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lundi 16 novembre 2020

Emission de semence en vain - Les innovations de Ribbénou Ṭam

 

בס״ד

 

Emission de semence en vain : Une approche rationaliste

 


Les innovations de Ribbénou Ṭam

 

Cet article peut être téléchargé ici.

 

Pour (re)lire :

·        La première partie

·        La deuxième partie

·        La troisième partie

·        La quatrième partie

·        La cinquième partie

·        La sixième partie

·        La septième partie

·        La huitième partie

 

Dans notre dernier article, nous avons établi une nouvelle idée, introduite dans les mots de Rash’’i ז״ל, que le péché de la masturbation est celui de « gaspiller de la semence » qui aurait pu être utilisée pour produire un enfant, bien que Rash’’i n’ait pas véritablement voulu dire cela. Le petit-fils de Rash’’i, Ribbénou Ṭam ז״ל, cité dans Tôsophôth Kathoubbôth 39a, pose alors la question suivante :

 

Cela ne semble pas (correct) pour Ribbénou Ṭam, étant donné qu’une jeune femme ou une `aylônith,[1] un homme est autorisé à avoir des relations sexuelles avec elles et cela n'est pas considéré comme un gaspillage de la semence, tant que cela se fait de la manière normale des rapports sexuels.

 

Il poursuit :

 

Avant les rapports sexuels, on n'est certainement pas autorisé à utiliser un Môkh[2] car ce n'est pas dans la manière normale des rapports sexuels, et ce serait (similaire au fait de) répandre du sperme sur du bois ou des pierres, exactement comme sur un Môkh. Mais après un rapport sexuel, ce serait permis, étant donné que c'est dans la voie normale des rapports, semblable au fait d’avoir des rapports avec une jeune femme ou une `aylônith. Et la femme qui place le Môkh à l'intérieur après un rapport sexuel n'est pas interdite de détruire la semence, puisqu'elle n'est pas obligée dans le commandement de procréer ...

 

Par ces deux passages, Ribbénou Ṭam a à présent introduit plusieurs concepts complètement nouveaux :

 

1.     Une fois que l'idée de « détruire la semence » a été établie par Rash’’i, Ribbénou Ṭam a été forcé par sa compréhension des paroles de Rash’’i à répondre à une nouvelle contradiction. Comment se fait-il que l'on puisse avoir des relations sexuelles avec une femme qui ne peut pas concevoir ? (Rappelez-vous que selon le Rambo’’m ז״ל, et tous ceux qui l'ont précédé, ce n'est pas du tout un problème, car ils n'ont jamais entendu parler de cette interdiction de « gaspiller de la semence », comme nous l'avons expliqué en détail dans nos précédents articles) Ribbénou Ṭam est alors venu avec un nouveau concept pour expliquer cette contradiction : Que toute éjaculation qui se produit « de la manière normale des rapports sexuels » est considérée comme autorisée même si elle ne peut pas entraîner de grossesse. Cependant, toute éjaculation qui ne peut pas entraîner une grossesse qui ne se produit pas de la « manière normale des rapports sexuels » serait interdite.

2.     Ribbénou Ṭam introduit le concept selon lequel il y a une interdiction de gaspiller la semence, et il fait remonter son origine à la Miṣwoh de la procréation. D'une manière ou d'une autre, la Miṣwoh de procréer implique également une interdiction de « détruire la semence ».

3.     L'interdiction étant liée à la Miṣwoh de procréation, Ribbénou Ṭam peut donc faire la différence entre les hommes et les femmes. Un homme ne peut pas « détruire la semence » tandis qu'une femme le peut.

 

Analysons un peu plus profondément ces idées de Ribbénou Ṭam, car elles sont à peu près devenues la base de tant de Halokhôth dans le domaine des discussions halakhiques reproductives pour les environs 800 années qui ont suivi son époque.

 

·        La manière normale des relations sexuelles

 

Ce nouveau concept, comme vous pouvez facilement l'imaginer, ouvre une gigantesque boîte de pandore. Permettez-moi de vous rappeler à quel point la vie halakhique était facile à l'époque pré-Ribbénou Ṭam. Comme nous l'avons vu avec le Rambo’’m, tant que vous n'ignorez pas votre obligation de procréer, et tant que vous êtes dans une relation sexuelle appropriée, il n'y a plus de règles concernant le « déversement de la semence ». Citons à nouveau le Rambo’’m :[3]

 

L’épouse de l’homme lui est permise. Par conséquent, tout ce que l’homme veut faire avec sa femme, qu’il le fasse ! Il peut avoir des relations sexuelles avec elle à tout moment qu'il désire, et il peut l'embrasser sur tout organe qu'il désire, et il peut aller sur elle de manière normale[4] ou de manière anormale,[5] ou par la voie des organes.[6]

אִשְׁתּוֹ שֶׁלָּאָדָם, מֻתֶּרֶת הִיא לוֹ; לְפִיכָּךְ כָּל מַה שֶׁאָדָם רוֹצֶה לַעֲשׂוֹת בְּאִשְׁתּוֹ, עוֹשֶׂה--בּוֹעֵל בְּכָל עֵת שֶׁיִּרְצֶה, וּמְנַשֵּׁק בְּכָל אֵבֶר שֶׁיִּרְצֶה, וּבָא עָלֶיהָ בֵּין כְּדַרְכָּהּ, בֵּין שֶׁלֹּא כְּדַרְכָּהּ, בֵּין דֶּרֶךְ אֵבָרִים

 

Cependant, maintenant avec Ribbénou Ṭam, nous avons soudainement quelque chose de nouveau. Si quelqu'un se livre à une forme quelconque de relations sexuelles extra-vaginales et éjacule lors de ce type d’activités sexuelles avec sa femme, il a maintenant transgressé cette nouvelle loi ! En fait, cela régit même les dispositifs contraceptifs qu'il peut utiliser. Alors que selon TOUS les Pôsaqim pré-Ribbénou Ṭam, l'utilisation de la contraception de barrière était considérée comme acceptable dans les cas où la grossesse était malsaine pour la femme, soudainement l'utilisation de la contraception de barrière est maintenant interdite pendant les rapports sexuels. Les ramifications halakhiques de cette idée sont immenses. Cette loi est passée d'une Halokhoh qui encourage la procréation et la moralité sexuelle à une Halokhoh qui réglemente le type d’activité sexuelle acceptable entre un mari et une femme (alors que la Halokhoh authentique a autorisé tout type d’activité sexuelle dans un couple, sans restriction). C’est tout bonnement stupéfiant !

 

·        Gaspiller de la semence = transgression de la Miṣwoh de procréation

 

Cette idée de Ribbénou Ṭam est à peu près aussi révolutionnaire que la première. Dans toutes les autres discussions halakhiques à l'époque pré- Ribbénou Ṭam, il était bien entendu que se livrer à des activités sexuelles conçues pour éviter d'accomplir la Miṣwoh de procréer était découragé, et même comparé au meurtre. Cependant, il était également entendu que tant que l'on n'ignorait pas son obligation de peupler la Terre, les activités sexuelles dans des relations appropriées étaient parfaitement acceptables, même si elles ne pouvaient pas provoquer de grossesse. C'est parce que personne n'a jamais entendu parler de cette interdiction de « gaspiller la semence ». Mais maintenant, Ribbénou Ṭam nous dit que la Miṣwoh de la Ṭôroh de procréer comprend une interdiction de gaspiller la semence. On ne sait pas exactement comment il tire cela des versets de la Ṭôroh, mais c'est ce qu'il dit ! Maintenant, cette « interdiction » est élevée au rang d’une loi de la Ṭôroh, une interdiction ayant une origine dans la Ṭôroh.

 

·        Seulement pour les hommes

 

Le troisième résultat logique de l’opinion de Ribbénou Ṭam est que cette interdiction de gaspiller de la semence ne s’applique qu’aux hommes, à qui il est ordonné de procréer, et non aux femmes qui ne sont pas considérées comme obligées de procréer. (Les origines de cette différenciation entre les sexes sortent du cadre de cet article.) Si tel est le cas, nous sommes repartis avec une étrange dichotomie entre les deux individus impliqués dans cette rencontre hétérosexuelle entre une femme et son conjoint. Elle n'est pas interdite de tout acte, même de « gaspiller » la semence de son mari, mais lui ne peut rien faire d'autre qu’avoir avec elle des relations sexuelles qui se terminent obligatoirement par une éjaculation intra-vaginale !

 

Cela n’a AUCUNE logique ! Un homme aurait l’obligation de procréer, et à cause de cela il ne devrait toujours éjaculer que dans le vagin…mais comme sa femme n’a pas l’obligation de procréer elle pourrait s’arranger après l’éjaculation intra-vaginale pour détruire la semence de son mari… Donc, finalement, le mari a-t-il Procréé ? Et la Miṣwoh est-elle de procréer ou d’éjaculer dans le vagin ? Et toute éjaculation ne cause pas nécessairement une grossesse, loin de là ! Ce sont là les contradictions créées par les innovations de Ribbénou Ṭam inexistantes dans les écrits des Ṭanno`im, `amôro`im, Ga`ônim et Ri`shônim l’ayant précédé.

 

·        Les autres Ba´alé Ṭôsophôth répondent à Ribbénou Ṭam

 

L'un des principaux problèmes de l'approche de Ribbénou Ṭam, est qu'elle soulève tant de contradictions et de difficultés avec d'autres passages du Ṭalmoudh. Après tout, lorsque le Rambo’’m autorisait les relations sexuelles anales et toutes sortes de pratiques sexuelles (dans une relation appropriée), y compris l'utilisation de toutes les parties du corps pour le plaisir, il citait le Ṭalmoudh lui-même ! Alors, comment Ribbénou Ṭam pouvait-il prétendre qu’il y aurait une interdiction biblique d’éjaculer à l’extérieur du vagin, même dans des relations sexuelles avec sa propre femme ?

 

Ces questions ont bien sûr été soulevées par plusieurs Ba´alé Ṭôsophôth (talmudistes, principalement de France et d'Allemagne, essentiellement des disciples, gendres, et descendants de Rash’’i, qui se sont succédés sur une période d’environs 200 ans à partir du milieu du 12ème siècle) qui ont suivi Ribbénou Ṭam. Ces talmudistes ont tous contribué aux « Ṭôsophôth », qui sont des ajouts aux arguments de va-et-vient dans le texte du Ṭalmoudh lui-même. Les deux plus connus pour traiter cette question sont Ribbénou Yiṣḥoq ban Shamou`él ז״ל de Dampierre (France, 1115-1184), également connu sous le nom de « R’’i Hazzoqén », et Ribbénou Yasha´yohou di Trani ז״ל de Venise (Italie, 1180-1250), également connu sous le nom de « Ṭôsophôth Ri’’d ».

 

Ces deux Ba´alé Ṭôsophôth avaient un problème avec Ribbénou Ṭam. Au début, ils comprenaient les paroles de Rash’’i de la même manière que Ribbénou Ṭam, c'est-à-dire qu'il y a un problème inhérent au « gaspillage de la semence ». Cependant, ils devaient concilier cela avec le fait que dans de nombreux cas, le Ṭalmoudh autorise explicitement l'éjaculation même lorsque la grossesse ne va pas se produire. Au bout du compte, ils ne pouvaient pas accepter l'interprétation de Ribbénou Ṭam. Ce qu'ils ont fait essentiellement, c'était d'expliquer Rash’’i exactement comme je l'ai fait dans le dernier article : Ce gaspillage de sperme n'est un problème que lorsque l'on le fait régulièrement et explicitement pour tenter d'éviter d'accomplir la Miṣwoh de la procréation. Cependant, lorsque cela est fait dans le cours habituel de l'activité sexuelle normale autorisée, il n'y a pas d'interdiction de « gaspiller la semence ». Voici précisément leurs propres mots :[7]

 

... En outre, Ribbénou Yiṣḥoq[8] dit que cela n'est pas considéré comme l’acte de ´ér et `ônon à moins qu'une personne n'ait l'intention de gaspiller la semence et le fasse de manière systématique.[9] Cependant, si par hasard, lorsqu'une personne peut désirer avoir des relations atypiques avec sa femme d'une manière différente,[10] cela serait alors autorisé, comme l'enseigne le Ṭalmoudh[11] : « Tout ce qu'un homme désire faire (sexuellement) avec sa femme, il peut le faire » ...

 

Ici, Ribbénou Yiṣḥoq autorise explicitement la masturbation et d'autres pratiques sexuelles et ne voit aucun problème avec une supposée interdiction de « répandre la semence » à moins que cela ne soit fait sur une base systématique avec l'intention de ne pas accomplir la Miṣwoh de procréation. Tant que cela se fait dans le cadre d'une relation sexuelle acceptable et que ce n'est pas systématique, il n’y a aucun problème. Ribbénou Yasha´yohou di Trani le dit plus clairement (discutant de la décision talmudique permettant d'éviter une grossesse par la méthode du retrait - éjaculation externe - dans les cas où la grossesse peut être nocive pour la femme) :[12]

 

... et si tu demandes « Comment se fait-il que les rabbins aient permis d'éjaculer du sperme et de faire exactement les actions de ´ér et de `ônon ? ».[13] La réponse : Quels sont les actions de ´ér et `ônon interdites par la Ṭôroh ? Toute personne dont l'intention est que sa femme ne tombe pas enceinte afin que sa beauté ne soit pas diminuée, et il ne désire pas remplir son obligation de procréer avec elle. Mais si son intention est qu’elle ne soit pas mise dans (une situation de) danger, c’est permis. Et si son intention est (simplement de) satisfaire les désirs de son cœur et que son intention n'est pas d'empêcher une grossesse, c’est également permis ... Quelqu'un dont l'intention est d'accomplir ses désirs sexuels n'est pas en train de commettre (le péché de `ônon) parce que tout ce qu'une personne veut faire (avec) sa femme, il peut le faire, et cela n'est pas considéré comme « détruire la semence » car (si cela était considéré ainsi) on ne pourrait jamais avoir de rapports sexuels avec une femme plus jeune ou une `aylônith ou une femme stérile.

 

Ici, Ribbénou Yasha´yohou di Trani autorise à nouveau explicitement la masturbation et le déversement de semence, tant que cela se situe dans le contexte d'une relation autorisée. Il rejette clairement la possibilité que Rash’’i ait voulu dire que gaspiller la semence en soi serait une sorte d'interdiction. Ceci est bien sûr cohérent avec tous les passages talmudiques que nous avons étudiés jusqu'à présent.

 

Encore une fois, ces deux grands savants, même après les commentaires de Rash’’i pris hors contextes, ont néanmoins encore compris que la Halokhoh était exactement en adéquation avec l’approche du Rambo’’m que nous avions décrite en détails dans la septième partie, avant bien sûr qu’une phrase sournoise n’ait été ajoutée frauduleusement dans le texte du Mishgnéh Ṭôroh au 13ème siècle - dont nous avons discuté à la fin de la septième partie. Malgré l’honnêteté intellectuelle de ces deux Ba´alé Ṭôsophôth et leurs tentatives de restaurer la vérité de la Halokhoh sur ce sujet, les paroles de Ribbénou Ṭam allaient néanmoins avoir plus d'influence sur le développement futur de la Halokhoh. Dans le prochain article, je vais commencer à retracer comment cela s'est passé.



[1] Une femme incapable de concevoir.

[2] Une sorte d’éponge contraceptive que la femme insère dans son vagin pour bloquer le sperme.

[3] Mishnéh Ṭôroh, Hilkôth `issouré Bi`oh 21 :10

[4] C’est-à-dire, par une relation vaginale.

[5] C’est-à-dire, par une relation anale.

[6] C’est-à-dire, tirer du plaisir sexuel de n’importe quel organe ou membre du corps de son épouse, sans aucune restriction.

[7] Ṭôsophôth Yavomôth 34b

[8] Ribbénou Yiṣḥoq ban Shamou`él de Dampierre

[9] Ce qui est l’indicateur que son intention est clairement que son conjoint ne tombe pas enceinte, et que lui ne veut pas accomplir sa Miṣwoh de procréation.

[10] Par exemple, une relation anale, buccale, etc.

[11] Nadhorim 20b

[12] Ṭôsophôth Ri’’d, Yavomôth 12a

[13] Puisque le texte biblique dit explicitement qu’ils ont utilisé la méthode du retrait (« coït interrompu »).

jeudi 17 mars 2016

Dans quel sens faut-il placer la Mazouzoh ?

ב״ה

Dans quel sens faut-il placer la Mazouzoh ?


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Beaucoup croient que la position en pente de la Mazouzoh est une prescription de la Halokhoh elle-même. Ils le concluent généralement en raison du fait que l'écrasante majorité des Juifs placent leurs Mazouzôth de cette façon. Au risque d'en décevoir certains, l'inclinaison de la Mazouzoh est uniquement le produit d'un débat technique, et non une prescription halakhique.

Le Talmoudh rapporte ceci :1 

Rov Yahoudhoh a dit au nom de Rov : « Si on l'a fixée à la manière d'une bâcle, c'est invalide ». Mais cela ne se peut pas, car lorsque Rov Yishoq bar Yôséf est venu [de Palestine], il a affirmé que toutes les Mazouzôth de la maison de Rébbi étaient fixées à la manière d'un verrou... Cela ne constitue pas une difficulté, car dans un cas elle était fixée horizontalement2, tandis que dans l'autre cas elle était fixée comme une `istawiro`3.
אמר רב יהודה אמר רב עשאה כמין נגר פסולה איני והא כי אתא רב יצחק בר יוסף אמר כולהו מזוזתא דבי רבי כמין נגר הוו עבידן... לא קשיא הא דעבידא כסיכתא הא דעבידא כאיסתוירא

Rash''i ז״ל explique ces termes en disant que placer une Mazouzoh comme un bâcle signifie la placer horizontalement, ce qui rend la Mazouzoh invalide. Par contre, la placer comme une `istawiro` est valide, et il explique ce terme comme désignant la forme d'un bras courbé (c'est-à-dire avec une extrémité inclinée vers le haut), ou simplement une forme plus ou moins verticale. Pour Rash''i, donc, la façon idéale de placer une Mazouzoh est verticale. Son raisonnement est qu'elle devrait être placée à la porte de la même manière que la Tôroh est placée dans le `arôn Qôdhash d'une synagogue.


Mais les Tôsofôth citent Rabbénou Ta''m ז״ל qui n'est pas d'accord. D'après lui, la façon la plus respectueuse de placer les rouleaux de la Tôroh est en les couchant horizontalement. Il rapporte que c'est ainsi que les rouleaux sont placés dans le `arôn Qôdhash, et donc que c'est ainsi que la Mazouzoh devrait être placée à la porte. Il ajoute que les parchemins des Tafillin devraient également être placés horizontalement, et non verticalement, dans les Bottim. Les Tôsofôth concluent par : ואומר ר”ת צא ולמד דהא מעשה בכל יום כשספר תורה עומד על הבימה הכל עומדין וכששליח ציבור מושיבו הכל יושבין « Et Rabbénou Ta''m dit : Va et vois, que la pratique quotidienne est que lorsque le Séfar Tôroh est placé debout sur la Bimoh tout le monde se tient debout, et lorsque le Shaliah Sibbour le couche tout le monde s'assied ». Cette pratique est d'après lui la preuve que le Séfar Tôroh est considéré être dans sa position appropriée lorsqu'il a été couché horizontalement.


Comment tranchons-nous ? Le Ramba''m ז״ל tranche clairement comme Rash''i, et interdit de placer la Mazouzoh horizontalement, ce qui implique qu'elle doit être placée verticalement.4 Le Go`ôn de Wilno` ז״ל tranche également comme Rash''i5, et à Jérusalem, qui est une ville dans laquelle on suit les avis du Go`ôn de Wilno`, vous verrez que toutes les Mazouzôth sont placées dans une position totalement verticale. De même, jusqu'à aujourd'hui, la majorité des Safaradhim placent leurs Mazouzôth verticalement. Ils sont logiques dans leur pratique, puisqu'ils lisent également à la synagogue en faisant tenir la Tôroh debout dans une caisse décorative, et non en la couchant sur la Bimoh à l'instar des `ashkanazim. La pratique des Témonim (Juifs yéménites) et des autres Juifs orientaux (Mizrahim) consiste aussi à placer les Mazouzôth verticalement. La pratique des `ashkanazim consiste à suivre, ni Rash''i, ni Rabbénou Ta''m, mais plutôt la définition donnée par les Tôsofôth au mot איסתוירא « `istawiro` », qu'ils définissent comme voulant dire « diagonalement », qui est, cela dit en passant, une position acceptable même d'après Rash''i, puisqu'il n’exige pas que la Mazouzoh soit totalement verticale. Leur pratique consiste donc à placer la Mazouzoh en diagonale, ou oblique, ce qui aurait été la pratique de Rébbi, comme indiqué dans le Talmoudh. C'est également une position de compromis entre les avis de Rash''i et Rabbénou Ta''m (l'un dit « verticalement », l'autre « horizontalement », donc ils la placent « diagonalement »).


Néanmoins, dans le fond, même les `ashkanazim tranchent comme Rash''i, et c'est pourquoi leurs Mazouzôth sont placées beaucoup plus verticalement qu'horizontalement. De même, lorsque le montant de la porte n'est pas suffisamment large que pour la placer diagonalement, même les `ashkanazim la place alors dans une position totalement verticale. En outre, on raconte qu'à l'origine, comme pour tous les autres Juifs (Safaradhim, Mizrahim et Témonim), les `ashkanazim plaçaient eux aussi toutes leurs Mazouzôth verticalement. Mais lorsque les Croisés passaient par une ville juive, ou que des Chrétiens s'emparaient de maisons juives, ils plaçaient une barre de bois horizontalement sur la Mazouzoh, formant ainsi une croix. Pour empêcher cela, le Minhogh des `ashkanazim changea, et ils décidèrent de placer leurs Mazouzôth diagonalement. (Nous n'avons aucune source textuelle pour appuyer cette théorie, et nous n'avons aucune preuve que ce soit vrai. Mais c'est l'une des explications qui est parfois avancée pour justifier le changement de la pratique des `ashkanazim.)

Il existe de nombreuses preuves historiques démontrant que la Halokhoh est réellement comme Rash''i, le Ramba''m, le Go ôn de Wilno` et d'autres, et non pas comme Rabbénou Ta''m. Par exemple, de nombreuses portes datant du temps des Tanno`im (les Sages de la Mishnoh) ont été découvertes. Les fouilles archéologiques révèlent qu'elles étaient généralement constituées d'une solide colonne de pierre à un côté, et de deux pierres ayant un très petit écart entre elles sur la gauche (voir l'image en haut à gauche, sur l'illustration ci-dessous). Une bâcle de porte (dont parle le Talmoudh, dans le passage mentionné au début de notre article) était placée dans cet écart pour verrouiller la porte. Cela soutient clairement la lecture de Rash''i, puisque si le Talmoudh interdit de placer sa Mazouzoh à la manière d'une bâcle, cela signifie qu'elle ne doit pas être placée horizontalement.


Il n'y a donc aucune raison de placer ses Mazouzôth diagonalement, même si, au final, c'est tout à fait valable. Le mieux consiste toutefois à simplement les placer verticalement, dans une position droite, comme le font la majorité des Safaradhim, les Mizrahim, les Témonim, les disciples du Go`ôn de Wilno`, et évidemment les Talmidhé HaRamba''m.

1Manohôth 33a
2Auquel cas elle est invalide
3Auquel cas elle est valide
4Mishnéh Tôroh, Hilkôth Tafillin Oumazouzoh Waséfar Tôroh 5:8

5Voir son commentaire sur le Shoulhon ´oroukh, Yôréh Dé´oh 289:6

mercredi 2 mars 2016

Y a-t-il en soi une obligation de lire deux fois la Maghilloh ?

ב״ה

Y a-t-il en soi une obligation de lire deux fois la Maghilloh ?


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Le Ramba''m ז״ל tranche ceci dans son Mishnéh Tôroh1 :

Il est une Miswoh de la lire intégralement, et la Miswoh consiste à la lire durant la nuit et durant la journée. Toute la nuit est valable pour la lecture de la nuit, et toute la journée est valable pour la lecture de la journée.
מִצְוָה לִקְרוֹת אֶת כֻּלָּהּ. וּמִצְוָה לִקְרוֹתָהּ בַּלַּיְלָה, וּבַיּוֹם; וְכָל הַלַּיְלָה כָּשֵׁר לִקְרִיאַת הַלַּיְלָה, וְכָל הַיּוֹם כָּשֵׁר לִקְרִיאַת הַיּוֹם

De même, Rabbi Yôséf Qa`rô ז״ל tranche ceci dans son Shoulhon ´oroukh2 :

L'homme a l'obligation de lire la Maghilloh durant la nuit, et de la répéter durant la journée. [Concernant la lecture] de la nuit, sa plage horaire s'étend sur toute la nuit. [Concernant la lecture] de la journée, sa plage horaire s'étend sur toute la journée, à partir du lever du soleil jusqu'à la fin de la journée. Mais si on a [commencé à] la lire à partir de l'aube, on est quitte.
חייב אדם לקרות המגילה בלילה ולחזור ולשנותה ביום. ושל לילה – זמנה כל הלילה, ושל יום – זמנה כל היום, מהנץ החמה עד סוף היום; ואם קראה משעלה עמוד השחר – יצא

La plupart des rabbins d'aujourd'hui considèrent comme allant de soi que l'on doit lire deux fois la Maghilloh à Pourim ; une première fois la veille au soir, et une seconde fois le lendemain matin. Mais nous verrons qu'historiquement et halakhiquement parlant, ce n'est pas forcément correct. Quant au Ramba''m et à Rabbi Yôséf Qa`rô, nous avons déjà rapporté dans divers articles qu'il ne convenait pas de trancher la Halokhoh uniquement sur base de leurs ouvrages (Mishnéh Tôroh et Shoulhon ´oroukh), mais qu'il était plutôt un devoir de toujours rechercher les sources talmudiques sur lesquels ils s'appuient et vérifier par soi-même si la Halokhoh talmudique est réellement conforme à ce qu'ils tranchent.3 Et nous allons voir qu'en lisant le Talmoudh, il ressort que lire deux fois la Maghilloh n'est pas forcément la Halokhoh.

Nous lisons ceci dans la Mishnoh4 :

On ne peut lire ‎la Maghilloh, ni faire la circoncision, ni s'immerger [au Miqwah], ni asperger [avec les eaux de la vache rousse5], et de ‎même la femme observant chaque jour son état de pureté ne s'immergera ‎pas, avant le lever du soleil. Et tous, si on les a faits dès ‎l'aube, c’est valable.
אֵין קוֹרִין אֶת הַמְּגִלָּה, וְלֹא מָלִין, וְלֹא טוֹבְלִין וְלֹא מַזִּין, וְכֵן שׁוֹמֶרֶת יוֹם כְּנֶגֶד יוֹם לֹא תִּטְבֹּל, עַד שֶׁתָּנֵץ הַחַמָּה. וְכֻלָּן שֶׁעָשׂוּ מִשֶּׁעָלָה עַמּוּד הַשַּׁחַר, כָּשֵׁר
[Pendant] tout le jour, c’est valable de lire la Maghilloh, de lire le ‎Hallél, de sonner le Shôfor6, de prendre le Lôlov7, de réciter la Tafillath Hammousofin8, de [‎sacrifier] les Mousofin, de réciter la confession [qui accompagne ‎le sacrifice] des taureaux [expiatoires]9, de réciter la confession [qui ‎accompagne] le Ma´asér10, de réciter la confession de Yôm Hakkippourim, de poser les mains11, de faire l’égorgement [d’un animal], le balancement [du ´^omar12], ‎l’approche [de l’offrande de farine], sa prise en une poignée pleine, sa ‎combustion, l’égorgement des tourterelles et colombes13, la réception14, la projection15, faire boire la femme Sôtoh16, briser la nuque de la génisse17, et la [cérémonie de] purification du Masôro´
כָּל הַיּוֹם כָּשֵׁר לִקְרִיאַת הַמְּגִלָּה, וְלִקְרִיאַת הַהַלֵּל, וְלִתְקִיעַת שׁוֹפָר, וְלִנְטִילַת לוֹלָב, וְלִתְפִלַּת הַמּוּסָפִין, וְלַמּוּסָפִין, וּלְוִדּוּי הַפָּרִים, וּלְוִדּוּי הַמַּעֲשֵׂר, וּלְוִדּוּי יוֹם הַכִּפּוּרִים, לִסְמִיכָה, לִשְׁחִיטָה, לִתְנוּפָה, לְהַגָּשָׁה, לִקְמִיצָה וּלְהַקְטָרָה, לִמְלִיקָה, וּלְקַבָּלָה, וּלְהַזָּיָה, וּלְהַשְׁקָיַת סוֹטָה, וְלַעֲרִיפַת הָעֶגְלָה, וּלְטָהֳרַת הַמְּצֹרָע

La Mishnoh nous dit que la lecture de la Maghilloh doit se faire en journée, de préférence après le lever du soleil, bien que si on l'a faite à partir de l'aube c'est valable. Puis, elle énumère toute une liste d'activités ne pouvant se réaliser qu'en journée, et la lecture de la Maghilloh y est inclue. La Gamoro`18 se demande si le fait que cette Mishnoh ne dise rien sur une lecture nocturne de la Maghilloh peut être considéré comme une réfutation de la position de Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi ז״ל (que nous analyserons plus bas), qui a tranché que la Maghilloh devait être lue la nuit et relue durant la journée. Mais la Gamoro` avance que l'on pourrait tout à fait répondre que la Mishnoh ne voulait parler que de la lecture de la Maghilloh en journée.

Mais cette réponse de la Gamoro` ne résout absolument pas le problème. Même si cette Mishnoh ne voulait traiter que de la lecture en journée, ou plus généralement des Miswôth devant se réaliser en journée, la Mishnoh suivante19 traite des Miswôth devant se réaliser la nuit, et aucune mention n'est faite de la lecture de la Maghilloh, indiquant clairement que la lecture de la Maghilloh n'est pas une Miswoh que l'on peut accomplir la nuit ! Une plus grande réfutation contre cette Gamoro` se trouve dans la Tôsafto` qui, comme la Mishnoh, sous-entend clairement qu'il n'y a qu'une seule lecture de la Maghilloh à Pourim, et déclare explicitement que cette Miswoh ne doit pas s'accomplir la nuit20 : קראה בלילה לא יצא ידי חובתו « Celui qui la lit durant la nuit n'est pas quitte de son obligation ». Il ressort donc que durant toute la période tannaïque, il n'y avait pas de lecture nocturne de la Maghilloh, et que la position de Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi était une innovation.

Son raisonnement est traité dans la Gamoro` de la manière suivante21 :

Et Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi a dit : L'homme a l'obligation de lire la Maghilloh durant la nuit, et de la répéter durant la journée, car il est dit22 : « Mon Dieu, j'appelle de jour et Tu ne réponds pas ; de nuit, et il n'est pas de trêve pour moi »
ואריב"ל חייב אדם לקרות את המגילה בלילה ולשנותה ביום שנאמר אלהי אקרא יומם ולא תענה ולילה ולא דומיה לי

La Gamoro` poursuit en disant que ses disciples prirent cet enseignement comme voulant dire que la Maghilloh devait être lue durant la nuit, et que la Mishnoh qui s'y rapportait (à savoir, le Traité Maghilloh) devait être étudiée durant la journée. En effet, le verbe לשנותה « Lishnôthoh », que l'on a traduit ici par « la répéter », peut également se comprendre par « l'étudier », comme dans la célèbre maxime23 : תנא דבי אליהו: כל השונה הלכות בכל יום מובטח לו שהוא בן עולם הבא « Tono` Dhavé `éliyohou : Kol Hashônah Halokhôth Bakhol Yôm Mouvtah Lô Shahou` Ban Ho´ôlom Habbo` - Il a été enseigné par l’École de `éliyohou : Quiconque étudie des Halokhôth chaque jour s'assure d'être un fils du Monde-à-Venir ». Mais Rébbi Yirmayoh ז״ל leur a répondu qu'il a entendu de Rov Hiyo` bar `abbo` ז״ל que le terme « Lishnôthoh » avait ici le sens de « répétition », et non pas d'étude, et donc, que Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi voulait dire que la lecture de la Maghilloh devait être répétée en journée.

Ce dernier base sa décision sur une lecture homilétique d'un verset tiré du Tahillim 22, que la tradition homilétique associe à l'histoire de Pourim. En d'autres mots, ce n'est qu'une `asmakhto`, et une déduction personnelle de Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi. De la réaction de ses disciples, qui pensaient qu'il voulait dire que la Maghilloh devait être lue durant la nuit et que les Mishnoyôth du traité Maghilloh devaient être étudiées en journée, nous pouvons aisément voir qu'une double lecture de la Maghilloh, la nuit et en journée, n'était pas une pratique connue. Et du fait qu'il a fallu attendre la génération suivante des `ammôro`im (Rébbi Yirmayoh et Rébbi Halbô ז״ל) pour clarifier et confirmer qu'il devait y avoir deux lectures de la Maghilloh démontre que le doute à longtemps subsisté quant au sens à donner aux propos de Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi, car le Sanhédhrin n'a jamais institué deux lectures, mais une seule.

Le Touré `avan ז״ל (Rabbi `aryéh Leib Gunzberg, 1695-1785) fut le tout premier talmudiste de premier plan à admettre que la lecture nocturne de la Maghilloh pourrait ne pas du tout faire partie des lois originelles de Pourim. Sa conclusion fut que la lecture en journée est requise Middivré Sôfrim (par décret de nos Sages qui existaient du temps des événements de Pourim), tandis que la lecture nocturne n'est qu'une institution rabbinique d'une origine tardive.24 Mais il fut loin d'être le seul. Le Nôdha´ BiYhoudhoh ז״ל (Rabbi Yahazqé`l ban Yahoudhoh Landau, 1713-1793) soutenait exactement la même position que lui.25

Le Minhath Bikkourim ז״ל (Rabbi Shamou`él `avighdôr de Karlin, 1806-1866) alla plus loin encore, en déclarant ouvertement que la lecture nocturne de la Maghilloh suit de plusieurs siècles l'institution de la fête de Pourim.26 Le Pari Maghadhim ז״ל (Rabbi Yôséf ban Mé`ir Ta`ômim, 1727-1792) soutient la même chose.27

Le Binyan Shalômôh ז״ל (Rabbi Shalômôh Hakkôhén de Wilno`, 1828-1905) alla plus loin encore, et affirma que la lecture nocturne n'était pas même une obligation rabbinique, mais la simple institution de Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi.28 En d'autres mots, il n'existe pas même une obligation rabbinique de lire deux fois la Maghilloh, qui est une pratique basée sur une opinion personnelle.

Le Pané Yahôshoua´ ז״ל (Rabbi Ya´aqôv Yahôshoua´ ban Savi Hirsch Falk, 1680-1756) explique que la lecture principale de la Maghilloh est celle qui a lieu en journée, car c'est en journée que la victoire miraculeuse des Israélites a eu lieu (les batailles ne sont pas livrées durant la nuit). Il définit la lecture nocturne comme n'étant qu'une « simple Miswoh », c'est-à-dire, quelque chose que l'on fait juste comme ça, par habitude, par coutume.

Le Har Savi (Rabbi Savi Pésah Frank, 1873-1960) rejeta toutes les preuves historiques avancées par le Binyan Shalômôh et d'autres, et écrit ceci :

Il est difficile de dire que du temps de Mordokhay et `astér, et tout au long de la période du Deuxième Béth Hammiqdosh et durant l'ère tannaïque, ce qui fait plus de 600 ans, la Maghilloh n'était pas lue la nuit. Est-il possible que durant les glorieuses années de Jérusalem aucune autorité ne trouva sage de légiférer cette ordonnance, mais que durant l'ère qui suivit la destruction [de Jérusalem] les Sages estimèrent nécessaire de le faire ?

Pour défendre l'antiquité de la lecture nocturne de la Maghilloh, le Rov Frank avance comme argument qu'aucun des Ri`shônim n'a même jamais mentionné l'origine tardive de cette pratique29, et cite même deux Ri`shônim (le Ra''n ז״ל et le Ritva''` ז״ל) qui croyaient que la lecture nocturne était une pratique remontant aux époques même de Mordokhay et `astér.

Les arguments qu'il avance sont complètement vides de sens. Le fait qu'aucun des Ri`shônim n'ait suggéré que la lecture nocturne de la Maghilloh était d'une origine tardive, n'est une preuve de rien ; ces Ri`shônim étaient des Pôsqim, pas des historiens ! En outre, tout le raisonnement du Rov Frank est biaisé, et ne prend pas en compte les preuves historiques des Pôsqim précédemment mentionnés, puisqu'il commence son analyse en rejetant d'entrée la possibilité que cette pratique ait pu se développer au fur et à mesure du temps (ce qui est pourtant un fait discernable à partir des sources talmudiques elles-mêmes). Ainsi, avant même de se pencher sur les preuves, il commence par dire דבר זה קשה לאומרו « il est difficile de dire une telle chose ». Il n'y a aucune objectivité dans sa démarche !

Bien que Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi soit la source la plus ancienne pour l'exigence de lire la Maghilloh durant la nuit, certaines sources suggèrent clairement, contrairement à ce qu'avance le Rov Frank, que l'on a progressivement évolué d'une absence totale de lecture nocturne vers une lecture nocturne quasiment obligatoire.

  1. Lectures nocturnes partielles

Dans le traité Sôfrim30, après avoir cité la déclaration de Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi, il est fait mention du fait que certaines communautés avaient la coutume de lire la moitié de la Maghilloh la nuit du premier Shabboth du mois de `adhor, et la seconde moitié de la Maghilloh la nuit du deuxième Shabboth du mois de `adhor. Le traité Sôfrim ajoute que Rébbi Mé`ir ז״ל s'opposa à cette pratique jusqu'à ce qu'on lui expliqua que les gens le faisaient afin de glorifier Dieu, et non pas afin d'accomplir l'obligation halakhique de lire la Maghilloh.

Nous pouvons donc voir que les gens étaient conscients du fait que lire la Maghilloh de nuit ne permettait pas d'accomplir son devoir ! C'est pour cela qu'ils le faisaient juste pour glorifier Dieu, et s'acquittaient donc de leur devoir uniquement au moment de la lecture de la Maghilloh ayant lieu la journée de Pourim.

  1. Lecture nocturne à Sepphoris

Une seule fois dans sa vie, Rébbi Yôhonon ban Nouri ז״ל lut la Maghilloh durant la nuit à Sepphoris. Rébbi Yôsé ז״ל tenta de démontrer, à partir de cet épisode, que l'exigence halakhique de lire la Maghilloh pouvait s'accomplir la nuit du 14 `adhor. Mais les Sages lui répondirent que rien ne devait être déduit de cet épisode, parce que cela s'était produit à une période de persécutions, durant laquelle les préceptes religieux étaient réalisés même de façon non conformes à la Halokhoh, car mieux valait faire quelque chose plutôt que rien du tout.31

Cet épisode s'est produit en 117 de l’Ère Courante, lorsque les répercussions tragiques de la révolte avortée des Juifs de la diaspora se ressentirent jusqu'en Judée sous la domination du général Romain, Lusius Quietus. Nous voyons là encore que les Sages étaient catégoriquement opposés à une lecture nocturne de la Maghilloh, mais qu'ils ne le permirent cette année-là qu'en raison de la situation particulière dans laquelle les Israélites se trouvaient.

  1. La décision de Rébbi Haninoh

Le Talmoudh Yarousholmi32 rapporte une déclaration halakhique qui est très similaire de celle émise par Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi :

´oulloh Biriyoh, Rébbi La´ozor au nom de Rébbi Haninoh : Celui qui en a l'habitude doit la lire durant la nuit, et la répéter durant la journée
עולה בירייה ר' לעזר בשם ר' חנינה רגיל צריך לקרותה בלילה ולשנותה ביום

Deux mots sont d'une grande importance et font toute la différence avec la position de Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi : רגיל « Raghil » (avoir l'habitude) et צריך « Sorikh » (doit). Rébbi Haninoh ז״ל n'impose la lecture nocturne de la Maghilloh qu'à ceux qui avaient déjà l'habitude de le faire, tandis que Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi l'applique à tout le monde. Cependant, Rébbi Haninoh emploie le mot צריך « Sorikh », qui est beaucoup plus faible que le terme חייב « Hayyov » employé par Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi en matière d'obligation religieuse, et indique qu'il n s'agit pas là d'une obligation halakhique, contrairement à la position de Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi, mais d'une pratique admissible que l'on peut perpétuer.

Nous voyons que dans les temps mishnaïques, au 2ème siècle de l'E.C., certaines communautés lisaient la Maghilloh la nuit, soit en raison des persécutions qui empêchaient les rassemblements en journée, soit en guise de coutume, mais certainement pas comme une obligation halakhique. À un certain moment, la pratique s'étant déjà répandue, certains Sages, tel que Rébbi Haninoh, approuvèrent cette pratique, et dirent que ceux qui s'étaient déjà habitués à le faire pouvaient continuer à lire la Maghilloh la nuit de Pourim. Enfin, Rébbi Yahôshoua´ ban Léwi déclara que l'entièreté de la communauté juive devait adopter la pratique de la lecture nocturne de la Maghilloh. Mais même là, il exista une ambiguïté sur ses propos, qui pouvaient être compris soit comme voulant dire que la Maghilloh devait être lue la nuit, puis étudier en journée les Mishnoyôth du traité Maghilloh, soit comme voulant dire que la Maghilloh devait être lue la nuit, puis lue à nouveau en journée (car c'est réellement en journée que la Miswoh s'accomplit. Par conséquent, la lecture nocturne ne suffit pas). Une génération plus tard, il fut acquis que la Maghilloh devait être lue deux fois, une première fois la nuit et une deuxième fois en journée. Mais avant cela, il aurait été inimaginable d'observer la fête de Pourim durant la nuit. D'ailleurs, au fur et à mesure que la coutume de la lecture nocturne se répandit, les gens commencèrent également à tenir leur repas de Pourim la nuit, alors que la Halokhoh exige qu'il ait lieu en journée, puisque c'est en journée que se sont produits les événements de Pourim. C'est la raison pour laquelle Ravo` ז״ל trancha au 4ème siècle que quiconque prenait son repas de Pourim la nuit du 14 `adhor n'était pas quitte de son obligation.33 Une Halokhoh que la quasi totalité des Juifs ne respectent pas ! Étrange ! N'en déplaise donc au Rov Frank, nous avons démontré que la lecture de la Maghilloh n'était pas faite de nuit du temps de Mordokhay et `astér, mais que cela fut instituée beaucoup plus tard par des phases successives, et qu'il est raisonnable de conclure que cette lecture nocturne n'est pas halakhique en elle-même, mais tout au plus une pratique acceptable, de sorte que celui qui ne lit pas la Maghilloh la nuit de Pourim, mais uniquement en journée, ne transgresse absolument pas la Halokhoh.

Ce qui est dramatique, est le fait que la lecture nocturne de la Maghilloh est devenue le principal moyen d'observer la fête de Pourim. En effet, les synagogues sont généralement beaucoup plus remplies pour la lecture nocturne de la Maghilloh qu'elles ne le sont pour la lecture du lendemain matin, alors que c'est cette dernière lecture qui est obligatoire d'après la Halokhoh. De même, les repas de la nuit de Pourim sont beaucoup plus copieux que ceux de la journée de Pourim, alors que la Halokhoh interdit de prendre son repas de fête la nuit de Pourim ! (Même le Ramba''m tranche que celui qui prend son repas de fête la nuit de Pourim n'accomplit pas la Miswoh34, conformément au Pasaq de Ravo`.)

Reconnaître le fait que la lecture nocturne de la Maghilloh est une évolution tardive est la clef pour répondre à une question qui a beaucoup troublé les Ri`shônim. Puisque la lecture nocturne est la première fois que la Maghilloh est lue à Pourim, la bénédiction de שהחיינו « Shahahayonou » doit être faite avant cette lecture. La logique voudrait qu'elle ne soit pas répétée lors de la lecture du lendemain en journée, puisqu'à ce moment-là, la Miswoh n'est plus nouvelle (étant donné qu'elle avait été accomplie la veille au soir). Et pourtant, le Talmoudh ne fait aucune distinction entre la nuit et le jour au niveau des bénédictions à faire avant la lecture.35 La question qui se pose est pourquoi ce silence ?

Les Ri`shônim Safaradhim, tel que le Ramba''m, tranchent que « Shahahayonou » n'est pas récité avant la lecture qui se fait en journée.36 À l'inverse, les Ri`shônim `ashkanazim disent qu'il faudrait le réciter également en journée. Remarquant la contradiction et le problème sous-jacent, le Rashba''m ז״ל (Rabbénou Shamou`él ban Mé`ir, 1085-1158), qui est pourtant un `ashkanazi, trancha que la Halokhoh suivait l'avis des Safaradhim. Son jeune frère, Rabbénou Ta''m ז״ל (Rabbénou Ya´aqôv ban Mé`ir, 1100-1171) tenta de justifier la pratique ashkénaze en avançant comme théorie que la lecture en journée est la méthode principale pour publier plus grandement le miracle, tandis que la lecture nocturne est la méthode secondaire.37 (Explication qui ne tient non seulement pas la route, mais qui est en plus contredite par le fait qu'il y a plus de gens la nuit que le jour dans les synagogues pour la lecture de la Maghilloh.)

D'un point de vue historique, il est facile de comprendre ce qui s'est passé et d'où provient le problème. Avant que la pratique de lire la Maghilloh la nuit de Pourim ne se développa, « Shahahayonou » n'était récitée qu'avant la lecture de la journée, puisque la Maghilloh n'était pas lue de nuit. Après que la pratique de la lecture nocturne se développa et se répandit, il devint nécessaire de réciter « Shahahayonou » la nuit, rendant ainsi la lecture en journée superflue. En effet, d'après les règles relatives aux bénédictions faites en vain, il est raisonnable d'arguer qu'il doit être interdit de réciter « Shahahayonou » en journée si on l'a fait la nuit. C'est pour cela que les Safaradhim interdisent la récitation de « Shahahayonou » en journée, et cela démontre, même malgré les Safaradhim, que la Halokhoh n'impose en réalité qu'une seule lecture de la Maghilloh.

Par contre, chez les `ashkanazim, en dépit de la protestation du Rashba''m, la bénédiction fut maintenue, non pas pour de bonnes raisons, ni même pour des considérations halakhiques, mais simplement parce qu'il est difficile de retirer des bénédictions à la liturgie une fois que les gens se sont habitués à les faire. La théorie aberrante de Rabbénou Ta''m est simplement une tentative désespérée de justifier une pratique qui ne s'est développée qu'à la suite d'incidents historiques.

Enfin, lire la Maghilloh de nuit pose un problème par rapport aux autres Miswôth de Pourim, qui ne peuvent se réaliser qu'en journée. Il n'y a aucune raison que la lecture de la Maghilloh fasse exception.

Les choses qui peuvent paraître comme solidement gravées dans la roche ne le sont pas nécessairement lorsqu'on prend la peine d'analyser les sources d'origine de ces pratiques.

La conclusion est qu'il n'y a non seulement aucune obligation de lire la Maghilloh la nuit de Pourim, mais on pourrait en plus arguer qu'il est inconvenant de le faire. Dans la littérature talmudique, il est clair et évident que c'est par la lecture de la Maghilloh en journée que l'on s'acquitte de son devoir, et que c'est uniquement en raison de la persécution que se développa petit à petit la pratique de la lire également la nuit. Et même ceux qui le faisaient la nuit ne le faisaient pas pour s'acquitter de leur devoir (à moins qu'il soit impossible de la lire en journée), mais pour glorifier Dieu, un peu comme la lecture nocturne du Hallél à Pésah.

1Hilkôth Maghilloh Wahanoukkoh 1:3
2`ôrah Hayim 687:1
4Maghilloh 2:4-5
5Pour quelqu'un qui a touché un mort
6À Rô`sh Hashonoh
7À Soukkôth
8Qui était faite dans le Béth Hammiqdosh les jours où le sacrifice additionnel était offert au Béth Hammiqdosh, le Shabboth, à Yôm Tôv, Hôl Hammo´édh et Rô`sh Hôdhash
9À Yôm Hakkippourim
10La dîme
11Sur la tête de l'animal avant qu'il ne soit sacrifié
12Entre Pésah et Shovou´ôth
13Pour les sacrifices d'oiseaux
14La réception du sang jaillissant du cou de l'animal égorgé dans un ustensile approprié pour le projeter après sur l'autel
15La projection du sang recueilli sur l'autel et le rideau séparateur
16Soupçonnée d'adultère par son mari
17En cas d'un mort retrouvé dans un village
18Ibid., 20a
19Ibid., 2:6
20Tôsafto`, Ibid., 2:2
21Ibid., 4a
22Tahillim 22:3
23Tano` Dhavé `éliyohou Zouto`, Chapitre 2 ; Maghilloh 28b ; Niddoh 73a
24Gloses sur la Gamoro` de Maghilloh 4b
25Qammo`, `ôrah Hayim 41
26Gloses sur la Tôsafto` de Maghilloh 2:2
27`éshél `avrohom 692:2
28Binyan Shalômôh, Paragraphe 58
29Har Savi, `ôrah Hayim 2:120
30Sôfrim 14:15-16
31Voir Tôsafto`, Maghilloh 2:2
32Maghilloh 20b (Chapitre 2, Halokhoh 4)
33Talmoudh, Maghilloh 7b
34Mishnéh Tôroh, Hilkôth Maghilloh Wahanoukkoh 2:15
35Le Ro`''sh, Maghilloh 1:6
36Mishnéh Tôroh, Hilkôth Maghilloh Wahanoukkoh 1:3

37Tôsofôth, Maghilloh 4a
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