jeudi 31 mars 2016

Les Birakhôth Hattôroh

ב״ה

Les Birakhôth Hattôroh


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Rabbi Yôséf Qa`rô ז״ל écrit ceci1 :

La bénédiction de la Tôroh, on doit y faire très attention.
ברכת התורה צריך ליזהר בה מאד

Cette instruction selon quoi on devrait prendre garde à bien réciter la bénédiction de la Tôroh avant de l'étudier est basée sur le passage talmudique suivant2 :

Pourquoi n'est-ce pas habituel de voir des Talmidhé Hakhomim produire des Talmidhé Hakhomim parmi leurs fils ? Rov Yôséf3 a dit : « Afin que l'on ne puisse pas dire que la Tôroh est leur héritage ! »4 Rov Shéshath, le fils de Rov `iddi5, a dit : « Afin qu'ils ne soient pas arrogants envers la communauté ! ». Mor Zoutro`6 a dit : « Parce qu'ils se comportent trop autoritairement envers la communauté ! ». Rov `ashi7 a dit : « Parce qu'ils insultent les gens d'ânes ! »8. Ravîno`9 a dit : « Parce qu'ils ne récitent pas au préalable une bénédiction [quand ils s'occupent] dans la Tôroh, car Rov Yahoudhoh10 a dit au nom de Rov11 : Que veut-on dire par [le verset12] : ''Quel est l'homme assez sage pour le comprendre?''13 [Ce verset implique que] cette question fut posée aux Sages et aux Prophètes, mais ils ne purent l'élucider, jusqu'à ce que le Saint, béni soit-Il, ne l'élucida Lui-même, comme il est écrit14 : ''HaShem l'a dit: C'est parce qu'ils ont abandonné Ma Tôroh, etc.''15 Mais ''Ils n'ont pas écouté Ma voix'' n'est-il pas la même chose que [de dire] ''ils n'ont pas marché en elle'' ? Rov Yahoudhoh a dit au nom de Rov : ''[Cela signifie] qu'ils ne récitaient pas de bénédiction [lorsqu'ils s'occupaient] dans la Tôroh !'' »
ומפני מה אין מצויין ת"ח לצאת ת"ח מבניהן אמר רב יוסף שלא יאמרו תורה ירושה היא להם רב ששת בריה דרב אידי אומר כדי שלא יתגדרו על הצבור מר זוטרא אומר מפני שהן מתגברין על הצבור רב אשי אומר משום דקרו לאינשי חמרי רבינא אומר שאין מברכין בתורה תחלה דאמר רב יהודה אמר רב מאי דכתיב מי האיש החכם ויבן את זאת דבר זה נשאל לחכמים ולנביאים ולא פירשוהו עד שפירשו הקדוש ברוך הוא בעצמו דכתיב ויאמר ה' על עזבם את תורתי וגו' היינו לא שמעו בקולי היינו לא הלכו בה אמר רב יהודה אמר רב שאין מברכין בתורה

Nous pouvons nous rendre compte tout d'abord que ce n'est pas un passage halakhique, mais un échange d'opinions centré autour de la question suivante : comment se fait-il que les Talmidhé Hakhomim de la période de la Gamoro` (les `ammôro`im) ne donnaient pas naissance à des fils qui étaient eux-mêmes des Talmidhé Hakhomim ? Et différents `ammôro`im donnent leur opinion et proposent diverses réponses.

Si nous prenons au sens littéral l'enseignement de Rov Yahoudhoh ז״ל selon quoi les contemporains du prophète Yirmayohou ע״ה furent punis parce qu'ils ne récitaient pas de bénédiction avant d'étudier la Tôroh, il y a alors un problème. En effet, le Ra''n ז״ל fait remarquer que du temps du prophète Yirmayohou une bénédiction sur la Tôroh n'existait pas encore. En outre, même du temps de la Mishnoh il n'y avait pas de bénédiction standardisée à faire avant d'étudier la Tôroh, comme nous le verrons par la suite. Que peut donc vouloir dire Rov Yahoudhoh lorsqu'il conclut que la raison de la destruction de la Terre Sainte à l'époque du prophète Yirmayohou était que les Israélites ne faisaient pas de bénédiction lorsqu'ils s'occupaient dans la Tôroh ? Le Ra''n répond que bien qu'ils l'étudiaient, leurs motivations étaient égoïstes. Ils n'étudiaient pas la Tôroh Lishmoh, pour la mettre en pratique, et n'appréciaient donc pas de façon appropriée sa valeur intrinsèque. Cette idée est exprimée par l'affirmation selon laquelle ils ne récitaient pas de bénédiction avant de l'étudier, c'est-à-dire, ils n'accordaient pas à la Tôroh une valeur en elle-même. Étudier la Tôroh n'était pas traité par eux comme une Miswoh, mais comme une occupation ordinaire.

Ce que nous appelons de nos jours בִּרְכוֹת הַתּוֹרָה « Birakhôth Hattôroh » (« bénédictions [sur] la Tôroh ») n’existait non seulement pas du temps de la Mishnoh (aucune bénédiction à faire avant d'étudier la Tôroh n'y est mentionnée), mais n'était pas non plus un texte formalisé. En d'autres mots, chacun disait un peu ce qu'il voulait avant d'étudier la Tôroh. Les Birakhôth Hattôroh ne font donc pas partie des bénédictions qui furent composées par les Hommes de la Grande Assemblée, mais virent le jour du temps des `ammôro`im.

Nous avons deux preuves explicites dans le Talmoudh confirmant ce que nous venons de dire. La première est que dans Barokhôth 60a-b, là où le Talmoudh énonce toutes les Birakhôth Hashahar (bénédictions du matin), aucune bénédiction sur l'étude de la Tôroh n'est donnée, indiquant par-là que les hommes de la Grande Assemblée et les Sages de la Mishnoh ne composèrent aucune bénédiction avant l'étude de la Tôroh le matin. La deuxième est le passage de Barokhôth 11b, qui cite trois formulations différentes énoncées par trois `ammôro`im :

Quelle bénédiction est faite [avant l'étude de la Tôroh] ? Rov Yahoudhoh a dit au nom de Shamou`él16 : « ...Qui nous a sanctifiés par Ses commandements et nous a ordonné de nous occuper dans les paroles de la Tôroh ». Rov Yôhonon17 avait l'habitude de la conclure de la façon suivante : « Rends plaisantes, de grâce, HaShem notre Dieu, les paroles de Ta Tôroh dans nos bouches et dans les bouches de Ton peuple la Maison d'Israël, afin que nous-mêmes, nos descendants et les descendants de Ton peuple, la Maison d'Israël, tous puissions connaître Ton Nom et nous occuper de Ta Tôroh. Béni Tu es HaShem, Qui apprend la Tôroh à Son peuple Israël » Rov Hamnouno`18 disait : « ...Qui nous a choisis entre tous les peuples et nous a donné Sa Tôroh. Béni Tu es HaShem, Qui donne la Tôroh ». Rov Hamnouno` a dit : « Celle-ci19 est la plus élevée des bénédictions. Par conséquent20, disons-les toutes !21 »
מאי מברך א"ר יהודה אמר שמואל אשר קדשנו במצותיו וצונו לעסוק בדברי תורה ור' יוחנן מסיים בה הכי הערב נא ה' אלהינו את דברי תורתך בפינו ובפיפיות עמך בית ישראל ונהיה אנחנו וצאצאינו וצאצאי עמך בית ישראל כלנו יודעי שמך ועוסקי תורתך ברוך אתה ה' המלמד תורה לעמו ישראל ורב המנונא אמר אשר בחר בנו מכל העמים ונתן לנו את תורתו ברוך אתה ה' נותן התורה אמר רב המנונא זו היא מעולה שבברכות הלכך לימרינהו לכולהו

En d'autres mots, il n'y avait aucune formulation spécifique concernant la bénédiction à faire avant d'étudier la Tôroh le matin. Chacun disait ce qu'il voulait. Shamou`él ז״ל enseigna à Rov Yahoudhoh la bénédiction de לַעֲסוֹק בְּדִבְרֵי תוֹרָה « La´asôq Badhivré Thôroh », tandis que Rov Yôhonon ז״ל faisait une prière qui se concluait par הַמְלַמֵּד תּוֹרָה לְעַמּוֹ יִשְׂרָאֵל « Hamalammédh Tôroh La´ammô Yisro`él ». Et enfin, Rov Hamnouno` ז״ל ne récitait ni l'une ni l'autre, mais la même bénédiction faite à la Synagogue avant la lecture publique de la Tôroh, à savoir, אֲשֶׁר בָּחַר־בָּנוּ « `ashar Bohar Bonou ». Il considérait que la bénédiction sur l'étude de la Tôroh était la plus élevée des bénédiction.22 Mais puisqu'il y avait une divergence quant à sa formulation, il préconisa de les réciter toutes les trois. Et c'est de là que vient la pratique consistant à faire chaque matin ces trois bénédictions !

Lorsque nous jetons un coup d’œil dans l'ensemble de nos Siddourim depuis celui du Rov ´amrom Go`ôn ז״ל jusqu'à nos jours, nous remarquons qu'au fur et à mesure du temps les Birakhôth Hattôroh ont occupé au moins quatre positions différentes dans les Birakhôth Hashahar :

  1. Pour ceux d'entre vous qui suivez le Nousah `ashkanaz, vous êtes habitués à les réciter entre les bénédictions de אֲשֶׁר יָצַר « `ashar Yosar » et אֱלֹהַי נְשָׁמָה « `alôhay Nashomoh » ;
  2. Pour ceux d'entre vous qui suivez le Nousah des ´édhouth Hammizroh (Safaradhim et Orientaux), vous êtes habitués à les réciter après la bénédiction de גּוֹמֵל חֲסָדִים טוֹבִים לְעַמּוֹ יִשְׂרָאֵל « Gômél Hasodhim Tôvim La´ammô Yisro`él ». C'est également là qu'elles se trouvent dans le Siddour du Rov ´amrom Go`ôn ;
  3. Rov Ya´aqôv de Emden ז״ל, dans son Siddour, place les Birakhôth Hattôroh entre « `alôhay Nashomoh » et הַנּוֹתֵן לַשֶּׂכְוִי בִּינָה « Hannôthén Lassakhwi Vinoh » ;
  4. Le Go`ôn de Wilno` les place entre הַמְּקַדֵּש שְׁמוֹ בָרַבִּים « Hammaqaddésh Shamô Vorabbim » et la récitation des קָרְבָּנוֹת « Qorbonôth ».

Il y a tant de variations pour la simple raison que le Talmoudh ne dit pas à quel moment les Birakhôth Hattôroh devraient être faites le matin, d'autant plus que ce passage de Barokhôth 11b est le seul endroit du Talmoudh où ces bénédictions sont mentionnées.

Nous remarquons également qu'il y a des différences de formulation de ces bénédictions dans nos Siddourim. Rabbi Yôséf Qa`rô écrit ceci dans son Shoulhon ´oroukh23 :

Les bénédictions de la Tôroh24 [sont] : « `ashar Qiddashonou Bamiswôthow Wasiwwonou ´al Divré Thôroh », « Waha´arév No`, etc. », et « `ashar Bohar Bonou ».
ברכות התורה אשר קדשנו במצותיו וצונו על דברי תורה והערב נא וכו' ואשר בחר בנו

Quant au Ramba''m ז״ל, il écrit ceci dans son Mishnéh Tôroh25 :

Celui qui se lève tôt pour lire dans la Tôroh avant la récitation du Shama´, qu'il lise dans la Tôroh Écrite ou dans la Tôroh Orale, il lave ses mains au préalable et récite trois bénédictions, puis seulement il lit. [Ces trois bénédictions] sont : « Boroukh `attoh HaShem `alôhénou Malakh Ho´ôlom `ashar Qiddashonou Bamiswôthow Wasiwwonou ´al Divré Tôroh. Ha´arév No` HaShem `alôhénou `ath Divré Tôrothakho Bafînou Ouvafifiyôth ´ammakho Khol Béth Yisro`él Wanihyah `Anahnou Wasa`aso`énou Wasa`aso`é ´ammakho Khol Béth Yisro`él Yôdh´é Shamakho Walômadhé Tôrothakho Lishmoh. Boroukh `attoh HaShem Nôthén Hattôroh. Boroukh `attoh HaShem `alôhénou Malakh Ho´ôlom `ashar Bohar Bonou Mikkol Ho´ammim Wanothan Lonou `ath Tôrothô. Boroukh `attoh HaShem Nôthén Hattôroh ».
הַמַּשְׁכִּים לִקְרוֹת בַּתּוֹרָה קֹדֶם שֶׁיִּקְרָא קִרְיַת שְׁמַע, בֵּין קָרָא בְּתוֹרָה שֶׁבִּכְתָב בֵּין בְּתוֹרָה שֶׁבְּעַל פֶּה--נוֹטֵל יָדָיו תְּחִלָּה, וּמְבָרֵךְ שָׁלוֹשׁ בְּרָכוֹת, וְאַחַר כָּךְ קוֹרֶא; וְאֵלּוּ הֶן: בָּרוּךְ אַתָּה ה' אֱלֹהֵינוּ מֶלֶךְ הָעוֹלָם, אֲשֶׁר קִדְּשָׁנוּ בְּמִצְווֹתָיו וְצִוָּנוּ עַל דִּבְרֵי תּוֹרָה. הַעֲרֵב נָא ה' אֱלֹהֵינוּ, אֶת דִּבְרֵי תּוֹרָתְךָ בְּפִינוּ וּבְפִיפִיּוֹת עַמְּךָ כָל בֵּית יִשְׂרָאֵל, וְנִהְיֶה אֲנַחְנוּ וְצֶאֱצָאֵינוּ וְצֶאֱצָאֵי עַמְּךָ כָל בֵּית יִשְׂרָאֵל, יוֹדְעֵי שְׁמֶךָ וְלוֹמְדֵי תּוֹרָתְךָ לִשְׁמָהּ; בָּרוּךְ אַתָּה ה', נוֹתֵן הַתּוֹרָה. בָּרוּךְ אַתָּה ה' אֱלֹהֵינוּ מֶלֶךְ הָעוֹלָם, אֲשֶׁר בָּחַר בָּנוּ מִכָּל הָעַמִּים וְנָתַן לָנוּ אֶת תּוֹרָתוֹ; בָּרוּךְ אַתָּה ה', נוֹתֵן הַתּוֹרָה

Premièrement, nous pouvons constater qu'aussi bien le Ramba''m que Rabbi Yôséf Qa`rô concluent la première bénédiction par la phrase עַל דִּבְרֵי תּוֹרָה « ´al Divré Thôroh », alors que la formule rapportée par Shamou`él, dans le Talmoudh, se conclut par לַעֲסוֹק בְּדִבְרֵי תוֹרָה « La´asôq Badhivré Thôroh ». La majorité des `ashkanazim disent « La´asôq Badhivré Thôroh », tandis que les Safaradhim et certains `ashkanazim disent « ´al Divré Thôroh ». Cette différence démontre davantage que le passage talmudique de Barokhôth 11b n'était pas vraiment halakhique, et qu'en réalité chacun peut réciter la bénédiction qu'il désire avant d'étudier la Tôroh, l'important étant qu'il fasse néanmoins une bénédiction. Elle n'a donc jamais été fixée pour toujours, et il n'y a pas de texte standard à faire à cet effet. Si cela avait été le cas, il n'y aurait pas eu de différence entre la formule employée par les `ashkanazim et celle employée par les Safaradhim. N'oublions pas non plus que ces Birakhôth Hattôroh ne furent pas composées par les Hommes de la Grande Assemblée. Ce qui fait que leur formulation n'est pas immuable !

Deuxièmement, concernant la deuxième bénédiction, Rov Yôhonon et le Ramba''m la font commencer par le mot הַעֲרֵב « Ha´arév », tandis que Rabbi Yôséf Qa`rô la fait commencer par וְהַעֲרֵב « Waha´arév » (avec un Wow). Il écrit d'ailleurs ceci, dans son Shoulhon ´oroukh26 :

On dit « Waha´arév », avec un Wow.
אומר והערב עם וי"ו

Le Ramo''` ז״ל commente ce passage du Shoulhon ´oroukh en disant ceci :

[D'autres] le disent sans Wow, et telle est notre coutume. Mais il est préférable de le dire avec un Wow.
אומרים בלא וי"ו וכן נהגו. אבל יותר טוב לומר בוי"ו

D'où provient cette divergence ? Elle provient de la façon de comprendre les mots employés dans le Talmoudh pour décrire la formule de Rov Yôhonon. En effet, avant de rapporter la formule que ce dernier employait, le Talmoudh déclare : ר' יוחנן מסיים בה הכי « Rov Yôhonon avait l'habitude de la conclure de la façon suivante ». Les Ri`shônim débattent quant au sens à donner aux mots מסיים בה « la conclure ». Est-ce que cela signifie que Rov Yôhonon prolongeait la bénédiction de Shamou`él en y ajoutant le paragraphe commençant par « Ha´arév No` », ou est-ce que cela signifie qu'il récitait une autre bénédiction de la Tôroh dont le début ne nous est pas donné mais qu'il concluait par le paragraphe commençant par « Ha´arév No` » ? En d'autres mots, sommes-nous en présence de deux ou trois bénédictions ? Si le paragraphe qui commence par « Ha´arév No` » est la prolongation de la bénédiction de Shamou`él, il n'y a alors que deux bénédictions, tandis que si c'est une bénédiction distincte, il y a alors trois bénédictions.

C'est ce débat qui est la raison de la divergence concernant la nécessité de mettre ou pas un Wow devant « Ha´arév No` ». Le Ro`''sh27 ז״ל écrit qu'il n'y a que deux bénédictions et que, par conséquent, le paragraphe de « Ha´arév No` » doit commencer par un Wow conjonctif (donc « Waha´arév No` »), qui indique donc qu'il est lié à la bénédiction précédente, qui ne forment ensemble qu'une seule bénédiction longue28. Par contre, le Ramba''m (dans le passage susmentionné du Mishnéh Tôroh) est d'avis qu'elles forment trois bénédictions distinctes et, par conséquent, il ne faut pas commencer le paragraphe de « Ha´arév No` » par un Wow conjonctif, indiquant par-là que c'est le début d'une nouvelle bénédiction. Rabbi Yôséf Qa`rô tranche à la fois en suivant l'opinion de Rov Hamnouno`, selon qui il faudrait réciter toutes ces bénédictions, ainsi qu'en suivant l'opinion du Ro`''sh, selon qui le paragraphe de « Ha´arév No` » n'est pas une nouvelle bénédiction mais la prolongation de celle de Shamou`él et doit donc être précédé d'un Wow conjonctif. Quant au Ramo''`, il estime estime également qu'il est préférable de faire comme le Ro`''sh, même s'il signale que le Minhogh des `ashkanazim consiste à faire comme le Ramba''m, c'est-à-dire à les considérer comme trois bénédictions distinctes, ce qui fait que « Ha´arév No` » n'est pas précédé d'un Wow conjonctif.

Troisièmement, toujours concernant ce paragraphe de « Ha´arév No` », remarquez qu'aussi bien chez Rabbi Yôséf Qa`rô que chez le Ramba''m, il se conclut différemment de la formule employée par Rov Yôhonon. Avant de conclure sa bénédiction, le Talmoudh rapporte que Rov Yôhonon disait כֻּלָּנוּ יוֹדְעֵי שְׁמֶךָ וְעוֹסְקֵי תוֹרָתְךָ « [que] nous tous puissions connaître Ton Nom et nous occuper de Ta Tôroh », tandis que le Ramba''m et Rabbi Yôséf Qa`rô ont supprimé cette phrase pour la remplacer par celle-ci : יוֹדְעֵי שְׁמֶךָ וְלוֹמְדֵי תּוֹרָתְךָ לִשְׁמָהּ « [que nous tous] connaissions Ton Nom et étudiions Ta Tôroh pour elle-même ».

Tout ce que nous avons dit dans cet article nous montre clairement que la bénédiction à réciter avant l'étude de la Tôroh ne fut jamais réellement formalisée, ni imposée, au peuple d'Israël, mais est libre. Nous pouvons très bien faire n'importe quelle bénédiction, Chacun est libre de réciter la bénédiction qu'il souhaite avant l'étude de la Tôroh, et ces deux ou trois bénédictions rapportées dans Barokhôth 11b n'ont pas de stature obligatoire et contraignante.

Nous allons illustrer ce fait davantage en rapportant les divergences d'opinion qui existent quant à savoir pour quels types d'études de la Tôroh ces bénédictions devraient-elles être récitées ?

Nous avons mentionné plus haut que le Ramba''m écrit ceci :

Celui qui se lève tôt pour lire dans la Tôroh avant la récitation du Shama´, qu'il lise dans la Tôroh Écrite ou dans la Tôroh Orale, il lave ses mains au préalable et récite trois bénédictions, puis seulement il lit.
הַמַּשְׁכִּים לִקְרוֹת בַּתּוֹרָה קֹדֶם שֶׁיִּקְרָא קִרְיַת שְׁמַע, בֵּין קָרָא בְּתוֹרָה שֶׁבִּכְתָב בֵּין בְּתוֹרָה שֶׁבְּעַל פֶּה--נוֹטֵל יָדָיו תְּחִלָּה, וּמְבָרֵךְ שָׁלוֹשׁ בְּרָכוֹת, וְאַחַר כָּךְ קוֹרֶא

Le Ramba''m est donc d'avis que ces bénédictions devraient être faites, que l'on étudie dans la Tôroh Écrite ou dans la Tôroh Orale. Dans ses Hilkôth Talmoudh Tôroh 1:13-14, il nous fait comprendre que l'expression « Tôroh Écrite » se réfère à l'intégralité du TaNa''Kh, tandis que l'expression « Tôroh Orale » se réfère à la Mishnoh29 (ainsi qu'aux décisions halakhiques que l'on étudie sans se soucier des principes qui les régissent30).

Par contre, voici ce que tranche Rabbi Yôséf Qa`rô dans son Shoulhon ´oroukh31 :

Il est nécessaire de réciter [ces bénédictions] aussi bien pour l’Écriture, que pour la Mishnoh, que pour la Gamoro`.
צריך לברך בין למקרא בין למשנה בין לגמרא
Celui qui rédige des paroles de Tôroh, quand bien même il ne les lit pas, doit réciter [ces bénédictions].
הכותב בדברי תורה אף על פי שאינו קורא צריך לברך

Ainsi, pour lui, il faudrait réciter ces bénédictions avant une étude du TaNa''Kh, de la Mishnoh ou de la Gamoro`, et également avant de rédiger des paroles de Tôroh (par exemple, un sermon ou un Shi´our).

Le Ramo''` suit le Shoulhon ´oroukh et ajoute également l'étude du Midhrosh dans les types d'études qui nécessitent la récitation de ces bénédictions.

D'où proviennent ces divergences ? Du passage suivant du Talmoudh32 :

Rov Houno`33 a dit : « Pour la lecture de l’Écriture, on doit bénir. Mais pour l'étude du Midhrosh34, on ne bénit pas ». Rov `al´ozor35 a dit : « Pour l’Écriture et pour le Midhrosh, on doit bénir36. Mais pour la Mishnoh, on ne bénit pas37 ». Rov Yôhonon a dit : « Pour la Mishnoh aussi, on doit bénir.38 (Mais pour le Talmoudh39, on ne bénit pas)40 ». Ravo`41 a dit : « Même pour le Talmoudh, on doit bénir42, car Rov Hiyo` bar `ashi43 a dit : ''Je me suis tenu à de nombreuses reprises devant Rov pour répéter notre chapitre dans le Sifro` Davé Rov44, et il avait l'habitude de d'abord se laver les mains, de réciter [une bénédiction], et de passer ensuite en revue notre chapitre avec nous'' »45.
אמר רב הונא למקרא צריך לברך ולמדרש א"צ לברך ור' אלעזר אמר למקרא ולמדרש צריך לברך למשנה א"צ לברך ור' יוחנן אמר אף למשנה נמי צריך לברך [אבל לתלמוד א"צ לברך] ורבא אמר אף לתלמוד צריך לברך דאמר רב חייא בר אשי זימנין סגיאין הוה קאימנא קמיה דרב לתנויי פרקין בספרא דבי רב הוה מקדים וקא משי ידיה ובריך ומתני לן פרקין

Comme vous le voyez, cette question n'est donc pas résolue dans le Talmoudh. Tout dépendra donc de l'importance que l'on accorde à ce que l'on étudie au matin et de notre façon de considérer les choses.

Après avoir béni la Tôroh, on étudie ou lit un peu. Et là encore, ce qu'on lira ou étudiera dépendra de chacun, et rien n'a été fixé à cet égard, même si certains exemples ont été donnés et imprimés dans nos Siddourim. Si vous y jetez un coup d’œil, vous remarquerez que dans les Siddourim des Safaradhim seul le passage de la Birakath Kôhanim est mentionné après les bénédictions de la Tôroh, tandis que chez les `ashkanazim il y a toute une série de passages tirés de la Mishnoh et de la Gamoro` en plus de la Birakath Kôhanim. Quant au Ramba''m, il mentionne dans son Siddour46 les passages suivants en guise d'étude de la Tôroh du matin :

  • Pé`oh 1:1 (Shabboth 127a)
  • Niddoh 66a
  • Maghilloh 28b (Niddoh 73a)
  • Barokhôth 64a (Yavomôth 122b, Nozir 66b ; Karithôth 28b, et Tomidh 32b)

Le Ramba''m a plus particulièrement choisi ces passages, car ils ont pour thème l'importance de l'étude quotidienne de la Tôroh.

Là encore, tous ces passages cités par Rabbi Yôséf Qa`rô, le Ramba''m et d'autres, ne sont que des propositions, et chacun est libre de pouvoir lire ou étudier les passages de la Tôroh, de la Mishnoh ou de la Gamoro` qu'il souhaite, et autant que son temps le lui permette au matin.

Le but de cet article n'est pas de dire qu'il ne faut pas réciter ces trois (ou deux) bénédictions avant d'étudier un peu de Tôroh au matin, mais d'analyser et expliquer objectivement les sources talmudiques sur laquelle s'appuie cette pratique, afin de voir si la récitation d'une bénédiction avant l'étude de la Tôroh est réellement mandatée au niveau de la Halokhoh et s'il faut obligatoirement réciter toutes les trois (ou deux) bénédictions imprimées dans les Siddourim contemporains. Et il apparaît que la réponse à la première question est oui, tandis que celle à la deuxième question est non, et nous en avons donné les raisons. Par conséquent, d'un point de vue strictement halakhique, une seule bénédiction suffit avant d'étudier la Tôroh au matin et la Halokhoh n'a pas déterminé qu'elle devait être cette bénédiction ni ce qu'il convenait de lire ou réciter après avoir béni.

1Shoulhon ´oroukh, `ôrah Hayim 47:1
2Nadhorim 81a
3Un `ammôro` babylonien de la troisième génération. Il était également aveugle
4C'est-à-dire, afin que les autres n'en arrivent pas à penser que l'érudition dans la Tôroh est quelque chose de génétique, qui se transmet à la génération suivante sans qu'aucun effort ne soit nécessaire
5Rov `iddi fut un `ammôro` Babylonien de la quatrième génération
6Un `ammôro` Babylonien de la sixième génération de l'ère des `ammôro`im
7Il fut l'un des derniers et des plus éminents `ammôro`im Babyloniens. Il est né en 352 et est décédé en 427.
8Cela montre qu'en ces temps-là, après l’Ère de la Mishnoh, il existait une méfiance mutuelle entre les érudits et les masses. Il est également évident de ces passages-ci que beaucoup de Rabbins critiquaient l'attitude hautaine des érudits
9Un `ammôro` Babylonien de la sixième génération, décédé en 422
10Un `ammôro` Babylonien de la deuxième génération
11`abbo` `arîkho`, un `ammôro` du troisième siècle, né en 175 et décédé en 247. il est plus connu sous le surnom de Rov (Maître), car c'est lui qui institua l'étude systématique de la Mishnoh, ce qui va donner naissance à la Gamoro`. Il était le maître de Rov Yahoudhoh
12Yirmayohou 9:11
13Ce verset se poursuit de la façon suivante : « Et à qui la bouche d'HaShem l'a-t-elle révélé, pour qu'il le communique? Pourquoi ce pays est-il ruiné, dévasté comme le désert où personne ne passe? »
14Ibid., 12
15Ce verset se poursuit de la façon suivante : « que J'avais placée devant eux. Et ils n'ont pas écouté Ma voix et n'ont pas marché en elle »
16Le camarade d'étude de Rov, avec qui il avait des débats incessants. Il fut un `ammôro` Babylonien de la première génération. Il est né en 165 et est décédé en 257
17L'un des `ammôro`im Palestiniens les plus importants de la seconde génération. Il est né en 200 et est décédé en 280
18Un `ammôro` Babylonien de la deuxième génération (fin du 3ème siècle)
19C'est-à-dire, la bénédiction sur l'étude de la Tôroh
20C'est-à-dire, puisqu'il y a divergence d'opinion
21Faisons toutes les formules mentionnées dans ce passage de la Gamoro`
22Rash''i explique que c'est la plus élevée des bénédictions, car elle fait à la fois la louange de la Tôroh et du peuple d'Israël
23`ôrah Hayim 47:5
24Notez comment Rabbi Yôséf Qa`rô est passé de « La bénédiction de la Tôroh » (au paragraphe 1) à « Les bénédictions de la Tôroh » (dans ce paragraphe-ci), indiquant bien par-là qu'à l'origine une seule bénédiction devrait être récitée, et non plusieurs
25Hilkôth Tafilloh Ouvirakhath Kôhanim 7:10
26`ôrah Hayim 47:6
27Barokhôth 1:13
28Une bénédiction longue est une bénédiction qui commence par « Boroukh `attoh HaShem `alôhénou Malakh Ho´ôlom » et se conclut par « Boroukh `attoh HaShem »
29L'étude de la Gamoro` fait partie d'une branche à part, d'après le Ramba''m
30Voir Rash''i sur Sôtoh 22a
31`ôrah Hayim 47:2-3
32Barokhôth 11b
33Un `ammôro` Babylonien de la deuxième génération, et directeur de la Yashivoh de Soura. Il est né aux environs de l'an 216 et est mort entre 296 et 297
34Ce terme se réfère uniquement au Sifro`, au Sifré et au Makhilto`
35Un Tanno` de la quatrième génération et disciple de Rébbi ´aqivo`.
36Car le Sifra, le Sifré et le Makhilto` sont des commentaires de la Tôroh
37Car c'est l'explication sur la mise en pratique des Miswôth et à la base elle était censée rester orale
38Parce qu'elle représente la Tôroh Orale et mérite donc une bénédiction comme pour la Tôroh Écrite, car les deux ne font qu'un
39C'est-à-dire, l'étude analytique et profonde des Halokhôth
40Car ce genre d'étude ne sert pas à comprendre la Tôroh et sa mise en application mais est une étude intellectuelle qui sert à analyser les Halokhôth déjà existantes (comprendre leur mécanisme) et tenter de déduire d'autres Halokhôth. Ce n'est donc pas une étude qui se rapporte à la Parole de Dieu
41De son vrai nom, `abbo` ban Yôséf bar Hammo`. Né en 280 et décédé en 352. Ce fut un `ammôro` Babylonien de la quatrième génération.
42Car l'étude analytique et profonde pourrait ne pas concerner une Halokhoh mais des versets de l’Écriture. En effet, le Talmoudh ne contient pas que des discussions sur les Halokhôth mais aussi des discussions sur le sens des versets du TaNa''Kh, de sorte que pratiquement chaque verset est commenté dans le Talmoudh
43Un `ammôro` Babylonien de la deuxième et troisième génération. C'était un disciple de Rov
44Un Midhrosh halakhique sur Wayyiqro` Chapitre 5
45Ce qui prouve pour lui que même pour l'étude analytique et profonde (Talmoudh) des versets de l’Écriture, on doit bénir

46Mishnéh Tôroh, Sédhar Hattafilloh 1

Un Juif peut-il se convertir à l'islam sans être considéré hérétique ?

ב״ה

Un Juif peut-il se convertir à l'islam sans être considéré hérétique ?


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Certaines personnes (généralement des islamophiles) utilisent la אִגֶּרֶת הַשְּׁמָד « `iggarath Hashamodh » (« épître sur l'apostasie »), une lettre rédigée par le Ramba''m ז״ל à l'adresse des Juifs Espagnols sous domination musulmane, pour faire croire qu'il aurait exprimé une opinion selon laquelle un Juif qui se convertirait à l'Islam n'est pas considéré hérétique, car l'islam n'est pas une religion idolâtre. Ceux qui interprètent ainsi les propos du Ramba''m sont dans l'erreur. Pour bien comprendre le contenu de cette lettre, nous devons remonter dans le temps et expliquer l'arrière-plan historique qui a amené le Ramba''m à publier une telle lettre, les questions qu'elle traite et les réponses qu'il y a apporta.

Le Ramba''m, Rabbénou Môshah ban Maymôn bar ´ôvadhyoh, vint au monde la veille de Pésah de l'an 4995 de notre calendrier (1135 dans le calendrier grégorien) à Cordoue (Espagne), vers la fin des cinq cent ans de l'âge d'or du Judaïsme espagnol.

L'âge d'or sous domination musulmane offrit aux Juifs l'égalité et une liberté de culte totale. Cela permit aux Juifs d'Espagne de prospérer et de produire quelques-uns des rabbins les plus éminents de l'histoire de notre peuple, dont les ouvrages sont étudiés jusqu'à nos jours, parmi lesquels Rabbénou Yahoudhoh Halléwi ban Shamou`él `ibn Alhassan ז״ל, Rabbénou Bahayé `ibn Paqoudhoh ז״ל, Rabbénou Léwi ban Gérshôm ז״ל (surnommé Gersonide), Rabbénou Môshah ban Nahmon ז״ל (surnommé Nahmanide), et beaucoup d'autres.

Cette ère glorieuse s'acheva lorsque le mouvement radical musulman des Almohades prit le pouvoir au Maroc en 1146. Le gouvernement donna aux Juifs et aux Chrétiens un ultimatum : se convertir à l'islam ou mourir. Le roi, Abd al-Mumin, croyait en l'existence d'une tradition selon laquelle le Messie viendrait apporter la rédemption aux Juifs cinq ans après la pseudo révélation de Mouhammad en 622. Mais en 1146, il était évident que le Messie n'arriverait pas et d'après son opinion c'était un signe que les Juifs devaient se convertir à l'islam.

La communauté juive plaida sa cause auprès du gouvernement afin de se voir épargner ce décret d'apostasie (גְּזֵירַת הַשְּׁמָד « Gazérath Hashamodh »), et un compromis fut trouvé : la communauté juive reçut une troisième option ; la possibilité de fuir le pays.

En 1148, deux ans après la prise du pouvoir des Almohades au Maroc, ils conquirent également le sud de l'Espagne. Ils imposèrent par la suite l'édit de la Gazérath Hashamodh aux Juifs Espagnols. Des communautés juives entières furent exterminées par ces vermines. Comme au Maroc, les Juifs Espagnols furent contraints de fuir le pays ou de se convertir à l'islam. Beaucoup d'entre eux furent vendus comme esclaves à des Chrétiens ou s'enfuir.

Puisque l'Italie et certaines parties de l'Espagne étaient chrétiennes, les Chrétiens vivant dans les territoires conquis par les Almohades purent facilement émigrer en Italie ou dans l'Espagne chrétienne.

Mais les Juifs, qui n'avaient aucune terre à eux, furent désemparés. Bien que certains d'entre eux se relocalisèrent en Italie, dans l'Espagne chrétienne et d'autres pays encore, la plupart des Juifs ne voulurent pas quitter leurs patries et firent le choix de rester. Certains parvinrent à éviter la conversion, mais l'écrasante majorité fut contrainte d'accepter l'islam.

La communauté juive espagnole justifia son acceptation de l'islam de la façon suivante : l'islam ne contrevient pas en tant que tel à la foi israélite, puisque les Juifs et les Musulmans croient en l'Unicité et l'Unité de Dieu. En outre, les Juifs supposaient que, tout comme pour tout mouvement politique radical, cette situation dans laquelle ils se trouvaient ne serait que temporaire.

Un autre facteur important fut que la conversion à l'islam ne nécessitait que la récitation verbale d'une seule phrase : « J'atteste qu'il n'y a de Dieu qu'Allah et Mouhammad est Son messager ». Cette déclaration n'avait aucune portée sur leurs vies pratiques. En effet, bien que les Juifs fussent forcés d'assister aux prières à la mosquée et d'étudier le Qouran, le gouvernement permettait la pratique du Judaïsme à la maison ; de nombreux Juifs, après s'être rendus à la mosquée, priaient une seconde fois à la maison et étudiaient la Tôroh comme avant.

C'était totalement différent de toutes les autres périodes de persécution qu'a connu notre peuple dans son histoire. Par exemple, durant la période de domination syro-grecque, les Juifs étaient contraints d'abandonner l'intégralité du Judaïsme et reçurent l'interdiction de fermer les portes de leurs maisons par crainte qu'ils ne pratiquent le Judaïsme clandestinement. De même, durant l'Inquisition espagnole en 1492, les Juifs furent brûlés vifs sur le bûcher parce qu'ils pratiquaient clandestinement leur religion.

Le Ramba''m était âgé de treize ans lorsque les Almohades prirent le pouvoir. Sa famille s'enfuit durant onze ans de ville en ville dans toute l'Espagne, et ils arrivèrent finalement à Fez (au Maroc) en 1160, où ils vécurent durant quatre ans. (Les historiens se sont demandé pourquoi s'étaient-ils installés au Maroc, alors que ce fut le premier pays conquis par les Almohades. Plusieurs réponses furent apportées, mais ce n'est pas l'objet de notre article).

Le Ramba''m quitta Fez à 24 ans parce que sa vie y était menacée. En plein milieu de la nuit, il embarqua sur un bateau à destination d'Acre (en Palestine). Les historiens rapportent que le Ramba''m marchait dans les rues de Fez un jour de Hôl Hammô´édh Soukkôth avec son Lôlov et son `athrôgh en main lorsqu'un membre du gouvernement se moqua de lui et de la tradition juive. Le Ramba''m lui rétorqua que la tradition des quatre espèces était un commandement Divin contenu dans la sainte Tôroh et que s'il y avait bien une tradition ridicule c'était certainement celle consistant à jeter des pierres contre un rocher (il se référait évidemment à la pratique des Musulmans lors de leur pèlerinage à la Macque, qu'ils appellent « Lapidation de Satan »).

Ce fonctionnaire se sentit profondément insulté par cette remarque et la prit comme une grande offense contre l'islam. (Jusqu'à nos jours, de nombreux Musulmans pensent qu'ils peuvent impunément blasphémer notre foi et affirmer que notre Tôroh est falsifiée, mais ne supportent pas qu'on leur réplique en leur exposant les sottises de leur religion. Ils prétendent « corriger » les erreurs et manipulations des Juifs et des Chrétiens, alors que l'islam et le Qouran sont venus bien après le Judaïsme et le Christianisme, et que les récits sont les mêmes aussi bien dans la Tôroh que dans le « Nouveau Testament » chrétien. Les Musulmans peuvent mépriser les autres, mais ne supportent pas qu'on leur rende la pareille.) Comprenant la menace qui planait sur lui, le Ramba''m quitta Fez immédiatement avec sa famille.

Le temps passant, la vie en Espagne devint plus difficile encore et l'identité et le moral des Juifs s’effritaient. Des doutes commencèrent à naître dans la communauté juive concernant l'authenticité du Judaïsme et certains commencèrent à penser que Dieu avait peut-être réellement remplacé le Judaïsme par l'islam.

Un certain rabbin ne vivant pas en Espagne rédigea une lettre dans laquelle il condamnait la communauté juive espagnole pour s'être convertie à l'islam. Cette lettre fut rédigée en réponse à une question posée par un Juif Espagnol sur le statut des convertis de force à l'islam. Le rabbin ne fit preuve d'aucune sensibilité face à la situation désastreuse dans laquelle se trouvait l'Espagne, ni d'aucune empathie envers la communauté juive, tout comme il n'exprima aucun encouragement.

Ce rabbin écrivit que croire en l'islam et en ses enseignements était de l’idolâtrie. De ce fait, un Juif qui est contraint de se convertir à cette religion a l'obligation de sacrifier sa vie plutôt que de se convertir. Ne pas agir ainsi fait de ce Juif un apostat, un excommunié de la communauté juive, quelqu'un d'inapte à témoigner devant un Béth Din et d'invalide pour servir de témoin à un mariage ou un divorce. Et c'est le cas même si ce Juif continue de pratiquer secrètement le Judaïsme.

En outre, il écrit que si un Juif entre dans une mosquée, même sans y prier, il devient un apostat. Si après avoir y avoir prié il rentre chez lui et prie à nouveau suivant le rite israélite, sa prière est de l'hypocrisie et même un péché. En conclusion, on peut lire que chaque Juif a l'obligation de sacrifier sa vie plutôt que d'accepter l'islam.

Cette lettre porta un coup quasiment fatal à ces Juifs qui tentaient de préserver leur identité en dépit de leur conversion musulmane. Elle eut des effets dévastateurs sur des milliers de Juifs Espagnols et amena beaucoup à conclure que s'ils étaient de toute façon condamnés « mieux valait complètement renoncer au Judaïsme plutôt que de mener une double vie ».

C'est afin de contrer cette lettre destructrice que le Ramba''m rédigea en 1163 une lettre très sévère contre ce rabbin en judéo-arabe, appelée « `iggarath Hashamodh – Épître sur l’apostasie ». Son but était de réfuter les opinions de ce rabbin et remonter le moral des Juifs Espagnols.

Sa réponse traite de cinq thèmes :

  1. Les Halokhôth relatives aux conversions forcées
  2. Les définitions du Hilloul HaShem et les sanctions qui s'y rapportent
  3. Les rangs de ceux qui meurent en martyr et de ceux qui sont contraints de se convertir durant une période de persécution
  4. En quoi cette persécution que vivaient les Juifs Espagnols différait de toutes les persécutions antérieures (et ce qu'il convient de faire)
  5. Des conseils à la prudence durant cette période de persécution

Concernant les deux premiers thèmes, le Ramba''m tente de répondre à deux questions. La première est celle-ci : « Un Juif doit-il sacrifier sa vie lorsqu'il est forcé de se convertir à l'islam ? ». Cette question a de nombreuses implications. Le Ramba''m explique qu'en sacrifiant leurs vies, les parents laissent alors orphelins leurs enfants qui seront alors complètement abandonnés à l'islam. (En effet, les Musulmans allaient tuer les parents, mais laisser en vie les enfants afin de leur inculquer l'islam.) À l'inverse, en feignant publiquement de s'être soumis à l'islam, ils permettaient à l'identité juive des enfants d'être préservée pour les générations à venir. Il était donc préférable que les parents ne se sacrifient pas.

La deuxième question qu'il traite est : « Si un Juif s'est converti à l'islam mais continue d'observer certaines Miswôth et à prier selon le rite israélite, est-ce de l'hypocrisie ? ». Comme dans son Mishnéh Tôroh, le Ramba''m expliqua aux Juifs Espagnols les Halokhôth relatives au renoncement des pratiques juives sous la contrainte. Voici ce qu'il rapporta dans son Mishnéh Tôroh1 :

1. Tous [ceux de] la Maison d'Israël ont reçu un commandement concernant la sanctification de ce grand Nom, car il est dit2 : « et Je serai sanctifié au sein des Enfants d'Israël », et ont reçu l'avertissement de ne pas le profaner, car il est dit3 : « et ils ne profaneront pas Mon saint Nom ». Comment cela ? Lorsqu'un Gôy se lève et force un Israélite à transgresser une [Miswoh] parmi toutes les Miswôth mentionnées dans la Tôroh ou il nous tuera, on doit transgresser [plutôt que choisir d']être tué, car il est dit concernant les Miswôth4 : « qu'un homme accomplira et vivra par elles », et non pas qu'il mourra à cause d'elles. Et s'il meurt et ne transgresse pas, voici, celui-là est coupable pour son âme.
א  כָּל בֵּית יִשְׂרָאֵל מְצֻוִּין עַל קִדּוּשׁ הַשֵּׁם הַגָּדוֹל הַזֶּה, שֶׁנֶּאֱמָר "וְנִקְדַּשְׁתִּי, בְּתוֹךְ בְּנֵי יִשְׂרָאֵל"; וּמֻזְהָרִין שֶׁלֹּא לְחַלְּלוֹ, שֶׁנֶּאֱמָר "וְלֹא תְחַלְּלוּ, אֶת-שֵׁם קָדְשִׁי". כֵּיצַד--בְּשָׁעָה שֶׁיַּעֲמֹד גּוֹי וְיֶאֱנֹס אֶת יִשְׂרָאֵל לַעֲבֹר עַל אַחַת מִכָּל מִצְווֹת הָאֲמוּרוֹת בַּתּוֹרָה אוֹ יַהַרְגֶנּוּ, יַעֲבֹר וְאַל יֵהָרֵג: שֶׁנֶּאֱמָר בַּמִּצְווֹת, "אֲשֶׁר יַעֲשֶׂה אֹתָם הָאָדָם וָחַי בָּהֶם" --וְלֹא שֶׁיָּמוּת בָּהֶם. וְאִם מֵת וְלֹא עָבַר, הֲרֵי זֶה מִתְחַיֵּב בְּנַפְשׁוֹ
Lorsqu'un Gôy se lève et force un Israélite à transgresser une [Miswoh] parmi toutes les Miswôth mentionnées dans la Tôroh ou il nous tuera, on doit transgresser [plutôt que choisir d']être tué, car il est dit concernant les Miswôth : « qu'un homme accomplira et vivra par elles », et non pas qu'il mourra à cause d'elles : Puisque la Tôroh fut donnée pour qu'on vive par les Miswôth et non pas qu'on meurt à cause d'elles, si la vie d'un Israélite est menacée par un Gôy, qui serait prêt à le tuer s'il ne transgresse pas l'un des commandements de la Tôroh, l'Israélite doit transgresser le commandement pour préserver sa vie.

Et s'il meurt et ne transgresse pas, voici, celui-là est coupable pour son âme : Devant le Tribunal Céleste, on considérera qu'il a méprisé la vie qu'HaShem lui a accordée, car il n'a pas fait ce qu'il fallait pour la préserver. Au lieu de transgresser le commandement pour avoir la vie sauve, comme le lui ordonne la Halokhoh, il a préféré mourir.

2. Dans quel cas les paroles susmentionnées s'appliquent-elles ? Dans [le cas de toutes] les autres Miswôth, à l'exception des [Miswôth relatives à] la ´avôdhoh Zoroh, à la Gillouy ´aroyôth, et à la Shafikhouth Domim. Mais concernant ces trois péchés, si on lui dit « Transgresse l'un d'eux ou tu seras tué ! », qu'il se fasse tuer et ne transgresse pas.
ב  בַּמֶּה דְּבָרִים אֲמוּרִים, בִּשְׁאָר מִצְווֹת--חוּץ מֵעֲבוֹדָה זָרָה, וְגִלּוּי עֲרָיוֹת, וּשְׁפִיכוּת דָּמִים. אֲבָל שָׁלוֹשׁ עֲבֵרוֹת אֵלּוּ, אִם יֹאמַר לוֹ עֲבֹר עַל אַחַת מֵהֶן אוֹ תֵּהָרֵג, יֵהָרֵג וְאַל יַעֲבֹר
Dans quel cas les paroles susmentionnées s'appliquent-elles : C'est-à-dire, quand est-il exigé d'un Israélite qu'il choisisse la transgression d'une Miswoh de la Tôroh plutôt que la mort ?

la ´avôdhoh Zoroh : L'expression עֲבוֹדָה זָרָה « ´avôdhoh Zoroh » signifie littéralement « culte étranger », et désigne l’idolâtrie.

à la Gillouy ´aroyôth : L'expression גִּלּוּי עֲרָיוֹת « Gillouy ´aroyôth » signifie littéralement « dévoilement des nudités », et désigne le fait d'avoir une relation sexuelle illicite, c'est-à-dire, avec une femme (ou un homme) avec laquelle il nous est interdit par la Tôroh d'avoir une relation (exemples : sa mère, sa sœur, sa fille, une femme mariée à un autre homme, l'épouse de son frère, une femme non Israélite, etc.).

et à la Shafikhouth Domim : L'expression שְׁפִיכוּת דָּמִים « Shafikhouth Domim » signifie littéralement « déversement des sangs », et désigne le fait de commettre un meurtre.

Mais concernant ces trois péchés, si on lui dit « Transgresse l'un d'eux ou tu seras tué ! », qu'il se fasse tuer et ne transgresse pas : Ces trois péchés sont ceux que l'on considère être les trois péchés capitaux du Judaïsme, qu'il est interdit de transgresser quand bien même la vie humaine serait menacée. Ils se différencient donc de toutes les autres Miswôth de la Tôroh, que nous avons par contre une obligation de transgresser si notre vie est menacée.

3. Dans quel cas les paroles susmentionnées s'appliquent-elles ? À [partir du] moment où le Gôy ne recherche que son propre profit, comme par exemple lorsqu'il le force à construire sa maison le Shabboth, ou à lui cuire son plat5, ou qu'il force une femme [Israélite] pour la dominer, et d'autres cas semblables. Mais si son seul but est de le faire transgresser les Miswôth, [d'autres règles s'appliquent] : si cela se passe en privé, et que dix [membres] du [peuple d']Israël ne sont pas présents, qu'il transgresse [plutôt que de choisir d']être tué. Et s'il le force à transgresser au milieu de dix [membres] du [peuple d']Israël, qu'il se fasse tuer et ne transgresse pas, et ce, même s'il n'avait l'intention que de lui faire transgresser une Miswoh parmi le reste des Miswôth.
ג  בַּמֶּה דְּבָרִים אֲמוּרִים, בִּזְמָן שֶׁהַגּוֹי מִתְכַּוֵּן לַהֲנָאַת עַצְמוֹ, כְּגוֹן שֶׁאֲנָסוֹ לִבְנוֹת לוֹ בֵּיתוֹ בַּשַּׁבָּת אוֹ לְבַשַּׁל לוֹ תַּבְשִׁילוֹ אוֹ אָנַס אִשָּׁה לְבָעֳלָהּ וְכַיּוֹצֶא בְּזֶה. אֲבָל אִם נִתְכַּוַּן לְהַעְבִירוֹ עַל הַמִּצְווֹת בִּלְבָד--אִם הָיָה בֵּינוֹ לְבֵין עַצְמוֹ, וְאֵין שָׁם עֲשָׂרָה מִיִּשְׂרָאֵל--יַעֲבֹר וְאַל יֵהָרֵג; וְאִם אֲנָסוֹ לְהַעְבִירוֹ בַּעֲשָׂרָה מִיִּשְׂרָאֵל--יֵהָרֵג וְאַל יַעֲבֹר, וְאַפִלּוּ לֹא נִתְכַּוַּן לְהַעְבִירוֹ אֵלָא עַל מִצְוָה מִשְּׁאָר מִצְווֹת בִּלְבָד
Dans quel cas les paroles susmentionnées s'appliquent-elles : C'est-à-dire, quand faut-il choisir la mort plutôt que de transgresser l'un des trois péchés capitaux, et quand faudrait-il transgresser plutôt que d'être tué ?

À [partir du] moment où le Gôy ne recherche que son propre profit : C'est-à-dire, il ne demande aucune de ces choses parce qu'elles sont interdites dans la foi Israélite (ce n'est pas la foi Israélite qu'il vise par de telles requêtes), mais le fait purement et simplement pour lui-même, pour son propre profit.

ou qu'il force une femme [Israélite] pour la dominer : C'est-à-dire, si le Gôy contraint une femme Israélite à avoir une relation avec lui. Là encore, il ne le fait pas parce qu'elle est Israélite, mais simplement parce qu'il la veut. C'est un acte qui n'est pas lié à la religion de cette femme.

et d'autres cas semblables : Dans tous les cas où un Gôy force un Israélite à commettre un péché en le menaçant de le tuer, pas à cause du fait qu'il soit Israélite, mais qu'il ne recherche que son propre profit, il n'y a pas une obligation de choisir la mort sur la transgression.

si cela se passe en privé : C'est-à-dire, qu'il n'y a que le Gôy et l'Israélite.

et ce, même s'il n'avait l'intention que de lui faire transgresser une Miswoh parmi le reste des Miswôth : C'est-à-dire, une Miswoh qui ne fait pas partie des trois péchés capitaux.

Dès l'instant où le Gôy cherche spécifiquement à nous faire transgresser la foi Israélite en présence de témoins et devant d'autres Israélites, peu importe le commandement qu'il demande de transgresser par une menace de mort, on a l'obligation de préférer mourir plutôt que de transgresser la Tôroh en public.

(L'intégralité du Chapitre 5 des Hilkôth Yasôdhé Hattôroh peut être téléchargée ici.)

Peu importe les circonstances, et que ce soit en public ou en privé, un Juif doit préférer la mort si on lui demande de transgresser l'un des trois péchés capitaux. Mais si le péché ne concerne pas un acte entrant dans l'une de ces trois catégories, l'attitude à avoir dépendra alors des motivations de celui qui nous demande de le commettre. Si le Gôy l'exige pour son propre profit, il n'y a alors pas d'obligation de sacrifier sa vie. Le Ramba''m explique que c'est la raison pour laquelle `astér ע״ה fut autorisée sous la contrainte d'épouser `ahashwérôsh, bien que la Halokhoh l'interdisait, puisque les motivations du roi étaient mues par des considérations personnelles, plutôt que par mépris pour le Judaïsme.

Si le Gôy l’exige par pur dédain envers le Judaïsme, il y a une différence entre une période de persécution et une période de paix. Si c'est à une période paisible, le Juif ne pourra transgresser qu'en privé. Mais en public cela lui sera interdit.

En plus des lois relatives à l’observance religieuse lorsqu'on se retrouve dans des situations de persécution, le Ramba''lm traite de la nécessité pour un Juif de mener sa vie conformément à des normes morales élevées. Quand le Juif le fait, il cause alors un Qiddoush HaShem. Un Juif qui est véridique, altruiste, qui respecte les autres et amène les autres à le respecter, qui a une bonne réputation et est discipliné, sanctifie le Nom de Dieu. Ces qualités, d'après le Ramba''m, causent une plus grande sanctification que la pratique religieuse.

Néanmoins, quiconque sacrifie sa vie pour la foi israélite atteint le plus haut niveau de Qiddoush HaShem qui soit. Il le dit aussi dans son Mishnéh Tôroh :

5. Quiconque pour qui il a été dit qu'il doit transgresser [plutôt que choisir d']être tué, s'il se laisse tuer et ne transgresse pas, voici, celui-là est coupable pour son âme. Et quiconque pour qui il a été dit qu'il doit se faire tuer et ne pas transgresser, s'il se laisse tuer et ne transgresse pas, voici, celui-là a sanctifié le Nom. Et si cela s'était produit au milieu de dix [membres du peuple d']Israël, voici, celui-là a sanctifié le Nom en public, comme Doniyé`l, Hananyoh, Misho`él et ´azaryoh, ainsi que comme Ribbi ´aqivoh et ses compagnons. Ces derniers sont ceux qui furent mis à mort par les autorités, et il n'existe pas de plus haut niveau que le leur. C'est les concernant qu'il est dit6 : « Mais pour Toi, nous subissons chaque jour la mort ; on nous considère comme des brebis destinées à l’abattage ». C'est [aussi] les concernant qu'il est dit7 : « Rassemblez-Moi Mes pieux serviteurs, qui ont contracté Mon alliance par un sacrifice ».
ה  כָּל מִי שֶׁנֶּאֱמָר בּוֹ יַעֲבֹר וְאַל יֵהָרֵג, וְנֶהְרַג וְלֹא עָבַר--הֲרֵי זֶה מִתְחַיֵּב בְּנַפְשׁוֹ. וְכָל מִי שֶׁנֶּאֱמָר בּוֹ יֵהָרֵג וְאַל יַעֲבֹר, וְנֶהְרַג וְלֹא עָבַר--הֲרֵי זֶה קִדַּשׁ אֶת הַשֵּׁם. וְאִם הָיָה בַּעֲשָׂרָה מִיִּשְׂרָאֵל--הֲרֵי זֶה קִדַּשׁ אֶת הַשֵּׁם בָּרַבִּים, כְּדָנִיֵּאל חֲנַנְיָה מִישָׁאֵל וַעֲזַרְיָה וּכְרִבִּי עֲקִיבָה וַחֲבֵרָיו; וְאֵלּוּ הֶם הֲרוּגֵי מַלְכוּת, שְׁאֵין מַעֲלָה עַל מַעֲלָתָם, וַעֲלֵיהֶם נֶאֱמָר "כִּי-עָלֶיךָ, הֹרַגְנוּ כָל-הַיּוֹם; נֶחְשַׁבְנוּ, כְּצֹאן טִבְחָה", וַעֲלֵיהֶם נֶאֱמָר: אִסְפוּ-לִי חֲסִידָי--כֹּרְתֵי בְרִיתִי, עֲלֵי-זָבַח
ainsi que comme Ribbi ´aqivoh et ses compagnons. Ces derniers sont ceux qui furent mis à mort par les autorités : Ribbi ´aqivoh ז״ל et ses compagnons sont ceux qu'on appelle les Dix Martyrs. Ils furent exécutés par les autorités Romaines dans la période qui a suivi la destruction du Béth Hammiqdosh.

Les dix ne sont pas morts en même temps, mais ils sont néanmoins cités ensemble, car ils furent exécutés tous pour les mêmes raisons : avoir défié les mauvais décrets que les Romains avaient imposés aux Israélites, comme l'interdiction de pratiquer le Shabboth, de transmettre la Samikhoh, d'enseigner la Tôroh en public, etc.

L'histoire de leur mort en martyr est lue chaque année à Yôm Hakkippourim et à Tish´oh Ba`ov.

et il n'existe pas de plus haut niveau que le leur : Car mourir en martyr pour sa foi est le plus grand honneur pour un Israélite. C'est la meilleure façon de sanctifier le Nom d'HaShem et le plus haut niveau d'amour pour HaShem et sa Tôroh que l'on peut exprimer.

C'est les concernant qu'il est dit : C'est-à-dire, c'est concernant tous ceux qui meurent en martyr pour leur attachement à la foi Israélite que le verset déclare ce qui suit.

De même, les sept fils de Hannoh ז״ל refusèrent de se prosterner devant le gouverneur Syro-grec, Antiochos, et furent à cause de cela tous exécutés devant leur mère.

Revenant au sujet des Juifs Espagnols, le Ramba''m soutient qu'il ne leur incombe pas de choisir la mort plutôt que de se convertir à l'islam. La raison à cela est qu'une conversion à l'islam ne nécessite que la récitation d'une simple phrase. Mais là encore, il répète que si on choisit néanmoins de sacrifier sa vie, on a accompli le plus grand acte qui soit.

Le Ramba''m établit que ces Juifs sont comparables à une femme qui s'est fiancée à un homme mais s'est faite violer par un autre. Cette femme n'est aucunement tenue responsable, bien qu'elle aurait pu sacrifier sa vie et s'épargner cet acte d'adultère. Les Juifs d'Espagne sont tous inclus dans la catégorie de convertis de force et ne sont pas responsables de leurs actes. Ils conservent donc pleinement leur statut de Juifs.

Par conséquent, concernant leur situation, il tranche qu'ils ne doivent pas être considérés comme des hypocrites. Si, sous la contrainte, certaines pratiques juives sont abandonnées mais que d'autres sont maintenues, on ne doit pas dire que les transgressions surpassent la pratique. En effet, Dieu chérit la moindre Miswoh réalisée avec sincérité par un Juif, en dépit du comportement qu'il pourrait avoir dans d'autres domaines. Par conséquent, ils doivent veiller à garder autant de Miswôth que possible et doivent comprendre que ce qu'ils font pour Dieu est pris en compte par Lui. En outre, ajoute-t-il, une Miswoh accomplie dans des circonstances pénibles et de grand danger a une plus grande valeur encore que lorsqu'elle est réalisée dans des circonstances normales.

Nous pouvons donc clairement voir que ces Juifs ne voulaient pas se séparer du Judaïsme. Leur conversion n'avait rien de sincère et au fond d'eux (et comme le montraient aussi leurs actes privés) ils étaient Juifs et n'avaient aucunement l'envie de cesser de l'être. Par conséquent, le Ramba''m les défendit en dépit de leur conversion forcée. Néanmoins, il considérait que ceux qui avaient fait le choix de rester en Espagne se mettaient inutilement en danger en risquant d'abandonner complètement le Judaïsme. C'est pourquoi il conseilla aux Juifs qui désiraient rester de vivre discrètement et d'éviter autant que possible les lieux publics afin de ne pas s'exposer à une assimilation totale. Il conclut en les pressant de fuir dès que l'opportunité se présenterait vers des pays où ils pourraient pratiquer ouvertement leur foi, et ce, même s'ils doivent voyager dans des conditions périlleuses. Il ajoute qu'ils ne doivent pas être tristes de laisser derrière eux des proches, ni de devoir abandonner leurs possessions en Espagne, car ces choses sont insignifiantes lorsqu'on les compare à l'importance de préserver la foi israélite.

Si nous devions résumer cette lettre :

  1. Les persécutions antérieures qui ont précédé celles que les Musulmans firent subir aux Juifs d'Espagne exigeaient que les Juifs transgressent des Miswôth et commettent des actes interdits.
  2. Les Musulmans d'Espagne exigeaient « seulement » que les Juifs récitent l'attestation de foi islamique, une phrase en laquelle ils ne croyaient évidemment pas, mais qui leur garantissait de néanmoins pouvoir accomplir les Miswôth clandestinement, même après avoir « reconnu » Mouhammad comme prophète. Il ne fait donc aucun doute que si les Musulmans de cette époque-là avaient exigé plus que cela, le Ramba''m n'aurait jamais tenu la position qu'il exprime dans cette lettre-ci. D'ailleurs, lorsque neuf ans plus tard les Musulmans voulurent contraindre les Juifs du Yémen à se convertir à l'islam, le Ramba''m ne leur permit pas d'accepter la conversion, car cette fois-ci il s'agissait de leur faire pleinement accepter l'islam et renoncer au Judaïsme. Personne ne peut donc se servir de la `iggarath Hashamodh pour déclarer que le Ramba''m ne voyait aucun problème à embrasser l'islam.
  3. Malgré le fait que les Musulmans d'Espagne n'exigeaient uniquement la récitation de l'attestation de foi islamique, quiconque choisissait de mourir en martyr réalisait le plus grand Qiddoush HaShem qui soit.
  4. Il est recommandé de réciter l'attestation de foi islamique plutôt que de mourir, mais de saisir la première occasion pour quitter le pays et s’installer là où il est possible de mener une vie juive sans devoir se cacher.
  5. Si quelqu'un ne peut pas s'en aller, il doit rester le plus possible chez lui et éviter les lieux publics, afin de pouvoir accomplir autant de Miswôth qu'il pourra (la plus importante étant le respect du Shabboth).
  6. Quiconque resterait parce qu'il ne veut pas abandonner ses biens ou ses proches, et alors qu'il se trouve au bord de l'assimilation totale, celui-là commettrait un grand Hilloul HaShem.

Donc, non, cette lettre n'est absolument pas une permission pour les Juifs d'embrasser l'islam sans être considérés apostats ou hérétiques. Le Ramba''m écrivait à des Juifs se trouvant dans une situation particulière et qui, en plus, n'avaient pas du tout acceptés sincèrement l'islam, mais continuaient à pratiquer le Judaïsme dans l'intimité de leurs foyers.

On ne peut pas déduire de cette lettre que le Ramba''m tenait l'islam en grande estime. Au contraire, dans cette même lettre, il explique comment Mouhammad est un faux prophète et que l'islam est une religion hérétique, même si on pourrait dire qu'elle « n'est pas » idolâtre. Or, le Ramba''m considère que l'hérésie est pire que l’idolâtrie. Parlant de Rébbi `ali´azar, un sage talmudique qui renonça au Judaïsme pour une religion hérétique, le Ramba''m écrit dans cette lettre : « Il est bien connu que Rébbi `ali´azar fut saisi par l'hérésie, qui est pire que l’idolâtrie ».

Dans sa lettre qu'il rédigera à l'adresse de la communauté yéménite, le Ramba''m exprimera tout le dédain qu'il a pour la religion musulmane. Il est également d'avis qu'il est permis d'enseigner la Tôroh aux Chrétiens, mais pas aux Musulmans, car les Chrétiens au moins respectent nos textes, qu'ils ont en grande estime, et n'en contestent aucune parole (leur seule erreur vis-à-vis de la Tôroh est de croire qu'elle est abolie et que ses commandements sont simplement symboliques), tandis que les Musulmans déforment plusieurs de nos récits, disent que notre Tôroh est falsifiée et rapportent dans leurs textes beaucoup de mal sur notre foi.

1Hilkôth Yasôdhé Hattôroh Chapitre 5
2Wayyiqro` 22:32
3Ibid.
4Ibid., 18:5
5À Shabboth
6Tahillim 44:23

7Ibid., 50:5
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