ב״ה
Le
Ramba''m et les origines du deuil
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La
Tôroh nous parle du décès de Ya´aqôv `ovinou ע״ה,
et de son enterrement dans la grotte de Makhpéloh, à Havrôn.
Elle décrit en détails la procession funèbre, à laquelle
assistèrent de nombreux dignitaires Égyptiens, ainsi que le deuil
et les éloges funèbres qui eurent lieu pour marquer la disparition
de ce grand homme. Au milieu de cette description nous sommes
introduits à l'observance d'une période de deuil de sept jours1,
une pratique que nous connaissons évidemment bien, et que l'on
appelle communément שִׁבְעָה
« Shiv´oh »
(qui signifie simplement « sept »). Il semblerait, à
première vue, que ce passage de la Tôroh soit l'origine de la
Shiv´oh, lorsque les enfants de Ya´aqôv prirent le deuil pendant
sept jours suite à son décès.
Mais
le Ramba''m ז״ל
écrit
très clairement que ce récit de la Tôroh ne constitue pas du tout
la base halakhique de l'obligation de la אֲבֵלוּת
« `avélouth »
(deuil). Citons ici ses propos tenus dans son Mishnéh Tôroh2 :
Il
est un commandement positif de prendre le deuil pour des proches,
car il est dit3 :
« Ai-je4
consommé la Hatto`th de ce jour ?5
Cela aurait-il été bien aux yeux de HaShem ? ».
Il n'y a de deuil Min Hattôroh qu'uniquement le premier jour,
c'est-à-dire le jour du décès et le jour de l'enterrement. Mais
le restant des sept jours n'est pas une loi de la Tôroh. Bien
qu'il soit dit dans la Tôroh6 :
« et il fit pour son père un deuil de sept jours »,
la Tôroh fut donnée et la Halokhoh fut renouvelée. Et Môshah
Rabbénou institua pour eux, pour les Israélites, les sept jours
de deuil et les sept jours de réjouissance.
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מִצְוַת
עֲשֵׂה לְהִתְאַבַּל עַל הַקְּרוֹבִים,
שֶׁנֶּאֱמָר
"וְאָכַלְתִּי
חַטָּאת הַיּוֹם,
הַיִּיטַב
בְּעֵינֵי ה'".
וְאֵין
אֲבֵלוּת מִן הַתּוֹרָה אֵלָא בְּיוֹם
רִאשׁוֹן בִּלְבָד,
שְׁהוּא
יוֹם הַמִּיתָה וְיוֹם הַקְּבוּרָה.
אֲבָל
שְׁאָר הַשִּׁבְעָה אֵינָן דִּין
תּוֹרָה,
אַף
עַל פִּי שֶׁנֶּאֱמָר בַּתּוֹרָה
"וַיַּעַשׂ
לְאָבִיו אֵבֶל,
שִׁבְעַת
יָמִים":
נִתְּנָה
תּוֹרָה,
וְנִתְחַדְּשָׁה
הֲלָכָה;
וּמֹשֶׁה
רַבֵּנוּ תִּקַּן לָהֶם לְיִשְׂרָאֵל
שִׁבְעַת יְמֵי אֲבֵלוּת,
וְשִׁבְעת
יְמֵי הַמִּשְׁתֶּה
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D'après
le Ramba''m, l'obligation Min Hattôroh de la `avélouth ne
s'applique que le jour du décès et de l'enterrement. L'observance
du deuil durant les six jours restants fut décrétée par Môshah
Rabbénou ע״ה
lui-même,
et ne faisait pas partie de la loi de la Tôroh qu'il reçue de Dieu
au Sinaï. Le fait que les fils de Ya´aqôv observèrent sept jours
de deuil ne reflète en rien la procédure de deuil établie par la
Tôroh donnée au Sinaï. La source de la `avélouth, d'après le
Ramba''m, est plutôt le refus de `aharôn Hakkôhén ע״ה
de
consommer la viande sacrificielle le jour du décès de ses deux
fils. Le Talmoudh considère ce verset comme étant la source de
l'interdiction éternelle de consommer des sacrifices le jour du
décès d'un proche immédiat.7
Le Ramba''m lit évidemment cette Gamoro` comme déduisant de ce
verset l'obligation générale de prendre le deuil ce jour-là. C'est
donc la remarque de `aharôn, plutôt que le récit du décès de
Ya´aqôv, qui introduit cette obligation. Et puisque ce verset ne
fait référence qu'à un seul jour, le Ramba''m conclut que
l'obligation Min Hattôroh de la `avélouth ne s'applique que le
premier jour.
Certaines
personnes pourraient se demander « Pourquoi le Ramba''m se
permet-t-il de rejeter ce passage de Baré`shith comme source de la
pratique de la Shiv´oh ? ». En fait, le Ramba''m n'a pas
pondu une telle conclusion de sa propre initiative. Le Talmoudh
Yarousholmi lui-même réfute catégoriquement ce passage de
Baré`shith comme source du deuil, car cela s'est produit avant le
Don de la Tôroh8 :
Où
déduit-on pour l'endeuillé, à partir de la Tôroh la Shiv´oh ?
« et il fit pour son père un deuil de sept jours ».
Et nous l'apprenons d'une chose qui précède le Don de la Tôroh ?
Rébbi Ya´aqôv bar `aho` a dit au nom de Rébbi Zéroh :
« Nous l'apprenons d'ici9 :
''Vous demeurerez à l'entrée de la Tente de la Rencontre, jour
et nuit, durant sept jours'' », etc.
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מניין
לאבל מן התורה שבעה ויש
לאביו אבל שבעת ימים.
ולמידין
דבר קודם למתן תורה.
ר'
יעקב
בר אחא בשם ר'
זעירה
שמע לה מן הדא ופתח
אהל מועד תשבו יומם ולילה שבעת ימים
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La
première opinion citée par le Yarousholmi rapporte effectivement ce
verset de Baré`shith comme étant l'origine de la Shiv´oh. Mais le
Yarousholmi lui-même le rejette, car des pratiques religieuses
antérieures au Don de la Tôroh ne peuvent pas servir de base à la
loi de la Tôroh. Par conséquent, la loi de la Tôroh ne peut être
déduite qu'à partir de versets qui suivent le Don de la Tôroh.
Évidemment,
bien que le Ramba''m soit d'accord avec la conclusion du Yarousholmi
concernant l'interdiction de déduire une loi de la Tôroh d'épisodes
ayant précédé le Don de la Tôroh, il n'accepte pas la conclusion
du Yarousholmi qui propose une source post Mathon Tôroh pour la
période des sept jours de deuil (d'autant plus que le verset cité
n'a rien à voir avec le deuil). Comme nous l'avons mentionné plus
haut, il suit la conclusion du Bavli, dans la Masékhéth Zavohim,
selon quoi l'obligation Min Hattôroh du deuil ne s'applique que le
jour même du décès. Mais il convient de signaler que le
Yarousholmi lui-même10
déclare explicitement, comme l'a fait ici le Ramba''m, que ce fut
Môshah Rabbénou lui-même qui décréta l'obligation d'une période
de deuil de sept jours, mais que cela ne vient pas en tant que tel de
la Tôroh. C'est un décret personnel de sa part (comme l'institution
des sept jours de réjouissance à la suite d'un mariage). Par
conséquent, nous pouvons en déduire que le Ramba''m concluait que
le passage susmentionné du Yarousholmi, qui cite un verset post
Mathon Tôroh pour soutenir la pratique de la Shiv´oh, représente
une position minoritaire parmi les Sages talmudiques. Il a, par
conséquent, adopté ce qui ressort clairement comme étant la
position normative et majoritaire, à savoir, que l'obligation Min
Hattôroh du deuil ne s'applique que le premier jour.
Le
Ramba''m suit ici la position du Ri''f11
ז״ל,
qui soutenait également que l'obligation du deuil, d'un point de vue
de la Tôroh, ne s'applique uniquement que le jour du décès et de
l'enterrement. Le Ri''f s'opposait à cet égard à la position
soutenue par Horov Hay Go`ôn12
ז״ל,
qui considérait l'intégralité de la période de sept jours de
deuil comme une obligation de la Tôroh. À l'autre extrême, nous
retrouvons les Tôsofôth ז״ל
et
le Ro`''sh13
ז״ל,
qui soutiennent qu'il absolument aucune obligation de `avélouth.
D'après cette approche, la loi de la Tôroh interdit effectivement
certaines activités avant l'enterrement d'un proche, mais elle
n'exige aucune pratique de deuil après l'enterrement, pas même le
premier jour. D'après ces Ri`shônim, la Shiv´oh ne vient pas de la
Tôroh, et ne fut pas même instituée par Môshah Rabbénou, mais
qu'il s'agit de recommandations des Sages du Talmoudh.
Ce
sujet souligne davantage le fait que ce n'est pas parce que certaines
pratiques ou croyances sont très répandues que cela signifie qu'il
s'agit de pratiques ou croyances absolues et éternelles auxquelles
tous seraient censés se plier. Contrairement à tout ce qu'on
pourrait avancer, il n'existe aucune obligation claire de prendre le
deuil pendant sept jours. D'après le Ramba''m et la position
majoritaire des deux Talmoudhin, le deuil n'est obligatoire que le
premier jour uniquement. D'après le Rov Hay Go`ôn, les sept
jours de la Shiv´oh sont obligatoires. Et d'après les Tôsofôth et
le Ro`''sh, il n'y a même pas la moindre obligation de prendre le
deuil, même le premier jour.
Ainsi,
tout va dépendre de l'autorité que vous suivez. Pour notre part,
évidemment, nous adoptons l'approche du Ramba''m et de ce qui
ressort comme étant la position dominante dans les deux Talmoudhin.
Une
prochaine fois, Dieu voulant, nous développerons cette interdiction
de déduire des lois à partir de récits ayant précédé le Don de
la Tôroh, qui est d'ailleurs semblable à celle de déduire la
Halokhoh sur base de Midhroshim, deux interdictions dont peu semblent
être au fait.
1Baré`shith
50:10
2Hilkôth
`aval 1:1
3Wayyiqro`
10:19
4`aharôn
Hakkôhén
5Le
jour du décès de ses deux fils
6Baré`shith
50:10
7Zavohim
100b
8Yarousholmi,
Mô´édh Qoton 3:5
9Wayyiqro`
8:35
10Kathoubbôth
1:1
11Sur
Barokhôth 10a
12Cité
notamment dans le Sha´aré Simhoh, un livre du Moyen-âge de
Rabbénou Yishoq ban Rabbénou Yahoudhoh `ibn Gé`ath
13Cités
par le Tour et le ´oroukh Hashoulhon, Yôréh Dé´oh 398