ב״ה
Le
rituel des Kapporôth
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Poursuivons
notre passage en revue des lois, pratiques et coutumes relatives aux
fêtes du mois de Tishri.
Chaque
année, à l'approche de Yôm Hakkippourim, certains
Juifs accomplissent le rituel des כַּפָּרוֹת
« Kapporôth. »
Ce rituel a assumé différentes formes en fonction des époques et
lieux où il était réalisé.
De
nos jours, la forme la plus répandue consiste à utiliser une
volaille vivante sur laquelle on transfert symboliquement ses péchés.
Pourquoi une volaille ? Tout simplement parce que le mot hébreu
גֶּבֶר
« Gavar »
signifie à la fois « homme » et « coq. »
C'est sur cette base qu'ils disent que la punition de l'homme peut
être substituée par celle que subit la volaille, et leurs péchés
transférés sur elle.
Voici
la description de ce rite : tout d'abord, différents passages
bibliques tirés de Yasha´yohou 11:9, Tahillim
107:10, 14, 17-21, et `iyôv 33:23-24 sont lus.
Puis un coq (pour un homme) ou une poule (pour une femme) est soulevé
au dessus de la tête de la personne et est agité en cercle à trois
reprises, tandis que la personne se trouvant en dessous de la
volaille récite à trois reprises la formule suivante :
Ceci
est mon échange, ceci est mon substitut, ceci est mon expiation.
Ce coq ira à sa mort, tandis que moi, j'irai vers une bonne
longue vie et vers la paix.
|
זֶה
חֲלִיפָתִי,
זֶה
תְּמוּרָתִי,
זֶה
כַּפָּרָתִי.
זֶה
הַתַּרְנְגוֹל יֵלֵך לְמִיתָה,
וְאֲנִי
אֵלֵךְ לְחַיִּים טוֹבִים,
אֲרוּכִים
וּלְשָׁלוֹם
|
L'espoir
est que cette volaille sur laquelle ces Juifs ont symboliquement
transféré leurs péchés, et qui sera ensuite égorgée et offerte
à un pauvre, prendra sur elle toute mésaventure ou tout jugement
qui aurait pu leur arriver ou être décrété contre eux au courant
de la nouvelle année à cause de leurs péchés !
D'où
provient un tel rituel ?
Le
rituel des Kapporôth n'est pas mentionné dans la Tôroh, ni dans le
Talmoudh, ni dans le Midhrosh. Comme c'est le cas pour bon nombre de
rituels de notre temps, il tire son origine du début de la période
médiévale. La pratique est traitée pour la toute première fois
par les Pôsqim au neuvième siècle. À l'origine, les coutumes
relatives aux Kapporôth variaient beaucoup d'un endroit à l'autre.
Dans certaines localités, des germes de haricot étaient plantées
dans de petits paniers en feuilles de palmier (que l'on remplissait
de terre et de fertilisants) deux ou trois semaines avant Rô`sh
Hashonoh. La veille de Rô`sh Hashonoh, la plante était agitée à
sept reprises au-dessus des têtes de chaque enfant de la maison qui
disaient « Ceci me remplace, ceci est mon substitut, ceci
est mon échange. » Et la plante était ensuite
jetée dans la rivière.1
Dans
d'autres localités, le rituel était accompli par tout le monde,
hommes, femmes et enfants, avant Yôm Hakkippourim, mais avec
différentes sortes d'animaux. Les riches préféraient des animaux à
corne, parce qu'ils étaient associés au bélier de l'histoire de la
´aqédhath Yishoq2,
qui prit finalement la place du fils de `avrohom `ovinou ע״ה
sur
l'autel sacrificiel.
Pour
finir, le poulet devint l'animal majoritairement utilisé pour le
rituel des Kapporôth, en partie parce qu'il est bon marché, mais
aussi en raison du double sens du terme « Gavar »
dont nous avons parlé plus haut. Dans certaines communautés, après
que la volaille eut été égorgée, on la jetait tout simplement sur
le toit d'une maison afin de nourrir les oiseaux, ce qui était
considéré comme un acte de bonté envers ces créatures.3
Le
rituel se répandit assez rapidement parmi les érudits, mais
également parmi les hommes simples toujours avides de pratiques
folkloriques (et qui étaient très souvent superstitieux), et plus
particulièrement en terre ashkénazes.4
La pratique fut acceptée avec enthousiasme dans les milieux
« kabbalistiques. » Elle fut défendue par Le Hayé
`odhom5
ז״ל
et
le Hofés Hayim6
ז״ל,
qui expliquent que le concept des Kapporôth peut être calqué sur
ce que le Ramba''n7
ז״ל
a
expliqué sur la signification d'un Qôrbon. Le Ramba''n écrit que
quand on offrait une Qôrbon du temps où le Béth Hammiqdosh
existait, le pécheur qui l'offrait devait se dire que c'est
normalement son sang qui aurait dû être versé et que c'est son
corps qui aurait dû être brûlé sur l'autel. Cela aurait été le
cas si HaShem ית׳,
dans Sa miséricorde, n'avait pas permis d'offrir une Qôrbon en
substitut. Le Ramba''n conclut donc qu'offrir une Qôrbon constituait
une reconstitution de la '´aqédhath Yishoq. Se basant sur ce
commentaire du Ramba''n, Le Hayé `odhom et le Hofés
Hayim légitiment la pratique des Kapporôth, qu'ils comparent
à la Qôrbon que l'on offrait dans le Béth Hammiqdosh, et écrivent
que durant ce rituel on doit avoir à l'esprit que c'est nous qui
aurions dû être égorgés tout comme le poulet des Kapporôth, et
que le poulet est notre substitut.
Néanmoins,
de nombreux Pôsqim de diverses générations s'opposèrent à ce
rituel, qu'ils classaient dans la catégorie des דַּרְכֵי
הָאֶמוֹרִי « Darakhé
Ho`amôri », c'est-à-dire des pratiques païennes,
idolâtres et superstitieuses. Par exemple, Rabbénou Shalômôh ban
`adharath ז״ל
(plus
connu sous son acronyme du « Rashba''` »), l'un
des plus grands érudits du 13ème siècle (1235-1310), le
considérait comme une superstition païenne. Il parvint à la faire
abolir dans sa ville, Barcelone, où la coutume voulait qu'on égorge
un poulet pour chaque enfant composant le ménage, avant de pendre la
tête du poulet au montant de la porte.8
Ce
rejet de cette pratique par le Rashba''` était également partagé
par le Ramba''n, qui était le maître du Rashba''` (il est donc
ironique d'utiliser le commentaire du Ramba''n sur le rôle des
Qôrbonôth pour donner un sens aux Kapporôth avec volailles !),
ainsi que par Rabbi Yôséph Qa`rô ז״ל.
Ce dernier dénonça le rituel des Kapporôth à deux reprises. La
première fois, ce fut dans son Béth Yôséph9,
où il cite la Tashouvoh du Rashba''`, ainsi que la position du
Ramba''n. La seconde fois, ce fut dans son Shoulhon ´oroukh,
où il écrit ceci10 :
Certains
ont la coutume d'accomplir des Kapporôth à ´arav Yôm Kippour
en égorgeant un poulet pour chaque enfant de sexe masculin et en
prononçant dessus des versets. On doit empêcher la coutume !
|
מה
שנוהגים לעשות כפרות בערב יום כיפור,
לשחוט
תרנגול על כל בן זכר ולומר עליו פסוקים,
יש
למנוע המנהג
|
Le
Ramba''m ז״ל
s'opposait
également à cette pratique, et refusa de la mentionner dans son
Mishnéh Tôroh. Mais le Ramo''`11
ז״ל
s'opposa
à cette interdiction de Rabbi Yôséph Qa`rô, consignée dans le
Shoulhon ´oroukh, sur la base que cette pratique est déjà
mentionnée dans les écrits de certains Ga`ônim et qu'elle a été
adoptée par toutes les communautés ashkénazes. Il considère donc
le rituel des Kapporôth comme un מִנְהַג
וַתִיקִין « Minhagh
Wathiqin », une pratique vénérée, et conclut qu'il est
défendu d'y renoncer. C'est ainsi que les `ashkanazim chérissent
plus particulièrement cette pratique.
Quant
aux Sapharadhim, ils prétendent avoir accepté sur eux les
prescriptions du Shoulhon ´oroukh. Or, pour le coup, ils ne
suivent pas l'interdiction énoncée par Rabbi Yôséph Qa`rô.
Pourquoi ? Le Ban `ish Hay12
ז״ל,
le Kaph Hahayim13
ז״ל,
et le Rov ´ôvadhyoh Yôséph14,
font tous remarquer que bien qu'en principe les Sapharadhim sont
censés suivre toutes les instructions rapportées par Rabbi Yôséph
Qa`rô, ils ont eux aussi adopté la pratique des Kapporôth, à
laquelle était opposé Rabbi Yôséph Qa`rô. La raison à cela est
très simple : les Sapharadhim prétendent suivre le Shoulhon
´oroukh, mais donnent priorité aux pratiques « kabbalistiques »
sur celles du Shoulhon ´oroukh. Puisque le `ari adopta cette
pratique des Kapporôth avec beaucoup d'enthousiasme15,
sur la base de considérations « kabbalistiques », les
Sapharadhim l'adoptèrent eux aussi ! Le `ari a en effet un
énorme impact sur les pratiques séfarades actuelles dans un très
large éventail de domaines. Pour notre grand malheur !
Il
convient néanmoins de signaler quelque chose de très important :
tous les Pôsqim majeurs des dix-neuvième et vingtième siècles qui
ont accepté le rituel des Kapporôth soulèvent également tous les
mêmes problèmes. Ils font remarquer qu'étant donné que la
majorité des Juifs ont adopté ce Minhogh et qu'il est presque
universellement accepté, il existe des problèmes sérieux de
Halokhoh qu'il faut absolument régler. Ainsi, une énorme pression
est placée sur les Shôhtim, qui doivent égorger des poulets
à un rythme soutenu puisqu'ils doivent en égorger pour chaque
membre de la communauté à ´arav Yôm Hakkippourim. Cela soulève
donc des questions sur la validité du processus de Shahitoh.
En effet, le couteau qui est utilisé pour égorger doit être
méticuleusement examiné à chaque fois qu'un animal va être
égorgé, afin de s'assurer qu'il n'y a aucune encoche dans le
couteau, ce qui pourrait faire souffrir l'animal. Le Hayé
`odhom et le Hofés Hayim s'inquiètent du fait
qu'un Shôhét surchargé pourrait ne pas correctement
examiner son couteau avant chaque égorgement, et donc qu'il pourrait
ne pas remarquer une encoche subtile dans le couteau. Le Rov
´ôvadhyoh Yôséph, lui-même, rapporte que plusieurs rabbins
locaux qui inspectent les couteaux des Shôhtim chargés
d'égorger les poulets utilisés pour le rituel des Kapporôth ont
rapporté avoir découvert très souvent des encoches dans les
couteaux. Quant au ´oroukh Hashoulhon ז״ל,
il s'inquiète du fait qu'avec tous ces poulets à égorger, les
Shôhtim pourraient ne pas avoir le temps de correctement
examiner chaque poulet à la recherche d'éventuels défauts qui les
rendraient défendus à la consommation, même après abattage. Ces
Pôsqim expriment tous le même sentiment : bien qu'ils
approuvent ce rituel, ils sont horrifiés par le fait que le respect
d'un Minhogh mène à la transgression de plusieurs interdits
bibliques !16
Ils
proposent quelques solutions à ces problèmes. Le Hofés
Hayim cite le Parî Maghadhim
ז״ל,
qui tranche que les Kapporôth n'ont pas à être effectuées que la
veille de Yôm Hakkippourim, mais peuvent être organisées tout au
long des dix jours entre Rô`sh Hashonoh et Yôm Hakkippourim.
Effectivement, comme cela a été rapporté par Rash''i, du temps des
Ga`ônim ce rituel était effectué la veille de Rô`sh Hashonoh (et
sans animaux, puisqu'on utilisait une plante). Par conséquent, le
Hofés Hayim propose de tenir les Kapporôth sur
au moins deux ou trois jours de façon à alléger le stress et le
rythme de travail des Shôhtim. Le Rov ´ôvadhyoh Yôséph
propose d'étaler les Kapporôth tout au long des dix jours de
repentance. Le Hayé `odhom, le Kaph Hahayim et le
Hofés Hayim vont plus loin encore : ils
proposent de tout bonnement accomplir le rituel avec des pièces de
monnaie plutôt qu'une volaille, ce qui allégera non seulement
la pression qui repose sur les épaules des Shôhtim, mais en
plus cela empêchera de tuer des animaux expressément pour ce
rituel, qui n'est pas une obligation, mais un simple Minhogh !
Le
Hayé `odhom fait également remarquer que le Minhogh des
Kapporôth ne s'effectuait même pas à l'origine avec des animaux,
comme nous l'avons vu dans la citation susmentionnée tirée des
commentaires de Rash''i. De ce fait, il estime que faire tourner
autour de sa tête des pièces de monnaie et les donner à la
Sadhoqoh, est une alternative viable aux Kapporôth effectuées
avec un poulet. C'est la raison pour laquelle de nombreuses familles
effectuent les Kapporôth avec de l'argent.
Quant
à nous, nous rejetons catégoriquement cette pratique n'ayant aucune
base dans nos sources authentiques et qui est carrément
superstitieuse, voire de la pure idolâtrie. Et nous nous réjouissons
de voir que de plus en plus de Juifs « orthodoxes » y
renoncent année après année.
Puisse
cette pratique immonde disparaître à tout jamais du milieu de
nous !
1Rapporté
par Rash''i ז״ל,
dans son commentaire sur Shabboth 81b.
Il mentionne avoir lu cette pratique dans les Tashouvôth
Hagga`ônim
2Rapporté
par le Ro`''sh ז״ל,
dans son commentaire sur Yômo` 8:23
3Bah,
`ôrah Hayim 605
4`ôrhôth
Hayim, lois relatives à ´arav Yôm Kippour
5144:4
6Mishnoh
Barouroh 605:2
7Dans
son commentaire sur Wayyiqro` 1:9
8Sha`alôth
Outhashouvôth Rashba''` 1:395
9`ôrah
Hayim 605
10Ibid.
11Dans
son commentaire sur le Shoulhon ´oroukh,
Ibid.
12Parashath
Wayyélakh 2
13605:8
14Tashouvôth
Yahawwèh Da'ath 2:71
15Comme
cela est rapporté dans le Moghén `avrohom 605:1
16Toutes
ces préoccupations sont mentionnées dans le Hayé`odhom
144:4, le Kaph Hahayim 605:11, le
Mishnoh Barouroh 605:2 et le ´oroukh Hashoulhon
605:3