בס״ד
Les
différents mots hébreux pour désigner la « liberté »
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Il
m'a été envoyé la question suivante :
Un
des arguments des rabbanim anti-sionistes contre l'hymne israélienne
est la présence du mot « 'hofshi » qui signifierait
« affranchi du joug des misvotes »; or un rav sioniste
religieux du nom d'Eliyyakim Simsovic a affirmé sur le site Cheela,
que cet argument est stupide puisque le mot 'hoshi apparaît en
bamidbar 15:12.
Quelle est l'opinion du Rav (shalit"a) sur cette divergence sémantique ?
C'est
une question très intéressante pour les amoureux de la langue
hébraïque, d'autant qu'elle a une pertinence pour la fête de
Pasah, qui débutera la semaine prochaine. Mais pour y
répondre intégralement, nous nous devons d'explorer les divers mots
hébraïques se rapportant à la notion de « liberté »
pour bien comprendre ce qu'il en est du mot חָפְשִׁי
« Hôphshi ».
La
fête de Pasah, lorsque le peuple juif a été émancipé de
l'esclavage en Égypte, est décrite dans notre liturgie comme זְמַן
חֵרוּתֵנוּ « Zaman
Hérouthénou », « le temps
de notre liberté ». Cependant, comme nous le verrons dans
les lignes à venir, le mot « Hérouth »
n'est pas le seul mot hébreu pour désigner la « liberté ».
Lorsque la Tôroh fait référence à la libération des esclaves,
elle utilise deux autres mots pour « liberté » :
חֹפֶשׁ
« Hôphash »
et דְּרוֹר
« Darôr ».
Un mot supplémentaire, conceptuellement lié, est הֶפְקֵר
« Haphqér »
(« sans propriétaire »), qui est également lié
à la liberté. Nous chercherons à comprendre les différences entre
ces quatre mots et ce qui est à la base de ces mots. Chacun saura
alors quel type de liberté exprime chaque mot.
Nous
commençons par les mots « Darôr »
et « Hôphash ». Le mot
« Darôr »
apparaît pour la première fois dans la Tôroh lorsque l'on parle de
la libération des esclaves pendant l'année du Yôvél.1
Rash''i ז״ל,
se basant sur Rô`sh Hashshonoh 9b, explique que le mot
« Darôr » est
lié au mot דָּר
« Dor »
(« habitant »), et fait référence à celui qui
habite dans son propre domaine, et ne tombe pas sous le contrôle des
autres.
« Darôr »
est aussi un type d'oiseau dont l'essence même exprime cette notion.
Le `ibn ´azro` ז״ל
explique
que l'oiseau « Darôr »
chante joyeusement lorsqu'il est libre par ses propres moyens, mais
s'il est capturé et coincé dans le domaine de l'homme, il refuse de
manger jusqu'à sa mort. Le Séphar Ho´oroukh ז״ל
raconte
également que l'oiseau « Darôr »
est suicidaire lorsqu'il perd sa liberté. Le Rada''q ז״ל,
dans son Séphar Hashshôroshim, explique que l'oiseau « Darôr »
est appelé ainsi parce qu'il construit des nids à l'intérieur des
maisons des gens sans crainte d'être capturé, comme s'il était
complètement libre de toute possibilité de capture.2
Ainsi, « Darôr »
dénote le fait d'être « libre comme un oiseau ».
Lorsque
la Tôroh demande que la « myrrhe pure » soit utilisée
dans l'huile d'onction,3
le mot « Darôr »
est utilisé pour dire « pure ». Ribbénou Yônoh
`ibn Jano`h ז״ל
et
le Rambo''n ז״ל
expliquent
que c'est parce que la Tôroh exige qu'ils utilisent une myrrhe qui
est exempte d'impuretés et de contrefaçons extérieures. Fait
intéressant, le mot « Darôr »
peut parfois être abrégé en דַּר
« Dar »,
comme dans `astér 1:6 quand il fait référence à `ahashwérôsh
accordant aux marchands une exonération fiscale spéciale.4
Le
mot « Hôphash » apparaît
également dans le TaNa''Kh dans le contexte de la libération des
esclaves,5
bien qu'il signifie « vacances » en hébreu
moderne. En ce qui concerne leur association mutuelle avec le concept
de « liberté », le Rov Shalômôh
`aharôn Wertheimer (1866-1935) explique que « Darôr »
et « Hôphash » ne se
réfèrent pas exactement au même phénomène. « Hôphshi »
se réfère à la liberté d'une obligation de travailler,
tandis que « Darôr »
se réfère à la liberté de l'assujettissement à une personne
spécifique qui domine sur l'individu. Ainsi, à première vue,
aussi bien les sionistes que les antisionistes comprendraient et
emploieraient le mot « Hôphshi »
de travers. Lorsque les antisionistes enseignent que « Hôphshi »
désignerait l'affranchissement du joug des Miswôth, ce
serait en réalité une notion qui se retrouve plutôt dans le sens
du mot « Darôr »
et non « Hôphshi ». Quant
aux sionistes, chanter dans leur hymne qu'ils ont attendu 2 000 ans
pour être un peuple libéré de l'obligation de travailler, ce
serait tout autant ridicule, et là encore, le mot « Darôr »
serait de loin plus approprié s'ils voulaient exprimer le fait
d'être désormais libres comme des oiseaux !
Le
mot « Hérouth » n'apparaît
pas dans le TaNa''Kh dans le contexte de la liberté. Néanmoins,
c'est le mot standard utilisé pour libérer un esclave dans le
langage rabbinique. Dans la prière de la Birkhath Hahôdhash,
que nous disons le jour d'un Shabboth qui précède Rô`sh Hôdhash,
nous implorons Hashshém ית׳
de
nous faire passer de la « ´avdhouth »
(« servitude ») vers la « Hérouth »
(« liberté »). De plus, le terme mishnaïque
שִׁחְרוּר
« Shihrour »
est un apparenté de « Hérouth »
qui se réfère à l'acte formel de libérer un esclave, et la phrase
mishnaïque עֶבֶד
שֶׁנִּשְׁתַּחְרֵר « ´avadh
Shannishtahrér » fait référence à
un esclave libéré. Le soir de Pasah, nous nous efforçons d'agir
comme des בְּנֵי
חוֹרִים « Bané
Hôrim » - « hommes libres ».
Bien
que le TaNa''Kh lui-même n'utilise jamais le mot « Hérouth »
dans le contexte de la liberté, la tradition rabbinique6
trouve une allusion biblique à une telle signification. La Tôroh
décrit les Louhôth
que Môshah Rabbénou ע״ה
a
apportées du Har Sinay comme מַעֲשֵׂה
אֱלֹהִים,
הֵמָּה;
וְהַמִּכְתָּב,
מִכְתַּב
אֱלֹהִים הוּא--חָרוּת,
עַל-הַלֻּחֹת
« l'œuvre
de `alôhim,
et l'écriture était l'écriture de `alôhim,
gravée (Horouth)
sur les Louhôth ».7
La racine du mot hébreu qui signifie « graver »
est généralement orthographié חרט.
Cependant, dans ce contexte, une variante d'orthographe est utilisée,
remplaçant le ט
final
par un ת.
En raison de cette légère déviation de la norme, les Hakhomim
ont trouvé quelque chose de plus profond dans ce verset : « Ne
lis pas ''Horouth''
(''gravé''), mais ''Hérouth''
(''liberté''), car la seule personne qui est vraiment libre est
celle qui s'occupe de l'étude de la Tôroh ».
Il semble assez clair que si le but ultime de la Yasi`ath
Misrayim
était de donner au peuple juif la Tôroh au Har Sinay, alors le mot
pour la liberté résultant de la Yasi`ath
Misrayim
devrait convenablement être « Hérouth »
- et la fête qui célèbre cette liberté devrait être appelée
« Zaman
Hérouthénou ».
Néanmoins,
notre compréhension de « Hérouth »
ne tient pas compte de sa signification vis-à-vis des autres mots
pour « liberté ». Pourquoi donc les Hakhomim
ont-ils décidé d'utiliser le mot « Hérouth »
pour « liberté » au lieu des mots trouvés dans
le TaNa''Kh ?
Le
philosophe britannique Isaiah Berlin (1909-1997) a distingué de
façon célèbre deux types de liberté distincts : la « liberté
négative » et la « liberté positive ».
Sur la base de cette distinction philosophique, le rabbin Lord
Jonathan Sacks (Grand Rabbin émérite du Royaume-Uni), offre une
compréhension plus approfondie de la différence entre le
« Hôphash » et la
« Hérouth ». Il explique que
l'adjectif « Hôphshi »
désigne ce qu'un esclave devient quand il est libéré, affranchi.
Cela signifie qu'il peut faire tout ce que son cœur désire.
Le mot « Hôphash » est lié
au חָפַץ
« Hophés »
(désir) et à חִפֵּשׂ
« Hippés »
(« chercher »). Le Rov Sacks, philosophe,
identifie ce type de liberté avec la « liberté négative »
car il dénote simplement le manque de coercition. C'est donc en cela
que l'argument des antisionistes sur le terme « Hôphshi »
est pertinent et exact.
La
liberté négative peut valoir la peine au niveau individuel,
mais au niveau de la société, il doit y avoir une certaine forme de
règles - on ne peut pas simplement faire ce qu'on veut. D'un autre
côté, la loi et l'ordre ne doivent pas être imposés de manière
coercitive, car alors les masses en auront du ressentiment et
résisteront à cette loi. Au lieu de cela, la loi doit être
présentée et enseignée de manière à ce que chacun l'accepte de
son plein gré. Lorsque cela se produit, la loi fait alors partie des
citoyens qui l'ont acceptée - ancrée dans leur essence même - pour
le plus grand bien. À cet effet, les Hakhomim ont
inventé un nouveau terme « Hérouth »,
qui désigne une sorte de liberté qui vient à la société où les
gens non seulement connaissent la loi, mais l'étudient constamment
jusqu'à ce qu'elle soit gravée dans leur cœur (afin que חָרוּת
« Horouth »
et חֵרוּת
« Hérouth »
deviennent un). À première vue, cette « liberté
positive » semble restrictive, mais en fait elle se révèle
assez libératrice.
À
vrai dire, le mot « Hôrim »
apparenté à « Hérouth »
apparaît réellement dans le TaNa''Kh, mais pas dans le contexte de
la liberté en soi. « Hôrim »
apparaît treize fois dans le TaNa''Kh en référence aux nobles et
d'autres dignitaires.8
Rash''i9
explique que les « Hôrim »
sont des gens de lignée. L'illustre Rov de Wurzberg, le rabbin
Yishoq Dôv Bamberger (1807-1878), explique que « Hôrim »
est lié aux mots araméens dont la racine est חור,
qui signifie « blanc ». Il explique que les
dignitaires sont appelés « blancs » parce que leur
réputation doit être sans tache, et parce que seules les personnes
importantes étaient autorisées à porter des vêtements blancs dans
le monde antique.
Cela
étant dit, il semble donc que les Hakhomim ont
choisi d'utiliser le mot « Hérouth »
et diverses déclinaisons de celui-ci afin de transmettre l'idée de
liberté à Pasah pour une raison très importante. Ils
souhaitaient souligner que les esclaves nouvellement libérés
commencent leur nouvelle vie avec une table rase et qu'ils ont le
potentiel de devenir des personnes importantes et nobles à part
entière. À Pasah, nous reconnaissons et célébrons ce
potentiel de grandeur. Ce regard optimiste, mais difficile, sur le
brillant avenir d’un affranchi justifiait l’adoption par les
Hakhomim d’un nouveau mot pour « liberté »,
même si le TaNa''Kh a déjà deux mots pour ce concept.
Ainsi,
les sionistes et ceux qui ont composé la « Hatikva »
(hymne national israélien) n'ont pas choisi le terme le plus
approprié pour exprimer la liberté du peuple juif. D'où les
objections religieuses, philosophiques et sémantiques des Juifs
antisionistes vis-à-vis de la « Hatikva ».
1Wayyiqro`
25:10
2Voir
aussi Bésoh 24a.
3Shamôth
30:23
4Voir
Maghilloh 12a.
6Mishnoh,
`ovôth 6:2
7Shamôth
32:16
8Voir
Rash''i sur Yirmayohou 27:20.
9Sur
Sôtoh 49a.