ב״ה
Faire
du vélo à Shabboth
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Question :
Est-il permis, d'un point de vue strictement halakhique, de rouler à
vélo le Shabboth ?
Réponse :
Tout le monde est d'accord pour dire que rouler en soi n'implique
aucune Malo`khoh de Shabboth. En effet, exercer une force sur une
pédale et par un liaison mécanique faire bouger ou stopper les
roues n'implique aucune Malo`khoh. La Halokhoh est remplie d'exemples
de mécanismes similaires, qui sont tout à fait permis, comme
exercer une pression sur le levier d'un aérosol, tirer la chasse
d'eau des toilettes ou encore faire tourner l'aiguille d'une montre
qui fonctionne. (Nous ne faisons pas tourner l'aiguille d'une montre
qui s'est arrêtée, car autrement cela équivaudrait à opérer une
« réparation » d'un objet « cassé », ce qui
est interdit.) Néanmoins, la majorité des Pôsqim modernes et
contemporains interdisent de rouler à vélo le Shabboth, et ce, pour
quatre raisons principales, dont nous allons analyser la pertinence.
- Argument n°1 : Peut-être que quelque chose sur le vélo va se casser et le cycliste aura à le réparer. Réparer est interdit.
Il
est bien connu que le Ban `ish Hay ז״ל
(Rabbi
Yôséf Hayim de Bagdad, 1835-1909) a rédigé une très longue
responsa (רָב
פְּעָלִים « Rov
Pa´olim ») dans laquelle il réfute tous les arguments avancés
pour interdire de rouler à vélo le Shabboth. Concernant ce point
précis, il écrit ceci, dans l'addenda, au tout début du Rov
Pa´olim :
J'ai entendu
certains dire que nous devrions interdire [le vélo à Shabboth là
où il y a un ´érouv] parce qu'il pourrait se casser et la personne
pourrait en arriver à le réparer. C'est également un argument vain
et qui ne mérite même pas d'être mentionné. Tout d'abord, il ne
se casse pas si facilement. En outre, nous ne devrions pas émettre
des décrets qui ne furent pas émis par les rabbins du Talmoudh, car
autrement il y aurait de nombreux objets permis qui peuvent aisément
se casser que nous devrions interdire. Nous voyons dans le Shoulhon
´oroukh Simon 339 de nombreuses choses interdites à Shabboth par
les rabbins du Talmoudh parce qu'on pourrait en arriver à écrire ou
réparer ; et pourtant, nous ne devons pas appliquer ces décrets
de notre propre initiative à des choses qui n'ont pas été
spécifiquement mentionnées par les rabbins. Ainsi, il existe de
nombreux cas où ces décrets selon quoi on pourrait en arriver à
écrire ou réparer pourraient s'appliquer mais qui sont permis parce
que les rabbins n'ont pas appliquer ces décrets à ces cas-là.
Dans
son introduction au Mishnéh Tôroh, le Ramba''m ז״ל
a
lui aussi clairement écrit que depuis que le Talmoudh a été
scellé, émettre de nouveaux décrets n'est pas autorisé. Nous ne
devons nous baser uniquement que sur ce qui a été tranché par
HaZa''l, qui avaient l'autorité biblique d'imposer des
décrets à l'ensemble du peuple d'Israël, ce qui n'est pas le cas
des rabbins post-talmudiques. Notons que le Hydo''` ז״ל
(Rabbi
Hayim Yôséf Dowidh `azoula`y, 1724-1807) écrit la même
chose1,
en précisant qu'il n'est pas permis de comparer les décrets des
rabbins les uns avec les autres, sauf lorsque le Talmoudh lui-même
fait une comparaison. En d'autres mots, ce n'est pas parce qu'une
chose semble similaire à ce qui est dit dans le Talmoudh qu'il
serait permis d'appliquer la règle à cette situation ; si le
Talmoudh dit que la règle s'applique dans tel ou tel cas, mais ne
précise pas qu'elle s'applique également à d'autres, nous ne
pouvons pas l'appliquer à ces autres cas, quand bien même ils
sembleraient être similaires. Et il cite le Sifathé Kôhén ז״ל
(Rabbi
Shabbothay ben Mé`ir Hakkôhén, 1621-1662) et le Moghén `avrohom
ז״ל
(Rabbi
`avrohom `abbélé Halléwi Gômbiner, 1635-1682) comme ayant écrit
la même chose.
S'appuyant
sur ce principe, le Ban `ish Hay rejette l'argument du vélo
qui pourrait se casser, car si l'interdiction de rouler à vélo
devait s'appuyer sur cela, il y aurait alors plein de choses que nous
ne pourrions pas faire à Shabboth à cause du risque de casser
quelque chose, puisque pratiquement n'importe quoi est susceptible de
se casser de façon inattendue, comme par exemple s'asseoir sur une
chaise dont on ne savait pas qu'elle était fragilisée. Et pourtant,
nos Sages ne nous ont pas interdit de nous asseoir à Shabboth par
crainte que la chaise puisse se casser. Cela équivaut donc à
émettre un nouveau décret.
- Argument n°2 : Peut-être que le cycliste ira au-delà du Tahoum de Shabboth, ce qui est interdit
Il
y a une interdiction rabbinique de dépasser le Tahoum
de Shabboth, c'est-à-dire de parcourir 2000 `ammôth (900 mètres)
au-delà de la dernière maison de la ville où l'on se trouve, car
on ne peut pas passer d'une ville à l'autre le jour du Shabboth.
C'est basé sur le verset suivant de la Tôroh2 :
שְׁבוּ
אִישׁ תַּחְתָּיו,
אַל-יֵצֵא
אִישׁ מִמְּקֹמוֹ--בַּיּוֹם
הַשְּׁבִיעִי « Que
chacun demeure où il est, que nul ne sorte de son endroit le
septième jour ».
Là
encore, le Ban `ish Hay rappelle l'interdiction d'émettre de
nouveaux décrets post-talmudiques. Même lorsque les Sages ont
interdit de monter un animal à Shabboth, ils n'ont pas justifié
cela en disant qu'il y avait une crainte qu'on en arrive à sortir de
sa ville si on montait son cheval ou son âne, par exemple. Par
conséquent, on ne peut interdire de monter un vélo sur base du
concept de Tahoum
Shabboth.
En
outre, signalons que l'interdiction du Tahoum
ne s'applique que lorsqu'il y a une zone d'au moins 900 mètres sans
maisons entre une ville et l'autre. En d'autres mots, si entre deux
villes il n'y a pas de zone non habitée, elles sont considérées
comme étant connectées l'une à l'autre, et la deuxième ville ne
sera alors que la continuité de la première. De ce fait, il sera
permis, sans aucun problème, de passer de l'une à l'autre pendant
le Shabboth. C'est le cas de nombreuses villes aujourd'hui, comme
notamment à Bruxelles, qui est composée de dix-neuf petites villes
qui forment le grand Bruxelles. Il n'y a aucune zone non habitée
entre la majorité de ces dix-neuf villes, et passer d'une à l'autre
est permis. Il y a également des villes qui sont tellement grandes,
comme Paris ou Brooklyn, que le risque d'aller au-delà du Tahoum
Shabboth est pratiquement inexistant.
- Argument n°3 : Rouler sur une surface en terre cause des sillons dans le sol, ce qui inclus dans la Malo`khoh de Hôrésh
Cet
argument est basé sur l'interdiction de traîner des objets lourds
sur un sol en terre par crainte de creuser des sillons. Or, nous
avions expliqué que les
objets sur roues comme les poussettes compressent le sol par le
mouvement de roulement des roues. Cela n'améliore en réalité pas
du tout le sol s'il devait y avoir un ensemencement, et cela n'est
donc pas considéré comme du Hôrésh.
(Voir l'article intitulé « Les
trente-neuf Malo`khôth : Hôrésh – Labourer ».)
Cette Malo`khoh ne peut donc pas être appliquée au vélo.
Deuxièmement,
celui qui roule n'a absolument aucune intention de creuser des
sillons dans la terre.
Troisièmement,
même si on devait dire qu'il était inévitable de creuser des
sillons en roulant en vélo sur une certaine surface en terre, le
cycliste ne roule certainement pas dans un champ sur lequel on
comptait faire pousser quelques cultures agricoles.
Enfin,
lorsque des sillons sont « creusés » d'une telle manière
« anormale » (sans pelle ou bêche), sans aucune
intention de creuser et sans tirer le moindre profit des sillons qui
auraient été causés, il n'existe là aucune transgression du
Shabboth.
Tels
sont les arguments avancés par le Ban `ish Hay.
(Il
conviendrait de relire l'article intitulé « Les
trente-neuf Malo`khôth – Travail réfléchi »,
concernant les conditions à remplir pour considérer que l'on a
accompli une Malo`khoh.)
- Argument n°4 : Rouler à vélo est une ´ouvadho` Dhahôl
La
majorité des Juifs d'aujourd'hui ne roulent pas à vélo à Shabboth
parce qu'ils considèrent que c'est une activité de semaine, et est
donc interdit à Shabboth. Le raisonnement est que puisqu'on prend
son vélo en semaine pour aller au travail, faire des courses et
d'autres types d'activités, il n'est pas permis d'en faire usage à
Shabboth, parce que cela contreviendrait à l'esprit du Shabboth.
Le
Ban `ish Hay
ne voit pas pourquoi cela devrait être considéré « activité
de semaine », d'autant plus qu'il est évident que le vélo ne
sera pas utilisé pour les activités susmentionnées. En effet, nous
avions expliqué dans l'article intitulé « Exposer
les fausses notions : ´ouvadhin Dahôl – Les activités de
semaine »,
que ce n'est pas parce qu'une activité est réalisée en semaine que
cela signifie qu'elle doit être prohibée à Shabboth. Cette notion
vient juste nous interdire les activités qui vont contre l'esprit du
Shabboth ou qui pourraient amener, si elles sont réalisées de la
façon ordinaire qu'on les accomplirait en semaine, à
l'accomplissement de Malo`khôth. Or, non seulement rouler à vélo
n'implique aucune Malo`khoh, mais en plus il est tout à fait
possible de l'utiliser pour d'autres activités qui, elles, sont en
phase avec l'esprit du Shabboth, comme rouler pour le plaisir, pour
jouer, pour visiter la famille et des amis, etc. D'ailleurs, dans
certaines circonstances, rouler en vélo est une alternative crédible
à la voiture le Shabboth.
Ainsi,
même l'argument de ´ouvadho` Dhahôl
ne s'applique pas au fait de rouler à vélo. C'est ainsi que le Ban
`ish Hay écrit3 :
Nous ne devons pas
émettre de nouveaux décrets sur la base de nos opinions propres ;
si les gens de ces générations-ci prennent soin de respecter les
décrets explicitement mentionnés par les rabbins du Talmoudh, c'est
suffisant ! Par conséquent, il est permis [de rouler à vélo]
à l'intérieur d'un ´érouv à Shabboth et Yôm Tôv, même si
c'est juste à des fins récréatives.
Le
Ban `ish Hay écrit qu'on peut même l'utiliser à l'intérieur d'un
´érouv pour aller accomplir une Miswoh,
comme par exemple un Môhél qui doit circoncire un bébé le
Shabboth, ou un Hozzon
qui doit aller diriger la prière. Et le fait de l'avoir utiliser
pour une Miswoh fait que ce n'est pas du tout une ´ouvadho` Dhahôl.
Il ajoute que puisque le cycliste se rend à vélo pour une Miswoh,
si jamais le vélo se cassait il n'en viendrait pas à chercher à le
réparer, puisqu'il aurait à l'esprit l'interdiction de réaliser
une Miswoh
sur base d'une transgression. Il n'y a donc aucune pertinence à
interdire le vélo sur base qu'il pourrait se casser, puisque celui
qui connaît l'importance du Shabboth et ses interdictions n'en
arrivera pas à faire ce qu'il sait être interdit (réparer un objet
cassé).
Si
le Ban `ish Hay
insiste sur la présence d'un ´érouv, c'est parce que porter dans
le domaine public est évidemment interdit. Si quelqu'un descend de
son vélo dans le domaine public et se met à le tirer, il accomplit
effectivement un acte de « porter », ce qui est interdit
à Shabboth sans ´érouv. S'il n'y a pas de ´érouv, on ne doit
donc pas tirer son vélo.
Ainsi,
de tous les arguments avancés contre le vélo à Shabboth, seul
celui de l'absence d'un ´érouv est pertinent. En définitive, il
est permis de rouler à vélo le Shabboth à l'intérieur d'un
´érouv.
Notons
que certaines personnes dérangées par ce Pasaq du Ban `ish Hay
ont prétendu que plus tard, il aurait changé d'avis, ce qui est
complètement faux. Et bien que la majorité des Pôsqim interdisent
de faire usage du vélo à Shabboth, même avec un ´érouv, une
minorité de Pôsqim (principalement Safaradhim) autorisent. Nous ne
devons jamais oublier que l'on ne peut pas comparer l'opinion d'un
rabbin moderne à un décret des Sages du Talmoudh ; la première
n'est contraignante que pour celui qui l'accepte ou suit ce rabbin en
question, tandis que le deuxième est contraignant sur l'ensemble du
peuple d'Israël.
1Birké
Yôséf, sur `ôrah Hayim 339
2Shamôth
16:29
3Rov
Pa´olim 1:25