בס״ד
Emission de semence en vain : Une approche
rationaliste
Ribbénou Yônoh, le Samo’’q et
d’autres
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Pour (re)lire :
L'influence des Ḥasidhé ˋashkanaz ne s'est pas limitée aux Juifs
français et allemands. Leurs frères séfarades du Sud étaient en contact étroit avec
eux et les Ṭalmidhim voyageaient dans les deux sens de l'Espagne à la France et
à l'Allemagne pour étudier sous la direction des grands maîtres de chacune de
ces écoles. Le savant espagnol le plus célèbre et sans doute le plus important
à fréquenter une Yashivoh des Ṭôsophôth en France fut Ribbénou Yônoh
ban ˋavrohom
ז״ל de Gérone (1200-1263), également connu tout simplement sous le nom de
« Ribbénou Yônoh ». Il devint un pont entre les penseurs plus
mystiques et moins « rationalistes » des Ṭôsophôth, et les savants espagnols
connus pour être plus « rationalistes » et terre à terre. Cet impact
allait être profond et extrêmement important pour comprendre comment la Halokhoh
en général s'est développée au fil du temps. Cet impact était évidemment
beaucoup plus large que la simple question de la masturbation, mais nous
pouvons presque utiliser ce sujet comme cas d’école pour le développement de la
Halokhoh en général.
Au début de sa vie de jeune Boḥour Yashivoh,
Ribbénou Yônoh était membre de l'une des plus grandes familles rabbiniques de
l'histoire de l'Espagne juive. Son cousin germain n'était autre que Naḥmanide, Ribbénou
Môshah ban Naḥmon ז״ל, également connu sous le nom de
« Rambo’’n », peut-être le plus grand rabbin espagnol de tous
les temps (la mère du Rambo’’n était la sœur de Ribbénou ˋavrohom ז״ל, le père de Ribbénou Yônoh). Le
jeune Yônoh est allé étudier en France à la Yashivoh d'Evreux en
Normandie. Les dirigeants de la Yashivoh d'Evreux étaient deux
frères, Ribbénou Shamouˋél ban Shanéˋour et Ribbénou Môshah ban Shanéˋour d'Evreux. Tous deux étaient des Ṭôsophôth bien
connus, et tous deux étaient fortement influencés par la force sociale et
religieuse dominante dans la communauté juive ashkénaze à l'époque, le
mouvement des Ḥasidhé ˋashkanaz. C'est là que Ribbénou Yônoh a
absorbé l'esprit des « Ashkénazes ». Plus tard, il s’est rendu
au sud, plus près de son Espagne natale, et a étudié sous un autre des Ṭôsophôth,
Ribbénou Shalômôh ban ˋavrohom de Montpellier, également connu sous le nom de
« Ribbénou Shalômôh Min Hohor » (Ribbénou Shalômôh
« de la montagne »). La géographie est ici très importante, car
Montpellier se trouve dans le sud de la France, beaucoup plus proche de
l'Espagne qu'Evreux, et était un point de contact fréquent entre les Ṭôsophôth
et leurs frères espagnols rationalistes.
L'affrontement autour des œuvres du
Rambo’’m ז״ל est bien sûr le résultat le plus célèbre et l'un des événements les
plus catastrophiques de l'histoire de l'érudition juive au moyen âge. La vie et
l'héritage de Ribbénou Yônoh sont presque définis par cet événement. Imprégné
des enseignements mystiques et plus littéralistes des Ṭôsophôth, il n'est pas
difficile de comprendre comment Ribbénou Yônoh a initialement réagi aux idées
beaucoup plus rationalistes et philosophiques du Rambo’’m. Cette dispute a
débordé dans l'arène publique et a tragiquement conduit à l'implication des
autorités catholiques françaises. L'Église française était très heureuse de se
joindre à la condamnation des œuvres philosophiques du Rambo’’m, considérée
comme le plus grand savant juif du moyen âge, peut-être le plus grand de tous
les temps. En grande partie à l'instigation de Ribbénou Yônoh, les autorités
françaises ont brûlé publiquement les œuvres du Rambo’’m à Paris en 1233.
Le public juif a été horrifié par cette
souillure de l'un des plus grands dirigeants juifs de tous les temps. Leur
colère fut dirigée contre Ribbénou Yônoh pour avoir instigué cette horrible
profanation. À son honneur, Ribbénou Yônoh a assumé la responsabilité de la
profanation, et il s'est levé publiquement devant la synagogue de Montpellier
et a exprimé ses remords pour sa terrible erreur. Il passa le reste de sa vie à
étudier et à enseigner les œuvres du Rambo’’m et se consacra à l'enseignement
du repentir et à la lutte pour la justice sociale. Il fit la promesse de se
rendre en Terre Sainte sur la tombe du Rambo’’m pour implorer son pardon, mais
est malheureusement mort en cours de route.
Bien qu'il n'ait pas atteint la tombe du
Rambo’’m, il a laissé un grand héritage pour nous tous. Il nous a appris que
même après avoir fait une action terrible, on peut se consacrer au bien. Il a
laissé derrière lui peut-être l'ouvrage le plus célèbre de la littérature juive
sur le repentir, « Sha´aré Thashouvoh » (« Les
Portes de la Repentance »). Ses enseignements sur la justice sociale
ont eu un impact durable.
Dans son ouvrage, Sha´aré Thashouvoh,
il énumère les péchés pour lesquels on encourt la peine de מִיתָה בִּידֵי שָׁמַיִם « Mithoh Bidhé Shomayim » ou « mort
par décret céleste ». Ribbénou Yônoh divise la Mithoh Bidhé Shomayim
en deux catégories : les péchés qui encourent la Mithoh Bidhé Shomayim et qui
sont répertoriés comme tels par ḤaZa’’l, et ceux qui ne sont pas répertoriés
par ḤaZa’’l mais peuvent être déduits d'autres sources. Parmi les péchés qu'il déduit
d'autres sources, il énumère la masturbation de la manière suivante :[1]
.... Celui qui a des relations sexuelles avec un
enfant, et celui qui a des relations sexuelles avec sa main ou son pied
(vraisemblablement par contact sexuel avec un autre mais pas de rapports
sexuels réels), et nos rabbins de mémoire bénie ont déclaré que sa punition est
comme la punition de la génération du déluge parce qu'ils ont gâché leur voie
normale (et ont eu des relations sexuelles avec des enfants et des rencontres
sexuelles avec d'autres en utilisant leurs mains, etc.), et de même quelqu'un
qui fait les actions de ´ér et ˋônon,
en ce qu’ils se retirent et éjaculent afin de détruire la semence encourt la
peine de mort, comme l’Ecriture le déclare, « et c'était mauvais aux
yeux de ˋadhônoy
ce qu'il a fait (ˋônon) et Il le tua aussi »
et cela se réfère aussi à ceux qui émettent du sperme en vain…
Il est important de noter que Ribbénou
Yônoh a divisé ce péché en deux catégories, la première se réfère à l'abus
sexuel des enfants et aux relations sexuelles avec d'autres personnes qui
impliquent l'éjaculation par l'utilisation de « mains et pieds »
ou de toute sorte d'activité sexuelle autre que les rapports vaginaux. C'est
ainsi qu'il comprenait le péché désigné par les mots כִּי-הִשְׁחִית
כָּל-בָּשָׂר אֶת-דַּרְכּוֹ « car toute chair avait détruit sa voie
normale »[2] au sujet
de la génération du déluge. La deuxième catégorie était l'émission de sperme en
vain, dans laquelle il incluait le retrait avant l'éjaculation, et toute personne
qui « répand de la semence ». Dans le Séphar Hayyirˋoh, Ribbénou Yônoh indique clairement que d’après sa
compréhension il existerait un péché distinct de répandre de la semence, même
dans le contexte d'une relation appropriée :[3]
... (quand il a des relations avec sa femme), il ne
devrait pas avoir l'intention de faire l'acte juste pour son plaisir (mais
plutôt avec l'intention d'accomplir la Miṣwoh) et il devrait être aussi prudent
que possible pour ne pas émettre son sperme en vain ...
Nous pouvons relever plusieurs
innovations de Ribbénou Yônoh, qui a encore développé l'interdiction de « répandre
de la semence » de manière très significative à un niveau jamais
atteint avant lui :
1.
Ribbénou Yônoh a maintenant officiellement déclaré qu'il y a
un péché distinct de « répandre de la semence » qui n'est pas
lié à la question de l'immoralité ou à la question de ne pas accomplir la Miṣwoh
de la procréation. En cela, il suit
l'exemple de Ribbénou Ṭam, mais va plus loin que Ribbénou Ṭam, comme dans le
point 2 suivant ;
2. Contrairement à Ribbénou Ṭam qui
supposait que le péché de répandre de la semence était lié à la Miṣwoh de la
procréation, Ribbénou Yônoh a maintenant déclaré
qu'il avait ses origines dans le péché de ´ér et ˋônon ;
3. Maintenant que la semence
répandue est liée à ´ér et ˋônon,
celui qui répandrait sa semence encourrait la punition de Mithoh Bidhé Shomayim,
la peine de mort céleste. Ribbénou Yônoh est le
premier à relier directement la peine de mort au déversement de la semence ;
4.
Ribbénou Yônoh conclut donc également que ce péché de
répandre de la semence s'applique même dans une relation conjugale normale.
Il est vraiment étonnant de voir comment
une activité entièrement autorisée par le Ṭalmoudh, le Rambo’’m, le Ṭôsophôth
Ri’’d, le R’’i Hazzoqén, etc., a maintenant été déclarée être une véritable
interdiction de la Ṭôroh pour laquelle on encourrait la peine de mort !
La dernière étape dans l'évolution de
l’interdit fut d'utiliser le terme employé pour la première fois par Rash’’i, הַשְׁחָתָה « Hashḥothoh », et de traduire les deux
endroits du Séphar Baréˋshith où ce terme est utilisé comme se référant au
péché de répandre de la semence. Ces deux endroits sont :
·
Baréˋshith 6 :12
Et ˋalôhim
regarda la Terre, et, voici, elle était détruite,
car toute chair avait détruit sa voie ordinaire sur la Terre. |
וַיַּרְא אֱלֹהִים אֶת-הָאָרֶץ, וְהִנֵּה
נִשְׁחָתָה: כִּי-הִשְׁחִית כָּל-בָּשָׂר אֶת-דַּרְכּוֹ, עַל-הָאָרֶץ |
·
Baréˋshith 38 :9
Et ˋônon savait que la semence ne serait pas à lui. Et
lorsqu’il venait vers l’épouse de son frère, il
détruisait à terre pour ne pas donner une semence à son frère. |
וַיֵּדַע אוֹנָן, כִּי לֹּא לוֹ יִהְיֶה הַזָּרַע;
וְהָיָה אִם-בָּא אֶל-אֵשֶׁת אָחִיו, וְשִׁחֵת אַרְצָה, לְבִלְתִּי נְתָן-זֶרַע, לְאָחִיו |
Jusqu'à présent, dans TOUTE la
littérature juive, le terme הַשְׁחָתָה « Hashḥothoh »,
lorsqu'il était utilisé en référence au déluge, avait toujours été compris
comme signifiant une immoralité générale ou « corruption » (par
exemple, le fait d’avoir des relations sexuelles homosexuelles ou avec des
animaux ; le fait de voler les biens d’autrui sans en ressentir la moindre
honte, etc.). Le terme הַשְׁחָתָה « Hashḥothoh »
tel qu'utilisé dans l'histoire de ˋônon, faisait clairement référence à la méthode de
retrait (coït interrompu), et le problème était compris comme un rejet du but
d'une relation, à savoir, procréer. ˋônon en avait fait une relation purement sexuelle et
il refusait d'avoir des enfants avec elle. Cependant, maintenant le terme הַשְׁחָתָה « Hashḥothoh », suite aux innovations de
Ribbénou Yônoh, signifie « répandre de la semence ».
La prochaine étape logique est de supposer
que même la génération du déluge a été tuée à cause de la masturbation !
Le cousin germain de Ribbénou Yônoh, le Rambo’’n conclut exactement cela dans
son commentaire du passage talmudique de Yavomôth, où Ribbénou Ṭam a
soulevé pour la première fois l'idée que « répandre de la semence »
était un péché en soi. Le Rambo’’n n'est pas d'accord avec l'affirmation de Ribbénou
Ṭam selon laquelle la source du péché proviendrait de la Miṣwoh de la
procréation, à partir de laquelle il déduit que seuls les hommes sont interdits
de détruire la semence et non les femmes. Au contraire, le Rambo’’n dit que l'interdiction
découle de la génération du déluge, qui incluait toute la génération, hommes et
femmes.
Le premier ouvrage strictement
halakhique qui a finalement codifié cette nouvelle compréhension de Ribbénou
Yônoh et du Rambo’’n fut le « Séphar Miṣwôth Qoton », connu
sous le nom de « Samo’’q », rédigé par Ribbénou Yiṣḥoq
ban Yôséph de Corbeil (mort en 1280). Encore un français ! Il écrit :[4]
On ne peut pas détruire la semence, comme il est
dit : « Tu ne commettras pas d’adultère » - on ne doit pas
donner du plaisir au nez, comme ceux qui émettent de la semence avec leurs
mains et leurs pieds, et à ce sujet les rabbins enseignaient, « Tu ne
commettras pas d’adultère » - ceci est un avertissement à quelqu'un qui
aide les autres à commettre l'adultère. Et quand on détruit de la semence, on (transgresse)
quelque chose pour lequel on encourt la peine de mort, comme il est dit (pour ˋônon) « et Hashshém le tua aussi »
Le Samo’’q est la dernière
étape du processus qui a commencé avec Rash’’i consistant à utiliser le terme הַשְׁחָתָה « Hashḥothoh » comme se référant à la
destruction de la semence. Les principaux points que nous apprenons des
quelques mots du Samo’’q sont les suivants :
1.
Le péché mentionné dans la Gamoroˋ de Niddoh de « Hôṣoˋath Zara´ Labbattoloh » serait synonyme de « Hashḥothath Zara´ »
- « destruction de semence » ;
2. L'origine est dans deux
interprétations rabbiniques de l'une des Dix Paroles, « Lôˋ Thinˋoph » -
« Tu ne commettras pas d'adultère » ;
3.
Le déversement de semence et la peine de mort sont désormais codifiés
dans un ouvrage halakhique.
Je ne peux pas terminer cet article sans
commenter les deux sources rabbiniques que la Samo’’q a
frauduleusement utilisées pour relier le gaspillage de semence au commandement interdisant
l'adultère.
Sa première source était le Pasiqṭoˋ Rabbothi 24.
Le Pasiqṭoˋ
y présente un jeu de mot sur les mots « Lôˋ Thinˋoph »
et en tire la leçon לֹא תְהַנֶּה לְאַף « Lôˋ Thahénnah Laˋaph »
que j'ai traduit par « ne fais pas plaisir au nez ». Je sais
que cela semble étrange pour ceux qui ne sont pas familiers avec l'exégèse
rabbinique. Ce qu'ils voulaient dire, c'est que « le nez » est
une référence à la colère de Hashshém ית׳, au fait de
mettre Hashshém en colère. En se basant sur le contexte, cela signifierait ne pas s’adonner à des activités qui ne sont peut-être pas
exactement de l'adultère mais qui peuvent conduire à une atmosphère qui décevrait
Hashshém, probablement parce que cela pourrait conduire à
l'adultère. C’est le Samo’’q lui-même,
sans que cela ne se retrouve dans sa source, qui déduit par lui-même, que gaspiller
de la semence est un péché inclut dans l’interdiction de l’adultère !
C’est malheureusement une pratique classique même dans l’orthodoxie contemporaine
de rapporter un enseignement de la littérature rabbinique, mais seulement à
moitié, sans expliquer le contexte, et faire croire que cette source rabbinique
soutiendrait un certain point de vue, ce qui souvent n’est pas le cas ! C’est
pour cela que j’ai estimé essentiel de montrer le contexte de ces sources
rabbiniques citées sans la moindre explication ni commentaire par le Samo’’q.
La seconde source est tirée du Ṭalmoudh
au traité Shavou´ôth 47b. Là encore, le Ṭalmoudh utilisait
l'exégèse rabbinique classique pour tirer une leçon :
Shim´ôn ban Ṭarphôn a dit : Il y a un
avertissement (dans la Ṭôroh) contre le fait d'être complice d'un adultère,
comme il a été dit : « Lôˋ Thinˋoph »
(qui peut aussi être lu comme) לֹא תַּנְאִיף « Lôˋ Thanˋiph »
(il ne faut pas aider les autres à commettre ces péchés).
Là encore, come vous le constatez par
vous-mêmes, cette source n’a rien à voir avec la masturbation, le gaspillage de
semence, etc.
Aucune de ces citations ne dit quoi que
ce soit sur le déversement ou le gaspillage de semence, ni même n’exprime la moindre
déclaration halakhique, et les deux mettent simplement en garde contre la
création d'un environnement de promiscuité et d’immoralité pouvant mener à l’adultère.
Pas plus, pas moins ! Mais après que le Samo’’q ait eu le culot
de tirer de telles conclusions fallacieuses, ces sources sont devenus de nouvelles
« preuves » dans la Ṭôroh elle-même. Depuis lors, la
masturbation a été insérée dans les Dix Paroles dans la catégorie de l’interdiction
de l’adultère ! Et les orthodoxes, comme des chrétiens, acceptent de
telles conclusions et comparaisons, sans même d’aller prendre la peine de lire
ces sources par eux-mêmes et constater que les conclusions du Samo’’q
sont erronées et sont une manipulation éhontée du sens véritable de ces
sources.
Nous avons ainsi vu comment le fait de
répandre de la semence est entré dans le monde de la Halokhoh. Dans
notre prochain article, je ferai une pause dans le processus halakhique, et
regarderai un peu comment le monde mystique de la Qabboloh a influencé le
développement de l’interdiction supposée de la masturbation, et jetterai
également un regard sur l'influence chrétienne et l'influence des connaissances
du monde de la médecine séculière aussi. Nous finirons par revenir au processus
halakhique et retracer le péché au fur et à mesure qu'il sera introduit par les
principaux codificateurs, le Tour, le Shoulḥon ´oroukh et au-delà.
[4] Lôˋ Tha´asah n°292