ב״ה
Yôkhavadh
et la durée de l'asservissement égyptien
Cet
article peut être téléchargé ici.
Question :
Il
y a quelque chose qui me trouble énormément dans la Tôroh. Si
Yôkhavadh était la fille de Léwi (le fils de Ya´aqôv `ovinou),
la tante et épouse de ´amrom, et la mère de Môshah Rabbénou, il
est difficile de parvenir à 210 ans d'asservissement, et encore
moins à 400 ans. Comment peut-on résoudre ce problème apparent ?
Réponse :
La
durée d'asservissement en Égypte des Israélites fut de 210 ou 400
ans. Et effectivement, si la durée de vie de Yôkhavadh ע״ה
et
celle de Môshah Rabbénou ע״ה
s'étendent
tout au long de cette longue période d'asservissement, il y a un
énorme problème. Disons qu'elle dura 210 ans. Môshah Rabbénou
délivra les Israélites à l'âge de 80 ans. 210-80=130. Si
Yôkhavadh est née, comme le dit le Midhrosh, au moment où Ya´aqôv
`ovinou ע״ה
et
ses fils passèrent les portes de l’Égypte, elle devait alors
avoir 130 ans lorsqu'elle a accouché de Môshah Rabbénou !
C'est le calcul de Rash''i ז״ל,
basé sur le Midhrosh. (Et si nous disons que l'asservissement a duré
400 ans, elle avait alors 320 ans en accouchant de Môshah
Rabbénou !)
Nous
avons déjà expliqué à maintes reprises les problèmes auxquels on
se heurtait en prenant littéralement les Midhroshim, et le fait que
de très nombreux Sages et Ri`shônim, comme le Ramba''m ז״ל,
le Ramba''n ז״ל,
le `ibn ´azro` ז״ל,
et d'autres, ont dénoncé la lecture littérale des Midhroshim. Par
exemple, nous avions montré dans l'article intitulé « Rivqoh
avait-elle trois ans lorsqu'elle a épousé Yishoq ? »
comment le Ramba''n et le ibn ´azro` rejetaient l'affirmation de
Rash''i selon quoi Rivqoh `imménou ע״ה
aurait
été âgée d'à peine trois ans lorsqu'elle se maria à Yishoq
`ovinou ע״ה.
Rahmono` Lislon de croire une telle chose ! (Ce
calcul de Rash''i est basé sur une affirmation erronée selon quoi
Soroh `imménou ע״ה
serait
décédé le jour de la ´aqédhoh.)
Là
aussi, dans le cas qui nous occupe actuellement, le `ibn ´azro` et
le Ralba''g rejettent des deux mains ce calcul de Rash''i, parce que
c'est un miracle plus grand encore que celui par lequel Soroh
`imménou a accouché de Yishoq `ovinou à l'âge de 90 ans,
et si ce miracle supérieur avait été réel la Tôroh nous en
aurait certainement parlé. Par conséquent, ils placent tous deux la
naissance de Yôkhavadh beaucoup plus tard, de sorte qu'elle n'était
pas si âgée lorsqu'elle donna naissance à Môshah Rabbénou.
Le
Ramba''n s'oppose lui aussi à la conclusion de Rash''i, mais fait
remarquer une faille apparente dans le raisonnement du `ibn ´azro`
et du Ralba''g : si l'on situe la naissance de Yôkhavadh
beaucoup plus tard que la descente en Égypte, on est confronté à
un autre « miracle ». En effet, puisque la Tôroh déclare
que Yôkhavadh était la fille de Léwi ע״ה,
qui lui-même était le fils de Ya´aqôv `ovinou, cela voudrait dire
Léwi a engendré Yôkhavadh à un âge très très avancé, que
l'asservissement ait duré 210 ans ou 400 ans (et évidemment, s'il a
duré 400 ans, Léwi et Yôkhavadh étaient extraordinairement vieux,
au-delà de toute raisons, lorsque Môshah Rabbénou est né.) Nous
sommes donc devant une impasse !
Mais
en réalité, le problème ne se trouve pas du tout dans le texte de
la Tôroh, qui est parfait, mais dans les interprétations qui en ont
été faites par X et Y, au point que les gens supposent que tout
commentaire qu'ils ont lu sur un texte de la Tôroh est forcément le
sens que le texte a et qu'il n'existe qu'une seule lecture possible,
celle qu'on leur a enseignée. Mais ce qu'ils oublient, est que ces
commentaires sont souvent basés sur des suppositions, et
contredisent à l'occasion le sens simple du texte. Et ici, ces
erreurs de compréhension sont nées de trois versets différents. Le
premier est celui-ci1 :
Un
homme de la maison de Léwi partit et prit une fille de Léwi.
|
וַיֵּלֶךְ
אִישׁ,
מִבֵּית
לֵוִי;
וַיִּקַּח,
אֶת-בַּת-לֵוִי
|
En
lisant ce verset, beaucoup supposent donc que Yôkhavadh était l'une
des filles de Léwi, le fils de Ya´aqôv `ovinou. De ce fait, il n'y
aurait que trois générations à la durée de l'asservissement
égyptien, à savoir, Léwi, Yôkhavadh, et Môshah Rabbénou. Or,
בַּת-לֵוִי
« Bath
Léwi – fille de Léwi » peut très bien également vouloir
dire que Yôkhavadh était une femme de la tribu de Léwi,
c'est-à-dire une Lévite, exactement comme ´amrom ע״ה
est
décrit, dans le même verset, comme étant אִישׁ,
מִבֵּית
לֵוִי « `ish
Mibbéth Léwi – un homme de la maison de Léwi ». C'est très
habituel pour la Tôroh de nous donner l'appartenance tribale d'un
personnage inconnu avant de finalement nous donner, plus tard, son
identité. C'est donc une espèce d'introduction. Le verset peut donc
se comprendre comme voulant dire qu'un homme de la tribu de Léwi
alla épouser une femme de la tribu de Léwi. Les deux lectures sont
donc possibles.
Le
deuxième verset « problématique » est celui-ci2 :
´amrom
prit Yôkhavadh, sa tante, pour épouse, et lui enfanta `aharôn
et Môshah. Les années de la vie de ´amrom furent de cent trente
sept ans.
|
וַיִּקַּח
עַמְרָם אֶת-יוֹכֶבֶד
דֹּדָתוֹ,
לוֹ
לְאִשָּׁה,
וַתֵּלֶד
לוֹ,
אֶת-אַהֲרֹן
וְאֶת-מֹשֶׁה;
וּשְׁנֵי
חַיֵּי עַמְרָם,
שֶׁבַע
וּשְׁלֹשִׁים וּמְאַת שָׁנָה
|
Le
mot דֹּדָתוֹ
« Dôdhothô »
pourrait bien signifier « sa tante ». S'il en est ainsi,
cela confirmerait la première explication susmentionnée, selon quoi
Yôkhavadh était littéralement la fille de Léwi. Mais c'est là
que les choses deviennent intéressantes ! Le mot « Dôdhothô »
n'a pas qu'une seule signification. En effet, dans le Makhilto`3
(qui est une compilation de Midhroshim halakhiques, et non
`aggadiques, de nos Sages de mémoire bénie), il est expliqué que
« Dôdhothô » signifie « sa bien-aimée ».
Et même dans le Targoum Yônothon, le verset de Shamôth 6:20
susmentionné, est traduit en araméen de la façon suivante :
« ´amrom prit Yôkhavadh, sa bien-aimée, pour épouse ».
Le Makhilto` explique que lorsque Yôkhavadh tomba enceinte, ´amrom
se joua des Égyptiens. Comment ? En raison du décret passé
par Pharaon, selon quoi tous les enfants Hébreux de sexe masculin
devaient être tués, ´amrom répudia Yôkhavadh lorsqu'elle tomba
enceinte, et tous les autres hommes Hébreux en firent de même avec
leurs épouses. Trois mois plus tard, il épousa à nouveau
Yôkhavadh, et c'est à partir de ce moment-là que les Égyptiens
commencèrent à compter les mois de grossesse. Lorsque les Égyptiens
arrivèrent à six mois, Môshah Rabbénou avait évidemment atteint
les neuf mois de sa gestation et pu naître au nez et à la barbe des
Égyptiens. C'est ainsi qu'ils purent empêcher que leur fils ne
meurt. Et c'est à que le récit biblique reprend le relais. Ainsi,
quand il est dit que « ´amrom prit Yôkhavadh, sa
bien-aimée, pour épouse », c'est-à-dire qu'il épousa à
nouveau, après l'avoir répudiée, celle qu'il aimait. Nous pouvons
donc voir que nos Sages de mémoire bénie (du moins, plusieurs
d'entre eux), ne lisaient pas « sa tante » mais « sa
bien-aimée ». Lu de cette manière, cela accrédite la
deuxième explication susmentionnée, selon quoi ´amorom a
simplement épousé une femme appartenant à la tribu de Léwi, et
non pas littéralement une des filles de Léwi, le fils de Ya´aqôv
`ovinou.
Il
y a un autre sens au mot « Dôdhothô » proposé par le
Rov Sa´adhyoh Go`ôn ז״ל.
Dans son rassemblement
de commentaires sur la Tôroh, nous trouvons ceci :
En
gros, plutôt que traduire « Dôdhothô » par « sa
tante », il explique que ce terme peut vouloir dire « la
fille de son oncle ». Cela ferait donc de Yôkhavadh la cousine
de premier degré de ´amrom.
Ces
deux interprétations alternatives résolvent aisément tous les
problèmes chronologiques causés par le commentaire de Rash''i, qui
n'est absolument pas l'autorité absolue sur le sens à donner aux
textes de la Tôroh ! En outre, cela résout également le
problème de l'inceste. En effet, comment un homme aussi éminent que
´amrom aurait-il pu épouser sa propre tante. Lorsqu'on comprend que
« Dôdhothô » ne signifie pas nécessairement « sa
tante », et qu'il existe deux autres lectures tout à fait
valable du terme, le problème de l'inceste n'existe plus.
(À
noter toutefois que d'autres sources anciennes soutiennent la lecture
selon quoi Yôkhavadh était la sœur du père de ´amrom, en
d'autres mots sa tante. On pourrait expliquer qu'étant donné que
cela s'est passé à une époque où la Tôroh ne fut pas encore
donnée, une telle relation ne constitue pas, en elle-même, un
problème, puisque c'est seulement après le Don de la Tôroh
qu'épouser sa tante fut interdit, tout comme le fait d'épouser deux
sœurs en même temps, comme l'a fait Ya´aqôv `ovinou, acte que la
Tôroh n'interdira que plus tard.)
Le
troisième et dernier verset « problématique » est
celui-ci4 :
Le
nom de l'épouse de ´amrom était Yôkhavadh, fille de Léwi,
qu'elle5
avait enfanté à Léwi en Égypte. Et elle enfanta à ´amrom,
`aharôn, Môshah et Miryom, leur sœur.
|
וְשֵׁם
אֵשֶׁת עַמְרָם,
יוֹכֶבֶד
בַּת-לֵוִי,
אֲשֶׁר
יָלְדָה אֹתָהּ לְלֵוִי,
בְּמִצְרָיִם;
וַתֵּלֶד
לְעַמְרָם,
אֶת-אַהֲרֹן
וְאֶת-מֹשֶׁה,
וְאֵת,
מִרְיָם
אֲחֹתָם
|
Là
encore, ce verset peut être pris comme indiquant que Yôkhavadh
était littéralement la fille de Léwi, fils de Ya´aqôv `ovinou.
Mais les arguments donnés lors de l'analyse du premier des trois
versets « problématiques » peuvent être utilisés ici
aussi. Ainsi, « Léwi » peut tout simplement se
comprendre comme désignant la tribu de Léwi, et non pas Léwi le
fils de Ya´aqôv `ovinou, tandis que « fille de Léwi »
pourrait se comprendre, une fois encore, comme voulant dire qu'elle
fut enfantée à la tribu de Léwi en Égypte. Une autre lecture
ayant été proposée, et qui est tout à fait plausible, et se base
sur l'explication du Rov Sa´adhyoh Go`ôn susmentionnée, est que ce
verset signifie simplement que Yôkhavadh était la fille de Gérshon,
l'oncle de ´amrom. Et de ce fait, elle était la petite-fille de
Léwi, et non sa fille. Et nous savons qu'à travers la Tôroh, de
nombreux petits-enfants sont fréquemment décrits comme les enfants
de leurs grands-parents.
En
conclusion, il n'y a pas qu'une seule lecture des versets, et l'on ne
doit jamais oublier qu'un mot peut avoir d'innombrables sens. Dans ce
genre de cas, il convient de parcourir les différentes
interprétations (Rash''i n'a pas le monopole de l'interprétation de
la Tôroh), les comparer, prendre en compte le contexte, et user de
la raison. Et quand cela est fait, dans le cas qui nous intéresse,
l'explication de Rash''i n'est pas crédible et est celle qui cause
le plus de problèmes, notamment chronologiques, mais également au
niveau rationnel ! Or, lorsqu'on considère que Yôkhavadh
n'était pas littéralement la fille de Léwi, et qu'il existe
également deux autres sens parfaitement possibles du mot
« Dôdhothô », tous les problèmes chronologiques et
irrationnels s'envolent, et le texte de la Tôroh devient plus
compréhensible et logique.
1Shamôth
2:1
2Ibid.,
6:20
3Parashath
Wo`éro`
4Bamidhbor
26:59
5La
mère de Yôkhavadh