השבת ולא את יום טוב

 

Ce texte déclare que la flûte de célébration ne l’emporte ni sur le Shabboth ni sur Yôm Tôv, bien qu'il sous-entende qu'une autre flûte - qui ne peut être que plausiblement la flûte sacrificielle – l’emporterait en effet au moins sur Yôm Tôv, une référence claire à la Mishnoh vue dans ´arokhin, et peut-être même à l’opinion indulgente de Ribbi Yôsé bar Ribbi Yahoudhoh rapportée dans la Ṭôsaphṭoˋ de ce même traité de ´arokhin.

 

Mais le plus important dans tous ces textes est leur utilisation du mot דוחה pour décrire l’utilisation potentielle de la flûte (dans des contextes sacrificiels et joyeux) le Shabboth. Quand nous disons qu’A דוחה B, cela signifie que A est normalement une activité interdite et problématique. La notion de פיקוח נפש דוחה שבת « le Piqqouaḥ Naphash l’emporte sur le Shabboth » est que l'on est autorisé, afin de sauver une vie, à effectuer des activités autrement considérées comme des transgressions fondamentales du Shabboth. Ces activités ne sont normalement pas autorisées ; seul leur contexte les rend autorisées. Par conséquent, lorsque ces sources tannaïtiques parlent de la flûte l’emportant potentiellement sur le Shabboth et Yôm Tôv, l'implication est claire : il est normalement interdit de jouer de la flûte le Shabboth ou Yôm Tôv. Cette interdiction peut toutefois être annulée par d'autres facteurs (tels que le culte sacrificiel, ou potentiellement même son utilisation dans une joyeuse cérémonie au Béth Hammiqdosh). Mais la décision par défaut en ce qui concerne une flûte est que l'on ne peut pas la jouer le Shabboth ou Yôm Tôv. C’est un point essentiel à comprendre : chaque fois que les Ḥakhomim ont émis une Gazéroh (décret), ils n’en ont jamais fait une interdiction absolue, mais y ont toujours inclus des exceptions, car autrement ils transgresseraient eux-mêmes l’interdiction d’ajouter à la Ṭôroh. Nous nous devons donc toujours de comprendre la Gazéroh et ses conditions d’application.

 

Cela nous amène à une question plus fondamentale : pourquoi est-il normalement interdit de jouer de la flûte ? Quelle est la substance de l'interdiction ici qui peut être annulée dans certains contextes ? À partir de là, les choses se compliquent un peu et des courants de pensée et de pratique concurrents émergent progressivement. Ce sera l’objet du prochain article !



[1] Bamidhbor 10 :10

[2] Pour la Maḥlôqath quant à savoir si ce Posouq inclut le Shabboth, voir le Siphré Bamidhbor 77 et le Siphré Zoutoˋ 10 :10.

[3] Ṭôsaphṭoˋ ´arokhin 1 :6

[4] Ṭôsaphṭoˋ Soukkoh 4 :8

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