בס״ד
A qui faut-il accorder le bénéfice du
doute ?
Cet article peut être téléchargé ici.
Nous vivons dans une génération où il devient de plus
en plus difficile de s’exprimer librement, d’émettre la moindre critique, ou de
réprimander qui que ce soit. Dès lors qu’un reproche, même constructif, est
émis, beaucoup vous tombent dessus, s’offusquent, et répondent par des phrases
du type « Ne juge pas, car seul Dieu peut juger ! » Ce
type de phrases sert principalement à refuser de voir en face la réalité qu’on
a mal agi. En outre, il est même une Miṣwoh de réprimander son coreligionnaire
Israélite lorsqu’on voit qu’il s’est mal comporté. De même, la Ṭôroh oblige un
Israélite qui a été lésé ou blessé à aller voir celui qui l’a lésé et lui dire
en face : « Pourquoi m’as-tu fait ceci ou cela ? ».
Le Rambo’’m ז״ל explique que c’est
afin de donner l’occasion à la personne coupable de se rendre compte qu’elle a
mal agi, entraînant ainsi sa Ṭashouvoh. En effet, comme le relève le
Rambo’’m, parfois certaines personnes causent du tort à autrui sans s’en être rendu
compte, et c’est pourquoi il est une Miṣwoh de les réprimander et de leur dire
ouvertement ce qu’on leur reproche, non pas pour les juger ou condamner, mais
précisément pour leur donner la possibilité de faire Ṭashouvoh. On
condamne quelqu’un en ne lui disant rien, puisque n’ayant pas eu la conscience
d’avoir mal agi, cette personne pourrait mourir en impie et ne pas recevoir le
´ôlom Habbo`. Ne rien dire, c’est donc cela la condamner, et non le fait de lui
faire remarquer ses mauvais agissements ! Et enfin, si seul Dieu avait le
pouvoir de juger, il n’y aurait jamais eu de juges et des Boṭṭé Dhinim pour
trancher, régler les conflits entre individus et émettre des sanctions et
punitions !
L’autre réponse classique que l’on entend
régulièrement lorsqu’on réprimande quelqu’un est : « Nos Sages ont
dit qu’il fallait juger tout le monde favorablement ». En raison de
cela, beaucoup de gens de notre génération ferment les yeux même sur des péchés
de très graves conséquences. C’est pourquoi il convient de clairement
comprendre à qui faut-il accorder le bénéfice du doute, qui faut-il juger
favorablement.
Voici ce que le Rambo’’m écrit dans son Mishnéh Ṭôroh :[1]
Un Ṭalmidh Ḥokhom ne criera pas ni ne
hurlera quand il parle, comme les animaux domestiques et les bêtes sauvages,
et il n’élèvera pas excessivement sa voix. Plutôt, sa façon de parler sera en
douceur avec toutes les créatures. Et lorsqu'il parlera en douceur, il
veillera à ne pas s'éloigner au point que [ce qu'il dise] paraisse comme les
expressions de gens hautains. Il saluera tout homme en premier, afin qu'il
soit apprécié d'eux. Et il jugera tout homme
par la balance du mérite, parlera positivement de son Ḥovér et ne parlera
jamais de ce qui peut le rendre détestable. Il chérira la paix et poursuivra la paix. |
תַּלְמִיד חֲכָמִים--לֹא יְהֶא צוֹעֵק
וְצוֹוֵחַ בְּשָׁעַת
דִּבּוּרוֹ,
כַּבְּהֵמוֹת וְכַחַיּוֹת; וְלֹא יַגְבִּיהַּ קוֹלוֹ בְּיוֹתֵר, אֵלָא דִּבּוּרוֹ בְּנַחַת עִם כָּל הַבְּרִיּוֹת. וּכְשֶׁיְּדַבַּר בְּנַחַת,
יִזָּהֵר שֶׁלֹּא יִתְרַחַק עַד שֶׁיֵּרָאֶה כְּדִבְרֵי גַּסֵּי
הָרוּחַ. וּמַקְדִּים לִשְׁלוֹם כָּל
אָדָם, כְּדֵי שֶׁתְּהֶא רוּחָן
נוֹחָה הִמֶּנּוּ.
וְדָן אֶת כָּל הָאָדָם לְכַף זְכוּת--מְסַפֵּר בִּשְׁבָח חֲבֵרוֹ,
וְאֵינוּ מְסַפֵּר בִּגְנוּתוֹ כְּלָל. אוֹהֵב שָׁלוֹם, וְרוֹדֵף שָׁלוֹם |
Parmi les nombreux traits positifs attendus d'un Ṭalmidh
Ḥokhom, il y a le fait qu'il juge les autres favorablement (« juger par
la balance du mérite »). De là, il semble que ce soit un comportement
auquel seule une personne pieuse devrait aspirer. Cela ne semble pas être une
obligation de la Ṭôroh, ni même une attitude que l’on attend de tout le monde.
Cependant, lorsque nous considérons ce que le Rambo’’m écrit en décrivant cette
Miṣwoh dans son Séphar Hammiṣwôth, nous nous retrouvons avec une impression
entièrement différente. Décrivant la Miṣwath ´aséh n°177, il
écrit ceci :
La 177ème
Miṣwoh est l’injonction
par laquelle ont été enjoints les juges de traiter équitablement les
justiciables et donner à chacun d’eux de s’exprimer, que cela prenne
longtemps ou peu de temps. Et c’est ce qu’Il a dit :[2]
« Tu jugeras ton peuple avec justice »…. Il y a
davantage dans [cette Miṣwoh], à savoir qu’un être humain est astreint à juger
son Ḥovér par la
balance du mérite et d’expliquer ses actes et ses paroles uniquement d’une
manière positive et aimable. |
המצווה הקע"ז הציווי שנצטוו הדינים להשוות בין
בעלי הדין ולתת לכל אחד מהם לומר דבריו בין שמאריך ובין שמקצר, והוא אמרו:
"בצדק תשפט עמיתך" (ויקרא יט, טו)… ויש בו עוד: שחייב אדם לדון את
חברו לכף זכות ולא יפרש מעשיו ודבריו אלא לטוב ולחסד. |
Donc, en tant qu’addition à la Miṣwoh obligeant les
juges à statuer équitablement, il y a la Miṣwoh qui oblige généralement les
gens à juger les autres favorablement. Du langage employé ici, il semble que
contrairement à ce qui avait été déduit des Hilkôth Dé´ôth, c'est une
obligation réelle comptée comme l'une des 248 Miṣwôth ´aséh et incombant à tout
le monde, pas simplement un comportement pieux attendu d'un Ṭalmidh Ḥokhom.
Pour pouvoir déchiffrer ces deux textes apparemment
contradictoires, il nous faut nous pencher sur un troisième texte écrit par le
Rambo’’m qui décrit cette obligation. Cela se trouve dans son commentaire de la
Mishnoh sur la Masakhath `ovôth, qui fut rédigé avant les deux textes cités
ci-dessus et contient beaucoup plus de détails.
La Mishnoh de `ovôth déclare ceci :
Yahôshoua´ ban Paraḥyoh dit : « Fais-toi
un Rov, acquiers-toi un camarade, et juge tout humain par la balance du mérite ! ». |
יְהוֹשֻׁעַ בֶּן פְּרַחְיָה אוֹמֵר, עֲשֵׂה לְךָ
רָב, וּקְנֵה לְךָ חָבֵר ; וֶהֱוֵי דָן אֶת כָּל הָאָדָם לְכַף זְכוּת. |
Le Rambo’’m commente ainsi cette Mishnoh :
Et juge tout
homme par la balance du mérite : cela se réfère au fait que tu n’es pas sûr qu'un certain individu
soit ou non un Ṣaddiq ou un Rosho´, et que tu le vois faire un acte ou dire quelque
chose qui peut aussi bien être interprété d’une manière positive que d’une
manière négative. Dans un tel cas, juge positivement et ne penses pas qu'il
fait quelque chose de mal. |
והוי דן את כל האדם לכף זכות. ענינו כשיהיה אדם שלא תדע בו אם צדיק הוא אם רשע ותראהו שיעשה מעשה או יאמר
דבר שאם תפרשהו על דרך אחת יהיה טוב ואם תפרשהו על דרך אחרת יהיה רע קח אותו על
הטוב ולא תחשוב בו רע |
Il poursuit son commentaire en faisant ensuite la
différence entre quelqu'un qui a la réputation d'être un individu Ṣaddiq et
quelqu'un qui est connu pour être un Rosho´. Dans le premier cas, même s'il
faut faire une grande gymnastique mentale pour interpréter l'action positivement,
on a toujours l'obligation de le juger positivement, dit le Rambo’’m. Dans
le cas d'un « Rosho´ connu », par contre, même si la
perception est qu'une certaine action pourrait être interprétée positivement,
on ne doit pas être poussé à penser que cet individu fait quelque chose de
positif, dit le Rambo’’m. Nous apprenons donc que la Miṣwoh de juger
favorablement quelqu’un (lui donner le bénéfice du doute) ne s’applique pas
pour un Rosho´connu !
Et il conclut ainsi son commentaire :
Et si tu ne connais
pas l'individu impliqué, et que l'action elle-même est de nature ambiguë, ne
penchant ni d'un côté ni de l'autre, alors selon les voies de la piété, tu
jugeras par la balance du mérite cet acte ambiguë. |
וכשיהי' בלתי ידוע והמעשה בלתי מכריע לא' משני הקצוות
צריך בדרך החסידות שתדין לכף זכות איזה קצה שיהיה משני הקצוות |
Il ressort ainsi très clairement que dans un cas où
l'on ne connaît pas l'individu impliqué, c’est seulement là qu’il est une
question de piété de juger favorablement, et donner le bénéfice du doute !
Et c’est donc similaire au cas traité dans les Hilkôth Dé´ôth, qui décrit cette
Miṣwoh comme étant du ressort des comportements dignes d'un Ṭalmidh Ḥokhom.
En résumé, cette Miṣwoh de juger favorablement et
donner le bénéfice du doute se divise en trois catégories :
1. Lorsque
l’individu est connu pour être un Ṣaddiq, et qu’on le voit faire quelque chose
ou entend dire une parole pouvant donner l’impression qu’il a fait ou dit
quelque chose de mal, c’est une obligation absolue de la Ṭôroh d’interpréter
son acte ou sa parole positivement, et il y a l’interdiction absolue de penser
qu’il ait pu mal agir ou mal parler ;
2. Lorsqu’on
ne sait pas si l’individu est un Ṣaddiq ou un Rosho´, et qu’on le voit faire
quelque chose ou entend dire une parole pouvant être interprété aussi bien
positivement que négativement, ce n’est pas une Miṣwoh mais une mesure de piété
de le juger favorablement et lui accorder le bénéfice du doute ;
3. Lorsque
l’individu est connu pour être un Rosho´, et qu’on le voit faire quelque chose
ou entend dire une parole pouvant être interprété aussi bien positivement que
négativement, on est tenu de ne pas lui accorder le bénéfice du doute et le
juger négativement (jusqu’à ce qu’il fournisse la preuve définitive et
incontestable qu’il n’avait pas mal agi).
Rabbi Yisro`él Mé`ir Kagan ז״ל, plus connu sous son surnom du
« Ḥophéṣ Ḥayyim », s’est penché minutieusement sur ces trois textes
du Rambo’’m. Il est très important de mentionner ses conclusions, car le Ḥophéṣ
Ḥayyim, qui a écrit un ouvrage classique sur le Loshôn Hora´, est très
fréquemment utilisé à notre époque pour faire taire toute critique ou
réprimande. Dès lors que l’on émet un commentaire négatif sur quique ce soit,
on s’entend dire : « Tu devrais étudier le Shamirath
Halloshôn du Ḥophéṣ Ḥayyim, car tu es en train de faire du Loshôn Hora´ ! »
Mais qu’a dit le Ḥophéṣ Ḥayyim sur ce sujet de juger favorablement les
autres et leur accorder le bénéfice du doute, sur base de sa lecture des trois
textes du Rambo’’m ?
Il relève une différence essentielle entre les textes du
commentaire du Rambo’’m sur la Masakhath `ovôth et les Hilkôth Dé´ôth du
Mishnéh Ṭôroh d'une part, et l’explication du Rambo’’m dans son Séphar Hammiṣwôth
d'autre part.[3]
Dans la Masakhath `ovôth et les Hilkôth Dé´ôth, le langage
utilisé par le Rambo’’m est très inclusif : « Et juge tout humain par
la balance du mérite ». Il faut juger favorablement tous les
individus, même les individus avec lesquels nous ne sommes pas familiers et qui
n'ont donc aucune raison particulière d’être jugés favorablement. Dans un tel
cas, il est en effet difficile de juger favorablement, car tout ce que nous
avons devant nous est ce que nous voyons, et ce que nous voyons n'a pas l'air
positif. C'est pourquoi le Rambo’’m écrit dans son commentaire sur `ovôth qu'il
s'agit d'un comportement pieux, au-delà de la lettre de la loi.
De même, dans le Mishnéh Ṭôroh, aux Hilkôth Dé´ôth, le
Rambo’’m utilise exactement le même langage que dans la Masakhath `ovôth
« tout humain ». C'est pourquoi il est plus particulièrement pertinent
pour les Ṭalmidhé Ḥakhomim, car nous parlons de quelqu'un dont nous
n'avons aucune information préalable. Si l'on voit une telle personne faire
quelque chose de douteux, on n'a aucune obligation de la juger favorablement.
C'est simplement un comportement louable attendu d'un Ṭalmidh Ḥokhom.
Dans le Séphar Hammiṣwôth, cependant, le langage
utilisé par le Rambo’’m est différent, d’après le Ḥophéṣ Ḥayyim. Là, en
décrivant l’obligation en tant que telle, le Rambo’’m écrit :
« il est astreint à juger son Ḥovér par la balance du mérite ».
Ici, le Rambo’’m ne dit pas qu’il faut juger favorablement « tout
humain », mais il utilise le mot hébreu « Ḥavérô »
(חברו),
qui se traduit littéralement par « son ami », à savoir quelqu’un
qui est notre « ami dans les Miṣwôth ». La différence est
évidente. En ce qui concerne quelqu'un qui est considéré comme « son
ami », on est obligé de lui donner le bénéfice du doute.
Le Ḥophéṣ Ḥayyim nous explique ici que lorsque
quelqu'un vous est familier et que vous savez que ce que cette personne fait est
généralement est correct, et qu’il est un membre honnête de la société, alors
si vous voyez cette personne agir d'une manière qui est discutable (pouvant être
interprété d’une façon ou d’une autre), c’est seulement là que vous êtes
obligé (dans des limites raisonnables) de voir l’action sous un jour
favorable.
Le Ḥophéṣ Ḥayyim confirme donc la triple distinction
faite ci-dessus, à savoir :
1. Si
la personne est connue pour être quelqu’un de droit, on doit obligatoirement
lui accorder le bénéfice du doute ;
2. Si
on ne connait pas la personne, c’est une mesure de piété (mais pas une obligation)
de lui accorder le bénéfice du doute ;
3. Si
la personne est connue pour ne pas être quelqu’un de droit, on ne doit pas lui
accorder le bénéfice du doute.