ב״ה
L'obligation
de Sholôsh Sa´ôdhôth
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La
Tôroh nous parle de la manne, la nourriture miraculeuse par laquelle
les Bané Yisro`él furent nourris tout au long de leur quarante
années de voyage dans le désert inhospitalier. En général, chaque
individu recevait une portion quotidienne le matin, qui pourrissait
si on la gardait jusqu'au lendemain. L'exception à la règle était
le vendredi, où la portion de deux jours tombait, dont l'une
pouvait, sans risque, être mise de côté pour le lendemain,
Shabboth. Le tout premier Shabboth, lorsque le peuple se réveilla et
découvrit que leur portion supplémentaire était encore intact,
Môshah Rabbénou ע״ה
leur
ordonna de la consommer sans inquiétude1 :
Et
Môshah dit : « Mangez-la aujourd'hui, car c'est
aujourd'hui Shabboth pour `adhônoy ; aujourd'hui, vous n'en
trouverez point aux champs ! »
|
וַיֹּאמֶר
מֹשֶׁה אִכְלֻהוּ הַיּוֹם,
כִּי-שַׁבָּת
הַיּוֹם לַיהוה:
הַיּוֹם,
לֹא
תִמְצָאֻהוּ בַּשָּׂדֶה
|
Le
Talmoudh2
comprend ce verset comme établissant un protocole général de
Shabboth pour tous les temps, et pas seulement vis-à-vis de la
manne. D'après le Talmoudh, Môshah Rabbénou introduit ici
l'obligation de manger à Shabboth. Plus précisément, la triple
répétition du mot הַיּוֹם
« Hayyôm
– aujourd'hui », que l'on retrouve dans ce verset, fait
allusion à l'obligation de consommer trois repas distincts à
Shabboth. Sur la base de ce passage talmudique, certains Ri`shônim
soutiennent que consommer trois repas à Shabboth constituerait une
obligation Min Hattôroh (une obligation d'origine toranique).
Mais
à l'évidence, le Ramba''m ז״ל
interprète
complètement différemment les propos du Talmoudh. Il rapporte
l'obligation des trois repas de Shabboth dans le dernier chapitre des
Hilkôth Shabboth de son Mishnéh Tôroh3
dans le cadre de sa discussion sur le concept de עֹנֶג
שַׁבָּת
« ´ônagh
Shabboth » (l'obligation de se délecter à Shabboth). Comme il
l'écrit en introduction de ce chapitre, l'obligation de ´ônagh
Shabboth ne provient pas de la Tôroh mais découle de la prophétie
de Yasha´yohou Hannovi` ע״ה,
qui dit4 :
וְקָרָאתָ
לַשַּׁבָּת עֹנֶג,
לִקְדוֹשׁ
יהוה
מְכֻבָּד
« Et
tu appelleras le Shabboth un délice, une sainteté de `adhônoy,
digne d'honneur. »
Le Ramba''m ne fait aucune mention du verset de la Tôroh sur la
manne, que le Talmoudh cite comme source de l'obligation de שָׁלוֹשׁ
סְעוֹדוֹת
« Sholôsh
Sa´ôdhôth » (les trois repas [de Shabboth]). Plutôt, il
l'inclut simplement comme l'un des quelques détails faisant partie
de la Miswoh
de ´ônagh Shabboth établie par Yasha´yohou Hannovi`.
Il
ressort que le Ramba''m voyait la déduction du Talmoudh basée sur
ce verset du Séphar Shamôth comme n'étant rien d'autre qu'une
אַסְמַכְתָּא
« `asmakhto` »,
une allusion subtile dans le texte biblique à une pratique instituée
plus tard. D'après lui, la source réelle de cette exigence est
l'obligation générale de ´ônagh Shabboth plutôt qu'un
commandement spécifique émis dans la Tôroh.
Le
point de vue du Ramba''m sur l'obligation de Sholôsh Sa´ôdhôth a
de nombreuses implications pratiques très intéressantes.
Premièrement, elle affecte la question de savoir si quelqu'un doit
consommer trois repas même si cela lui causera un inconfort ou un
déplaisir. À l'évidence, une fois que nous classons les Sholôsh
Sa´ôdhôth dans la catégorie générale de ´ônagh Shabboth, par
définition ces repas ne peuvent alors pas être pris au dépend de
son plaisir ou bien-être physique. En effet, le Ramba''m écrit
ceci : וְאִם
הָיָה חוֹלֶה מֵרֹב הָאֲכִילָה,
אוֹ
שֶׁהָיָה מִתְעַנֶּה--פָּטוּר
מִשָּׁלוֹשׁ סְעוֹדוֹת
« Mais
s'il est malade de beaucoup manger ou s'il jeûne [régulièrement],
il est exempt des Sholôsh Sa ôdhôth. »5
Par contre, d'après la position des autres Ri`shônim qui
considèrent les Sholôsh Sa´ôdhôth comme une Miswoh
Min Hattôroh indépendante, il semblerait qu'il devrait néanmoins
prendre ces repas même si cela lui causerait un inconfort ou
déplaisir (sauf si cela met sa vie en danger), car les obligations
Min Hattôroh ne sont pas levées par souci d'inconfort ou de
déplaisir.
Une
deuxième application pratique de la position du Ramba''m concerne un
Minhogh, qui était apparemment très courant à certaines périodes,
consistant à partager le repas principal de Shabboth en deux plutôt
que de prendre un troisième repas. Plus particulièrement en hiver,
lorsque prendre deux repas avant le coucher du soleil n'est pas
toujours faisable, certaines personnes récitaient simplement la
Birakhath Hammozôn en plein milieu du deuxième repas de Shabboth,
puis récitait une nouvelle bénédiction sur le pain. Elles étaient
alors considérées comme ayant pris les deux repas de ce jour (en
plus de celui du vendredi soir), accomplissant par-là l'obligation
de Sholôsh Sa´ôdhôth.
Mais
d'après la perspective du Ramba''m, il n'y aurait aucune utilité à
partager le repas principal de Shabboth en deux. En effet, si les
Sholôsh Sa´ôdhôth sont requises en vertu de l'obligation de
´ônagh Shabboth, il est alors logique d'affirmer que chaque repas
doit apporter une certaine dimension supplémentaire de délectation.
Si le repas de quelqu'un se prolonge jusque tard l'après-midi, il
n'expérimente pas un ´ônagh supplémentaire en s'arrêtant de
manger, en récitant la Birakhath Hammozôn, et en consommant un
autre morceau de pain. Dans une telle situation, le Ramba''m
conseillerait probablement à cette personne de simplement poursuivre
son repas comme d'ordinaire plutôt que d'user d'un tel subterfuge.
Et s'il n'y a pas assez de temps pour qu'elle ait le temps de
développer un nouvel appétit pour le troisième repas, elle n'aura
alors même pas besoin de prendre un troisième repas car, comme nous
l'avons vu, le Ramba''m exempte de cette obligation si cela causera
un inconfort, déplaisir, etc.
À
l'inverse, si nous suivons l'approche des autres Ri`shônim qui
considèrent les Sholôsh Sa´ôdhôth comme une obligation Min
Hattôroh, nous devrions alors effectivement exiger de quelqu'un qui
se retrouverait dans une telle situation de partager en deux son
repas, de façon à ce qu'il soit considéré comme ayant
formellement pris trois repas distincts. Ou on pourrait arguer que
l'obligation de consommer trois repas se réfère à trois repas pris
à trois moments différents du jour de Shabboth. Et effectivement,
Rabbénou Ya´aqôv de Marvège ז״ל
(un
des Tôsophôth du 13ème
siècle) rapporte dans son ouvrage intitulé Min Hashomayim6
qu'il aurait reçu une vision nocturne dans laquelle on lui aurait
dit que tout comme le mot הַיּוֹם
« Hayyôm
– aujourd'hui » apparaît à trois occasions distinctes dans
le verset, de même, les trois repas de Shabboth devraient être pris
à trois moments distincts durant le Shabboth, à savoir le soir, le
matin et l'après-midi. Mais évidemment, pour nous qui suivons le
Ramba''m, le mot הַיּוֹם
« Hayyôm
– aujourd'hui » n'a aucune incidence ni portée sur cette
Halokhoh, puisque ce verset n'est pas vraiment la source de
l'obligation des Sholôsh Sa´ôdhôth.
Il
est intéressant de noter que dans le même passage du Mishnéh Tôroh
le Ramba''m ajoute que les Sholôsh Sa´ôdhôth s'appliquent même
lors des Yomim Tôvim. À la lumière du fait que le Ramba''m décrit
les Sholôsh Sa´ôdhôth comme une Halokhoh découlant du ´ônagh
Shabboth, nous devons conclure que les Yomim Tôvim aussi incluent
une obligation de ´ônagh, comme Shabboth. Mais une telle conclusion
est quelque peu surprenante et problématique, sans compter qu'elle
n'a aucune base dans une source antérieure. En parlant de Yôm Tôv
la Tôroh et le Talmoudh parlent plutôt d'une obligation de שִׂמְחָה
« Simhoh
– réjouissance. » Le concept de Simhoh
est assez différent de celui de ´ônagh ; ce dernier à une
délectation physique, alors que la Simhoh
se réfère à un sentiment intérieur de joie (pouvant aussi être
engendré par le fait d'avoir mangé). Il est donc difficile
d'expliquer pourquoi le Ramba''m a étendu l'obligation de ´ônagh
aux Yomim Tôvim.
1Shamôth
16:25
2Shabboth
117b
3Hilkôth
Shabboth 30:9
4Yasha´yohou
58:13
5Hilkôth
Shabboth 30:9
6Tashouvoh
n°14