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mardi 6 avril 2021

Jouer de la musique à Shabboth & Yôm Tôv – Quatrième Partie

 

בס״ד

 

Jouer de la musique à Shabboth & Yôm Tôv – Quatrième Partie

 


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 IV.            Quatre approches : Sources médiévales et modernes

 

Nous pouvons à présent formuler quatre grandes approches de notre sujet et des sources canoniques que nous avons rencontrées :

 

1)    Éviter les bruits forts. Cette approche se concentre sur les niveaux de décibels et non sur les instruments en eux-mêmes. Elle tire sa force de nombreuses sources tannaïtiques, de nombreuses voix dans le Ṭalmoudh Yaroushlami et ´oulloˋ dans le Ṭalmoudh Bavli, qui interdisent toutes les sons forts le Shabboth, y compris le bruit blanc.

2)    Éviter les bruits musicaux et rythmiques. Cette approche se soucie de types de bruit spécifiques, mais rejette catégoriquement toute préoccupation concernant le bruit blanc et ne se soucie pas du volume du son. Elle tire sa force de Rabboh dans le Ṭalmoudh Bavli et des déviations qui y sont offertes en son nom.

3)    Souci dérivé de fabriquer / réparer un instrument de musique. Cette approche voit notre sujet entier comme dépourvu de motivation première. Il n'y a aucune inquiétude concernant le bruit ou la musique en soi, juste leur potentiel à conduire à l'exécution d'une Maloˋkhoh illégale. Elle tire sa force de la formulation du Sathom selon quoi c’est la racine du problème et prend cette explication au sérieux comme une question de droit.

4)    Mouqṣah / éviter une utilisation inappropriée des outils. En plus des préoccupations que nous pourrions avoir à propos de certains types de bruits forts, cette approche voit le problème comme l'utilisation d'instruments de musique. Elle s'inspire inconsciemment des traditions que nous retrouvons dans le matériel des manuscrits de la Mer Morte et puise dans les anciennes traditions rabbiniques qui évitent les outils le Shabboth, sauf pour des activités ciblées.

 

Explorons ces modèles un par un, en accordant une attention particulière aux considérations textuelles et pratiques.

 

A.    Eviter les bruits forts

 

Un certain nombre d’autorités médiévales (Riˋshônim) se sont rangées du côté de l’approche de ´oulloˋ et ont interdit tous les bruits forts pendant le Shabboth. Le plus important d'entre eux est Ribbénou Ḥananˋél :

 


Ribbénou Ḥananˋél sur ´érouvin 104

Bien que Rabboh ait détourné toutes les objections qui lui étaient opposées, nous ne comptons pas sur les déviations, et nous ne rejetons pas simplement la tradition établie de ´oulloˋ.

 

Pour Ribbénou Ḥananˋél, les déviations talmudiques déployées pour sauver Rabboh ont été forcées pratiquement au point d'absurdité. Il était tout à fait clair, à son avis, que la position de ´oulloˋ était plus solidement ancrée dans le corpus tannaïtique. Le fait que le Ṭalmoudh ait tenté de défendre Rabboh n’établit pas sa position comme normative. En conséquence, toutes les formes de bruit - y compris le fait de frapper fort à une porte - sont interdites le Shabboth.[1]

 

Comme nous l'avons noté, l'un des aspects intéressants de cette approche est qu'il n'y a rien de particulier dans les instruments de musique, le problème est le bruit, quelle que soit sa source d'origine. Cela ouvre la possibilité d'autoriser l'utilisation d'instruments de musique à condition qu'ils soient suffisamment silencieux. En effet, la source la plus intrigante sur les instruments de musique au Moyen Âge est peut-être la suivante :

 


Séphar Moghén ˋovôth (par le Méˋiri), ´inyon 10

J'ai également observé que ces Ṭalmidhim [du Rambo’’n] avaient l'habitude de jouer des instruments de musique le Shabboth, de la harpe et d'autres instruments, sans se soucier d'aucune interdiction. J'ai été étonné par cela, comment ont-ils pu développer cette pratique ? Ils ont affirmé que la seule interdiction était de taper et d'applaudir, qui sont des bruits très forts, mais que d'autres instruments de musique étaient autorisés.

 

Moghén ˋovôth est la tentative du Méˋiri de défendre ses pratiques provençales ancestrales contre les attaques de certains Ṭalmidhim du Rambo’’n récemment arrivés d’Espagne. L’une des choses qu’il rapporte être courante parmi les Ṭalmidhim du Rambo’’n, c’est qu’ils jouaient régulièrement d’instruments de musique pendant le Shabboth. Leur argument était que la Mishnoh interdisait uniquement les applaudissements et les coups, qui sont des sons particulièrement forts, alors que les instruments de musique silencieux étaient autorisés. Cette approche, bien que peut-être surprenante au premier abord, est une extension fidèle de l'approche de Ribbénou Ḥananˋél sur ce sujet - et est donc stricte en ne faisant pas de distinction entre bruit musical et bruit blanc - tout en affirmant que rien en dessous d'un certain niveau de décibels ne peut être problématique - étant ainsi indulgent en ne faisant pas la distinction entre le bruit musical et le bruit blanc, même s'il est généré par un instrument.

 

B.    Éviter les bruits musicaux / rythmiques

 

Pour d’autres, la défense persistante de Rabboh par le Ṭalmoudh constituait une approbation de son point de vue et un rejet de celui de ´oulloˋ. Il n'y a pas de défenseur plus éminent de cette position que le Ri’’ph :

 


Ri’’ph ´érouvin 35

Il est logique de dire que la Halokhoh suit Ravoˋ [= Rabboh], qui a dit que la seule interdiction concerne le bruit musical, puisque Rov ˋaḥoˋ bar Ya´aqôv a défendu ce point de vue, ce qui signifie que nous le suivons. De plus, ˋamémor leur a permis d'utiliser une roue pour puiser de l'eau à Maḥôzoˋ le Shabboth… cela montre clairement qu'il a suivi [Rabboh], s'il avait suivi ´oulloˋ, il n'aurait pas permis, car la roue fait du bruit ! Nous avons vu que certains des maîtres [comme Ribbénou Ḥananˋél] tiennent comme ´oulloˋ et s’appuient sur le Ṭalmoudh Yaroushlami… Mais nous ne tenons pas ainsi, car puisque la Soughyoˋ de notre Ṭalmoudh [= Bavli] est permissive, nous ne nous soucions pas si le Ṭalmoudh Yaroushlami interdit, parce que nous nous appuyons sur notre Ṭalmoudh, car il est plus tardif, et [ses rédacteurs] étaient des experts du Ṭalmoudh Yaroushlami plus que nous. Ils n'auraient pas permis ici à moins de savoir que la déclaration [contraire] de la terre d'Israël n'était pas fiable.

 

Le Ri’’ph rejette ici ostensiblement toute influence des traditions du Yaroushlami ici[2] - interdisant uniquement les bruits musicaux et rythmiques, mais semblant les interdire dans tous les lieux et contextes.[3] Nous voyons cette approche différente à l’œuvre dans la réponse du Méˋiri au comportement des Ṭalmidhim du Rambo’’n. Parlant principalement du point de vue du paradigme du Ri’’ph, il les prend à partie. Il avance plusieurs arguments :

 

1)    Le Ṭalmoudh dit que la raison pour laquelle les applaudissements sont interdits est à cause de la peur de fabriquer / réparer un instrument de musique. Cette préoccupation ne s’appliquerait-elle pas encore plus principalement à un instrument de musique lui-même ?

2)    Le Ṭalmoudh détourne une objection lancée à Rabboh d'un cas où il est sous-entendu qu'il est interdit d'utiliser un certain objet pour faire du bruit le Shabboth, sauf pour le bien d'une personne malade. Alors que l’objection suppose que l'objet est utilisé pour générer un bruit blanc fort, la déviation indique que même un son musical qui est silencieux et rend somnolent est interdit à moins qu'il ne soit utilisé pour une personne malade. Cela ne signifie-t-il pas clairement que nous ne pouvons pas générer de bruit et de musique même s’il est silencieux ?

3)    La flûte est interdite le Shabboth et Yôm Tôv ; cela montre que les instruments de musique sont interdits, pas seulement les bruits forts !

 

On peut entendre ici une étreinte très claire de Rabboh - le problème est la génération de musique et de rythme, aussi silencieuse soit-elle, et certainement dans le contexte de tous les instruments de musique, étant donné que l'interdiction de la musique et du rythme semble être liée aux craintes quant à ce que nous allons faire avec les instruments de musique.[4] Rejeter l'interdiction du bruit blanc ? Oui. Tolérer les instruments de musique silencieux ? Absolument pas.

 

Bien sûr, les Ṭalmidhim du Rambo’’n auraient probablement répondu à ces trois attaques comme suit :

 

1)    La peur de fabriquer / réparer un instrument de musique est un cadre postérieur placé sur un ensemble antérieur de règles sur le bruit qui ne suivent pas entièrement cette nouvelle logique. Rabboh, après tout, parle d'une קול של שיר, c’est-à-dire d'un son musical ou rythmique. Si un son est suffisamment silencieux, il ne rentre tout simplement pas dans une catégorie qui nous concerne, et les craintes de bricoler l'instrument ne s'appliquent pas.

2)    Même si le Ṭalmoudh, par sa déviation au service de Rabboh, suggère qu’il n’est permis de générer de la musique douce et apaisante le Shabboth que pour les personnes malades, c’est une déviation qui peut obscurcir le sens originel du texte. Le texte peut en fait autoriser ce type de son sans restrictions, tout en reconnaissant qu'il sera normalement utile pour les personnes malades. Étant donné que les Ṭalmidhim du Rambo’’n suivent clairement la tradition de Ribbénou Ḥananˋél de problématiser tout le bruit (s'il est assez fort), alors il n'est pas surprenant qu'ils écarteraient les implications halakhiques de ce passage dans la Soughyoˋ, tout comme ils écartent toutes les autres déviations comme étant insuffisantes pour justifier un écart par rapport au sens ordinaire de ´oulloˋ. Cette sensibilité peut s’étendre à la suppression de l’hypothèse du Ṭalmoudh selon laquelle il n’est permis de faire un tel bruit que pour une personne malade.

3)    Ils concèderaient certainement que la flûte était interdite. D'après le rapport du Méˋiri sur leur pratique, il semble plausible qu’ils ne jouaient que d’instruments à cordes le Shabboth, qui sont considérablement plus doux que les instruments à vent, comme une flûte.[5] Leur standard, par conséquent, peut avoir été simplement une question de volume, avec des instruments de musique plus doux étant acceptables pour l’atmosphère du Shabboth.

 

L’approche du Ri’’ph est celle qui est principalement codifiée dans le Shoulḥon ´oroukh :

 


Shoulḥon ´oroukh, ˋôraḥ Ḥayyim 338 :1

Il est interdit de faire du bruit avec un instrument de musique, mais il est permis de frapper à une porte et d’autres actions similaires, tant qu’elles ne sont pas musicales / rythmiques.

 

À la suite de cette décision, l’approche de Ribbénou Ḥananˋél passa largement au second plan, la prise en compte du volume disparaissant pratiquement de la discussion halakhique. Le Mishnoh Barouroh 338: 4 interdit en conséquence l'utilisation d'un diapason le Shabboth ou Yôm Tôv, en raison de l'interdiction générale des instruments de musique,[6] malgré le fait qu'il ne fait pratiquement aucun bruit audible. Cependant, un peu de l'approche de Ribbénou Ḥananˋél est rapporté dans le Yabbia´ ˋômér 3:22, où le Rov ´ôvadhyoh Yôséph tolère au moins les Ḥazzonim qui en utilisent un, car le bruit est si doux qu'il ne tombe même pas sous la rubrique d'un son ou d’une activité problématique.[7]

 

Il y a un autre corollaire intéressant de l’approche de Rabboh. Si tout l'accent est mis sur la génération de bruit musical / rythmique, alors on pourrait prétendre de manière plausible qu'il est même permis de générer un tel bruit, tant que ce n'est pas l'intention de la personne. En d'autres termes, une fois que nous rejetons le premier modèle, dans lequel le bruit lui-même est le problème, nous pourrions seulement problématiser les sons générés à des fins musicales / rythmiques, comme endormir une personne, ou applaudir, claquer des doigts et danser dans le cadre d'un effort chorégraphié. Cela conduit le ´oroukh Hashshoulḥon à autoriser les sonnettes de portes (non électriques) le Shabboth, car leur fonction entière est la notification, même si elles émettent en fait une séquence musicale de notes.[8]

 

Nous verrons les deux autres approches dans les prochains articles…



[1] Ribbénou Ḥananˋél a également tiré un soutien du Ṭalmoudh Bavli Shabboth 18a, qui rapporte une opinion selon laquelle on ne peut pas jeter du grain dans un moulin à eau avant Shabboth afin qu'il moule pendant le Shabboth à cause du bruit qu'il générera.

[2] Bien que le Ri’’ph fasse tout un plat en rejetant le Yaroushlami face à la préférence apparente du Bavli pour Rabboh, il faut noter qu'il y avait aussi des voix dans le Yaroushlami qui semblaient permettre un bruit non musical le Shabboth, du moins dans les cas où on frappe aux portes et sur des chaises. Cette déclaration du Ri’’ph apparaît comme une voix dominante pour évaluer le poids relatif des traditions talmudiques babyloniennes et palestiniennes, en particulier lorsqu'elles sont ouvertement en conflit.

[3] Dans Béṣoh, le Ri’’ph cite la raison donnée par le Sathom pour justifier cette interdiction comme étant basée sur la crainte d'être tenté de fabriquer ou de réparer un instrument de musique, mais ne donne aucune indication que cette raison peut être utilisée comme une source d’indulgence dans des contextes où elle peut ne pas s'appliquer. Comme beaucoup de ces raisons, elle semble être lue ici comme un fondement conceptuel d'une loi qui est indivisiblement appliquée pour interdire toutes les formes de bruit rythmique et musical.

[4] En fait, certains puristes qui ont suivi cette approche ont suggéré que le sifflement mélodique était interdit le Shabboth. Voir Birké Yôséph Shiyouré Barokhoh ˋôraḥ Ḥayyim 338.

[5] L'instrument à vent moyen est 10 dB plus fort (ce qui se traduit par dix fois plus fort) qu'une guitare classique. Rappelez-vous à nouveau la déclaration de la Mishnoh de Ṭomidh 3: 8 selon laquelle la flûte utilisée dans le Béth Hammiqdosh pouvait être entendue d'aussi loin que Yariḥô (Jéricho). Les instruments à percussion sont tout aussi bruyants. Notez que cette approche a également l'avantage d'expliquer pourquoi il n'y a pas d'objection à la voix humaine : en moyenne, elle n'est tout simplement pas aussi perçante ou intense que les types d'instruments et de sons identifiés par ḤaZa’’l comme problématiques.

[6] Notez que le Mishnoh Barouroh lui-même préfère l'interdiction de tout bruit rythmique, rejetant la position des Ṭôsophôth que nous verrons dans la 5ème partie, et essaie de suivre la position de Rabboh dans toute la mesure du possible.

[7] Pour une autre source intéressante sur le diapason, voir la Ṭashouvoh Malammédh Lahô´il 1 :63.

[8] ´oroukh Hashshoulḥon, ˋôraḥ Ḥayyim 338

lundi 5 avril 2021

Jouer de la musique à Shabboth & Yôm Tôv – Troisième Partie

 

בס״ד

 

Jouer de la musique à Shabboth & Yôm Tôv – Troisième Partie 

 


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  III.            Les ˋammôroˋim babyloniens : bruit musical ou rythmique ?

 

1.     La Soughyoˋ talmudique

 

Les tensions autour de la manière de définir la culture du calme le Shabboth sont abordées plus explicitement dans le Bavli ´érouvin 104a. Les sources soulignées sont amoraïques, tandis que les sources en gras sont tannaitiques :

 

´oulloˋ visitait la maison de Rov Manashshah. Un homme est passé par-là et a frappé à la porte. ´oulloˋ a dit : « Qui est-ce ? Puisse son corps trembler pour avoir transgressé Shabboth ! » Rabboh lui a dit : « Ils n’ont interdit que le bruit musical ». ˋabbayé le contesta : « ‘’Ils puisent [des liquides] au moyen d’un siphon, et ils égouttent [de l’eau] par un ˋaroq pour un malade à Shabboth’’. Pour un malade, pas pour quelqu’un en bonne santé ! De quel cas parlons-nous ? N’est-ce pas un cas où il dormait et on tentait de le réveiller ?[1] Cela indique qu’on interdit généralement de faire du bruit ! Plutôt, c’est un cas où il était éveillé et tentait de se rendormir, et cela fait un son apaisant ». Il fut contesté : « Celui qui protège ses fruits à cause des oiseaux et ses courges à cause des bêtes sauvages, il protège à Shabboth suivant son habitude, dès lors qu’il n’applaudira pas, ni ne claquera des doigts, ni ne dansera à la manière dont on le fait durant la semaine. Pourquoi ? N’est-ce pas à cause de l’interdiction d’émettre un son ? » Rov ˋaḥoˋ bar Ya´aqôv a dit : « [Non !] C’est une Gazéroh[2], de crainte qu’il ne ramasse une motte de terre »… Il a été enseigné[3] : « Nous puisons de l'eau du Puits Gôloh et du Grand Puits avec une roue le Shabboth ». Dans le Miqdosh, oui, mais dans la Madhinoh, non ! Pourquoi ? N’est-ce pas à cause de l’interdiction de faire du bruit ? Non, c'est une Gazéroh, de peur qu’il ne puise de l’eau pour son jardin et son bâtiment effondré[4]. ˋamémor a permis de puiser de l'eau avec une roue [le Shabboth] à Maḥôzoˋ. Il a dit : « Pourquoi nos Maîtres l’ont-ils décrété[5] ? De peur de puiser de l’eau pour son jardin et son bâtiment effondré. Ici, il n'y a pas de jardins ni de bâtiments effondrés ».

עולא איקלע לבי רב מנשה אתא ההוא גברא טרף אבבא אמר מאן האי ליתחל גופיה דקא מחיל ליה לשבתא א"ל רבה לא אסרו אלא קול של שיר איתיביה אביי מעלין בדיופי ומטיפין מיארק לחולה בשבת לחולה אין לבריא לא ה"ד לאו דנים וקא בעי דליתער ש"מ אולודי קלא אסיר לא דתיר וקא בעי דלינים דמשתמע כי קלא דזמזומי איתיביה המשמר פירותיו מפני העופות ודלעיו מפני החיה משמר כדרכו בשבת ובלבד שלא יספק ולא יטפח ולא ירקד כדרך שהן עושין בחול מאי טעמא לאו דקמוליד קלא וכל אולודי קלא אסיר אמר רב אחא בר יעקב גזירה שמא יטול צרור תנן ממלאין מבור הגולה ומבור הגדול בגלגל בשבת במקדש אין במדינה לא מאי טעמא לאו משום דאולודי קלא ואסיר לא גזירה שמא ימלא לגינתו ולחורבתו אמימר שרא למימלא בגילגלא במחוזא אמר מאי טעמא גזרו רבנן שמא ימלא לגינתו ולחורבתו הכא לא גינה איכא ולא חורבה איכא

 

Nous commençons ce passage par ´oulloˋ, un Sage palestinien, visitant la maison de Rov Manashshah, lorsqu'un homme vint frapper à la porte. ´oulloˋ, conformément aux opinions plus strictes que nous avons vues précédemment dans le Yaroushlami, l'accuse d'avoir transgressé le Shabboth. Rabboh répond par une déviation dramatique : les Ḥakhomim n’ont interdit que les bruits musicaux (ou rythmiques). En effet, bon nombre des sources tannaïtiques que nous avons citées précédemment peuvent être interprétées comme se concentrant spécifiquement sur le problème d'une sorte de bruit rythmique ou musical à l'exclusion du bruit blanc.[6] Notre Soughyoˋ continue alors à défier Rabboh à partir d'une foule de textes qui semblent également préoccupés par le bruit blanc. Le premier concerne une sorte d'instrument autorisé à être utilisé autour de personnes malades le Shabboth, ce qui implique potentiellement que leur utilisation était autrement interdite. ˋabbayé imagine que cet objet faisait un bruit fort destiné à réveiller les malades, et nous avons donc une indication d'inquiétude autour du bruit blanc le Shabboth. Le Ṭalmoudh rejette cela, disant que l'objet faisait en fait un bruit apaisant et était utilisé pour endormir une personne malade. Cela peut alors correspondre à la délimitation par Rabboh de la catégorie problématique comme s’étendant uniquement au bruit musical ou rythmique. Un développement important s'est produit ici : le modèle de Rabboh est plus indulgent en ce qu'il permet le bruit blanc. Mais il est aussi plus strict dans un autre sens, en ce sens que les tons doux et apaisants peuvent également être problématiques s'ils sont musicaux et rythmiques.

 

Un défi plus important pour Rabboh et son paradigme innovant vient ici de la Ṭôsaphṭoˋ de Shabboth 18:15, où une personne est interdite d'effrayer les animaux pour qu’ils s’en aillent de son jardin en recourant à des applaudissements, des claquements de doigts et de la danse. Il est bien évident que la personne ne se livre aucunement à une activité rythmique ou musicale dans ce contexte, et pourtant l'interdiction reste en vigueur. Rov ˋaḥoˋ bar Ya´aqôv est donc contraint de proposer une déviation forcée de ce texte en disant que le souci ici n'a rien à voir avec le bruit lui-même, mais plutôt avec le souci qu'en s'impliquant trop dans l’objectif de faire fuir les animaux sauvages, on risquerait de ramasser une motte de terre et la leur jeter. Ce serait alors soit une transgression du principe de Mouqṣah (ne pas ramasser des articles qui n'ont pas été préparés avant Shabboth) ou transporter un article illégalement dans, ou à travers, l'espace public le Shabboth. En tout état de cause, Rov ˋaḥoˋ bar Ya´aqôv est clairement d’avis que le bruit est une préoccupation secondaire et dérivée, et défend ainsi la position de Rabboh selon laquelle le bruit est acceptable, tant qu’il n’est ni musical ni rythmique.

 

Une autre attaque contre Rabboh vient de la Mishnoh de ´érouvin 10:14, qui interdit implicitement l'utilisation d'un puits bruyant le Shabboth en dehors de l'enceinte du Béth Hammiqdosh, où une telle utilisation est autorisée. Ici aussi, cependant, ˋamémor permet de puiser de l'eau d'un puits à Maḥôzoˋ, apparemment inconscient du problème potentiel du bruit. Le Gamoroˋ explique : Il a supposé que la véritable base de l’interdiction de puiser de l’eau n’avait rien à voir avec le bruit, mais plutôt la crainte que l’on ne puise pas seulement de l’eau pour boire mais aussi pour arroser son jardin et/ou ses plantes. Il autorise donc de le faire à Maḥôzoˋ, où il prétend qu'il n'y a pas de tels jardins à arroser. Encore une fois, un texte antérieur qui était vraisemblablement axé sur le bruit est détourné comme étant dérivé d’une autre préoccupation principale, afin de maintenir l’autorité du texte tout en rejetant toute notion selon laquelle un bruit blanc fort serait problématique le Shabboth.

 

2.     Comprendre Rabboh

 

Le caractère forcé de ces deux dernières résolutions devrait nous mettre en évidence que la position de Rabboh s’écarte assez clairement de l’interdiction tannaïtique de faire du bruit le Shabboth et Yôm Tôv, qui semble avoir été considérée comme allant d’elle-même. Son point de vue, comme celui des ˋamôroˋim indulgents dans le Yaroushlami, reflète une sorte de changement dans la culture juridique qui ne tolérait plus l’interdiction d’émettre du bruit le Shabboth. Il est possible que Rabboh se dirige réellement dans une direction consistant à autoriser tous les bruits pendant le Shabboth (y compris le bruit musical, sur le modèle de ce que le Shabboth semble avoir été dans le Béth Hammiqdosh, du moins dans le contexte de ses activités les plus centrales) mais doit simplement s’accommoder en quelque sorte des différentes sources tannaïtiques qui ont clairement un problème avec les activités bruyantes. Il fait donc de son mieux pour limiter ces sources, et en utilisant le fait que les applaudissements, les claquements de doigts et la danse semblent être dirigés musicalement d'une certaine manière, il relit toutes les autres sources à la lumière de ce paradigme. Il s'est peut-être aussi appuyé sur l'interdiction de la flûte - un instrument de musique - pour limiter la portée de cette interdiction à cette catégorie halakhique de bruit musical. En effet, il est à noter qu'aucun ˋamôroˋ babylonien ne soutient une interdiction générale de toutes sortes de bruits le Shabboth, malgré le fait que de nombreux ˋamôroˋim de ˋaraṣ Yisroˋél (y compris ´oulloˋ) ont approuvé une telle opinion. Si c'est la bonne façon de comprendre sa position, alors nous nous attendrions à ce qu'au moins quelqu'un continue cette tendance au point de permettre toutes sortes de bruits - y compris le bruit musical - le Shabboth et Yôm Tôv.

 

Alternativement, Rabboh peut être substantiellement engagé dans la différenciation entre le bruit musical et le bruit blanc. Le bruit musical - avec son rythme, ses notes et ses gammes - est capable de créer une ambiance et d'attirer un public d'une manière que le bruit blanc ne peut tout simplement pas. Si ceux qui se sont opposés à tout bruit (comme ´oulloˋ) l'ont fait par conviction que le Shabboth était censé être une journée tranquille, Rabboh pourrait présenter une version modifiée de ce type de dérangement auditif : le bruit musical menace de donner un ton et une humeur inappropriée au Shabboth qui est un jour où nous sommes censés faire l'expérience du monde de Hashshém tel qu'il est. Le bruit blanc, en revanche, ne procure aucun plaisir humain et n'est qu'une distraction de fond, et n'est pas une préoccupation principale. En ce sens, le Shabboth n’est pas nécessairement une journée tranquille, bien que ce soit un jour où nous n’essayons pas de créer des environnements trop contrôlés et déterminants à travers la musique. On pourrait alors se demander si, selon cette interprétation, Rabboh interdirait même de chanter le Shabboth, une interdiction qu'aucune source n'a jamais exprimée. Mais il se peut que même Rabboh puisse supposer que les sources antérieures n'étaient concernées que par le bruit musical d'un certain volume ; la voix humaine en moyenne n'est pas nécessairement assez forte pour déclencher cette préoccupation, et donc les instruments de musique - du moins ceux qui sont assez forts. - sont les seuls objets visés ici.

 

3.     La pratique en vigueur durant l’ère talmudique

 

Les communautés juives babyloniennes ne semblent pas avoir accepté cette vision rabbinique d'un Shabboth sans bruit (musical) :[7]

 

Ravoˋ bar Rov Ḥanin a dit à ˋabbayé : « Nous avons enseigné : ‘Ils n’applaudissent pas, ni ne claquent des doigts, ni ne dansent’’, mais nous voyons que tout le monde fait cela, et personne ne proteste ! » Il lui a dit… « laisse les Israélites tranquille ! Mieux vaut qu'ils se trompent plutôt que d'être des transgresseurs délibérés »

א"ל רבא בר רב חנין לאביי תנן אין מטפחין ואין מספקין ואין מרקדין והאידנא דקא חזינן דעבדן הכי ולא אמרינן להו ולא מידי אמר ליה... הנח להם לישראל מוטב שיהיו שוגגין ואל יהיו מזידין

 

ˋabbayé, en réponse au fait que les gens applaudissaient, claquaient des doigts et dansaient régulièrement le Shabboth, suggère de laisser tranquille ces transgresseurs : ils n'arrêteront pas ces activités même si vous leur dites de le faire, et les réprimander les transformera donc simplement en transgresseurs volontaires, par opposition aux ignorants et inconscients. Il est difficile de dire précisément quelle était la prévalence de ces pratiques. Il existe plusieurs possibilités :

 

1)    Le judaïsme biblique n'a jamais eu de souci avec le bruit pendant le Shabboth et diverses pratiques bruyantes et musicales du Béth Hammiqdosh reflètent un vestige de ce modèle antérieur. Les premières sources rabbiniques reflètent une tentative de d'augmenter la nature ascétique et pieuse du Shabboth durant l’ère du Bayith Shéni, comme l'ont fait d'autres institutions comme la pratique courante du jeûne le Shabboth. La pratique populaire citée ici pourrait simplement refléter le fait que cet effort pré-rabbinique et rabbinique pour interdire le bruit pendant le Shabboth n'a jamais été transmis avec succès en Babylonie au-delà de l'élite rabbinique raréfiée ; les masses ont conservé la philosophie antérieure du Shabboth, où faire du bruit et même jouer de la musique était autorisé.

2)    ˋabbayé préférait le point de vue de ´oulloˋ et interdisait toutes sortes de bruits le Shabboth, alors que les gens s'opposaient uniquement au bruit musical (non pas qu'ils suivaient consciemment Rabboh, mais que leurs instincts religieux s'alignaient sur sa compréhension du problème). Les applaudissements, claquements de doigts et danses décrits ici n'étaient pas rythmiques et donc non musicaux et donc les gens les permettaient.

3)    Les gens étaient simplement laxistes dans leur pratique religieuse et reflétaient une dégradation de la culture du calme qui existait le Shabboth depuis des temps immémoriaux.

 

ˋabbayé pense clairement que le troisième modèle décrit ici la réalité, mais le premier modèle semble tout aussi plausible

 

4.     Le Ṭalmoudh anonyme : transformer une préoccupation principale en une préoccupation dérivée

 

Dans Béṣoh 36b, le Sathom (couche rédactionnelle anonyme du Ṭalmoudh) pousse la concentration de Rabboh sur le bruit musical un peu plus loin, et déclare carrément que la raison de l'interdiction des applaudissements, des claquements de doigts et de la danse dans la Mishnoh de Béṣoh est שמא יתקן כלי שיר - de peur qu’on en vienne à réparer (ou fabriquer) un instrument de musique. Cette formulation découle clairement de la façon de penser de Rabboh,[8] mais semble aller plus loin : il n’y a pas d’interdiction du bruit (musical ou autre) en soi, mais simplement la crainte que le bruit conduise à un certain nombre d’activités problématiques. Dans un sens, ce passage continue simplement la tradition commencée par Rov ˋaḥoˋ bar Ya´aqôv - attribuer des préoccupations dérivées aux traditions tannaïtiques qui semblent concerner des bruits inappropriés. Bien sûr, une réflexion plus approfondie sur cette raison révèle qu'elle ne tient pas vraiment la route comme une explication de l'interdiction initiale. Si c'était correct, il n'est pas du tout clair pourquoi nous n'autoriserions pas certains types d'instruments (comme une flûte) qui ne peuvent pas vraiment être réparés de manière significative. Et dans la mesure où l'on craint d'être inspiré par ces activités bruyantes à fabriquer un instrument de musique, on ne sait pas pourquoi un certain nombre d'autres activités autorisées - comme le chant - pourraient ne pas présenter la même préoccupation. Par conséquent, il faut comprendre l'explication du Sathom ici comme accomplissant deux choses :

 

1)    Maintenir l’intégrité juridique de la décision de la Mishnoh ainsi que le rejet par Rabboh d’une interdiction du bruit blanc, de sorte que quelque chose d’autre qu’une aversion pour le bruit doit être à l’œuvre ici ;

2)    Organiser autant d'interdictions de Shabboth que possible autour des trente-neuf Maloˋkhôth - une tendance qui croît en intensité pendant la période amoraïque et atteint son apogée dans la couche rédactionnelle du Ṭalmoudh.

 

Il s'agit d'un tournant critique dans la discussion, car cette nouvelle terminologie rend possible de nouveaux types d'énoncés et de formulations qui n'auraient pas pu être prononcés avant son introduction, comme nous le verrons dans les prochains articles. Nous avons déjà vu comment le Ṭalmoudh pense qu'il est raisonnable qu'une fois que l'interdiction de puiser de l'eau avec une roue soit considérée comme dérivée et non absolue, ˋamémor permit de puiser de l'eau avec une roue là où les préoccupations dérivées ne s'appliquaient pas. C’est cela l’essence même d’une Gazéroh rabbinique : il ne s’agit jamais d’une interdiction absolue, mais d’une interdiction conditionnée. Et contrairement à ce que pensent certains, à travers de nombreux passages le Ṭalmoudh démontre que chaque fois que les conditions d’une Gazéroh ne sont pas d’application l’interdiction visée par la Gazéroh ne s’applique pas. Cela ouvre la possibilité d'autoriser divers types d'activités de création de bruit et de musique dans des contextes où l'on ne craint pas que les gens viennent réparer / fabriquer des instruments de musique.

 

C’est ainsi que dans le prochain article nous verrons les quatre approches générales qui se sont développées après la période talmudique concernant le fait de jouer de la musique à Shabboth et Yôm Tôv, et vous verrez qu’il n’y a jamais eu unanimité dans le corps rabbinique pour l’interdire, bien au contraire !



[1] Ce qui se rapporterait alors à un son très fort.

[2] Un décret de protection.

[3] Dans une Mishnoh.

[4] Où il cultive à présent des légumes.

[5] Que l’on ne pouvait pas puiser de l’eau avec une roue ?

[6] Par exemple, la phrase לא מטפחין ולא מספקין ולא מרקדין peut aisément s’interpréter comme ne se référant qu’à une sorte spécifique de danse chorégraphique ou de tapage des mains bien arrangé qui est assez rythmique et musical.

[7] Béṣoh 30a

[8] Le ˋôr Saméaḥ (Rov Méˋir Simḥoh Kôhén de Dvinsk, 20ème siècle, Russie) Shabboth 23: 5 souligne que l’explication de שמא יתקן כלי שיר est totalement inutile pour expliquer le point de vue de ´oulloˋ, et que ce langage semble émerger d'une préférence talmudique pour la position de Rabboh. Il note que selon ´oulloˋ, il n'y a aucune raison d'être indulgent avec le fait d’applaudir en arrière (avec le dos de la main), car cela aussi crée du bruit, et le mouvement dans cette direction par certains ˋamôroˋim dans le Yaroushlami reflète déjà un écart par rapport à l'interdiction légale du bruit en général.

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