mercredi 2 septembre 2015

Le turban dans la tradition juive

ב״ה

Le turban dans la tradition juive


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Il arrive fréquemment que des gens (Juifs ou pas) se demandent pourquoi les hommes Juifs portent une Kippoh/Yarmoulko` sur leurs têtes. Les réponses classiques les plus données à cette question sont :
  • c'est un rappel constant du fait que les Juifs doivent se soumettre au Créateur, qui est au-dessus d'eux ;
  • c'est un symbole pour distinguer les Juifs des autres peuples et nations ;
  • avoir la tête découverte est considéré être une marque d'arrogance et d'irrespect.

Mais ce que la plupart des gens Juifs ou pas tendent à oublier est que la Kippoh ou Yarmoulko` n'a pas toujours été le couvre-chef de prédilection des Juifs, et est en fait une évolution ou un changement relativement moderne. Nos ancêtres n'ont jamais porté ce type de couvre-chef !

Dans les temps bibliques, les Lawiyim et les Kôhén Godhôl portaient, comme faisant partie de leurs vêtements sacerdotaux, un turban. Sans ce turban, ils ne pouvaient officier (tout comme s'il manquait l'un des autres vêtements sacerdotaux). La Tôroh est remplie de références au turban du Kôhén. Voici quelques exemples :

  • Shamôth 28:4

Et voici les vêtements qu'ils feront : le pectoral, l'éphod, le manteau, la tunique brodée, le turban et la ceinture. Ils seront des vêtements sacrés pour `aharôn, ton frère, et pour ses fils, pour Me le destiner à Mon service.
וְאֵלֶּה הַבְּגָדִים אֲשֶׁר יַעֲשׂוּ, חֹשֶׁן וְאֵפוֹד וּמְעִיל, וּכְתֹנֶת תַּשְׁבֵּץ, מִצְנֶפֶת וְאַבְנֵט; וְעָשׂוּ בִגְדֵי-קֹדֶשׁ לְאַהֲרֹן אָחִיךָ, וּלְבָנָיו--לְכַהֲנוֹ-לִי

  • Shamôth 29:6

Tu mettras sur sa tête le turban et placeras la couronne de sainteté sur le turban.
וְשַׂמְתָּ הַמִּצְנֶפֶת, עַל-רֹאשׁוֹ; וְנָתַתָּ אֶת-נֵזֶר הַקֹּדֶשׁ, עַל-הַמִּצְנָפֶת

  • Wayyiqro` 8:9

Et il mit le turban sur sa tête, mit sur le turban, vers le visage, le diadème d'or, la couronne sacrée, comme `adhônoy l'avait ordonné à Môshah.
וַיָּשֶׂם אֶת-הַמִּצְנֶפֶת, עַל-רֹאשׁוֹ; וַיָּשֶׂם עַל-הַמִּצְנֶפֶת אֶל-מוּל פָּנָיו, אֵת צִיץ הַזָּהָב נֵזֶר הַקֹּדֶשׁ, כַּאֲשֶׁר צִוָּה יְהוָה, אֶת-מֹשֶׁה

Sur sa tête le Kôhén Godhôl portait un turban fait de fin lin qui était attaché autour de sa tête en anneaux ou cercles. À l'avant du turban, sur le front, attachée par un ruban de dentelle bleu, il y avait une couronne dorée sur laquelle étaient gravés les mots קֹדֶשׁ לַיהוה « Qôdhash Ladhônoy – Sainteté pour `adhônoy. »1 C'était un rappel constant de la sainteté du peuple d'Israël et du Kôhén Godhôl dans sa vocation, car HaShem ית׳ a dit à Môshah Rabbénou ע״ה2 :

Parle à toute la réunion des Bané Yisro`él et dis-leur : « Vous serez saints, car Je suis saint, `adhônoy, votre Dieu. »
דַּבֵּר אֶל-כָּל-עֲדַת בְּנֵי-יִשְׂרָאֵל, וְאָמַרְתָּ אֲלֵהֶם--קְדֹשִׁים תִּהְיוּ: כִּי קָדוֹשׁ, אֲנִי יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם

Le Kôhén Godhôl était marqué d'un symbole d'identification de sa consécration à HaShem. Mais puisque l'intégralité des Israélites formait une sainte nation appelée à une prêtrise collective, les Israélites jusqu'à ce jour portent un couvre-chef pour imiter cette distinction et afficher leur prêtrise au monde et leur consécration à HaShem, le terme « sainteté » provenant du mot hébreu קְדוּשָׁה « Qadhoushoh », qui signifie « mis à part. » De nos jours, l'écrasante majorité des Juifs portent la Kippoh/Yarmoulko` comme identifiant distinct qui sépare les Juifs des autres peuples et nations.

Illustration : La tenue des Lawiyim

Néanmoins, la pratique des anciens Israélites consistant à également porter un turban, comme le Kôhén Godhôl, sur une base quotidienne est établie dans de nombreux passages bibliques, comme ceux-ci :

  • Yahazqé`l 24:17

Soupire en silence, ne prends pas le deuil comme pour des morts, attache sur toi ta coiffure, mets tes sandales à tes pieds. Tu ne t'envelopperas pas jusqu'aux lèvres et tu ne mangeras pas le pain des hommes.
הֵאָנֵק דֹּם, מֵתִים אֵבֶל לֹא-תַעֲשֶׂה--פְּאֵרְךָ חֲבוֹשׁ עָלֶיךָ, וּנְעָלֶיךָ תָּשִׂים בְּרַגְלֶיךָ; וְלֹא תַעְטֶה עַל-שָׂפָם, וְלֶחֶם אֲנָשִׁים לֹא תֹאכֵל

  • Yahazqé`l 24:23

Votre coiffure [sera] sur vos têtes, vos sandales à vos pieds ; vous ne vous lamenterez pas, vous ne pleurerez pas, mais vous sécherez par vos iniquités et vous soupirerez chaque homme contre son frère.
וּפְאֵרֵכֶם עַל-רָאשֵׁיכֶם, וְנַעֲלֵיכֶם בְּרַגְלֵיכֶם--לֹא תִסְפְּדוּ, וְלֹא תִבְכּוּ; וּנְמַקֹּתֶם, בַּעֲו‍ֹנֹתֵיכֶם, וּנְהַמְתֶּם, אִישׁ אֶל-אָחִיו

Nous voyons implicitement des passages susmentionnés que le fait de retirer son turban en public est une marque de deuil, voire même d'humiliation. D'autres passages nous l'indiquent également.3 Voici d'autres références au turban porté par les hommes :

  • `iyôv 29:14

Je me revêtais de justice et elle se revêtait de moi, ma droiture était [pour moi] comme un manteau et un turban.
צֶדֶק לָבַשְׁתִּי, וַיִּלְבָּשֵׁנִי; כִּמְעִיל וְצָנִיף, מִשְׁפָּטִי

  • Yasha´yohou 61:3

Pour présenter, pour donner aux endeuillés de Sion une coiffe à la place de la cendre, l'huile de la joie à la place du deuil, un vêtement magnifique à la place d'un esprit abattu, afin qu'on les appelle « les béliers de la justice », plantation de `adhônoy par laquelle Il Se glorifie.
לָשׂוּם לַאֲבֵלֵי צִיּוֹן, לָתֵת לָהֶם פְּאֵר תַּחַת אֵפֶר שֶׁמֶן שָׂשׂוֹן תַּחַת אֵבֶל--מַעֲטֵה תְהִלָּה, תַּחַת רוּחַ כֵּהָה; וְקֹרָא לָהֶם אֵילֵי הַצֶּדֶק, מַטַּע יְהוָה לְהִתְפָּאֵר

  • Yasha´yohou 61:10

Je me réjouirai pleinement en `adhônoy, mon âme se délectera en mon Dieu, car Il m'a revêtu des vêtements du salut, m'a enveloppé du manteau de la justice, comme un fiancé orne [sa tête] d'une coiffe, comme une fiancée parée d'ornements.
שׂוֹשׂ אָשִׂישׂ בַּיהוָה, תָּגֵל נַפְשִׁי בֵּאלֹהַי--כִּי הִלְבִּישַׁנִי בִּגְדֵי-יֶשַׁע, מְעִיל צְדָקָה יְעָטָנִי: כֶּחָתָן יְכַהֵן פְּאֵר, וְכַכַּלָּה תַּעְדֶּה כֵלֶיהָ

Comme cela a été dit plus haut, bien qu'il soit désormais devenue la norme actuelle et dominante de porter une Kippoh/Yarmoulko` en remplacement de la pratique authentique et antique consistant à porter plutôt un turban, le turban était porté par de très nombreux Juifs jusqu'au 20ème siècle.

Illustration : Le Ban `Ish Hoy (1834-1909)

Illustration : Des Juifs portant le turban à Jérusalem, en 1895

Illustration : Un Juif algérien (20ème siècle)

Illustration : Un Juif yéménite (entre 1898 et 1914)

Illustration : Rabbins de Bagdad, dans les années 1930

Excepté dans les milieux yéménites et Talmidhé HaRambo''m, très peu de Juifs aujourd'hui poursuivent cette coutume millénaire et ancestrale consistant à porter le turban. Certains s'en abstiennent sur base de raisonnements et conclusions totalement erronés. Par exemple, certains objecteront à la pratique du turban et justifieront celle de la Kippoh/Yarmoulko` en arguant que le turban est un vêtement associé à l'islam, et affirment donc que quiconque porterait un turban serait identifié comme un musulman. Moi qui porte le turban quotidiennement, je peux affirmer que l'écrasante majorité des gens qui me croisent dans la rue me reconnaissent immédiatement comme un Juif, en dépit de mon turban. Deuxièmement, le turban n'est absolument pas un vêtement propre à l'islam. En effet, le turban est un couvre-chef porté par des hommes de différentes cultures et religions : les musulmans, les hindous, les sikhs, en Afrique, etc. De la même manière, un Qamis n'est en rien un vêtement propre à l'islam. Troisièmement, voir un musulman en turban est une chose extrêmement rare en occident. Vous avez en fait plus de chances de croiser un sikh en turban dans les rues de Paris ou Bruxelles qu'un musulman en turban ! Quatrièmement, quand bien même les autres peuples et religions prôneraient le port du turban, dès lors que cela fait également partie de notre tradition y renoncer sous prétexte que d'autres le font aussi n'est en rien un argument recevable. Les prêtres catholiques et les musulmans pieux portent également sur leurs têtes une calotte. Pourquoi ne renonçons-nous pas alors à porter une Kippoh/Yarmoulko` sur nos têtes ? Les femmes gitanes couvrent généralement leurs cheveux d'un foulard qui ressemble très souvent à ceux portés par des femmes séfarades. Devrions-nous dire à nos femmes que puisque les gitanes portent aussi le foulard, elles devraient se découvrir la tête ? Nous ne sommes même pas censés nous intéresser à ce qui se fait dans les autres religions et cultures. La seule chose qui doit compter pour nous est notre tradition, nos propres textes religieux, et rien d'autre.

Le port du turban est si central à notre tradition que nos Sages ont demandé expressément qu'une bénédiction soit faite au moment où l'on enroule son turban autour de la tête chaque matin. En effet, dans la liste des bénédictions du matin rapportée par le Talmoudh nous retrouvons ceci4 : כי פריס סודרא על רישיה לימא ברוך עוטר ישראל בתפארה « Quand il étend un tissu autour de sa tête il dira : ''Boroukh ´ôtér Yisro`él Bathiph`oroh''. » Bien qu'à nos époques la majorité des Juifs récitent cette bénédiction à la synagogue avec l'ensemble des autres bénédictions du matin, nous avions déjà expliqué que la pratique authentique consistait à ne réciter ces bénédictions que si on accomplissait vraiment l'acte pour lequel on bénissait, et au moment même où on l'accomplissait. C'est la pratique authentique telle qu'exigée par le Talmoudh et rapportée également par le Rambo''m ז״ל dans son Mishnéh Tôroh. Ainsi, c'est au moment où l'on enroule son turban autour de la tête (ou qu'on le dépose sur sa tête, si c'est un turban déjà fait) que cette bénédiction doit être faite. Et telle est encore jusqu'à nos jours la pratique des Dôr Da´im et Talmidhé HaRambo''m (de même, les Juifs du rite Hispano-Portugais récitent également les bénédictions du matin s'ils font les actes pour lesquels ils bénissent et au moment où ils les accomplissent). (Voir ici et .)

Le turban est d'une telle importance dans notre tradition que les Juifs vivant dans les pays musulmans ont parfois risqué leurs vies pour continuer à le porter. Avec la montée de l'islam, le turban commença à être perçu en terre d'islam comme étant « la couronne des arabes » et « l'insigne de l'islam. » La splendeur que la tradition juive accorde au turban causa aux Juifs de sérieux problèmes en terre d'islam.

Officiellement, les Juifs étaient considérés comme une minorité tolérée dont l'infériorité sociale devait se refléter dans la loi. Au 7ème siècle, le « Pacte d'Omar », qui définissait le statut des non musulmans en terre d'islam, contenait une clause selon laquelle les Juifs et les chrétiens s'engageaient à « ne pas tenter de ressembler aux musulmans de quelque façon que ce soit concernant l'habillement, comme par exemple avec...le turban... »

Comme pour les restrictions vestimentaires similaires qui furent souvent imposées aux Juifs dans l'Europe chrétienne, cette loi s'avéra rapidement être difficile à imposer, étant donné que les Juifs développaient fréquemment des relations personnelles amicales avec bon nombre de musulmans. Les autorités officielles répondaient souvent à ce mélange social en insistant que les Juifs portent des vêtements spécifiques qui indiquerait de façon évidente leur position sociale inférieure.

Les turbans juifs devinrent une cible fréquente du zèle réformateur musulman. Parfois, les Juifs recevaient l'ordre d'afficher des marques distinctes sur leurs turbans ; à d'autres occasions une limite était fixée à la longueur du tissu utilisé comme turban (10 aunes maximum, d'après un décret du sultan al-Malik al-Salih en 1354). Au 16ème siècle, le sultan Mourad III interdit tout simplement aux Juifs de porter des turbans, mais cela ne servit à rien puisque les Juifs continuèrent à le faire jusqu'au 20ème siècle.

La fréquence à laquelle de tels décrets devaient être répétés en terre d'islam indique clairement à quel point ils n'étaient pas efficaces et à quel point les Juifs furent tenaces, refusant d'abandonner leurs traditions ! Il est donc doublement ironique d'assimiler le turban à l'islam et exiger des Juifs qu'ils renoncent à cette tradition !

L'ignorance est une réalité avec laquelle nous devons vivre, mais lorsqu'on a accès à la connaissance l'ignorance des autres n'est pas un argument valable pour renoncer à appliquer ce que l'on sait être une tradition juive authentique et ancestrale. En outre, le fait que la majorité des Juifs, même séfarades, se sentent quasiment dans l'obligation de s'ashkénazifier n'est là encore pas une raison suffisante pour faire comme la majorité. Qui a dit qu'il fallait adopter l'allure ashkénaze ou ressembler à un ashkénaze pour être un bon Juif ? (Voir ici et .) Qui détermine nos lois, pratiques et coutumes ? Les Harédhim ashkénazes ou nos Sages, de mémoire bénie ?

1Voir dans Shamôth 28:36
2Wayyiqro` 19:2
3Voir par exemple Yasha´yohou 3:18-23

4Barokhôth 60b
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