בס״ד
La Halokhoh
du tatouage
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Quelqu’un m’a soumis
la superbe question suivante :
Le tatouage aujourd'hui (qui
n'est plus lié à l’idolâtrie mais juste pour l’esthétique) est-il toujours
interdit ?
Il est écrit dans la Ṭôroh :[1]
Vous êtes des fils
pour `adhônoy votre `alôhim : Vous ne vous
couperez pas, ni ne mettrez une tonsure entre vos yeux pour le mort !
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בָּנִים אַתֶּם, לַיהוָה אֱלֹהֵיכֶם: לֹא
תִתְגֹּדְדוּ, וְלֹא-תָשִׂימוּ קָרְחָה בֵּין עֵינֵיכֶם--לָמֵת.
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Ici, la Ṭôroh stipule
l'interdiction du deuil extrême pour des morts, qui comprend le fait de couper
de la chair ou d’arracher des cheveux en raison de la douleur qu’on ressent. Le
passage parallèle dans Wayyiqro` 19:28 déclare :
Vous ne donnerez
pas dans vos chairs une égratignure pour l’âme, et vous ne donnerez pas en
vous l’inscription d’une incision. Je suis `adhônoy !
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וְשֶׂרֶט לָנֶפֶשׁ, לֹא תִתְּנוּ בִּבְשַׂרְכֶם,
וּכְתֹבֶת קַעֲקַע, לֹא תִתְּנוּ בָּכֶם: אֲנִי, יְהוָה.
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La Mishnoh[2]
commente ces deux versets et déclare qu’il existe deux formes de coupure :
l'une est seulement une incision, et l'autre est une incision que l’on remplit
d'encre, c'est-à-dire un tatouage.
Le premier passage
stipule clairement qu’il est interdit de faire la moindre coupure dans la chair
en l’honneur d’un mort. Mais dans le deuxième passage, couper dans la chair est
juxtaposé avec le tatouage (כְּתֹבֶת קַעֲקַע « Kathôvath Qa´aqa´ »). Plus précisément, le passage de Wayyiqro` utilise
le terme « égratignure » (שֶׂרֶט « Sarat »)
au lieu de « coupure », ce qui implique de faire des incisions
superficielles qui ne provoquent pas nécessairement des blessures profondes ou
des saignements abondants. Il ne s'agit pas de se couper soi-même avec douleur,
mais d'un cas légèrement différent où une personne
pourrait inciser ou gratter le nom du défunt dans sa chair, résultant en une
cicatrice permanente qui porte le nom du défunt. La Mishnoh
susmentionné conclut en déclarant que :
Il a écrit mais
n’a pas imprimé, il a imprimé mais n’a pas écrit, il n’est pas Ḥayyov
(coupable), jusqu’à ce qu’il ait écrit et ait imprimé avec de l’encre, du
pigment ou toute chose qui laisse une impression.
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כָּתַב וְלֹא קִעֲקַע, קִעֲקַע וְלֹא כָתַב, אֵינוּ
חַיָּב, עַד שֶׁיִּכְתֹּב וִיקַעֲקֵעַ בִּדְיוֹ וּבִכְחֹל וּבְכָל דָּבָר
שֶׁהוּא רוֹשֵׁם.
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Ainsi, bien qu'il soit
interdit de couper des blessures profondes pour les morts, une personne qui ne
fait que gratter (littéralement « écrit ») sur sa peau en
laissant une légère cicatrice n'a pas transgressé, à moins qu'elle ne gratte la
peau avec de l'encre pour laisser une impression très claire.
Inversement, une
personne qui utilise seulement de l'encre, sans grattage ni incision, n'a pas non
plus transgressé. Ainsi, il faut que les deux actes aient été commis pour
considérer qu’il y a eu transgression, à savoir avoir gratté la peau et laissé
une impression permanente avec de l’encre ou toute chose qui laisse une
impression. Ne sont donc pas interdits les « tatouages »
temporaires en forme d'autocollants qui sont placés sur la peau avec de l'eau.
Il n'y a pas non plus de problème avec des choses comme le henné.
Cela étant dit, notre Mishnoh
ne se termine pas par les mots cités ci-dessus. Elle poursuit en rapportant un
enseignement au nom de Ribbi Shim´ôn ban Yôḥa`y ז״ל :
Il n’est pas Ḥayyov,
jusqu’à ce qu’il ait écrit là le Nom, car il est dit : « et vous ne
donnerez pas en vous l’inscription d’une incision. Je suis `adhônoy »
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אֵינוּ חַיָּב עַד שֶׁיִּכְתּוֹב שָׁם הַשֵּׁם, שֶׁנֶּאֱמַר וּכְתֹבֶת קַעֲקַע לֹא תִתְּנוּ בָּכֶם אֲנִי ה'
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La Gamaro`[3]
se demande ce que Ribbi Shim´ôn ban Yôḥa`y voulait dire par cela :
Voulait-il dire que l’on ne transgresse l’interdiction du tatouage que
lorsqu’on s’est tatoué un des Noms de Hashshém ית׳, puisque le
verset se conclut par אֲנִי, יְהוָה « Je suis `adhônoy » ?
Ou voulait-il dire que l’interdiction du tatouage ne s’appliquait qu’au cas où
on s’est fait tatouer le nom d'une divinité idolâtre, et auquel cas le verset
déclarerait אֲנִי,
יְהוָה « Je
suis `adhônoy » pour nous rappeler qu'il n'y a qu'un
seul véritable Dieu ?
La Gamaro` conclut que Ribbi Shim´ôn ban Yôḥa`y voulait dire qu'il est interdit seulement de tatouer le nom d'une idole ou
d'une fausse divinité. Cela signifie-t-il alors qu'il est permis de
tatouer l’un des Noms de Hashshém ? De façon tout à fait intéressante
certains commentateurs ont souligné que le verset de Yasha´yohou 44: 5 pourrait faire référence à un tel
tatouage :
Celui-ci
dira : « Je suis à `adhônoy », et celui-là
s’appellera par le nom de Ya´aqôv, et un autre écrira sa main pour
`adhônoy.
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זֶה יֹאמַר לַיהוָה אָנִי, וְזֶה יִקְרָא
בְשֵׁם-יַעֲקֹב; וְזֶה, יִכְתֹּב יָדוֹ לַיהוָה
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Que signifie cette
dernière phrase יִכְתֹּב יָדוֹ לַיהוָה « Yikhtôv Yodhô Ladhônoy –
il écrira sa main pour `adhônoy » ? Le verbe
utilisé (Likhtôv) est le même que celui de Wayyiqro` et de la discussion de la
Mishnoh sur les tatouages. Cela suggère-t-il qu'à l'époque de Yasha´yohou, les gens avaient des « tatouages
sacrés » sur les bras pour indiquer qu’ils avaient renoncé à l’idolâtrie
pour ne suivre que Hashshém ? C’est ce que concluent certains
commentateurs, tandis que d’autres soutiennent que le verset fait plutôt
référence à la rédaction des parchemins des Ṭaphillin que l’on met sur le bras. (Mais personnellement, je trouve cette
deuxième explication tirée par les cheveux.)
Quoi qu'il en soit, qu’on
le veuille ou non, et peu importe ce que les rabbins contemporains déclarent, la
Mishnoh soutient sans équivoque que les tatouages ne sont interdits que
lorsqu'ils portent un nom (il y a juste divergence quant à savoir si on parle
du nom de Hashshém ou du nom d’une idole). Il ressort que d’après la Halokhoh mishnaïque authentique de nos Ḥakhomim
le tatouage pour d'autres raisons, comme par exemple à des fins décoratives ou
esthétiques, n'est pas interdit. En effet, l’interdiction de la Ṭôroh
n’est énoncée qu’en ce qui concerne le deuil des morts. Cela interdirait, par
exemple, de tatouer le nom du bien-aimé qui est décédé - quelque chose de très
courant aujourd'hui, et clairement dans les temps anciens aussi. Si le tatouage n'est pas associé à l'idolâtrie, un culte ou
au deuil, il n'y a techniquement aucune base scripturaire ou talmudique pour
l'interdire.
Maintenant, le Rambo’’m
ז״ל ,
dans son Mishnéh Ṭôroh, rapporte l'interdiction du tatouage.[4]
Il soutient que le tatouage est une pratique des idolâtres, inventée par les
idolâtres, pour les idolâtres, et que les tatouages symbolisent généralement
une marque de soumission à une fausse divinité. Étant donné que la Ṭôroh est si
catégorique concernant l’injonction de rester loin de tout ce qui est connecté
même de loin à l'idolâtrie, beaucoup concluent que le Rambo’’m interdirait
complètement les tatouages, même ceux qui portent un nom sacré de Hashshém ou
un verset de la Ṭôroh. Mais il n’est absolument pas certain que le Rambo’’m
souscrirait à une telle approche, car dans ce passage du Mishnéh Ṭôroh il dit
seulement ceci :
Et tel était le
Minhogh des Gôyim, à savoir qu’ils se marquaient pour leur ´avôdhoh
Zoroh comme pour dire qu’il est un esclave vendu pour elle et marqué pour son
culte.
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וְזֶה הָיָה מִנְהַג הַגּוֹיִים שֶׁרוֹשְׁמִין
עַצְמָן לַעֲבוֹדָה זָרָה שֶׁלָּהֶן, כְּלוֹמַר שְׁהוּא עֶבֶד מָכוּר לָהּ
וּמֻרְשָׁם לַעֲבוֹדָתָהּ
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Les propos du Rambo’’m
peuvent donc parfaitement être compris de deux manières, à savoir qu’il veut
dire que le tatouage est interdit peu importe la raison car c’est une pratique
inventée par les idolâtres, ou qu’il veut dire que l’interdiction ne s’applique
que si c’est pour indiquer sa loyauté à l’idolâtrie.
Mais là encore, peu
importe comment le Rambo’’m comprenait cette interdiction du tatouage, il a été
établi que d’un point de vue strictement mishnaïque et talmudique, tous les
tatouages ne sont pas interdits et certaines formes de tatouage sont
autorisées.
Tout cela étant dit,
de façon à être complet et impartial, voici tout de même les arguments
qu’avancent les rabbins contemporains pour malgré tout interdire (ou dissuader)
de se faire tatouer.
Premièrement, les
tatouages sont un problème de santé. Outre la douleur de la procédure
elle-même, l'injection de pigments peut provoquer des réactions allergiques et
des éruptions cutanées qui démangent. Pour certaines personnes, les
démangeaisons peuvent persister pendant des années. Les infections sont
également relativement courantes, les hépatites B et C étant un problème
particulier, ainsi que des infections bactériennes moins graves. Des études
montrent que jusqu'à 6% des personnes contractent une infection après un
tatouage. Les tatouages peuvent également être problématiques si une personne a
besoin d'une IRM à l'avenir. Les aimants puissants peuvent déplacer les métaux
dans l'encre et provoquer des douleurs ou des gonflements. Ils déforment
parfois aussi l'image IRM. Enfin, les encres de tatouage peuvent être toxiques
et ont été liées au cancer. (Ces arguments de santé peuvent être contrés par les
arguments développés au sujet de la cigarette, dans l’article intitulé « Est-ce interdit par la Halokhoh
de fumer des cigarettes ? », où nous avions vu que si ces dangers n’étaient pas
automatiques, et qu’un grand nombre de personnes acceptaient les risques, la Halokhoh
n’interdit pas forcément une certaine activité considérée « dangereuse ».)
Sur un plan spirituel,
les tatouages pourraient être un problème encore plus important d’après
certains. Comme nous l'avons vu ci-dessus, le tatouage était associé à
l'idolâtrie. Il était également associé à l'esclavage, où un maître marquait
son serviteur d'une marque de propriété. Cela se produit encore aujourd'hui, en
particulier dans les réseaux de prostitution, où les proxénètes ont souvent
leur logo tatoué sur leur « propriété ». Les bovins et autres
animaux sont également généralement marqués de tatouages. (Cet argument peut
facilement être contré par ce que nous avons développé ci-dessus, à savoir que
la Gamoro` déclare que tatouer sur sa
chair l’un des noms de Hashshém n’est pas forcément interdit d’après Ribbi
Shim´ôn ban Yôḥoy.)
Il y a enfin la
question de la Ṣani´outh (pudeur). Pour beaucoup, les
Juifs devraient respecter les normes de Ṣani´outh
les plus élevées, et considèrent qu’arborer des tatouages visibles contrevient
aux règles de Ṣani´outh. Ils avancent également comme
argument que même si les tatouages ne sont pas visibles, ils pourraient
néanmoins être interdits car les tatouages ont tendance à être placés sur des
zones qui ne devraient pas être exposées pour commencer (les fesses, le bas du
ventre, le dos, etc.), ce qui montre que la véritable motivation pour en avoir
était perverse et que les tatouages sont souvent un moyen d'attirer l'attention
alors qu’on devrait chérir la discrétion, la modestie et la pudeur en tant que
Juifs.
Il convient de
signaler que beaucoup de gens se font tatouer sur un coup de tête, ou dans leur
jeunesse, ou sans trop de prévoyance. Le résultat est qu'environ un tiers des
personnes qui se font tatouer finissent par le regretter, et environ la moitié
d'entre elles demandent des procédures coûteuses de retrait de tatouage.
Je tiens à terminer en
indiquant qu’il n’y a aucun texte rabbinique, ni ancien ni contemporain, qui
interdise à un Juif tatoué d’être inhumé dans un cimetière juif. Ce n’est rien
d’autre qu’un mythe populaire ! Mais personne ne vous privera d’une
inhumation juive à cause d’un tatouage.