lundi 16 novembre 2020

Emission de semence en vain - Les innovations de Ribbénou Ṭam

 

בס״ד

 

Emission de semence en vain : Une approche rationaliste

 


Les innovations de Ribbénou Ṭam

 

Cet article peut être téléchargé ici.

 

Pour (re)lire :

·        La première partie

·        La deuxième partie

·        La troisième partie

·        La quatrième partie

·        La cinquième partie

·        La sixième partie

·        La septième partie

·        La huitième partie

 

Dans notre dernier article, nous avons établi une nouvelle idée, introduite dans les mots de Rash’’i ז״ל, que le péché de la masturbation est celui de « gaspiller de la semence » qui aurait pu être utilisée pour produire un enfant, bien que Rash’’i n’ait pas véritablement voulu dire cela. Le petit-fils de Rash’’i, Ribbénou Ṭam ז״ל, cité dans Tôsophôth Kathoubbôth 39a, pose alors la question suivante :

 

Cela ne semble pas (correct) pour Ribbénou Ṭam, étant donné qu’une jeune femme ou une `aylônith,[1] un homme est autorisé à avoir des relations sexuelles avec elles et cela n'est pas considéré comme un gaspillage de la semence, tant que cela se fait de la manière normale des rapports sexuels.

 

Il poursuit :

 

Avant les rapports sexuels, on n'est certainement pas autorisé à utiliser un Môkh[2] car ce n'est pas dans la manière normale des rapports sexuels, et ce serait (similaire au fait de) répandre du sperme sur du bois ou des pierres, exactement comme sur un Môkh. Mais après un rapport sexuel, ce serait permis, étant donné que c'est dans la voie normale des rapports, semblable au fait d’avoir des rapports avec une jeune femme ou une `aylônith. Et la femme qui place le Môkh à l'intérieur après un rapport sexuel n'est pas interdite de détruire la semence, puisqu'elle n'est pas obligée dans le commandement de procréer ...

 

Par ces deux passages, Ribbénou Ṭam a à présent introduit plusieurs concepts complètement nouveaux :

 

1.     Une fois que l'idée de « détruire la semence » a été établie par Rash’’i, Ribbénou Ṭam a été forcé par sa compréhension des paroles de Rash’’i à répondre à une nouvelle contradiction. Comment se fait-il que l'on puisse avoir des relations sexuelles avec une femme qui ne peut pas concevoir ? (Rappelez-vous que selon le Rambo’’m ז״ל, et tous ceux qui l'ont précédé, ce n'est pas du tout un problème, car ils n'ont jamais entendu parler de cette interdiction de « gaspiller de la semence », comme nous l'avons expliqué en détail dans nos précédents articles) Ribbénou Ṭam est alors venu avec un nouveau concept pour expliquer cette contradiction : Que toute éjaculation qui se produit « de la manière normale des rapports sexuels » est considérée comme autorisée même si elle ne peut pas entraîner de grossesse. Cependant, toute éjaculation qui ne peut pas entraîner une grossesse qui ne se produit pas de la « manière normale des rapports sexuels » serait interdite.

2.     Ribbénou Ṭam introduit le concept selon lequel il y a une interdiction de gaspiller la semence, et il fait remonter son origine à la Miṣwoh de la procréation. D'une manière ou d'une autre, la Miṣwoh de procréer implique également une interdiction de « détruire la semence ».

3.     L'interdiction étant liée à la Miṣwoh de procréation, Ribbénou Ṭam peut donc faire la différence entre les hommes et les femmes. Un homme ne peut pas « détruire la semence » tandis qu'une femme le peut.

 

Analysons un peu plus profondément ces idées de Ribbénou Ṭam, car elles sont à peu près devenues la base de tant de Halokhôth dans le domaine des discussions halakhiques reproductives pour les environs 800 années qui ont suivi son époque.

 

·        La manière normale des relations sexuelles

 

Ce nouveau concept, comme vous pouvez facilement l'imaginer, ouvre une gigantesque boîte de pandore. Permettez-moi de vous rappeler à quel point la vie halakhique était facile à l'époque pré-Ribbénou Ṭam. Comme nous l'avons vu avec le Rambo’’m, tant que vous n'ignorez pas votre obligation de procréer, et tant que vous êtes dans une relation sexuelle appropriée, il n'y a plus de règles concernant le « déversement de la semence ». Citons à nouveau le Rambo’’m :[3]

 

L’épouse de l’homme lui est permise. Par conséquent, tout ce que l’homme veut faire avec sa femme, qu’il le fasse ! Il peut avoir des relations sexuelles avec elle à tout moment qu'il désire, et il peut l'embrasser sur tout organe qu'il désire, et il peut aller sur elle de manière normale[4] ou de manière anormale,[5] ou par la voie des organes.[6]

אִשְׁתּוֹ שֶׁלָּאָדָם, מֻתֶּרֶת הִיא לוֹ; לְפִיכָּךְ כָּל מַה שֶׁאָדָם רוֹצֶה לַעֲשׂוֹת בְּאִשְׁתּוֹ, עוֹשֶׂה--בּוֹעֵל בְּכָל עֵת שֶׁיִּרְצֶה, וּמְנַשֵּׁק בְּכָל אֵבֶר שֶׁיִּרְצֶה, וּבָא עָלֶיהָ בֵּין כְּדַרְכָּהּ, בֵּין שֶׁלֹּא כְּדַרְכָּהּ, בֵּין דֶּרֶךְ אֵבָרִים

 

Cependant, maintenant avec Ribbénou Ṭam, nous avons soudainement quelque chose de nouveau. Si quelqu'un se livre à une forme quelconque de relations sexuelles extra-vaginales et éjacule lors de ce type d’activités sexuelles avec sa femme, il a maintenant transgressé cette nouvelle loi ! En fait, cela régit même les dispositifs contraceptifs qu'il peut utiliser. Alors que selon TOUS les Pôsaqim pré-Ribbénou Ṭam, l'utilisation de la contraception de barrière était considérée comme acceptable dans les cas où la grossesse était malsaine pour la femme, soudainement l'utilisation de la contraception de barrière est maintenant interdite pendant les rapports sexuels. Les ramifications halakhiques de cette idée sont immenses. Cette loi est passée d'une Halokhoh qui encourage la procréation et la moralité sexuelle à une Halokhoh qui réglemente le type d’activité sexuelle acceptable entre un mari et une femme (alors que la Halokhoh authentique a autorisé tout type d’activité sexuelle dans un couple, sans restriction). C’est tout bonnement stupéfiant !

 

·        Gaspiller de la semence = transgression de la Miṣwoh de procréation

 

Cette idée de Ribbénou Ṭam est à peu près aussi révolutionnaire que la première. Dans toutes les autres discussions halakhiques à l'époque pré- Ribbénou Ṭam, il était bien entendu que se livrer à des activités sexuelles conçues pour éviter d'accomplir la Miṣwoh de procréer était découragé, et même comparé au meurtre. Cependant, il était également entendu que tant que l'on n'ignorait pas son obligation de peupler la Terre, les activités sexuelles dans des relations appropriées étaient parfaitement acceptables, même si elles ne pouvaient pas provoquer de grossesse. C'est parce que personne n'a jamais entendu parler de cette interdiction de « gaspiller la semence ». Mais maintenant, Ribbénou Ṭam nous dit que la Miṣwoh de la Ṭôroh de procréer comprend une interdiction de gaspiller la semence. On ne sait pas exactement comment il tire cela des versets de la Ṭôroh, mais c'est ce qu'il dit ! Maintenant, cette « interdiction » est élevée au rang d’une loi de la Ṭôroh, une interdiction ayant une origine dans la Ṭôroh.

 

·        Seulement pour les hommes

 

Le troisième résultat logique de l’opinion de Ribbénou Ṭam est que cette interdiction de gaspiller de la semence ne s’applique qu’aux hommes, à qui il est ordonné de procréer, et non aux femmes qui ne sont pas considérées comme obligées de procréer. (Les origines de cette différenciation entre les sexes sortent du cadre de cet article.) Si tel est le cas, nous sommes repartis avec une étrange dichotomie entre les deux individus impliqués dans cette rencontre hétérosexuelle entre une femme et son conjoint. Elle n'est pas interdite de tout acte, même de « gaspiller » la semence de son mari, mais lui ne peut rien faire d'autre qu’avoir avec elle des relations sexuelles qui se terminent obligatoirement par une éjaculation intra-vaginale !

 

Cela n’a AUCUNE logique ! Un homme aurait l’obligation de procréer, et à cause de cela il ne devrait toujours éjaculer que dans le vagin…mais comme sa femme n’a pas l’obligation de procréer elle pourrait s’arranger après l’éjaculation intra-vaginale pour détruire la semence de son mari… Donc, finalement, le mari a-t-il Procréé ? Et la Miṣwoh est-elle de procréer ou d’éjaculer dans le vagin ? Et toute éjaculation ne cause pas nécessairement une grossesse, loin de là ! Ce sont là les contradictions créées par les innovations de Ribbénou Ṭam inexistantes dans les écrits des Ṭanno`im, `amôro`im, Ga`ônim et Ri`shônim l’ayant précédé.

 

·        Les autres Ba´alé Ṭôsophôth répondent à Ribbénou Ṭam

 

L'un des principaux problèmes de l'approche de Ribbénou Ṭam, est qu'elle soulève tant de contradictions et de difficultés avec d'autres passages du Ṭalmoudh. Après tout, lorsque le Rambo’’m autorisait les relations sexuelles anales et toutes sortes de pratiques sexuelles (dans une relation appropriée), y compris l'utilisation de toutes les parties du corps pour le plaisir, il citait le Ṭalmoudh lui-même ! Alors, comment Ribbénou Ṭam pouvait-il prétendre qu’il y aurait une interdiction biblique d’éjaculer à l’extérieur du vagin, même dans des relations sexuelles avec sa propre femme ?

 

Ces questions ont bien sûr été soulevées par plusieurs Ba´alé Ṭôsophôth (talmudistes, principalement de France et d'Allemagne, essentiellement des disciples, gendres, et descendants de Rash’’i, qui se sont succédés sur une période d’environs 200 ans à partir du milieu du 12ème siècle) qui ont suivi Ribbénou Ṭam. Ces talmudistes ont tous contribué aux « Ṭôsophôth », qui sont des ajouts aux arguments de va-et-vient dans le texte du Ṭalmoudh lui-même. Les deux plus connus pour traiter cette question sont Ribbénou Yiṣḥoq ban Shamou`él ז״ל de Dampierre (France, 1115-1184), également connu sous le nom de « R’’i Hazzoqén », et Ribbénou Yasha´yohou di Trani ז״ל de Venise (Italie, 1180-1250), également connu sous le nom de « Ṭôsophôth Ri’’d ».

 

Ces deux Ba´alé Ṭôsophôth avaient un problème avec Ribbénou Ṭam. Au début, ils comprenaient les paroles de Rash’’i de la même manière que Ribbénou Ṭam, c'est-à-dire qu'il y a un problème inhérent au « gaspillage de la semence ». Cependant, ils devaient concilier cela avec le fait que dans de nombreux cas, le Ṭalmoudh autorise explicitement l'éjaculation même lorsque la grossesse ne va pas se produire. Au bout du compte, ils ne pouvaient pas accepter l'interprétation de Ribbénou Ṭam. Ce qu'ils ont fait essentiellement, c'était d'expliquer Rash’’i exactement comme je l'ai fait dans le dernier article : Ce gaspillage de sperme n'est un problème que lorsque l'on le fait régulièrement et explicitement pour tenter d'éviter d'accomplir la Miṣwoh de la procréation. Cependant, lorsque cela est fait dans le cours habituel de l'activité sexuelle normale autorisée, il n'y a pas d'interdiction de « gaspiller la semence ». Voici précisément leurs propres mots :[7]

 

... En outre, Ribbénou Yiṣḥoq[8] dit que cela n'est pas considéré comme l’acte de ´ér et `ônon à moins qu'une personne n'ait l'intention de gaspiller la semence et le fasse de manière systématique.[9] Cependant, si par hasard, lorsqu'une personne peut désirer avoir des relations atypiques avec sa femme d'une manière différente,[10] cela serait alors autorisé, comme l'enseigne le Ṭalmoudh[11] : « Tout ce qu'un homme désire faire (sexuellement) avec sa femme, il peut le faire » ...

 

Ici, Ribbénou Yiṣḥoq autorise explicitement la masturbation et d'autres pratiques sexuelles et ne voit aucun problème avec une supposée interdiction de « répandre la semence » à moins que cela ne soit fait sur une base systématique avec l'intention de ne pas accomplir la Miṣwoh de procréation. Tant que cela se fait dans le cadre d'une relation sexuelle acceptable et que ce n'est pas systématique, il n’y a aucun problème. Ribbénou Yasha´yohou di Trani le dit plus clairement (discutant de la décision talmudique permettant d'éviter une grossesse par la méthode du retrait - éjaculation externe - dans les cas où la grossesse peut être nocive pour la femme) :[12]

 

... et si tu demandes « Comment se fait-il que les rabbins aient permis d'éjaculer du sperme et de faire exactement les actions de ´ér et de `ônon ? ».[13] La réponse : Quels sont les actions de ´ér et `ônon interdites par la Ṭôroh ? Toute personne dont l'intention est que sa femme ne tombe pas enceinte afin que sa beauté ne soit pas diminuée, et il ne désire pas remplir son obligation de procréer avec elle. Mais si son intention est qu’elle ne soit pas mise dans (une situation de) danger, c’est permis. Et si son intention est (simplement de) satisfaire les désirs de son cœur et que son intention n'est pas d'empêcher une grossesse, c’est également permis ... Quelqu'un dont l'intention est d'accomplir ses désirs sexuels n'est pas en train de commettre (le péché de `ônon) parce que tout ce qu'une personne veut faire (avec) sa femme, il peut le faire, et cela n'est pas considéré comme « détruire la semence » car (si cela était considéré ainsi) on ne pourrait jamais avoir de rapports sexuels avec une femme plus jeune ou une `aylônith ou une femme stérile.

 

Ici, Ribbénou Yasha´yohou di Trani autorise à nouveau explicitement la masturbation et le déversement de semence, tant que cela se situe dans le contexte d'une relation autorisée. Il rejette clairement la possibilité que Rash’’i ait voulu dire que gaspiller la semence en soi serait une sorte d'interdiction. Ceci est bien sûr cohérent avec tous les passages talmudiques que nous avons étudiés jusqu'à présent.

 

Encore une fois, ces deux grands savants, même après les commentaires de Rash’’i pris hors contextes, ont néanmoins encore compris que la Halokhoh était exactement en adéquation avec l’approche du Rambo’’m que nous avions décrite en détails dans la septième partie, avant bien sûr qu’une phrase sournoise n’ait été ajoutée frauduleusement dans le texte du Mishgnéh Ṭôroh au 13ème siècle - dont nous avons discuté à la fin de la septième partie. Malgré l’honnêteté intellectuelle de ces deux Ba´alé Ṭôsophôth et leurs tentatives de restaurer la vérité de la Halokhoh sur ce sujet, les paroles de Ribbénou Ṭam allaient néanmoins avoir plus d'influence sur le développement futur de la Halokhoh. Dans le prochain article, je vais commencer à retracer comment cela s'est passé.



[1] Une femme incapable de concevoir.

[2] Une sorte d’éponge contraceptive que la femme insère dans son vagin pour bloquer le sperme.

[3] Mishnéh Ṭôroh, Hilkôth `issouré Bi`oh 21 :10

[4] C’est-à-dire, par une relation vaginale.

[5] C’est-à-dire, par une relation anale.

[6] C’est-à-dire, tirer du plaisir sexuel de n’importe quel organe ou membre du corps de son épouse, sans aucune restriction.

[7] Ṭôsophôth Yavomôth 34b

[8] Ribbénou Yiṣḥoq ban Shamou`él de Dampierre

[9] Ce qui est l’indicateur que son intention est clairement que son conjoint ne tombe pas enceinte, et que lui ne veut pas accomplir sa Miṣwoh de procréation.

[10] Par exemple, une relation anale, buccale, etc.

[11] Nadhorim 20b

[12] Ṭôsophôth Ri’’d, Yavomôth 12a

[13] Puisque le texte biblique dit explicitement qu’ils ont utilisé la méthode du retrait (« coït interrompu »).

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