mercredi 20 mai 2020

La Halokhoh du tatouage


בס״ד

La Halokhoh du tatouage


Cet article peut être téléchargé ici.

Quelqu’un m’a soumis la superbe question suivante :

Le tatouage aujourd'hui (qui n'est plus lié à l’idolâtrie mais juste pour l’esthétique) est-il toujours interdit ?


Il est écrit dans la Ṭôroh :[1]

Vous êtes des fils pour `adhônoy votre `alôhim : Vous ne vous couperez pas, ni ne mettrez une tonsure entre vos yeux pour le mort !
בָּנִים אַתֶּם, לַיהוָה אֱלֹהֵיכֶם:  לֹא תִתְגֹּדְדוּ, וְלֹא-תָשִׂימוּ קָרְחָה בֵּין עֵינֵיכֶם--לָמֵת.
Ici, la Ṭôroh stipule l'interdiction du deuil extrême pour des morts, qui comprend le fait de couper de la chair ou d’arracher des cheveux en raison de la douleur qu’on ressent. Le passage parallèle dans Wayyiqro` 19:28 déclare :

Vous ne donnerez pas dans vos chairs une égratignure pour l’âme, et vous ne donnerez pas en vous l’inscription d’une incision. Je suis `adhônoy !
וְשֶׂרֶט לָנֶפֶשׁ, לֹא תִתְּנוּ בִּבְשַׂרְכֶם, וּכְתֹבֶת קַעֲקַע, לֹא תִתְּנוּ בָּכֶם:  אֲנִי, יְהוָה.

La Mishnoh[2] commente ces deux versets et déclare qu’il existe deux formes de coupure : l'une est seulement une incision, et l'autre est une incision que l’on remplit d'encre, c'est-à-dire un tatouage.

Le premier passage stipule clairement qu’il est interdit de faire la moindre coupure dans la chair en l’honneur d’un mort. Mais dans le deuxième passage, couper dans la chair est juxtaposé avec le tatouage (כְּתֹבֶת קַעֲקַע « Kathôvath Qa´aqa´ »). Plus précisément, le passage de Wayyiqro` utilise le terme « égratignure » (שֶׂרֶט « Sarat ») au lieu de « coupure », ce qui implique de faire des incisions superficielles qui ne provoquent pas nécessairement des blessures profondes ou des saignements abondants. Il ne s'agit pas de se couper soi-même avec douleur, mais d'un cas légèrement différent où une personne pourrait inciser ou gratter le nom du défunt dans sa chair, résultant en une cicatrice permanente qui porte le nom du défunt. La Mishnoh susmentionné conclut en déclarant que :

Il a écrit mais n’a pas imprimé, il a imprimé mais n’a pas écrit, il n’est pas Ḥayyov (coupable), jusqu’à ce qu’il ait écrit et ait imprimé avec de l’encre, du pigment ou toute chose qui laisse une impression.
כָּתַב וְלֹא קִעֲקַע, קִעֲקַע וְלֹא כָתַב, אֵינוּ חַיָּב, עַד שֶׁיִּכְתֹּב וִיקַעֲקֵעַ בִּדְיוֹ וּבִכְחֹל וּבְכָל דָּבָר שֶׁהוּא רוֹשֵׁם.

Ainsi, bien qu'il soit interdit de couper des blessures profondes pour les morts, une personne qui ne fait que gratter (littéralement « écrit ») sur sa peau en laissant une légère cicatrice n'a pas transgressé, à moins qu'elle ne gratte la peau avec de l'encre pour laisser une impression très claire.

Inversement, une personne qui utilise seulement de l'encre, sans grattage ni incision, n'a pas non plus transgressé. Ainsi, il faut que les deux actes aient été commis pour considérer qu’il y a eu transgression, à savoir avoir gratté la peau et laissé une impression permanente avec de l’encre ou toute chose qui laisse une impression. Ne sont donc pas interdits les « tatouages » temporaires en forme d'autocollants qui sont placés sur la peau avec de l'eau. Il n'y a pas non plus de problème avec des choses comme le henné.

Cela étant dit, notre Mishnoh ne se termine pas par les mots cités ci-dessus. Elle poursuit en rapportant un enseignement au nom de Ribbi Shim´ôn ban Yôḥa`y ז״ל :

Il n’est pas Ḥayyov, jusqu’à ce qu’il ait écrit là le Nom, car il est dit : « et vous ne donnerez pas en vous l’inscription d’une incision. Je suis `adhônoy »
אֵינוּ חַיָּב עַד שֶׁיִּכְתּוֹב שָׁם הַשֵּׁם, שֶׁנֶּאֱמַר וּכְתֹבֶת קַעֲקַע לֹא תִתְּנוּ בָּכֶם אֲנִי ה'

La Gamaro`[3] se demande ce que Ribbi Shim´ôn ban Yôḥa`y voulait dire par cela : Voulait-il dire que l’on ne transgresse l’interdiction du tatouage que lorsqu’on s’est tatoué un des Noms de Hashshém ית׳, puisque le verset se conclut par אֲנִי, יְהוָה « Je suis `adhônoy » ? Ou voulait-il dire que l’interdiction du tatouage ne s’appliquait qu’au cas où on s’est fait tatouer le nom d'une divinité idolâtre, et auquel cas le verset déclarerait אֲנִי, יְהוָה  « Je suis `adhônoy » pour nous rappeler qu'il n'y a qu'un seul véritable Dieu ?

La Gamaro` conclut que Ribbi Shim´ôn ban Yôḥa`y voulait dire qu'il est interdit seulement de tatouer le nom d'une idole ou d'une fausse divinité. Cela signifie-t-il alors qu'il est permis de tatouer l’un des Noms de Hashshém ? De façon tout à fait intéressante certains commentateurs ont souligné que le verset de Yasha´yohou 44: 5 pourrait faire référence à un tel tatouage :

Celui-ci dira : « Je suis à `adhônoy », et celui-là s’appellera par le nom de Ya´aqôv, et un autre écrira sa main pour `adhônoy.
זֶה יֹאמַר לַיהוָה אָנִי, וְזֶה יִקְרָא בְשֵׁם-יַעֲקֹב; וְזֶה, יִכְתֹּב יָדוֹ לַיהוָה

Que signifie cette dernière phrase יִכְתֹּב יָדוֹ לַיהוָה « Yikhtôv Yodhô Ladhônoy – il écrira sa main pour `adhônoy » ? Le verbe utilisé (Likhtôv) est le même que celui de Wayyiqro` et de la discussion de la Mishnoh sur les tatouages. Cela suggère-t-il qu'à l'époque de Yasha´yohou, les gens avaient des « tatouages ​​sacrés » sur les bras pour indiquer qu’ils avaient renoncé à l’idolâtrie pour ne suivre que Hashshém ? C’est ce que concluent certains commentateurs, tandis que d’autres soutiennent que le verset fait plutôt référence à la rédaction des parchemins des Ṭaphillin que l’on met sur le bras. (Mais personnellement, je trouve cette deuxième explication tirée par les cheveux.)

Quoi qu'il en soit, qu’on le veuille ou non, et peu importe ce que les rabbins contemporains déclarent, la Mishnoh soutient sans équivoque que les tatouages ne sont interdits que lorsqu'ils portent un nom (il y a juste divergence quant à savoir si on parle du nom de Hashshém ou du nom d’une idole). Il ressort que d’après la Halokhoh mishnaïque authentique de nos Ḥakhomim le tatouage pour d'autres raisons, comme par exemple à des fins décoratives ou esthétiques, n'est pas interdit. En effet, l’interdiction de la Ṭôroh n’est énoncée qu’en ce qui concerne le deuil des morts. Cela interdirait, par exemple, de tatouer le nom du bien-aimé qui est décédé - quelque chose de très courant aujourd'hui, et clairement dans les temps anciens aussi. Si le tatouage n'est pas associé à l'idolâtrie, un culte ou au deuil, il n'y a techniquement aucune base scripturaire ou talmudique pour l'interdire.

Maintenant, le Rambo’’m ז״ל , dans son Mishnéh Ṭôroh, rapporte l'interdiction du tatouage.[4] Il soutient que le tatouage est une pratique des idolâtres, inventée par les idolâtres, pour les idolâtres, et que les tatouages symbolisent généralement une marque de soumission à une fausse divinité. Étant donné que la Ṭôroh est si catégorique concernant l’injonction de rester loin de tout ce qui est connecté même de loin à l'idolâtrie, beaucoup concluent que le Rambo’’m interdirait complètement les tatouages, même ceux qui portent un nom sacré de Hashshém ou un verset de la Ṭôroh. Mais il n’est absolument pas certain que le Rambo’’m souscrirait à une telle approche, car dans ce passage du Mishnéh Ṭôroh il dit seulement ceci :

Et tel était le Minhogh des Gôyim, à savoir qu’ils se marquaient pour leur ´avôdhoh Zoroh comme pour dire qu’il est un esclave vendu pour elle et marqué pour son culte.
וְזֶה הָיָה מִנְהַג הַגּוֹיִים שֶׁרוֹשְׁמִין עַצְמָן לַעֲבוֹדָה זָרָה שֶׁלָּהֶן, כְּלוֹמַר שְׁהוּא עֶבֶד מָכוּר לָהּ וּמֻרְשָׁם לַעֲבוֹדָתָהּ

Les propos du Rambo’’m peuvent donc parfaitement être compris de deux manières, à savoir qu’il veut dire que le tatouage est interdit peu importe la raison car c’est une pratique inventée par les idolâtres, ou qu’il veut dire que l’interdiction ne s’applique que si c’est pour indiquer sa loyauté à l’idolâtrie.

Mais là encore, peu importe comment le Rambo’’m comprenait cette interdiction du tatouage, il a été établi que d’un point de vue strictement mishnaïque et talmudique, tous les tatouages ne sont pas interdits et certaines formes de tatouage sont autorisées.

Tout cela étant dit, de façon à être complet et impartial, voici tout de même les arguments qu’avancent les rabbins contemporains pour malgré tout interdire (ou dissuader) de se faire tatouer.

Premièrement, les tatouages sont un problème de santé. Outre la douleur de la procédure elle-même, l'injection de pigments peut provoquer des réactions allergiques et des éruptions cutanées qui démangent. Pour certaines personnes, les démangeaisons peuvent persister pendant des années. Les infections sont également relativement courantes, les hépatites B et C étant un problème particulier, ainsi que des infections bactériennes moins graves. Des études montrent que jusqu'à 6% des personnes contractent une infection après un tatouage. Les tatouages peuvent également être problématiques si une personne a besoin d'une IRM à l'avenir. Les aimants puissants peuvent déplacer les métaux dans l'encre et provoquer des douleurs ou des gonflements. Ils déforment parfois aussi l'image IRM. Enfin, les encres de tatouage peuvent être toxiques et ont été liées au cancer. (Ces arguments de santé peuvent être contrés par les arguments développés au sujet de la cigarette, dans l’article intitulé « Est-ce interdit par la Halokhoh de fumer des cigarettes ? », où nous avions vu que si ces dangers n’étaient pas automatiques, et qu’un grand nombre de personnes acceptaient les risques, la Halokhoh n’interdit pas forcément une certaine activité considérée « dangereuse ».)

Sur un plan spirituel, les tatouages pourraient être un problème encore plus important d’après certains. Comme nous l'avons vu ci-dessus, le tatouage était associé à l'idolâtrie. Il était également associé à l'esclavage, où un maître marquait son serviteur d'une marque de propriété. Cela se produit encore aujourd'hui, en particulier dans les réseaux de prostitution, où les proxénètes ont souvent leur logo tatoué sur leur « propriété ». Les bovins et autres animaux sont également généralement marqués de tatouages. (Cet argument peut facilement être contré par ce que nous avons développé ci-dessus, à savoir que la Gamoro` déclare que tatouer sur sa chair l’un des noms de Hashshém n’est pas forcément interdit d’après Ribbi Shim´ôn ban Yôḥoy.)

Il y a enfin la question de la Ṣani´outh (pudeur). Pour beaucoup, les Juifs devraient respecter les normes de Ṣani´outh les plus élevées, et considèrent qu’arborer des tatouages visibles contrevient aux règles de Ṣani´outh. Ils avancent également comme argument que même si les tatouages ne sont pas visibles, ils pourraient néanmoins être interdits car les tatouages ont tendance à être placés sur des zones qui ne devraient pas être exposées pour commencer (les fesses, le bas du ventre, le dos, etc.), ce qui montre que la véritable motivation pour en avoir était perverse et que les tatouages sont souvent un moyen d'attirer l'attention alors qu’on devrait chérir la discrétion, la modestie et la pudeur en tant que Juifs.

Il convient de signaler que beaucoup de gens se font tatouer sur un coup de tête, ou dans leur jeunesse, ou sans trop de prévoyance. Le résultat est qu'environ un tiers des personnes qui se font tatouer finissent par le regretter, et environ la moitié d'entre elles demandent des procédures coûteuses de retrait de tatouage.

Je tiens à terminer en indiquant qu’il n’y a aucun texte rabbinique, ni ancien ni contemporain, qui interdise à un Juif tatoué d’être inhumé dans un cimetière juif. Ce n’est rien d’autre qu’un mythe populaire ! Mais personne ne vous privera d’une inhumation juive à cause d’un tatouage.


[1] Davorim 14 :1
[2] Makkôth 3 :6
[3] Makkôth 21a
[4] Hilkôth ´avôdhoh Zoroh Waḥouqqôth Haggôyim 12 :14-15

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