vendredi 14 août 2020

Le Ṭalmoudh et le Qour`ân

 

בס״ד

 

Le Ṭalmoudh et le Qour`ân

 


Cet article peut être téléchargé ici.

 

Je lis fréquemment des publications de musulmans qui passent leur temps à critiquer le Ṭalmoudh et ce qu’ils appellent le « judaïsme talmudique » (expression popularisée par des personnes du type Alain Soral), alors qu’ils ne savent même pas ce qu’est le Ṭalmoudh et n’en ont même jamais tenu un exemplaire entre les mains (le peu qu’ils en savent provient en réalité de faux extraits repris ici et là sur des sites judéophobes. Nous avons beau démontrer depuis des années que ces extraits répandus sur la toile sont des faux, rien n’entre dans les oreilles et cerveaux de ceux qui se complaisent dans la haine gratuite). Ce qui est le plus fatiguant est que les musulmans sont les premiers à se plaindre que les autres ont des préjugés injustifiés sur leur religion, qu’ils ne peuvent comprendre l’islam qu’en lisant le Qour`ân dans sa langue originelle, que beaucoup de traductions que l’on retrouve sur la toile pourraient être tendancieuses, etc., et pourtant ils font avec les écrits des Juifs exactement ce qu’ils reprochent aux autres de faire avec les leurs ! L’hôpital qui se fout de la charité.

 

Si les musulmans avaient pris la peine d’approcher des rabbins, d’échanger avec eux pour se documenter sur ce qu’est le Ṭalmoudh, ce qu’il contient réellement, quels en sont les enseignements, etc., ils seraient frappés de découvrir que bon nombre des récits rapportés dans leur Qour`ân s’appuient abondamment sur le Ṭalmoudh et non sur la Ṭorôh! J’y reviendrais plus bas.

 

Le judaïsme et l’islam se sont influencés mutuellement. Cela ressort à la fois de la structure de leurs systèmes juridiques et d'une partie de la législation elle-même. Ce fut un processus de rétroaction dans lequel le système talmudique a d'abord influencé l'islam, qui à un stade ultérieur a laissé son empreinte sur la loi talmudique.

 

L’islam et le judaïsme sont des religions qui réglementent minutieusement tous les aspects de la vie du croyant. Ils sont chacun basés sur un document écrit qu’ils affirment être écrits par Dieu - la Ṭorôh pour le judaïsme et le Qour`ân pour l’islam. Ces textes sont chacun interprétés et développés par une tradition orale - le Ṭalmoudh pour le judaïsme et les Hadith pour l’islam. Les deux traditions contiennent du matériel juridique et éthique, et le matériel juridique dans chacune fait la distinction entre les lois religieuses et les lois sociales.

 

Le système de droit juif est appelé « Halokhoh », tandis que le système islamique est appelé « Shari`a ». Les deux mots signifient un « chemin » ou un « chemin à parcourir », puisque suivre la Halokhoh ou la Shari`a permet de suivre le droit chemin, de marcher dans les voies de Dieu, et se rapprocher de Lui. Contrairement au christianisme, les lois et les croyances de l'islam et du judaïsme découlent d'un processus de raisonnement et d'érudition ; il n'y a pas de conciles ni de synodes pour statuer sur la doctrine, l'éthique ou le comportement. En fait, les deux religions sont si proches en termes de structure que le Rov Sa´adhyoh Go`ôn ז״ל, grand érudit Juif du 10ème siècle, se référait inconsciemment à la loi juive sous le nom de « shari`a », et employait le mot « qibla » pour se référer à la direction dans laquelle les Juifs se tournent en priant.

 

Bien que le Qour`ân et la Ṭôroh se mettent en parallèle en tant que textes écrits divinement révélés, le Qour`ân a été écrit longtemps après la Ṭôroh. Ainsi, bien que nous trouvons des personnages, des idées et des récits de la Ṭôroh dans le Qour`ân, nous ne devons pas nous attendre à trouver des personnages, idées ou récits islamiques dans la Ṭôroh.

 

Cependant, le Ṭalmoudh et le Qour`ân proviennent d’une période similaire et il n’est pas difficile de trouver des concepts du Ṭalmoudh apparaissant à la fois dans le Qour`ân et dans les Hadith, et vice versa.

 

Un de ces cas est la définition rituelle de l'aube. Le Qour`ân définit le moment de l’aube, lorsque les fidèles doivent commencer à jeûner pendant le Ramadan, comme étant le moment où « le fil blanc de l’aube se distingue du fil noir de la nuit » (sourate 2 :187). De même, la Mishnoh (tradition orale juive, qui constitue la première partie du Ṭalmoudh) stipule que la prière du matin doit être dite lorsque l'adorateur peut faire la distinction entre le fil Ṭakhélath (une couleur entre le noir et le bleu royal) et un fil blanc. Les deux traditions utilisent la même analogie pour souligner le caractère sacré et le caractère unique de chaque vie humaine. Le Qour`ân déclare que « C'est pourquoi Nous avons prescrit pour les enfants d'Israʾil (Israël) que quiconque tuerait une personne non coupable d'un meurtre ou d'une corruption sur la terre, c'est comme s'il avait tué tous les hommes. Et quiconque lui fait don de la vie, c'est comme s'il faisait don de la vie à tous les hommes » (sourate 5 :32).

 

Tous les musulmans qui lisent ce passage coranique croient qu’il s’agirait là d’une citation ṭorahique. Or, il s’agit ici d’une référence au passage de la tradition orale juive  qui stipule que si `odhom Hori`shôn ע״ה (Adam, le premier homme) a été créé seul sur la terre, c’était afin de nous enseigner que quiconque prend une vie humaine est considéré par la Ṭôroh comme ayant détruit un monde entier, tandis que quiconque sauve une vie humaine est considéré par la Ṭôroh comme s'il a préservé un monde entier (Sanhédhrin 4 :5). Ainsi, l’une des citations préférées des musulmans n’est en réalité rien d’autre qu’une référence à un passage talmudique, le même Ṭalmoudh que tant de musulmans n’ont jamais lu mais aiment dénigrer !

 

La Ṭôroh, le Ṭalmoudh et le Qour`ân font tous référence à Qôraḥ et à sa rébellion contre Môshah Rabbénou ע״ה (Moïse notre maître) et `aharôn Hakkôhén ע״ה (Aaron le prêtre). L'étude de ces trois sources peut aider les musulmans à comprendre que le Ṭalmoudh n’est pas ce qu’ils croient être, et qu’en réalité le Ṭalmoudh, et non la Ṭôroh, est la source de bon nombre de récits coraniques, ce qui pourrait être un choc pour certains qui diabolisent le Ṭalmoudh.

 

La Ṭôroh se concentre sur les aspects religieux de la contestation de Qôraḥ face au choix qu’a fait Dieu de donner la gouvernance du peuple d’Israël à Môshah et `aharôn : « Qôraḥ, fils de Yiṣhor, fils de Qahoth, fils de Léwi, ainsi que Dothon et `avirom, les fils de `ali`ov, et `ôn le fils de Palath, des fils de Ra`ouvén, se dressèrent devant Môshah, avec 250 hommes des fils de Yisro`él, des princes de la communauté, membres du conseil, des hommes de renom » (Bamidhbor 16 :1-2).

 

Ils sont venus en groupe pour s'opposer à Môshah et `aharôn et leur ont dit : « C’est beaucoup trop pour vous ! Car toute la communauté est sainte, chacun d'eux, et `adhônoy est au milieu d’eux. Alors pourquoi vous placez-vous au-dessus de l'assemblée de `adhônoy ? » (Bamidhbor 16: 1-3)

 

Le défi de Qôraḥ semble reposer sur des valeurs démocratiques. Nous sommes tous membres du peuple d'Israël et nous sommes tous entrés dans l'alliance avec Dieu au mont Sinaï. Alors pourquoi Môshah devrait-il être le chef politique ? Et pourquoi son frère `aharôn serait-il le Kôhén Godhôl (Grand-Prêtre), alors que je suis aussi de la tribu de Léwi, tout comme eux deux ?

 

C’est l’impression que nous laisse le texte de la Tôroh.

 

Pourtant, le point de vue talmudique affirme que l'envie de Qôraḥ était basée sur sa richesse antérieure et le statut élevé dont il jouissait en Égypte, où la famille de Môshah, comme tous les autres Juifs, était pauvre. « Ribbi Ḥamo`, fils de Ribbi Ḥanino`, a dit : Il y a trois trésors que Yôséph a cachés en Egypte : un a été révélé à Qôraḥ ; un à Antonin, fils de Severus (ou Asviros), et le troisième est mis en réserve pour les Ṣaddiqim dans le temps futur (de l'ère messianique) ». (Ṭalmoudh, Pasoḥim 119a et Ṭalmoudh, Sanhédhrin 110a)

 

Ribbi Ḥamo` ז״ל affirme que Qôraḥ a en quelque sorte trouvé et utilisé une partie de la richesse Yôséph Haṣṣaddiq ע״ה (Joseph, le fils de Jacob) pour devenir un chef des Juifs quand ils étaient en Egypte ; et maintenant il estimait qu'il méritait d'être le chef du peuple juif dans le désert, comme il l'avait été avant que Môshah et `aharôn ne commencent à s'opposer à Pharaon ! Toutes ces informations ne sont données nulle part dans la Tôroh ! C’est uniquement grâce au Ṭalmoudh que nous les connaissons.

 

Le Qour`ân soutient exactement ce point de vue talmudique et nous en dit beaucoup plus sur les anciens défauts de caractère de Qôraḥ qui étaient la vraie raison pour laquelle il méritait d’être englouti par la terre, en déclarant : « En vérité, Qarun (Coré) était du peuple de Musa (Moïse) mais il était empli de violence envers eux. Nous lui avions donné des trésors dont les clefs pesaient lourd à toute une bande de gens forts. Son peuple lui dit: « Ne te réjouis point. Car Allah n'aime pas les arrogants » (sourate 28:76)

 

Ainsi, bien que Dieu ait aidé Qôraḥ à trouver une partie de la grande richesse de Yôséph, Qôraḥ a utilisé la richesse et le pouvoir qu'il avait acquis pour opprimer le peuple juif. Ils avaient donc déjà rejeté Qôraḥ pour s'être élevé sur eux. Quand la terre eut englouti Qôraḥ et ses 250 partisans bien connus de la communauté juive, cela ne faisait que refléter le rejet antérieur par le peuple juif de l’oppression de Qôraḥ.

 

Le Qour`ân déclare également : « Nous envoyâmes effectivement Musa (Moïse) avec Nos signes et une preuve évidente, vers Fir'awn (Pharaon), Hâmân et Qarun (Coré). Mais ils dirent: « Magicien ! Grand menteur ! » (sourate 40: 23-24).

 

Qarun (Qôraḥ) était un conseiller juif de Pharaon. C'est peut-être ainsi qu'il a trouvé le trésor de Yôséph, ou Qarun a utilisé sa nouvelle richesse pour obtenir le poste de conseiller juif du pharaon. En tout cas, il a utilisé sa position pour aider Pharaon à opprimer le peuple d'Israël.

 

Le Qour`ân déclare également que Qôraḥ s'était joint à Pharaon en dépit du fait qu’il était un Israélite et est devenu l'un de ses favoris ; à tel point que l'un des deux chefs de file de l'opposition à Möshah Rabbénou auprès de Pharaon était ce même Qôraḥ : « Nous envoyâmes effectivement Musa (Moïse) avec Nos signes et une preuve évidente, vers Fir'awn (Pharaon), Hâmân et Qarun (Coré). Mais ils dirent: « Magicien ! Grand menteur ! » (sourate 40: 23-24).

 

(Il est intéressant de noter que le rôle de Qôraḥ en tant que conseiller de Pharaon, avec Homon, n’est mentionné nulle part dans la Tôroh, mais se retrouve bien mentionné dans la tradition orale juive, notamment dans le Midhrosh Bamidhbor Rabboh, un texte de la tradition juive qui fut rédigé bien avant le Ṭalmoudh et est une base du Ṭalmoudh ! Là encore, n’en déplaise aux musulmans anti-talmudique, les récits coraniques ne s’appuient pas sur la Ṭôroh mais confirment au contraire la véracité et autorité de la tradition orale juive contenue dans le Ṭalmoudh.)

 

Il s’ensuit que Qôraḥ s’était rebellé contre son propre peuple et était devenu un partisan des forces hostiles qui étaient déterminées à anéantir les Israélites. En raison de cette rébellion contre son propre peuple, Qôraḥ avait atteint une place élevée auprès de Pharaon.

 

La sourate 21 rapporte l’histoire où `avrohom `ovinou ע״ה (Abraham notre père) détruisit les idoles, après quoi il fut délivré par Dieu après avoir été jeté dans le feu. Tous les enfants juifs connaissent cette histoire…qui ne se trouve nulle part mentionnée dans la Ṭôroh. Là encore, c’est uniquement grâce au Midhrosh Rabboh et au Ṭalmoudh que l’on a connaissance de ces événements. Le Qour`ân rapporte donc des récits talmudiques !

 

Je pourrais multiplier les exemples à l’infini, mais la question la plus importante qui se pose ici est celle-ci : comment des récits de la tradition orale juive se sont retrouvés dans le Qour`ân ? La réponse est assez simple. La péninsule arabique était peuplée de nombreuses tribus juives, qui avaient des liens commerciaux et même religieux avec les premiers musulmans. D’ailleurs, l’islam eut de nombreux convertis juifs dans ses rangs dès le départ de son histoire, et ce furent ces convertis Juifs à l’islam qui rapportèrent bon nombre d’histoires et légendes juives dont ils avaient héritées quand ils étaient encore Juifs.

 

Au fur et à mesure que ces histoires ont commencé à se répandre, elles ont pris une apparence islamique ; plus elles étaient répétées dans le monde islamique, plus elles étaient adaptées au contexte culturel islamique. Ce folklore, connu sous le nom d’Isra’iliyyat, n’a pas toujours été bien accueilli par les dirigeants islamiques. Il fut souvent l’objet d’une censure féroce.

 

Parmi les nombreux convertis juifs dont les histoires sont entrées dans l'hagiographie islamique, deux en particulier se sont démarquées. On pense que K’ab al-Ahbar, un Juif yéménite, a été l’un des plus proches conseillers du calife Umar. Parmi les paroles qui lui sont attribuées, il y a que toute l'histoire humaine est évoquée dans la Ṭôroh juive, ce qui est un enseignement talmudique rapporté pour la première fois par Ben Bag-Bag (Mishnoh, `ovôth 5:22).

 

Un autre converti, ou peut-être le fils d'un converti, Wahb ibn Munabbih, a écrit ou contribué à un ouvrage connu sous le nom de Kisas al-Anbiya, « les Contes des prophètes » qui raconte des légendes bibliques juives (du Midhrosh et du Ṭalmoudh), reformulées sous une forme islamique. Kisas al-Anbiya est considéré comme la source de la croyance islamique selon laquelle il fut ordonné à `avrohom de sacrifier Yishmo´é`l, et non Yiṣḥoq ע״ה (Isaac). Or, le Qour`ân lui-même ne dit pas quel fils a failli être sacrifié, alors que la Ṭôroh dit explicitement qu’il s’agissait de Yiṣḥoq et non de Yishmo´é`l.

 

L’autre œuvre majeure de Wahb, Kitab al-Isra’illiyat, ou « Livre des sujets juifs », n’existe plus mais certains de ses récits apparaissent, dans un contexte islamique, dans les Conte des Mille et Une Nuits.

 

L’influence juive sur l’islam est une vérité qui fait mal à beaucoup de monde aujourd’hui. Pourtant, si elle était reconnue, cela permettrait non seulement une plus grande tolérance religieuse, mais donnerait également des clefs supplémentaires aux musulmans pour mieux comprendre leurs propres textes. Car, qu’ils veuillent l’accepter ou pas, le même Ṭalmoudh qu’ils dénigrent à longueur de journée est omniprésent dans leur Qour`ân, leurs hadiths et bon nombre de contes que tous croient être arabes alors qu’ils sont originellement israélites. Reconnaître l’influence mutuelle que le judaïsme et l’islam ont eu l’un sur l’autre sera le début de la guérison de ce monde plongé dans la haine gratuite et l’ignorance.

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...