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lundi 8 avril 2019

Réflexions sur la bonne et mauvaise éducation torahique – Partie II


בס״ד

Réflexions sur la bonne et mauvaise éducation torahique – Partie II


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  1. La Tôroh et la science

Puisque le même D.ieu a créé aussi bien la Tôroh que la science, il est axiomatique de considérer que la Tôroh et la science ne peuvent pas avoir de conflit fondamental. La Tôroh et la science sont des manifestations du D.ieu Unique, l'Auteur de la vérité. C'est la raison pour laquelle nos Sages ont enseigné qu'HaShem Se comprend à travers Ses œuvres de création. Et sur base de cela, Ribbénou consacre les quatre premiers chapitres de son Mishnéh Tôroh à traiter de la science, car la connaissance scientifique est indispensable dans la foi juive authentique. Si la Tôroh et la science paraissent s'opposer sur certains points, c'est soit parce que nous n'avons pas correctement compris la Tôroh, soit parce que nous n'avons pas bien révisé nos sciences.

La connaissance scientifique a énormément progressé depuis les temps anciens. Chaque génération a contribué au savoir cumulé de l'humanité, et ce processus se poursuit dans notre génération, il se poursuivra également dans les générations futures. Avec l’avènement de nouveaux outils de recherche, les scientifiques ont été capables d'étendre l'horizon de la connaissance scientifique. Si HaZa''l et les rabbins de l'ère médiévale croyaient que la Terre était plate, que la Terre était le centre de l'univers, ou que le soleil tournait autour de la Terre, cela ne peut pas surprendre, puisque c'était là le niveau de leurs connaissances scientifiques en ces temps-là. De même, on ne peut pas leur reprocher de ce ne pas avoir connu des choses qui ne furent découvertes ou théorisées que bien des années ou siècles après leurs morts. Rash''i pensait que l'Océan Atlantique était « l'extrémité du monde » : Ribbénou croyait que le système ptoléméen d'astronomie était correct ; HaZa''l croyaient que les éclipses étaient des signes de la fureur Divine, alors qu'il s'agit simplement de phénomènes naturels prévisibles. Ce serait absurde de défendre les opinions scientifiques caduques de ces Sages et illustres rabbins, puisque nous savons aujourd'hui que leurs opinions ont été démontrées incorrectes. Les Sages et Ri`shônim se basaient sur les meilleures informations scientifiques disponibles à leurs époques ; mais les recherches et découvertes ultérieures ont conduit vers des informations plus précises et exactes. Nous devons traiter les choses sur base du niveau actuel de connaissance scientifique. Penchons-nous donc sur la question de l'âge de l'univers, à la lumière de la tradition torahique et de la science moderne.

Les Sages anciens calculèrent l'âge de l'humanité en additionnant les âges des personnages bibliques depuis le temps de `odhom. Il y avait des divergences d'opinion quant à la datation exacte, étant donné que le récit biblique ouvre la porte à diverses interprétations.1 La Bible elle-même n'utilise jamais le anno mundi (depuis la création du monde) pour dater des événements, et le système que nous utilisons actuellement (5779 au moment de la rédaction de cet article) semble s'être répandu seulement après les temps talmudiques. Les Tôsophôth2 s'étonnaient de la permissivité, à leur époque, de dater les Gittin (documents de divorce) en prenant pour base la création du monde, alors qu'en fait les Gittin d'antan (et d'autres documents légaux) étaient datés sur base de l'année du roi régnant du pays dans lequel les Juifs résidaient.

En fait, bien que le système de datation actuel que nous utilisons ne prend pas pour référence la création du monde, mais celle de `odhom, les littéralistes supposent faussement que l'on pourrait atteindre l'âge de l'univers en ajoutant les cinq premiers jours de la création à l'âge de `odhom ! Cela signifierait que le monde aurait été créé moins de 6 000 ans auparavant, d'où l'impossibilité pour eux que quoique ce soit ait pu exister avant ce temps-là. Mais nous avons des preuves sans équivoque de fossiles d'êtres qui existaient des millions d'années de là, et d'autres preuves scientifiques que l'univers est venu à l'existence il y a des milliards d'années. Les littéralistes résolvent le dilemme en niant l'existence de la moindre chose avant 5779 ans d'ici. Ils considèrent les évidences scientifiques comme imprécises, fausses, ou basées sur de mauvaises suppositions scientifiques. Ils sont prêts à mettre leurs mains à couper que le monde n'a que 5779 ans. Les dinosaures ne peuvent donc pas avoir existé ; quand on voit des ossements de dinosaures, il s'agirait simplement d'ossements de chiens qui furent avalés durant le déluge de Nôah, ou d'ossements qu'HaShem a plantés juste pour nous tester afin de voir si l'on pourrait croire que le monde ait plus de 5779 ans, ou encore qu'il s'agirait d'ossements qui ont mal été datés en raison de l'incompétence des scientifiques.

Pourtant, la Tôroh exige-t-elle réellement que nous nions les évidences scientifiques afin de justifier le système de datation anno mundi ? Ribbénou répondrait que non, puisqu'il insiste à d'innombrables reprises sur le fait que nous devrions rechercher la vérité et nous rapprocher ainsi de l'Auteur de la vérité. Si la science a démontré au-delà de tout doute raisonnable que les dinosaures ont existé il y a plusieurs millions d'années en arrière, nous devons alors rejeter l'opinion littéraliste selon quoi le monde n'aurait que 5779 ans !

Plusieurs de nos Sages et rabbins ont, en outre, mis en avant le fait que les six jours de la création n'étaient pas des jours de 24 heures. En effet, le soleil ne fut créé qu'au quatrième jour ; il ne pouvait donc pas y avoir un coucher ou un lever du soleil lors des trois premiers « jours ». Le mot « jour », tel qu'il est employé au début de la Tôroh, doit plus exactement se comprendre par « période » d'une longueur indéterminée. À chaque période de la création, il y a eu un passage d'une phase plus simple à une phase plus complexe. Puisque ces six « jours » de la création pourraient avoir duré des milliards d'années par calculs humains, les dinosaures peuvent avoir largement le temps d'avoir vécu et disparu avant que `odhom et Hawwoh n'eurent été créés au sixième « jour ».

le Rov `aryéh Kaplan a cité dans ses ouvrages de nombreux textes traditionnels Juifs soutenant que le monde est bien plus âgé que ne les laissent supposer les 5779 ans de notre système de datation actuel. Par exemple, le Séphar Hattamounoh, qui fut rédigé par le Tanno` (Sage de l'époque de la Mishnoh) Ribbi Nahounyoh ban Hakkanoh, avance que d'autres mondes existaient avant que `odhom ne fut créé. Même le Midhrosh Baré`shith Rabboh 1:5 enseigne qu'il existait des « ordres de temps » avant le premier jour de la création rapporté dans la Tôroh. Quant au Talmoudh3, il rapporte l'opinion selon laquelle il exista 974 générations avant `odhom.

Le plus intéressant est l'opinion de Ribbénou Yishoq d'Acre, un disciple et collègue du Rambo''n et l'un des premiers kabbalistes de son époque. En examinant l'un des ouvrages les plus importants de Ribbénou Yishoq, `ôsar Hahayyim, le Rov Kaplan a découvert que Ribbénou Yishoq déduisit que l'univers aurait un peu plus de 15,3 milliards d'années ! Cette théorie avancée par un kabbaliste médiéval, sur la seule base d'interprétations des textes bibliques et rabbiniques, est remarquablement proche des calculs de la science moderne qui date le « Big Bang » à approximativement 15 milliards d'années d'ici.4 Ribbénou Yishoq ne considérait pas être un besoin d'offrir des explications farfelues et tirées par les cheveux pour justifier à tous prix la théorie des 5779 ans. Lui, et ses nombreux pieux collègues et disciples, n'avaient aucun problème à considérer un univers vieux de plusieurs milliards d'années ; ils ne considéraient pas un tel calcul comme compromettant la vérité et véracité de la Tôroh. Il est donc essentiel de retenir que nous possédons des traditions légitimes dans le judaïsme torahique qui estiment que l'univers est plus âgé que 5779 ans.

Nos écoles et les parents ne devraient pas enseigner aux enfants que les ossements de dinosaures seraient des ossements de chiens emportés dans le déluge. Ce n'est pas une éducation torahique, mais de la mauvaise éducation. Il n'y a non seulement aucune nécessité religieuse à enseigner une telle absurdité, mais c'est au contraire un impératif religieux de ne pas enseigner de fausseté. Habiller une fausseté dans des manteaux de religiosité, c'est compromettre la foi véritable.

De même, au sujet de l'emplacement de la trachée et de l’œsophage, c'est un travestissement de l'éducation et de la morale d'enseigner sans honte de fausses informations dans le but de « valider » les notions erronées des rabbins des générations antérieures. Le Talmoudh5 enseigne que s'accouder vers l'arrière ou sur le côté droit n'est pas une façon valable d'accomplir le précepte de Hasibboh (s'accouder en mangeant), et ajoute l'explication que s'accouder d'une façon incorrecte peut mettre en danger la personne en amenant la nourriture à descendre dans la trachée. Commentant ce passage talmudique, Rash''i déclare que cette explication fut donnée en référence au fait de s'accouder vers l'arrière. Mais le Rashba''m s'oppose à la compréhension de Rash''i et cite ses maîtres qui ont plutôt affirmer que la trachée se trouvait à droite ; ainsi, d'après les maîtres du Rashba''m, le Talmoudh interdisait de s'accouder à droite en raison du danger de s'étouffer. Bien que ni Ribbénou ni même le Shoulhon ´oroukh ne citent cette explication farfelue, elle fut reprise par le Moghén `avrohom et le Ta''z, et devint depuis lors un enseignement très répandu dans les milieux orthodoxes. Or, cette explication, qui a commencé par les maîtres du Rashba''m, est factuellement fausse, et ne doit, par conséquent, pas être enseignée pour expliquer la raison pour laquelle nous nous accoudons à gauche lorsque nous mangeons.

Lorsqu'on enseigne aux enfants qu'il faut s'accouder à gauche en mangeant (notamment la nuit du Sédhar de Pasah), la seule explication valide est que dans l'Antiquité les hommes libres mangeaient assis sur des couches. Ils s'accoudaient ensuite sur leur côté gauche pour deux raisons : premièrement pour marquer leur statut d'hommes libres, et deuxièmement parce qu'en s'accoudant de ce côté-là leur main droite était disponible pour prendre la nourriture. C'est aussi simple que cela ! Si quelqu'un demande : « Ne nous accoudons-nous pas à gauche parce que c'est là que se trouve notre œsophage ? », la réponse est : « Certaines personnes pensaient de façon erronée que telle était la raison de notre accoudement à gauche, mais ce n'est pas la raison correcte. l’œsophage et la trachée ne sont pas l'un à côté de l'autre, mais l'un derrière l'autre ! »

C'est un principe général d'insister auprès de nos enfants et élèves que les déclarations scientifiques de HaZa''l et des rabbins des générations antérieurs étaient basées sur le niveau de connaissances scientifiques disponible à leurs époques. Nos Sages ont eux-mêmes admis dans le Talmoudh6 que les hommes instruits parmi les Gôyim étaient de loin plus avancés qu'eux dans les sujets scientifiques, et régulièrement nos Sages se tournaient vers eux lorsqu'ils avaient des questions à ces sujets. Comment donc, tout d'un coup, les Orthodoxes prétendent-ils que nos Sages connaissaient tout ce qui touchait aux domaines scientifiques ? C'est du pur mensonge ! Voici ce que l'un de nos illustres rabbins, le Rov Hayyim Dowidh Halléwi, a remarqué7 :

S'il devient clair au moyen d'une méthode scientifique précise qu'une certaine idée exprimée par nos Sages est complètement incorrecte, cela ne diminue en rien leur grandeur intellectuelle, Hos Washolôm, ni même leur grandeur en tant que sages de la Tôroh. Leurs paroles qui se rapportent à la Tôroh furent émises par la puissance de la sainteté de la Tôroh avec une part de Rouah Haqqôdhash (inspiration Divine) ; mais leurs autres paroles émises sur des sujets généraux furent prononcées uniquement du fond de leur sagesse humaine.

À suivre...
1Ribbénou ´azaryoh de Rossi (1511-1578) énonça toutes les inexactitudes et contradictions dans les calculs rabbiniques dans son ouvrage « Mé`ôr ´énayim »
2Sur Gittin 80b
3Haghighoh 13b
4`aryéh Kaplan, Immortalité, Résurrection et l’Âge de l'Univers : Une Opinion Kabbalistique
5Pasohim 108a
6Ibid., 94b
7´aséh Lakho Rov 5:49

samedi 31 décembre 2016

Faut-il ou pas dire chaque jour les trois bénédictions « Shallô` ´osoni... » ?

ב״ה

Faut-il ou pas dire chaque jour les trois bénédictions « Shallô` ´osoni... » ?


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Nous lisons ceci dans le Talmoudh1 :

Il a été enseigné : Ribbi Mé`ir disait : « Un homme a l'obligation de faire cent bénédictions chaque jour, ainsi qu'il est dit2 : ''Et à présent, ô Yisro`él, qu'est-ce qu'HaShem, ton Dieu, attend de toi ?'' »3 Le Shabboth et à Yôm Tôv4, Rov Hiyo`, le fils de Rov `Awiyo`, tentait d'atteindre ce nombre par des épices et des gourmandises5. Il a été enseigné : Ribbi Mé`ir disait : « Un homme a l'obligation de faire trois bénédictions chaque jour. Les voici : ''Sha´osoni Yisro`él''6 (dans certaines versions ''Shallô` ´osoni Gôy''), ''Shallô` ´osoni `ishoh'', ''Shallô` ´osoni Bour'' » Rov `aho` bar Ya´aqôv entendit [une fois] son fils dire « Shallô` ´osoni Bour. » Il lui dit : « Et celui-ci aussi ! »7 L'autre lui dit : « Quelle bénédiction dois-je alors faire à la place ? ». [Il lui répondit] : « Shallô` ´osoni´avadh. » « Mais n'est-ce pas la même chose qu'une femme ? »8 « Un esclave lui est inférieur ! »9
תניא היה רבי מאיר אומר חייב אדם לברך מאה ברכות בכל יום שנאמר ועתה ישראל מה ה' אלהיך שואל מעמך רב חייא בריה דרב אויא בשבתא וביומי טבי טרח וממלי להו באיספרמקי ומגדי תניא היה ר"מ אומר חייב אדם לברך שלש ברכות בכל יום אלו הן <שעשאני ישראל> {שלא עשאני גוי} שלא עשאני אשה שלא עשאני בור רב אחא בר יעקב שמעיה לבריה דהוה קא מברך שלא עשאני בור אמר ליה כולי האי נמי אמר ליה ואלא מאי מברך שלא עשאני עבד היינו אשה עבד זיל טפי

S'appuyant sur ce passage talmudique, le Ramba''m ז״ל tranche ceci dans son Mishnéh Tôroh10 :

Chaque jour, un homme bénit : « Boroukh `attoh HaShem `alôhénou Malakh Ho´ôlom Shallô` ´osoni Gôy », « Boroukh `attoh HaShem `alôhénou Malakh Ho´ôlom Shallô` ´osoni ´avadh », « Boroukh `attoh HaShem `alôhénou Malakh Ho´ôlom Shallô` ´osoni `ishoh ».
וּמְבָרֵךְ אָדָם בְּכָל יוֹם--בָּרוּךְ אַתָּה ה' אֱלֹהֵינוּ מֶלֶךְ הָעוֹלָם, שֶׁלֹּא עָשָׂנִי גּוֹי; בָּרוּךְ אַתָּה ה' אֱלֹהֵינוּ מֶלֶךְ הָעוֹלָם, שֶׁלֹּא עָשָׂנִי עֶבֶד; בָּרוּךְ אַתָּה ה' אֱלֹהֵינוּ מֶלֶךְ הָעוֹלָם, שֶׁלֹּא עָשָׂנִי אִשָּׁה

Ainsi, contrairement aux autres bénédictions du matin qui, d'après le Ramba''m, ne doivent être faites que lorsqu'on accomplit les actes pour lesquels ces bénédictions furent instituées (par exemple, si on a entendu le coq chanter, on fait la bénédiction de « Hannôthén Lasakhwi Vinoh », mais si on ne l'a pas entendu chanter on ne la fait pas), ces trois bénédictions devraient être faites quotidiennement. Rabbénou Manôah ז״ל commente ce passage du Mishnéh Tôroh en expliquant qu'un homme rencontrera probablement durant la journée une de ces trois personnes, une femme, un esclave ou un Gôy ; par conséquent, ces trois bénédictions doivent être faites quotidiennement, contrairement aux autres bénédictions du matin qui ne sont faites que lorsqu'on s'est retrouvé dans une situation où on doit les faire.

Rabbénou `avrohom ז״ל, le fils du Ramba''m, cite dans son Séphar Hammaspiq, ce passage du Mishnéh Tôroh, répète la règle concernant les autres bénédictions du matin, puis commente ceci :

Mon père ז״ל a déjà lancé des avertissements contre ce Minhogh erroné11 dans les Hilkôth Taphilloh. Cependant, à partir de ses mots, il semble clair que trois de ces bénédictions, שֶׁלֹּא עָשָׂנִי גּוֹי, שֶׁלֹּא עָשָׂנִי עֶבֶד et שֶׁלֹּא עָשָׂנִי אִשָּׁה sont faites en toutes circonstances, que l'on ait rencontré ou pas un Gôy, un esclave ou une femme. Il semble en être également ainsi à partir de l'édition populaire du Piroush de Rabbénou Yishoq l'auteur des Halokhôth.12 Néanmoins, quelqu'un qui a vu une copie d'une édition ancienne du Talmoudh qui est rapportée dans ce Piroush lit : « lorsqu'un homme voit un Gôy il dit שֶׁלֹּא עָשָׂנִי גּוֹי », et il en est de même concernant une femme et un esclave. Cette édition est correcte, car elle est logique ! On peut trouver la même chose dans le Siddour de Rabbénou ´amrom ban Shôshonoh13.

Rabbénou `avrohom s'oppose ici à la décision de son père concernant ces trois bénédictions et dit qu'elle fut causée par une mauvaise édition du Ri''ph. Ayant entendu parler d'une édition du Ri''ph différente de celle que l'on connaît généralement et qui est plus logique à ses yeux, Rabbénou `avrohom s'appuie sur elle pour trancher différemment de son père. Ce n'est pas nouveau, puisque de nombreux Ri`shônim avaient à leur disposition différentes versions du Talmoudh et du Ri''ph.

L'édition du Ri''ph que nous possédons aujourd'hui n'est pas fiable. D'ailleurs, nous trouvons de nombreux Ri`shônim qui citent le Ri''ph d'une manière différente de ce que nous lisons dans l'édition actuelle !

Ce qui est fascinant est que Rabbénou `avrohom nous montre que nous n'avons pas une obligation de suivre quelque chose rapporté dans le Talmoudh (ou même le Ramba''m) qui n'a pas de sens. Et sachant qu'il existe différentes versions du Talmoudh, peut-être que les passages illogiques peuvent être causées par des éditions qui ne sont pas fiables et qu'ils ne se retrouvaient pas dans d'autres éditions. Et effectivement, la version que cite Rabbénou `avrohom est beaucoup plus logique ; si les bénédictions du matin ne se font que lorsqu'on accomplit les actes pour lesquels elles furent instituées, pourquoi cela serait-il différent avec les trois autres bénédictions ? Cela a du sens d'affirmer que l'on ne devrait les dire également que si l'on rencontre durant la journée un Gôy, un esclave ou une femme. Le seul « problème » avec la version différente que cite Rabbénou `avrohom est qu'elle ne colle pas avec le texte du Talmoudh que nous possédons ; pour se faire le texte du Talmoudh nécessiterait quelques lignes supplémentaires. Mais peu importe, cela nous permet de voir à quel point les textes du Talmoudh pouvaient être variés même en ces temps-là, à peine quelques siècles après la finalisation du Talmoudh. Remarquez d'ailleurs une autre variation de texte : dans certaines éditions du Talmoudh, il est rapporté qu'il faudrait dire « Shallô ´osoni Gôy » (et c'est généralement ce que l'on retrouve dans l'écrasante majorité des versions actuelles), tandis que dans d'autres éditions il est indiqué qu'il faudrait plutôt dire « Sha´osoni Yisro`él. »

Ces variations de textes talmudiques du temps des Ri`shônim ont un impact réel sur la Halokhoh. Ce n'est pas la même chose de dire qu'il faudrait faire ces bénédictions coûte que coûte chaque jour ou de dire qu'il ne faudrait les faire qu'en voyant une femme, un Gôy ou un esclave ! Mais bien que dans ce cas-ci il s'agisse d'un détail sans grande portée, certaines variations d'autres passages talmudiques peuvent avoir des ramifications plus sérieuses. Il n'est donc pas étonnant de devoir tant dépendre des Ri`shônim qui, avant toutes les autodafés catholiques contre le Talmoudh au Moyen-âge, avaient accès à de nombreuses versions différentes et étaient capables de les analyser de façon critique, alors que de nos jours le fait de n'avoir qu'une version populaire du Talmoudh et d'autres écrits empêche de faire ce travail critique ou de voir qu'il pourrait y avoir des problèmes et une absence de logique avec certains passages.


1Manohôth 43b
2Davorim 10:12
3Le mot hébreu, מה « Moh » (qu'est-ce que) est lu comme s'il s'écrivait מאה « Mé`oh », qui signifie « cent ». C'est par ce jeu de mots que Ribbi Mé`ir déduit l'obligation de faire cent bénédictions par jour !
4Où au lieu de faire une ´amidhoh de 18 bénédictions, on fait une ´amidhoh de 7 bénédictions, ce qui réduit la possibilité d'atteindre les 100 bénédictions ces jours-là
5Qui nécessitent une bénédictions au préalable. Ainsi, il faisait exprès de respirer des épices et de manger en-dehors des repas pour s'obliger à faire des bénédictions ces jours-là et atteindre le nombre de 100 bénédictions
6Qui m'a fait Israélite
7C'est-à-dire, il n'y a aucune raison de prononcer cette bénédiction, étant donné que même un sot est lui aussi lié à l'accomplissement des Miswôth.
8Puisque au niveau de l'accomplissement des Miswôth, une femme et un esclave sont sur le même pied d'égalité, étant donné qu'ils sont exemptés des mêmes Miswôth. De ce fait, si une femme et un esclave sont sur le même pied d'égalité au niveau des Miswôth, si l'on a déjà dit « Shallô` ´osoni `ishoh », pourquoi devrait-on alors aussi dire « Shallô` ´osoni ´avadh » ?
9Puisqu'elle est soumise à plus de Miswôth qu'un esclave, une femme Israélite a un statut supérieur à un esclave. Voilà pourquoi ce n'est pas la même chose de dire « Shallô` ´osoni `ishoh » et « Shallô` ´osoni ´avadh » ?
10Hilkôth Taphilloh Ouvirakhath Kôhanim 7:6
11Consistant à faire toutes les bénédictions du matin, même lorsqu'on n'accomplit pas les actes pour lesquels elles furent instituées
12Il parle ici de Rabbénou Yishoq `alphasi (le Ri''ph)

13Décédé en 575 de l'E.C.

vendredi 11 mars 2016

Mayim `aharônim : une Halokhoh ou une superstition ?

ב״ה

Mayim `aharônim : une Halokhoh ou une superstition ?


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Dans son fameux ספר המסגיק לעובדי השם « Séfar Hammaspiq La´ôvadhé HaShem », un ouvrage plus que passionnant, le fils du Ramba''m ז״ל, Rabbénou `avrohom ז״ל, traite, à un moment donné, des מַיִם אַחֲרוֹנִים « Mayim `aharônim » (le lavage des mains qui suit un repas, avant la Birakhath Hammozôn). Lorsqu'on demande la raison de cette Halokhoh, l'explication traditionnelle consiste à dire que ce lavage des mains sert à retirer le מֶלַח סְדוֹמִית « Malah Sadhômith » (sel sodomite) qui se serait accroché aux mains pendant que l'on mangeait. Apparemment, le sel utilisé durant les repas adhérait aux mains et pouvait être dangereux s'il finissait dans l’œil. Par conséquent, un lavage des mains fut rescrit pour éviter ce danger. C'est ainsi que le Ramba''m écrit ceci dans son Mishnéh Tôroh1 :

Chaque fois [que quelque chose contient] du sel, il est nécessaire de se laver les mains par la suite, par crainte que s'il y avait du sel sodomite ou du sel dont la nature est comparable à celle du sel sodomite, et qu'on passait ses mains sur ses yeux on s'aveuglerait. C'est à cause de cela qu'ils ont imposé de laver les mains à la fin de tout repas ; à cause du sel. Dans un camp [militaire], nous exemptons du lavage des mains au début [d'un repas], parce qu'ils sont impliqués dans une guerre. Mais nous obligeons [au lavage qui vient] après [le repas], à cause du danger.
כָּל אֶת הַמֶּלַח, צָרִיךְ נְטִילַת יָדַיִם בָּאַחֲרוֹנָה--שֶׁמֶּא יֵשׁ בּוֹ מֶלַח סְדוֹמִית אוֹ מֶלַח שֶׁטִּבְעוֹ כְּטֶבַע מֶלַח סְדוֹמִית, וְיַעְבִיר יָדָיו עַל עֵינָיו וְיִסָּמֵה; וּמִפְּנֵי זֶה חִיְּבוּ לִטֹּל יָדַיִם בְּסוֹף כָּל סְעוֹדָה, מִפְּנֵי הַמֶּלַח. וּבַמַּחֲנֶה, פְּטוּרִין מִנְּטִילַת יָדַיִם בַּתְּחִלָּה, מִפְּנֵי שְׁהֶן טְרוּדִין בַּמִּלְחָמָה; וְחַיָּבִין בָּאַחֲרוֹנָה, מִפְּנֵי הַסַּכָּנָה

Rabbénou `avrohom écrit ceci :

Extérieurement, la raison donnée par la Halokhoh pour les Mayim `aharônim est afin de prévenir les risques causés par le sel sodomite. D'après moi, la raison des Mayim `aharônim et pourquoi les Rabbins les a rendu plus importantes que le lavage qui précède le repas ainsi qu'ils l'ont dit, « Le lavage qui précède le repas est une Miswoh ; le lavage qui suit le repas est une obligation ; et dans un camp [militaire], on n'a pas l'obligation de se laver avant un repas, mais on est obligé de se laver après le repas », est que l'on a besoin de se préparer à la Birakhath Hammozôn, qui est une obligation toranique et une prière mineure. Ils ont invoqué le danger comme raison exotérique et l'ont énoncée dans la Halokhoh afin que les gens la prennent au sérieux et ne soient pas négligents, les faisant craindre pour leur vie. Je rapporte une chose similaire de mon père ע״ה sur les propos suivants des Rabbins « On ne doit pas manger en paires, ni boire en paires »2. Il a dit que la raison de cette interdiction est afin d'éloigner les gens de la coutume consistant à faire des doublons dans le Béth Hammiqdosh, les gens le faisant afin d'être [doublement] bénis. Par conséquent, les Rabbins dirent cela et l'attachèrent à un danger afin de les empêcher de le faire.

Rabbénou `avrohom rapporte donc que son père, le Ramba''m, a expliqué la fameuse interdiction des זוּגוֹת « Zoughôth » (paires), qui est traitée dans la Gamoro` de Pésahim. La raison supposée telle qu'elle est donnée par la Gamoro` est que les paires sont dangereuses, apparemment pour des raisons mystiques ou spirituelles, et pourraient nuire à celui qui les consomme. Le Ramba''m était dérangé par cette raison, car elle semble soutenir la superstition. Par conséquent, il a expliqué qu'il existait une superstition parmi les gens qui se rendaient au Béth Hammiqdosh, qui cherchaient toujours à ne consommer un aliment que par multiples de deux, comme un talisman, et les Rabbins avaient cette croyance en horreur. Pour dissuader les gens de le faire, les Rabbins prétendirent que cette pratique était dangereuse et nuisible, sachant pertinemment bien que c'était là la seule chose qui pouvait dissuader les masses de continuer à s'y adonner. Rabbénou `avrohom poursuit :

Ce qui a attiré mon attention et m'a fait réanalyser la raison des Mayim `aharônim est la règle selon quoi « immédiatement après s'être lavé [les mains], on doit faire la bénédiction » et l'interdiction d'utiliser de l'eau chaude, parce que l'eau chaude ne nettoie pas. Si la raison pour le lavage qui suit le repas était le danger, ces restrictions n'auraient pas été appliquées. En outre, les Rabbins donnèrent l'explication pour justifier d'utiliser une bonne huile [sur les mains après le repas] : « parce qu'une personne sale n'a pas la permission d'adorer [dans le Béth Hammiqdosh] ».3 C'est une preuve pour ma thèse, pour celui qui comprend ! Ce n'est pas juste une allusion. Faîtes soigneusement attention, car c'est un secret qui n'est compris que par les érudits !

Rabbénou `avrohom argue que si la raison de l'obligation de se laver les mains après un repas est afin d'éviter une situation dangereuse, pourquoi est-ce qu'alors la Halokhoh interdit-elle explicitement de repousser la bénédiction après s'être lavé les mains ? Le fait de devoir faire la bénédiction immédiatement après le lavage des mains indique que ce lavage est bien à des fins d'une Miswoh, et non pas en raison d'un danger, car on ne fait jamais de bénédiction pour un précepte rabbinique ayant été institué en raison d'un danger ! Il renvoie ensuite à la Gamoro` qui exige qu'une huile de qualité soit utilisée pour oindre les mains après le repas, et explique cette exigence en comparant la Birakhath Hammozôn au service dans le Béth Hammiqdosh. À l'évidence, les Rabbins considéraient donc la Birakhath Hammozôn comme un remplacement ou un processus similaire à celui qui se faisait dans le Béth Hammiqdosh (d'ailleurs, ils ont enseigné qu'en l'absence du Béth Hammiqdosh, notre table sur laquelle nous mangeons remplace l'autel des Qorbonôth). Tous les services réalisés dans le Béth Hammiqdosh nécessitaient un lavage des mains, et de même en est-il de la Birakhath Hammozôn. En fait, nous savons que les Rabbins considéraient la prière comme équivalent aux Qorbonôth.4

De nombreuses leçons peuvent être tirées de cette discussion. La coutume générale qui prévaut de nos jours consiste à apporter après le repas une petite coupe ou un plateau en argent avec une toute petite coupe pour les Mayim `aharônim afin de laver uniquement les bouts des doigts. Cette pratique est basée sur les Tôsofôth5 ז״ל qui disent qu'à nos époques, il n'y a plus d'inquiétude à avoir concernant le Malah Sadhômith, puisque ce genre de sel n'est plus disponible. Par conséquent, les Mayim `aharônim ne sont plus obligatoires. Les gens se lavent donc uniquement de façon symbolique plutôt qu'afin de réaliser une Miswoh, d'où la pratique consistant à ne se laver que les bouts des doigts et non la main entière. Mais de l'autre côté, le Ramba''m ne fait pas cette distinction, rendant obligatoires les Mayim `aharônim même à nos époques, comme nous pouvons le voir au Chapitre 6 des Hilkôth Barokhôth de son Mishnéh Tôroh (qui est d'ailleurs téléchargeable sur le blog, dans la colonne de droite). Il est donc clair que les Mayim `aharônim doivent se réaliser de la même façon que l'on réaliserait le lavage des mains qui précède le repas, c'est-à-dire en utilisant un Kali (récipient), en versant au moins une Ravi´ith sir chaque main jusqu'aux poignets, etc. L'explication donnée par Rabbénou `avrohom confirme cela.

En outre, cela concorde également avec les raisons des autres lavages des mains halakhiquement obligatoires. Nous nous lavons les mains avant le repas en guise de préparation à la consommation du pain (qui est un aliment d'une grande importance) ; nous nous lavons les mains avant la prière (ou le Shama´) en guise de préparation à cette activité spirituelle. De la même manière, concernant les Mayim `aharônim qui précèdent la Birakhath Hammozôn, Rabbénou `avrohom explique que la Birakhath Hammozôn est une Miswoh biblique qui a le statut d'une prière mineure. Or, la prière a été organisée de façon à ressembler au service qui se faisait dans le Béth Hammiqdosh ; tout comme le lavage des mains était requis avant de pouvoir apporter le Qorban Tomidh, le lavage des mains est requis avant la prière. Cette idée est également mentionnée par le Béth Yôséf, où il cite une Tashouvoh du Rashba''` ז״ל. Le Ramba''m aussi fait ce parallèle dans les Hilkôth Tafilloh Ouvirakhath Kôhanim 4:3. Rabbénou `avrohom l'applique donc également au Mayim `aharônim, et conclut que c'est un lavage nécessaire pour se préparer à la Birakhath Hammozôn (une mini prière), tout comme on fait des ablutions pour se préparer à la prière (les Shamônah ´asréh). Et notre pratique consiste effectivement à faire les Mayim `aharônim de la même manière que nous faisons le lavage des mains qui précède le repas, et également avec la bénédiction de « ´al Natilath Yodhoyim ». (Et c'est aussi ce que défend d'autres Ri`shônim, comme par exemple le Ra`ava''d ז״ל.)

Ce qui est particulièrement intéressant dans tout cela est le contexte qu'utilise Rabbénou `avrohom pour introduire cette idée. Il réfléchit et n'accepte pas la raison donnée par la Gamoro` pour les Mayim `aharônim, car à première vue cela n'a aucun sens pour lui. Il compare ensuite son objection à la raison du danger donnée pour justifier les Mayim `aharônim à la raison donnée pour l'interdiction des Zoughôth. Cela indique qu'il considérait clairement l'explication du danger du sel sodomite comme de la pure superstition plutôt qu'un fait scientifique. Il a donc fouillé dans le Talmoudh et découvert que ce ne pouvait être la raison réelle de cette Halokhoh. Nous avons ici une approche très rationnelle, voire straussienne, de la Halokhoh, où une raison ésotérique est combinée à une raison exotérique. Rabbénou `avrohom ajoute que la raison pour laquelle la vraie raison fut gardée secrète est parce que cela n'aurait pas garanti que le peuple de cette époque-là y adhère. Les Rabbins ont alors donné une raison qui pousserait les masses à suivre leur décret.

Cela donne un excellent exemple de la manière dont le Talmoudh devrait être étudié, de sorte que tout puisse concorder avec la raison.

1Hilkôth Barokhôth 6:4
2Pésahim 109b ; c'est-à-dire que l'on ne doit pas manger ou boire deux aliments ou un multiple de deux aliments
3Barokhôth 53b
4Voir le Mishnéh Tôroh, Hilkôth Tafilloh Ouvirakhath Kôhanim 1:5, ou l'article intitulé « Les lois relatives à la prière – Première Partie »

5Sur Barokhôth 53b

lundi 1 février 2016

« Faisons l'homme à notre image ! »

ב״ה

« Faisons l'homme à notre image ! »


Cet article peut être téléchargé ici.

Dans le tout premier chapitre de la Tôroh, nous tombons sur l'un des passages les plus « obscurs », celui qui concerne la création de l'homme. Il est dit ceci1 :

Et `alôhim dit : « Faisons un homme à notre image, suivant notre ressemblance, et qu'il domine le poisson de la mer, l'oiseau du ciel, l'animal domestique, toute la terre et tout ce qui se meut sur la terre ». Et `alôhim créa l'homme à Son image ; c'est à l'image de `alôhim qu'Il le créa. Mâle et femelle Il les créa.
וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, נַעֲשֶׂה אָדָם בְּצַלְמֵנוּ כִּדְמוּתֵנוּ; וְיִרְדּוּ בִדְגַת הַיָּם וּבְעוֹף הַשָּׁמַיִם, וּבַבְּהֵמָה וּבְכָל-הָאָרֶץ, וּבְכָל-הָרֶמֶשׂ, הָרֹמֵשׂ עַל-הָאָרֶץ. וַיִּבְרָא אֱלֹהִים אֶת-הָאָדָם בְּצַלְמוֹ, בְּצֶלֶם אֱלֹהִים בָּרָא אֹתוֹ: זָכָר וּנְקֵבָה, בָּרָא אֹתָם

Dans le tout premier chapitre de Son Môréh Navoukhim (Guide des Égarés), le Ramba''m ז״ל traite naturellement de la question qui se pose à la lecture du passage susmentionné, qui décrit l'homme comme ayant été créé dans le צֶלֶם « Salam » (image) et la דְּמוּת « Damouth » (forme/ressemblance) de Dieu. Il note que cette description a amené certains à croire faussement que le Judaïsme attribut des propriétés physiques à Dieu :

צֶלֶם « Salam » et דְּמוּת « Damouth ». - Il y a eu des gens qui croyaient que Salam, dans la langue hébraïque, désignait la figure d'une chose et ses linéaments, et ceci a conduit à la pure corporification [de Dieu], parce qu'il est dit : נַעֲשֶׂה אָדָם בְּצַלְמֵנוּ כִּדְמוּתֵנוּ « Faisons un homme à notre image, suivant notre ressemblance ». Ils croyaient donc que Dieu avait la forme d'un homme, c'est-à-dire sa figure et ses linéaments, et il en résultait pour eux la corporification pure qu'ils admettaient comme croyance, en pensant que, s'ils s'écartaient de cette croyance, ils nieraient le texte [de l’Écriture], ou même qu'ils nieraient l'existence de Dieu s'Il n'était pas [pour eux] un corps ayant un visage et des mains semblables aux leurs en figure et en linéaments.

Le Ramba''m répond à cet argument en exposant le fait qu'il est né d'une mauvaise interprétation des mots « Salam » et « Damouth ». Il explique alors le mot « Salam » de la manière suivante :

Quant à צֶלֶם « Salam », il s'applique à la forme naturelle, je veux dire à ce qui constitue la substance de la chose, par quoi elle devient ce qu'elle est et qui forme sa réalité, en tant qu'elle est tel être [déterminé]. Dans l'homme ce quelque chose, c'est ce dont vient la compréhension humaine, et c'est à cause de cette compréhension intellectuelle qu'il a été dit de lui : בְּצֶלֶם אֱלֹהִים בָּרָא אֹתוֹ « c'est à l'image (Salam) de `alôhim qu'Il le créa ». C'est pourquoi aussi on a dit [en parlant des impies]2 : צַלְמָם תִּבְזֶה « Tu méprises leur image (Salmom) » ; car le mépris atteint l'âme qui est la forme spécifique, et non pas les figures des membres et leurs linéaments. Je dis de même que la raison pour laquelle les idoles étaient appelées צְלָמִים « Salomim », c'est que, ce qu'on cherchait dans elles était quelque chose qu'on leur supposait ; mais ce n'était nullement pour leur figure et leurs linéaments. Je dirai encore la même chose au sujet des mots3 : צַלְמֵי טְחֹרֵיכֶם « les images de (Salmé) vos Tahôrim » ; car ce qu'on y cherchait, c'était le moyen d'écarter le mal des Tahôrim, et ce n'était nullement la figure des Tahôrim. Si cependant il fallait absolument admettre que le nom de « Salam », appliqué aux images des Tahôrim et aux idoles, se rapportât à la figure et aux linéaments, ce nom serait un homonyme ou amphibologique4, et s'appliquerait non seulement à la former spécifique, mais aussi à la forme artificielle, ainsi qu'aux figures analogues des corps physiques et à leurs linéaments. Par les mots : נַעֲשֶׂה אָדָם בְּצַלְמֵנוּ « Faisons un homme à notre image ». on aurait donc voulu parler de la forme spécifique, c'est-à-dire de la compréhension intellectuelle, et non de la figure et des linéaments.

En d'autres mots, « Salam » ne se réfère pas à l'apparence physique de l'entité décrite, mais plutôt à son essence, la qualité première qui fait d'elle ce qu'elle est. Puis, il explique le sens de « Damouth » (ressemblance) :

Quant à דְּמוּת « Damouth », c'est un nom [dérivé] de דמה (ressembler), et qui indique également une ressemblance par rapport à quelque idée ; car les paroles [du Psalmiste]5 : דָּמִיתִי, לִקְאַת מִדְבָּר « Je ressemble (Domithi) au pélican du désert », ne signifient pas qu'il lui ressemblait par rapport aux ailes et au plumage, mais que la tristesse de l'un ressemblait à la tristesse de l'autre. De même [dans ce passage]6 : כָּל-עֵץ, בְּגַן-אֱלֹהִים--לֹא-דָמָה אֵלָיו, בְּיָפְיוֹ « Aucun arbre dans le jardin de Dieu ne lui ressemblait (Domoh) en beauté », il s'agit d'une ressemblance par rapport à l'idée de beauté ; [de même dans ces autres passages] : חֲמַת-לָמוֹ, כִּדְמוּת חֲמַת-נָחָשׁ « Ils ont du poison semblable (Kidhamouth) au poison du serpent »7 ; דִּמְיֹנוֹ--כְּאַרְיֵה, יִכְסוֹף לִטְרֹף « Il ressemble (Dimyônô) à un lion avide de proie »8. Tous [ces passages indiquent] une ressemblance par rapport à une certaine idée, et non par rapport à la figure et aux linéaments. De même9 : דְּמוּת הַכִּסֵּא « La ressemblance (Damouth) du trône » est une ressemblance par rapport à l'idée d'élévation et de majesté, et non par rapport à la forme carrée, à l'épaisseur et à la longueur des pieds, comme le croient les esprits pauvres, et il en est de même de דְמוּת הַחַיּוֹת « la ressemblance (Damouth) des animaux sauvages »10.

En d'autres mots, en Hébreu, quelque chose qui « ressemble » à quelque chose d'autre ne partage pas nécessairement toutes ses propriétés ; il partage plutôt un ou plusieurs points de ressemblance avec cette autre chose.

Le concept de la création de l'homme dans le Salam et la Damouth de Dieu ne soutient, par conséquent, pas la conclusion selon quoi Dieu partage les caractéristiques physiques de l'homme. Cela signifie plutôt que l'essence de l'homme ressemble à celle de Dieu en ce qu'il a été doté de la capacité singulière de la pensée et de l'intellect. C'est ainsi que le Ramba''m poursuit en disant :

Or, comme l'homme se distingue par quelque chose de très remarquable qu'il y a en lui et qui n'est dans aucun des êtres au dessous de la sphère de la lune, c'est-à-dire par la compréhension intellectuelle, pour laquelle on n'emploie ni sens, ni mains, ni bras, [celle-ci] a été comparée à la compréhension Divine, qui ne se fait pas au moyen d'un instrument ; bien que la ressemblance n'existe pas en réalité, mais seulement au premier abord. Et pour cette chose, je veux dire à cause de l'intellect Divin qui se joint à l'homme, il a été dit de celui-ci qu'il était [fait] à l'image de Dieu et à Sa ressemblance, [et cela ne veut dire] nullement que Dieu le Très-Haut soit un corps ayant une figure quelconque.

Évidemment, la sagesse de Dieu est fondamentalement différente de celle de l'homme, mais le fait que l'homme (contrairement à toutes les autres créatures) possède des capacités intellectuelles, et est caractérisé par cette qualité, signifie qu'il est fait dans le Salam de Dieu, en ce qu'ils partagent la même caractéristique déterminante. La caractéristique déterminante de Dieu est précisément l'absence de propriétés physiques, le fait qu'Il soit une intelligence pure, et la qualité qui distingue l'homme de toutes les autres créatures est sa capacité à penser et comprendre.

Le fils du Ramba''m, Rabbénou `avrohom ban HaRamba''m ז״ל, dans son commentaire sur la Tôroh, utilise l'explication donnée par son père de l'expression צֶלֶם אֱלֹהִים « Salam `alôhim » (image de Dieu), et l'utilise pour nous faire comprendre la forme plurielle par laquelle la Tôroh rapporte la décision de Dieu de créer un homme : וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, נַעֲשֶׂה אָדָם בְּצַלְמֵנוּ כִּדְמוּתֵנוּ « Et `alôhim dit : ''Faisons un homme à notre image, suivant notre ressemblance'' ». Rash''i, en citant l'enseignement de nos Sages de mémoire bénie11, commente ce verset de la manière suivante : עַנְוְתָנוּתוֹ שֶׁל הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא לָמַדְנוּ מִכָּאן לְפִי שֶׁהָאָדָם הוּא בִּדְמוּת הַמַּלְאָכִים וְיִתְקַנְּאוּ בּוֹ לְפִיכָךְ נִמְלָךְ בָּהֶם « Nous apprenons ici la modestie du Saint, béni soit-Il. L’homme étant à l’image des anges, ceux-ci auraient pu être jaloux. C’est pourquoi Il les a consultés ».C'est évidemment un enseignement `aggadique, et nous avons déjà maintes fois expliqué qu'une `aggodhoh ne doit pas être compris littéralement. Ainsi, Rabbénou `avrohom ban HaRamba''m signale qu'il va de soi que les anges n'ont pris aucune part, ni joué le moindre rôle, dans la création de l'homme. Plutôt, les Sages veulent dire, par cet enseignement imagé, que l' « image » Divine dans laquelle l'homme fut créé tire ses origines du même domaine spirituel et incorporel dans lequel les anges furent créés aussi. Concernant les anges, le Ramba''m écrit12 : « Les anges sont de même incorporels ; ce sont des intelligences sans matière, mais ils sont néanmoins des êtres créés, et Dieu les a créés... ». À l'inverse de l'homme, qui est le produit d'une combinaison entre la matière et l'intelligence, les anges sont de la pure intelligence, sans matière. Lorsque Dieu a déclaré, נַעֲשֶׂה אָדָם « Faisons l'homme », Il Se référait au fait que la caractéristique déterminante et unique de l'homme tirera ses origines de la même source que celle des anges, c'est-à-dire que l'être humain ressemblera aux anges en possédant l'intelligence. Bien que l'être physique de l'homme tire son origine de la terre, de la même source que les animaux, sa caractéristique déterminante, à savoir, sa capacité intellectuelle, découle du domaine céleste spirituel, du domaine même à partir duquel les anges furent créés.

1Baré`shith 1:26-27
2Tahillim 73:20
31 Shamou`él 6:5
4Puisqu'il existe un autre mot en Hébreu pour désigner littéralement la forme ou l'image d'une chose, à savoir, תוֹאַר « Tô`ar »
5Tahillim 102:7
6Yahazqé`l 31:8
7Tahillim 58:5
8Ibid., 17:12
9Yahazqé`l 1:26
10Ibid., 1:15
11Talmoudh, Sanhédhrin 38b ; Midhrosh, Baré`shith Rabboh 8:7

12Môréh Navoukhim, Volume 1, Chapitre 49
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