ב״ה
Pourquoi
le fromage des non Juifs est-il interdit ?
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Nous
avions conclu le précédent
article en disant que tous les produits laitiers des Gôyim,
dès lors que les autres ingrédients étaient évidemment Koshér,
étaient permis à la consommation de l'Israélite, excepté le
fromage. La question naturelle qui se pose donc est : pourquoi
nos Sages ont-ils interdit la consommation des fromages des Gôyim ?
- Raisons de l'interdiction
Dans
son Mishnéh Tôroh, le Ramba''m ז״ל
fait,
à juste titre, remarquer que d'un point de vue logique il y aurait
plus matière à permettre le fromage d'un Gôy plutôt que le lait
d'un Gôy. La raison à cela, comme le dit le Ramba''m, est que le
lait provenant d'un animal Koshér ne pourra jamais être transformé
en fromage, car il ne coagule pas. S'il en est ainsi, il n'existe
aucun risque que le fromage soit fait à base de lait d'un animal non
Koshér. Logiquement, donc, il n'y aurait, à première vue, pas
matière à interdire le fromage d'un Gôy car, contrairement au cas
du lait, il n'existe pas le risque qu'il soit fait à base d'un lait
interdit. Malgré tout, HaZa''l ont interdit le fromage des
Gôyim.1
La Mishnoh2
explique qu'à l'origine, HaZa''l n'ont pas du tout donné la
raison de ce décret. C'est pourquoi la Gamoro` tente d'offrir
différentes raisons pouvant expliquer ce décret3 :
- HaZa''l l'ont interdit, car les Gôyim font cailler le lait avec la muqueuse de l'estomac (présure) d'un animal qui ne fut pas abattu rituellement, ce qui fait que l'animal est en fait une Navéloh, chose qu'il nous est interdite de consommer, ou
- HaZa''l l'ont interdit, car les Gôyim ne prenaient pas suffisamment soin de correctement couvrir le lait qui serait utilisé pour faire le fromage, et l'on craignait alors que des serpents et autres animaux venimeux libèrent leur venin dans les liquides non couverts, ou
- HaZa''l l'ont interdit, car les Gôyim saupoudraient le fromage de graisse de porc, ou
- HaZa''l l'ont interdit, car ils craignaient qu'il puisse rester dans le fromage des gouttes de lait n'ayant pas caillé, et il était possible que ces gouttes proviennent d'un animal non Koshér, ou
- HaZa''l l'ont interdit, car les Gôyim faisaient leur fromage avec du vinaigre non Koshér.
Ce
sont là les cinq positions différentes avancées dans la Gamoro`
pouvant expliquer la raison du décret d'interdiction du fromage des
Gôyim, décret que l'on appelle גבינת
עכו״ם « Gavinath
´akkou''m – fromage des adorateurs des étoiles et des astres ».
- Positions des Ri`shônim
Puisqu'il
existe différentes approches mentionnées dans la Gamoro`, les
Ri`shônim débattirent de celle qui faisait autorité. Le Ramba''m,
fidèle a son idéologique rationaliste, tranche que la seule
explication rationnelle et sensée est que HaZa''l ont
interdit le fromage des Gôyim parce qu'ils utilisent la muqueuse de
l'estomac d'une Navéloh pour faire cailler le fromage. Il ajoute que
si l'on avance comme contre-argument que la muqueuse de l'estomac est
une très petite quantité lorsqu'on la compare au lait qui est
utilisé, et qu'on devrait donc avoir recourt à la règle des
1/60ème et ne donc pas prendre en compte la muqueuse de l'estomac,
ce raisonnement n'est pas valable dans le cas présent, parce que
cette muqueuse de l'estomac d'une Navéloh est utilisée comme
catalyseur pour faire cailler le fromage. Étant donné que le
catalyseur qui amène le fromage à cailler est interdit, c'est tout
l'ensemble du fromage qui l'est aussi !4
En d'autres mots, la règle selon laquelle lorsqu'une substance
interdite se retrouve dans un mélange on peut permettre le mélange
si l'aliment interdit se retrouve dans une proportion inférieure à
1/60ème de l'ensemble, ne s'applique que dans le cas d'une erreur,
ou lorsque la matière interdite s'est malencontreusement mélangée
à la matière permise. Mais elle ne s'applique pas a priori
lorsqu'on a fait exprès de l'intégrer au mélange (sinon, ce serait
trop facile, et il suffirait, par exemple, d'ajouter une très petite
quantité de porc à un aliment permis pour permettre de consommer le
porc. Donc, ce n'est pas ainsi que fonctionne la règle des 1/60ème).
Par
contre, Rabbénou Ta''m ז״ל
(Rabbi
Ya´aqôv ban Mé`ir, 1100-1171) est d'avis que la raison de
l'interdiction du fromage des Gôyim par HaZa''l est due au fait que
le lait aurait pu être exposé au venin des animaux venimeux.5
Un
autre sujet de débat entre les Ri`shônim consiste à savoir si le
décret interdisant la Gavinath ´akkou''m s'applique même lorsque
la raison invoquée pour l'interdire n'est plus pertinente. Rabbénou
Ta''m6,
qui soutient que la raison de l'interdiction de Gavinath ´akkou''m
est due au fait que des animaux venimeux auraient pu déposer leur
venin dans le lait non couvert, affirme que cette raison n'est plus
pertinente aujourd'hui étant donné que les serpents ne sont plus
courants dans nos environs. Ajoutons à cela qu'avec les appareils de
stockage du lait à nos époques, ce risque n'existe plus du tout,
quand bien même il y aurait des serpents dans les environs. Rabbénou
Ta''m affirme alors que HaZa''l n'ont jamais appliqué ce décret
dans des situations où le problème du venin des serpents n'était
pas pertinent, et ajoute ceci : « En de nombreux endroits,
des Juifs consomment du fromage produit par des non Juifs étant
donné que les non Juifs utilisent des plantes pour faire cailler le
lait, et les Ga`ônim de Narbonne (dans le Sud de la France) ont
permis cette pratique. Cependant, dans nos contrées (dans le Nord de
la France et en Allemagne), il y a des raisons d'être strict, étant
donné que les non Juifs utilisent des muqueuses d'estomac pour faire
cailler le lait ». En d'autres mots, peu importe l'approche que
nous soutenons parmi les cinq que propose la Gamoro`, si la raison
invoquée pour interdire la Gavinath ´akkou''m s'applique encore, on
doit alors s'interdire de consommer leurs fromages, mais si la raison
invoquée pour l'interdire ne s'applique pas, on peut alors se
permettre de consommer leurs fromages.
Quant
au Ramba''m, sa position n'est pas claire. Il se contente de
rapporter que certains
Ga`ônim ont tranché que l'interdiction de Gavinath ´akkou''m
s'appliquait même lorsque les raisons invoquées pour cette
interdiction n'étaient plus pertinentes. Il écrit7 :
גבינה
שמעמידין אותה הגויים בעשבים,
או
במי פירות כגון שרף תאנים,
והרי
הן ניכרין בגבינה--הורו
מקצת גאונים שהיא אסורה:
שכבר
גזרו על כל גבינת הגויים,
בין
שהעמידוה בדבר אסור בין שהעמידוה בדבר
מותר « [Concernant]
le fromage que les Gôyim font cailler avec des plantes ou des jus de
fruit, comme par exemple du sirop de figue, et qu'il semble [que ces
matières furent utilisées pour] le fromage : certains des
Ga`ônim ont tranché qu'il est interdit, car ils (les Sages)
auraient déjà émis un décret contre tous les fromages des Gôyim,
qu'ils les aient fait cailler avec une matière interdite ou qu'ils
les aient fait cailler avec une matière permise ».
Certains
font remarquer que le Ramba''m n'a cité aucune autorité s'opposant
à cette décision des Ga`ônim et qu'il ne la critique pas non plus.
C'est ainsi que Rabbi Yôséf Qa`rô ז״ל
(aussi
bien dans son Kasaf Mishnéh que dans son Béth Yôséf) affirme que
le Ramba''m s'aligne derrière cette décision des Ga`ônim. C'est la
raison pour laquelle il tranche dans son Shoulhon
´oroukh8
(et c'est la position majoritaire aujourd'hui dans le monde
religieux) que même lorsque la présure provient de sources Koshér,
comme par exemple de la présure microbienne ou des chardons, il
reste interdit de consommer le fromage des non Juifs.
Mais
cette façon de considérer les propos du Ramba''m est erronée.
Premièrement, le seul fait d'écrire « certains
des Ga`ônim »
indique à lui tout seul que ce n'était pas la décision de tous
les Ga`ônim, et qu'il y avait donc bien des autorités qui
s'opposaient à cette décision. Deuxièmement, le Ramba''m traite
parfois de sujets dans son Mishnéh Tôroh en rapportant diverses
positions, sans directement indiquer derrière laquelle il s'aligne,
pour la simple raison que le sujet n'est lui-même pas tranché,
voire même mentionné, dans le Talmoudh. Cette question de savoir si
le décret de Gavinath ´akkou''m s'appliquait même lorsque les
raisons invoquées n'étaient plus pertinentes n'est pas traitée
dans le Talmoudh en lui-même. Or, dans son introduction au Mishnéh
Tôroh (que vous pouvez lire ou relire ici),
le Ramba''m a clairement stipulé que toute décision prise après
que le Talmoudh a été achevée n'a aucune valeur contraignante sur
l'ensemble du peuple juif. Chacun pourra, en son âme et conscience,
après avoir pesé le pour et le contre de chaque argument avancé,
et vu si l'argument allait à l'encontre ou pas d'une décision déjà
prise dans le Talmoudh, décider pour lui-même s'il suit l'avis ou
pas de tel ou tel rabbin, car en l'absence d'un Sanhédhrin légitime
à Jérusalem, aucun rabbin n'a le pouvoir d'imposer une décision
n'étant pas explicite dans le Talmoudh. Le Talmoudh ne dit pas si
oui ou non le décret de Gavinath ´akkou''m s'applique même lorsque
les raisons invoquées pour l'interdire ne sont plus pertinentes.
C'est pour cela que le Ramba''m est flou sur son opinion, car son
Mishnéh Tôroh est fait uniquement pour rapporter les Halokhôth
talmudiques. Puisque le Talmoudh n'aborde pas le sujet, le Ramba''m
s'abstient de dire s'il faut ou pas suivre certains (et pas tous) des
Ga`ônim ayant tranché que l'interdiction de Gavinath ´akkou''m
s'appliquait même dans des circonstances où les raisons de
l'interdiction n'étaient plus pertinentes. Il ne fait que rapporter
leur position et la raison de cette position, et non pas qu'il
s'aligne derrière eux. (En plus, il n'avait pas besoin de rapporter
l'opinion de ceux qui s'opposent à ce décret, ni la raison pour
laquelle ils s'y opposaient, car il est évident pourquoi ils s'y
opposeraient, tandis que défendre que ce décret s’applique
encore, même lorsque les raisons invoquées ne sont plus
d'actualité, nécessite qu'on explique la raison de cette position,
ce qu'il a fait.) Ainsi, il laisse la porte ouverte, et chacun
décidera s'il s'aligne derrière ceux qui l'interdisent encore
aujourd'hui, ou derrière ceux qui le permettent lorsque les raisons
pour interdire ne s'appliquent pas/plus. Troisièmement, nous voyons
qu'au Yémen les autorités juives permirent aux Juifs de consommer
le fromage des Musulmans. Et dans certains cas, lorsque des Musulmans
devaient personnellement faire du fromage pour des Juifs, certains
Juifs leur demandaient expressément d'utiliser du sirop de figue
plutôt que les muqueuses de l'estomac des brebis pour faire cailler
le lait. Or, les Juifs yéménites étaient Rambamistes ; s'il
était évident des propos du Ramba''m que le fromage des non Juifs
étaient interdits même lorsque les raisons invoquées pour
l'interdire ne s'appliquaient plus, cela n'aurait jamais été permis
au Yémen ! De ce fait, nous ne pouvons rien déduire des propos
du Ramba''m qu'il s'alignait derrière certains des Ga`ônim l'ayant
interdit même quand les raisons de l'interdiction ne sont plus
pertinentes.
- Conclusion
Le
Shoulhon
´oroukh s'aligne derrière le Ramba''m, et tranche que la raison de
l'interdiction de Gavinath ´akkou''m est due à l'emploie de présure
animale d'une Navéloh dans le processus de caillage du lait. Il
ajoute que selon lui, on peut déduire du Ramba''m que même lorsque
les raisons invoquées pour l'interdire ne sont pas/plus pertinentes,
l'interdiction reste en vigueur, et c'est donc l'intégralité des
fromages des non Juifs qui est interdite. Le Ramo''` ז״ל
(Rabbi
Yôséf `issarlès), dans ses gloses sur le Shoulhon
´oroukh, ajoute que c'est la pratique communément acceptée et
prévient qu'il ne faut pas aller à l'encontre de cette pratique
suivie par la quasi totalité des Juifs. Cependant, il précise que
là où la communauté juive a la tradition de suivre l'approche
permissive des Ga`ônim de Narbonne, il sera permis de consommer le
fromage des non Juifs si les raisons de l'interdiction de Gavinath
´akkou''m ne sont pas pertinentes à ces endroits-là. Rabbi Yôséf
Qa`rô est moins indulgent, car, dans son Béth Yôséf, il presse
ardemment les quelques communautés qui suivent l'approche permissive
d'adopter la pratique de l'écrasante majorité des communautés
juives à travers le monde, et d'être stricts sur ce point.
Mais
il y a des raisons de ne pas suivre cet appel à la rigueur du Béth
Yôséf et de plutôt suivre la position du Ramo''` (bien que
lui-même défendait la position stricte), car rien ne permet de
conclure que nos Sages auraient interdit le fromage des non Juifs
même dans des circonstances où les raisons de leur décret ne
s'appliquaient pas/plus.
C'est
une question d'une grande pertinence, car dans l'Europe continentale,
la pratique qui prévaut dans la filière de production de fromages
consiste encore à utiliser de la présure animale d'une Navéloh.
Par contre, aux États-Unis et en Grande-Bretagne, de la présure
microbienne (et donc artificielle) est généralement utilisée, et
il existe également de nombreuses variétés de fromages portugais
que l'on fait cailler avec du chardon, et peuvent donc être permis à
la consommation, car les raisons du décret ne s'appliquent pas à
ces fromages.
La
conclusion est que ceux qui veulent être stricts et s'interdire
catégoriquement tout fromage des non Juifs, même lorsqu'il n'y a
pas de raison rationnelle de l'interdire, peuvent le faire (mais ils
doivent comprendre que le raisonnement sur lequel est basée cette
position n'est pas correct, puisque cette approche se fonde sur une
interprétation des propos du Ramba''m que nous avons démontré ne
pas être correcte. Ainsi, il s'agit d'une pratique basée sur une
erreur. Et le Ramba''m rapporte que tout Minhogh basée sur une
erreur doit être abandonnée). Quant à ceux qui veulent être
indulgents et permettre les fromages des non Juifs qui n'utilisent
pas de présure animale d'une Navéloh pour faire cailler le fromage,
ils ont largement sur qui s'appuyer pour se le permettre (les
Tôsofôth, Rabbénou Ta''m, plusieurs Ga`ônim, dont ceux de
Narbonne, et même le Ramba''m, dans une certaine mesure. Dans de
nombreux pays, comme le rapporte Rabbénou Ta''m, des Juifs avaient
la coutume de se permettre la consommation des fromages non Juifs
sans présure animale d'une Navéloh, et cela se faisait aussi au
Yémen).
Il
convient de signaler qu'un fromage que l'on a fait cailler avec de la
présure animale provenant d'un animal abattu rituellement est
permis. Le problème n'est donc pas l'interdiction du mélange de la
viande et du lait, mais la façon dont la présure a été obtenue :
si elle provient d'un animal n'ayant pas été égorgé rituellement,
puisque consommer le produit d'une Navéloh est interdit, le fromage
est interdit, peu importe la quantité de la présure par rapport à
l'ensemble. Mais puisque ce qui est extrait d'un animal ayant été
rituellement égorgé est permis dès le départ, utiliser de la
présure obtenue d'un animal ayant été rituellement égorgé ne
rend pas le fromage interdit.
P.S. : On m'a fait remarquer qu'une petite erreur s'était glissée dans l'article d'origine, au dernier paragraphe. Cela a été corrigée, ainsi que dans le fichier PDF.
P.S. : On m'a fait remarquer qu'une petite erreur s'était glissée dans l'article d'origine, au dernier paragraphe. Cela a été corrigée, ainsi que dans le fichier PDF.
1Mishnéh
Tôroh, Hilkôth Ma`akholôth `asourôth 3:10
2´avôdhoh
Zoroh 29b
3Ibid.,
35a
4Mishnéh
Tôroh, Hilkôth Ma`akholôth `asourôth 3:10
5Rabbénou
Ta''m cité par les Tôsofôth sur ´avôdhoh Zoroh 35a
6Ibid.
7Mishnéh
Tôroh, Hilkôth Ma`akholôth `asourôth 3:12
8Yôréh
Dé´oh 115:2