בס״ד
Le Ṭalmoudh et le Qour`ân
Cet
article peut être téléchargé ici.
Je
lis fréquemment des publications de musulmans qui passent leur temps à
critiquer le Ṭalmoudh et ce qu’ils appellent le « judaïsme talmudique »
(expression popularisée par des personnes du type Alain Soral), alors qu’ils ne
savent même pas ce qu’est le Ṭalmoudh et n’en ont même jamais tenu un
exemplaire entre les mains (le peu qu’ils en savent provient en réalité de faux
extraits repris ici et là sur des sites judéophobes. Nous avons beau démontrer
depuis des années que ces extraits répandus sur la toile sont des faux, rien
n’entre dans les oreilles et cerveaux de ceux qui se complaisent dans la haine
gratuite). Ce qui est le plus fatiguant est que les musulmans sont les premiers
à se plaindre que les autres ont des préjugés injustifiés sur leur religion,
qu’ils ne peuvent comprendre l’islam qu’en lisant le Qour`ân dans sa langue
originelle, que beaucoup de traductions que l’on retrouve sur la toile
pourraient être tendancieuses, etc., et pourtant ils font avec les écrits des
Juifs exactement ce qu’ils reprochent aux autres de faire avec les leurs !
L’hôpital qui se fout de la charité.
Si
les musulmans avaient pris la peine d’approcher des rabbins, d’échanger avec
eux pour se documenter sur ce qu’est le Ṭalmoudh, ce qu’il contient réellement,
quels en sont les enseignements, etc., ils seraient frappés de découvrir que
bon nombre des récits rapportés dans leur Qour`ân s’appuient abondamment sur le
Ṭalmoudh et non sur la Ṭorôh! J’y reviendrais plus bas.
Le
judaïsme et l’islam se sont influencés mutuellement. Cela ressort à la fois de
la structure de leurs systèmes juridiques et d'une partie de la législation
elle-même. Ce fut un processus de rétroaction dans lequel le système
talmudique a d'abord influencé l'islam, qui à un stade ultérieur a laissé son
empreinte sur la loi talmudique.
L’islam
et le judaïsme sont des religions qui réglementent minutieusement tous les
aspects de la vie du croyant. Ils sont chacun basés sur un document écrit qu’ils
affirment être écrits par Dieu - la Ṭorôh pour le judaïsme et le Qour`ân pour
l’islam. Ces textes sont chacun interprétés et développés par une tradition
orale - le Ṭalmoudh pour le judaïsme et les Hadith pour l’islam. Les deux
traditions contiennent du matériel juridique et éthique, et le matériel
juridique dans chacune fait la distinction entre les lois religieuses et les
lois sociales.
Le
système de droit juif est appelé « Halokhoh », tandis
que le système islamique est appelé « Shari`a ». Les deux mots
signifient un « chemin » ou un « chemin à parcourir »,
puisque suivre la Halokhoh ou la Shari`a permet de suivre le droit
chemin, de marcher dans les voies de Dieu, et se rapprocher de Lui.
Contrairement au christianisme, les lois et les croyances de l'islam et du judaïsme
découlent d'un processus de raisonnement et d'érudition ; il n'y a pas de
conciles ni de synodes pour statuer sur la doctrine, l'éthique ou le
comportement. En fait, les deux religions sont si proches en termes de
structure que le Rov Sa´adhyoh Go`ôn ז״ל, grand érudit Juif du 10ème siècle, se référait
inconsciemment à la loi juive sous le nom de « shari`a », et
employait le mot « qibla » pour se référer à la direction dans
laquelle les Juifs se tournent en priant.
Bien
que le Qour`ân et la Ṭôroh se mettent en parallèle en tant que textes écrits
divinement révélés, le Qour`ân a été écrit longtemps après la Ṭôroh. Ainsi, bien
que nous trouvons des personnages, des idées et des récits de la Ṭôroh dans le Qour`ân,
nous ne devons pas nous attendre à trouver des personnages, idées ou récits
islamiques dans la Ṭôroh.
Cependant,
le Ṭalmoudh et le Qour`ân proviennent d’une période similaire et il n’est pas
difficile de trouver des concepts du Ṭalmoudh apparaissant à la fois dans le Qour`ân
et dans les Hadith, et vice versa.
Un de
ces cas est la définition rituelle de l'aube. Le Qour`ân définit le moment de
l’aube, lorsque les fidèles doivent commencer à jeûner pendant le Ramadan,
comme étant le moment où « le fil blanc de l’aube se distingue du fil
noir de la nuit » (sourate 2 :187). De même, la Mishnoh
(tradition orale juive, qui constitue la première partie du Ṭalmoudh) stipule
que la prière du matin doit être dite lorsque l'adorateur peut faire la
distinction entre le fil Ṭakhélath (une couleur entre le noir et le
bleu royal) et un fil blanc. Les deux traditions utilisent la même analogie
pour souligner le caractère sacré et le caractère unique de chaque vie humaine.
Le Qour`ân déclare que « C'est pourquoi Nous avons prescrit pour les
enfants d'Israʾil (Israël) que quiconque tuerait une personne non coupable d'un
meurtre ou d'une corruption sur la terre, c'est comme s'il avait tué tous les
hommes. Et quiconque lui fait don de la vie, c'est comme s'il faisait don de la
vie à tous les hommes » (sourate 5 :32).
Tous
les musulmans qui lisent ce passage coranique croient qu’il s’agirait là d’une
citation ṭorahique. Or, il s’agit ici d’une référence au passage de la tradition
orale juive qui stipule que si `odhom
Hori`shôn ע״ה (Adam, le premier
homme) a été créé seul sur la terre, c’était afin de nous enseigner que
quiconque prend une vie humaine est considéré par la Ṭôroh comme ayant détruit
un monde entier, tandis que quiconque sauve une vie humaine est considéré par
la Ṭôroh comme s'il a préservé un monde entier (Sanhédhrin 4 :5).
Ainsi, l’une des citations préférées des musulmans n’est en réalité rien
d’autre qu’une référence à un passage talmudique, le même Ṭalmoudh que tant de
musulmans n’ont jamais lu mais aiment dénigrer !
La Ṭôroh,
le Ṭalmoudh et le Qour`ân font tous référence à Qôraḥ et à sa rébellion contre Môshah
Rabbénou ע״ה (Moïse
notre maître) et `aharôn Hakkôhén ע״ה (Aaron le prêtre). L'étude de ces trois sources peut aider les
musulmans à comprendre que le Ṭalmoudh n’est pas ce qu’ils croient être, et
qu’en réalité le Ṭalmoudh, et non la Ṭôroh, est la source de bon nombre de
récits coraniques, ce qui pourrait être un choc pour certains qui diabolisent
le Ṭalmoudh.
La Ṭôroh
se concentre sur les aspects religieux de la contestation de Qôraḥ face au
choix qu’a fait Dieu de donner la gouvernance du peuple d’Israël à Môshah et
`aharôn : « Qôraḥ, fils de Yiṣhor, fils de Qahoth, fils
de Léwi, ainsi que Dothon et `avirom, les fils de `ali`ov,
et `ôn le fils de Palath, des fils de Ra`ouvén, se dressèrent devant Môshah,
avec 250 hommes des fils de Yisro`él, des princes de la communauté, membres du
conseil, des hommes de renom » (Bamidhbor 16 :1-2).
Ils
sont venus en groupe pour s'opposer à Môshah et `aharôn et leur ont
dit : « C’est beaucoup trop pour vous ! Car toute la
communauté est sainte, chacun d'eux, et `adhônoy est au milieu d’eux. Alors pourquoi
vous placez-vous au-dessus de l'assemblée de `adhônoy ? » (Bamidhbor
16: 1-3)
Le
défi de Qôraḥ semble reposer sur des valeurs démocratiques. Nous sommes tous
membres du peuple d'Israël et nous sommes tous entrés dans l'alliance avec Dieu
au mont Sinaï. Alors pourquoi Môshah devrait-il être le chef politique ? Et
pourquoi son frère `aharôn serait-il le Kôhén Godhôl (Grand-Prêtre),
alors que je suis aussi de la tribu de Léwi, tout comme eux deux ?
C’est
l’impression que nous laisse le texte de la Tôroh.
Pourtant,
le point de vue talmudique affirme que l'envie de Qôraḥ était basée sur sa
richesse antérieure et le statut élevé dont il jouissait en Égypte, où la
famille de Môshah, comme tous les autres Juifs, était pauvre. « Ribbi Ḥamo`,
fils de Ribbi Ḥanino`, a dit : Il y a trois trésors que Yôséph
a cachés en Egypte : un a été révélé à Qôraḥ ; un à Antonin, fils de
Severus (ou Asviros), et le troisième est mis en réserve pour les Ṣaddiqim dans
le temps futur (de l'ère messianique) ». (Ṭalmoudh, Pasoḥim 119a et
Ṭalmoudh, Sanhédhrin 110a)
Ribbi
Ḥamo` ז״ל affirme que Qôraḥ a
en quelque sorte trouvé et utilisé une partie de la richesse Yôséph Haṣṣaddiq ע״ה (Joseph, le fils de Jacob) pour
devenir un chef des Juifs quand ils étaient en Egypte ; et maintenant
il estimait qu'il méritait d'être le chef du peuple juif dans le désert, comme
il l'avait été avant que Môshah et `aharôn ne commencent à s'opposer
à Pharaon ! Toutes ces informations ne sont données nulle part dans la
Tôroh ! C’est uniquement grâce au Ṭalmoudh que nous les connaissons.
Le Qour`ân
soutient exactement ce point de vue talmudique et nous en dit beaucoup plus sur
les anciens défauts de caractère de Qôraḥ qui étaient la vraie raison pour
laquelle il méritait d’être englouti par la terre, en déclarant : « En
vérité, Qarun (Coré) était du peuple de Musa (Moïse) mais il était empli de
violence envers eux. Nous lui avions donné des trésors dont les clefs pesaient
lourd à toute une bande de gens forts. Son peuple lui dit: « Ne te réjouis
point. Car Allah n'aime pas les arrogants » (sourate 28:76)
Ainsi,
bien que Dieu ait aidé Qôraḥ à trouver une partie de la grande richesse de Yôséph,
Qôraḥ a utilisé la richesse et le pouvoir qu'il avait acquis pour opprimer le
peuple juif. Ils avaient donc déjà rejeté Qôraḥ pour s'être élevé sur eux.
Quand la terre eut englouti Qôraḥ et ses 250 partisans bien connus de la
communauté juive, cela ne faisait que refléter le rejet antérieur par le peuple
juif de l’oppression de Qôraḥ.
Le Qour`ân
déclare également : « Nous envoyâmes effectivement Musa (Moïse)
avec Nos signes et une preuve évidente, vers Fir'awn (Pharaon), Hâmân et Qarun
(Coré). Mais ils dirent: « Magicien ! Grand menteur ! » (sourate 40:
23-24).
Qarun
(Qôraḥ) était un conseiller juif de Pharaon. C'est peut-être ainsi qu'il a
trouvé le trésor de Yôséph, ou Qarun a utilisé sa nouvelle richesse pour
obtenir le poste de conseiller juif du pharaon. En tout cas, il a utilisé sa
position pour aider Pharaon à opprimer le peuple d'Israël.
Le Qour`ân
déclare également que Qôraḥ s'était joint à Pharaon en dépit du fait qu’il
était un Israélite et est devenu l'un de ses favoris ; à tel point que
l'un des deux chefs de file de l'opposition à Möshah Rabbénou auprès de Pharaon
était ce même Qôraḥ : « Nous envoyâmes effectivement Musa (Moïse) avec
Nos signes et une preuve évidente, vers Fir'awn (Pharaon), Hâmân et Qarun
(Coré). Mais ils dirent: « Magicien ! Grand menteur ! » (sourate 40:
23-24).
(Il
est intéressant de noter que le rôle de Qôraḥ en tant que conseiller de
Pharaon, avec Homon, n’est mentionné nulle part dans la Tôroh, mais se retrouve
bien mentionné dans la tradition orale juive, notamment dans le Midhrosh
Bamidhbor Rabboh, un texte de la tradition juive qui fut rédigé bien avant le Ṭalmoudh
et est une base du Ṭalmoudh ! Là encore, n’en déplaise aux musulmans
anti-talmudique, les récits coraniques ne s’appuient pas sur la Ṭôroh mais
confirment au contraire la véracité et autorité de la tradition orale juive
contenue dans le Ṭalmoudh.)
Il
s’ensuit que Qôraḥ s’était rebellé contre son propre peuple et était devenu un
partisan des forces hostiles qui étaient déterminées à anéantir les Israélites.
En raison de cette rébellion contre son propre peuple, Qôraḥ avait atteint une
place élevée auprès de Pharaon.
La sourate
21 rapporte l’histoire où `avrohom `ovinou ע״ה (Abraham notre père) détruisit les idoles, après quoi il fut
délivré par Dieu après avoir été jeté dans le feu. Tous les enfants juifs
connaissent cette histoire…qui ne se trouve nulle part mentionnée dans la Ṭôroh.
Là encore, c’est uniquement grâce au Midhrosh Rabboh et au Ṭalmoudh que l’on a
connaissance de ces événements. Le Qour`ân rapporte donc des récits
talmudiques !
Je
pourrais multiplier les exemples à l’infini, mais la question la plus
importante qui se pose ici est celle-ci : comment des récits de la
tradition orale juive se sont retrouvés dans le Qour`ân ? La réponse est
assez simple. La péninsule arabique était peuplée de nombreuses tribus juives,
qui avaient des liens commerciaux et même religieux avec les premiers
musulmans. D’ailleurs, l’islam eut de nombreux convertis juifs dans ses rangs
dès le départ de son histoire, et ce furent ces convertis Juifs à l’islam qui
rapportèrent bon nombre d’histoires et légendes juives dont ils avaient
héritées quand ils étaient encore Juifs.
Au
fur et à mesure que ces histoires ont commencé à se répandre, elles ont pris
une apparence islamique ; plus elles étaient répétées dans le monde
islamique, plus elles étaient adaptées au contexte culturel islamique. Ce
folklore, connu sous le nom d’Isra’iliyyat, n’a pas toujours été bien accueilli
par les dirigeants islamiques. Il fut souvent l’objet d’une censure féroce.
Parmi
les nombreux convertis juifs dont les histoires sont entrées dans
l'hagiographie islamique, deux en particulier se sont démarquées. On pense que
K’ab al-Ahbar, un Juif yéménite, a été l’un des plus proches conseillers du
calife Umar. Parmi les paroles qui lui sont attribuées, il y a que toute
l'histoire humaine est évoquée dans la Ṭôroh juive, ce qui est un enseignement talmudique
rapporté pour la première fois par Ben Bag-Bag (Mishnoh, `ovôth 5:22).
Un
autre converti, ou peut-être le fils d'un converti, Wahb ibn Munabbih, a écrit
ou contribué à un ouvrage connu sous le nom de Kisas al-Anbiya, « les
Contes des prophètes » qui raconte des légendes bibliques juives (du
Midhrosh et du Ṭalmoudh), reformulées sous une forme islamique. Kisas al-Anbiya
est considéré comme la source de la croyance islamique selon laquelle il fut
ordonné à `avrohom de sacrifier Yishmo´é`l, et non Yiṣḥoq ע״ה (Isaac). Or, le Qour`ân lui-même
ne dit pas quel fils a failli être sacrifié, alors que la Ṭôroh dit
explicitement qu’il s’agissait de Yiṣḥoq et non de Yishmo´é`l.
L’autre
œuvre majeure de Wahb, Kitab al-Isra’illiyat, ou « Livre des sujets juifs »,
n’existe plus mais certains de ses récits apparaissent, dans un contexte
islamique, dans les Conte des Mille et Une Nuits.
L’influence
juive sur l’islam est une vérité qui fait mal à beaucoup de monde aujourd’hui.
Pourtant, si elle était reconnue, cela permettrait non seulement une plus
grande tolérance religieuse, mais donnerait également des clefs supplémentaires
aux musulmans pour mieux comprendre leurs propres textes. Car, qu’ils veuillent
l’accepter ou pas, le même Ṭalmoudh qu’ils dénigrent à longueur de journée est
omniprésent dans leur Qour`ân, leurs hadiths et bon nombre de contes que tous
croient être arabes alors qu’ils sont originellement israélites. Reconnaître l’influence
mutuelle que le judaïsme et l’islam ont eu l’un sur l’autre sera le début de la
guérison de ce monde plongé dans la haine gratuite et l’ignorance.