ב״ה
L'ânesse de Bil´om : Perspective du Ramba''m
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La
Parashath Boloq contient l'un des récits les plus étranges de tout
le TaNa''Kh : la « conversation » qui a eu lieu
entre le voyant gôy Bil´om, qui est chargé de la mission de
maudire les Bané Yisro`él, et son ânesse. Alors que Bil´om est en
route de la Mésopotamie à Mô`ov pour délivrer ses malédictions,
un ange, invisible à Bil´om, bloque son chemin, poussant son ânesse
à se déporter sur le côté. Bil´om bat l'animal à plusieurs
reprises, et après la troisième fois l'ânesse proteste contre la
brutalité de son maître :
Alors
`adhônoy ouvrit la bouche de l'ânesse, qui dit à Bil´om: "Que
t'ai-je fait, pour que tu m'aies frappée ainsi à trois
reprises?"
Bil´om
répondit à l'ânesse: "Parce
que tu te joues de moi! Si je tenais une épée, certes, je te
tuerais sur l'heure!"
Et
l'ânesse dit à Bil´om: "Ne
suis-je pas ton ânesse, que tu as toujours montée jusqu'à ce
jour? Avais-je accoutumé d'agir ainsi avec toi?"
Et il répondit: "Non."
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וַיִּפְתַּח
יְהוָה,
אֶת-פִּי
הָאָתוֹן;
וַתֹּאמֶר
לְבִלְעָם,
מֶה-עָשִׂיתִי
לְךָ,
כִּי
הִכִּיתַנִי,
זֶה
שָׁלֹשׁ רְגָלִים.
וַיֹּאמֶר
בִּלְעָם לָאָתוֹן,
כִּי
הִתְעַלַּלְתְּ בִּי;
לוּ
יֶשׁ-חֶרֶב
בְּיָדִי,
כִּי
עַתָּה הֲרַגְתִּיךְ.
וַתֹּאמֶר
הָאָתוֹן אֶל-בִּלְעָם,
הֲלוֹא
אָנֹכִי אֲתֹנְךָ אֲשֶׁר-רָכַבְתָּ
עָלַי מֵעוֹדְךָ עַד-הַיּוֹם
הַזֶּה--הַהַסְכֵּן
הִסְכַּנְתִּי,
לַעֲשׂוֹת
לְךָ כֹּה;
וַיֹּאמֶר,
לֹא
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Le
Ramba''m ז״ל,
dans son Môréh Navoukhim, déclare que ce « dialogue »
ne s'est pas produit dans la réalité. Tout le récit concernant
Bil´om et son ânesse se serait produit, d'après le Ramba''m, dans
un rêve prophétique. Il avance cette théorie dans le cadre de sa
discussion générale sur la prophétie, où il rejette
catégoriquement la possibilité qu'il puisse exister une rencontre consciente avec des anges dans la vie réelle :
Nous avons déjà
exposé que, partout où on a parlé de l'apparition d'un ange, ou
d'une allocution faite par lui, il ne peut être question que d'une
vision prophétique, ou d'un songe,
n'importe qu'on l'ait ou non déclaré expressément, comme cela a
été dit précédemment. Il faut savoir cela et t'en bien pénétrer.
Peu importe qu'on dise tout d'abord de quelqu'un qu'il a vu l'ange,
ou qu'on semble dire qu'il le prenait d'abord pour un individu
humain, et qu'à la fin il devient manifeste pour lui que c'était un
ange ;
dès que tu trouves dans le dénouement que celui qui a été vu et
qui a parlé était un ange, tu sauras et tu seras certain que dès
le commencement c'était une vision prophétique, ou un songe
prophétique.
Par
la suite, le Ramba''m applique ce principe à un certain nombre
d'autres récits bibliques qui semblent, à première vue, parler de
vrais événements plutôt que de visions prophétiques. Il
interprète audacieusement l'histoire des trois visiteurs de `avrohom
`ovinou
ע״ה
et
le récit de la lutte de Ya´aqôv `ovinou ע״ה
avec
un assaillant mystérieux
comme se référant tous les deux à des visions prophétiques
expérimentées par les Patriarches. Il traite ensuite brièvement
de l'épisode de Bil´om, en disant :
De même, tout ce
qui se passa avec Bil´om sur le chemin,
ainsi que le discours de l'ânesse, [tout cela, dis-je,] eut lieu
dans une vision prophétique,
puisqu'on dit expressément à la fin
que l'ange de HaShem lui parla.
Le
« dialogue » entre Bil´om et son ânesse atteint son
apogée par la vision d'un ange qui réprimande Bil´om pour avoir
maltraité sa monture.
Ainsi, à la lumière de sa théorie selon laquelle l'implication
d'un ange à la fin d'un récit révèle la nature prophétique de
l'entièreté d'un épisode, le Ramba''m conclut que ce récit décrit
une vision et non un événement qui se serait réellement produit.
La
position énoncée ici par le Ramba''m découle naturellement de
celle qu'il défend au sujet de la nature de ce que le TaNa''Kh et
HaZa''l appellent מַלְאָכִים
« Mal`okhim
– anges ». Un peu plus tôt dans le deuxième volume de
son Môréh Navoukhim,
le Ramba''m identifie les « anges » à ceux qu'Aristote
appellent des « intelligences », qui sont des
« intermédiaires entre la Cause Première et les choses en
existence », et que « c'est par leur intermédiaire
que sont mues les sphères, ce qui est la cause de la naissance de
tout ce qui naît ». Le Ramba''m accepte cette définition
et affirme que ce sont à ces « être intermédiaires »
que se réfèrent l’Écriture et la littérature rabbinique
lorsqu'ils parlent de « Mal`okhim ». Il en arrive
à cette conclusion sur la base de l'étymologie du mot מַלְאָךְ
« Mal`okh »,
qui signifie tout simplement « messager ».
« Mal`okh » se réfère donc à « quiconque
s'est vu confier une mission », ce qui, comme le Ramba''m,
l'explique, inclut même les éléments de la nature, les mouvements
des animaux et les facultés des êtres humains. Tout moyen par
lequel HaShem ית׳
gouverne
les événements du monde peut être appelé « ange ».
Parmi les preuves plus que convaincantes qu'il cite nous retrouvons
un passage tiré du Midhrosh Baré`shith Rabboh qui raconte qu' « un
ange du désir » s'est emparé de Yahoudhoh ע״ה lorsqu'il passa
devant Tomor ע״ה, qui était déguisée en prostituée. À l'évidence,
le Midhrosh emploie le terme « ange » pour se référer à
une émotion, une force abstraite causée par HaShem à travers
laquelle des événements historiques ont pu se produire de la façon
désirée par HaShem. Il vaut la peine de rapporter les propres mots
du Ramba''m :
Tu
sais que le mot « Mal`okh »
(ange) signifie « messager » ;
quiconque donc exécute une mission est un Mal`okh, de sorte que les
mouvements de l'animal même irraisonnable s'accomplissent, selon le
texte de l’Écriture, par l'intermédiaire d'un Mal`okh, quand ce
mouvement est conforme au but qu'avait Dieu, qui a mis dans l'animal
une force par laquelle Il accomplit ce mouvement. On lit, par
exemple :
אֱלָהִי
שְׁלַח מַלְאֲכֵהּ,
וּסְגַר
פֻּם אַרְיָוָתָא--וְלָא
חַבְּלוּנִי « Mon
Dieu a envoyé Son
ange (Mal`akhéh) et
a fermé la gueule des lions, qui ne m'ont fait aucun mal » ;
et de même tous les mouvements de l'ânesse de Bil´om se firent par
l'intermédiaire d'un Mal`okh. Les éléments mêmes sont nommés
« Mal`okhim »
(anges ou messagers) ; par exemple :
עֹשֶׂה
מַלְאָכָיו
רוּחוֹת;
מְשָׁרְתָיו,
אֵשׁ
לֹהֵט
« Il
fait des vents Ses
messagers (Mal`okhow) et
du feu flamboyant Ses serviteurs ».
Il est donc clair que le mot « Mal`okh »
s'applique : premièrement au messager d'entre les hommes, par
exemple :
וַיִּשְׁלַח
יַעֲקֹב מַלְאָכִים
לְפָנָיו
« Et
Ya´aqôv envoya des
messagers (Mal`okhim) devant
lui » ;
deuxièmement au prophète, par exemple : יַּעַל
מַלְאַךְ-יהוה
מִן-הַגִּלְגָּל,
אֶל-הַבֹּכִים
« Et
un
messager (Mal`akh)
de `adhônoy monta de Gilgol à Bôkhim » ;
וַיִּשְׁלַח
מַלְאָךְ,
וַיֹּצִאֵנוּ
מִמִּצְרָיִם
« Il
envoya un
messager (Mal`okh) et
nous fit sortir d’Égypte » ;
troisièmement aux intelligences séparées qui se révèlent aux
prophètes dans la vision prophétique ; enfin quatrièmement
aux facultés animales...
Ainsi,
le Ramba''m interprète le terme « Mal`okh » comme se
référant à une force intangible et abstraite plutôt qu'à un être
réel et visible. C'est donc tout naturellement qu'il rejette
catégoriquement la possibilité d'une rencontre avec un ange dans la
vie réelle. Par conséquent, il insista sur le fait que chaque fois
que nous lisons dans le TaNa''Kh un récit sur quelqu'un qui se
serait adressé à un ange ou en aurait contemplé un, le récit ne
peut se référer à une vraie expérience mais plutôt à un rêve
ou une vision prophétique.
La
position du Ramba''m nous permet de résoudre sans aucun problème un
certain nombre de difficultés auxquelles nous sommes confrontés en
lisant l'histoire de Bil´om et son ânesse. L'une de ces difficultés
est l'absence soudaine des émissaires Moabites qui étaient allés
ramener Bil´om vers leur pays afin de maudire les Bané Yisro`él.
Le verset qui précède le récit de l'ânesse nous informe que
Bil´om était parti avec ces émissaires,
et pourtant il n'est fait aucune mention de leur réaction ou réponse
lorsqu'ils ont vu et entendu l'ânesse parler. En outre, lorsque la
Tôroh présente le récit de l'ânesse, elle insiste sur le fait que
Bil´om voyageait en compagnie de שְׁנֵי
נְעָרָיו
« ses
deux serviteurs »,
indiquant par-là l'absence des émissaires Moabites, alors que le
verset qui précède celui-ci déclare explicitement que les
émissaires Moabites accompagnèrent Bil´om. Ces deux difficultés
se résolvent aisément lorsqu'on comprend que l'épisode de l'ânesse
qui parlait s'est déroulé dans la tête de Bil´om et non en
vrai ! Bil´om partit dans la vraie vie avec les émissaires
Moabites mais fit un rêve prophétique durant la nuit dans lequel il
n'était plus qu'en compagnie de ses deux serviteurs lorsque l'ânesse
se mit à parler.
Plus
important encore, l'approche du Ramba''m résout une difficulté à
laquelle aucun commentateur ne parvient à apporter des réponses
concluantes. Juste avant que Bil´om ne prenne la route pour Mô`ov,
il avait demandé aux émissaires Moabites de passer la nuit chez
lui, temps durant lequel HaShem lui apparaîtrait dans un rêve
prophétique pour lui dire s'il avait ou pas la permission d'aller
maudire les Bané Yisro`él. Effectivement HaShem lui apparut et lui
en donna la permission, allant en fait jusqu'à lui en donner
l'ordre : קוּם
לֵךְ אִתָּם
« Lève-toi ;
va avec eux ! ».
Et pourtant, à peine deux versets plus loin, nous lisons que lorsque
Bil´om se mit en route, וַיִּחַר-אַף
אֱלֹהִים,
כִּי-הוֹלֵךְ
הוּא,
וַיִּתְיַצֵּב
מַלְאַךְ יהוה בַּדֶּרֶךְ,
לְשָׂטָן
לוֹ
« Dieu
S'irrita de ce qu'il partait ; un ange de `adhônoy se mit sur
son chemin pour s'opposer à lui ».
Pourquoi le voyage de Bil´om a-t-il irrité HaShem s'Il l'avait
explicitement approuvé ? Rash''i ז״ל
tente
de résoudre cette incohérence en nous disant qu'étant donné que
Dieu avait désapprouvé ce projet la toute première fois que la
délégation moabite était venue lui demander ses services,
Bil´om aurait dû de lui-même refuser l'offre, même après avoir
reçu une autorisation Divine lors de la seconde requête. Le
Rashba''m ז״ל,
pour sa part, explique que Bil´om s'est embarqué dans cette mission
avec un désir ardent de maudire coûte que coûte les Bané
Yisro`él, et c'est cette attitude qui causa le courroux de HaShem.
Dans le même ordre d'idée, le Rov Sa´adhyoh Go`ôn ז״ל
écrit
que HaShem était en colère par l'avidité financière qui animait
la résolution de Bil´om.
Mais
si l'on s'appuie sur la théorie du Ramba''m, il devient possible
d'offrir une réponse de loin plus simple que toutes celles qui ont
été proposées. Le récit du rêve prophétique de Bil´om dans
lequel HaShem approuve sa mission
devrait se lire, d'après le Ramba''m, comme étant le résumé
général du rêve de Bil´om, dont les détails sont présentés
dans les versets qui suivent. La Tôroh résume brièvement cette
prophétie en racontant que Bil´om reçut la permission de Dieu de
se rendre à Mô`ov. Par la suite, la Tôroh décrit la vision par
davantage de détails, décrivant l'image que Bil´om contempla de
l'ange qui tentait d'obstruer sa route, sa conversation avec l'ange,
et la permission finalement accordée par l'ange de poursuivre le
voyage. HaShem montre vivement ici Son mécontentement à Bil´om,
tout en lui permettant néanmoins de poursuivre sa mission à la
condition d'obéir strictement aux instructions qu'Il lui donnera.
Ainsi, la vision de l'ange et le dialogue avec l'ânesse constituent
les détails du rêve qui est précédemment rapporté de façon
brève. Cette lecture résout soigneusement cette incohérence qui
troubla les exégètes classiques.
Cette
façon de lire cet épisode rappelle inévitablement l'interprétation
donnée par le Ramba''m d'un épisode qu'il considère n'être rien
d'autre qu'une vision prophétique : la fameuse histoire des
trois invités mystérieux qui rendirent visite à `avrohom `ovinou
et lui prédirent la naissance prochaine de son fils. Ce récit
commence de la façon suivante :
וַיֵּרָא
אֵלָיו יהוה,
בְּאֵלֹנֵי
מַמְרֵא;
וְהוּא
יֹשֵׁב פֶּתַח-הָאֹהֶל,
כְּחֹם
הַיּוֹם
« `adhônoy
lui apparut à `élôné Mamré`, alors qu'il était assis à
l'entrée de la tente durant la chaleur du jour ».
Sur la base d'une opinion rapportée dans le Midhrosh, le Ramba''m
comprend ce verset comme étant un bref résumé de l'entièreté du
récit qui suit. Le récit concernant l'arrivée des anges fournit
simplement les détails de cette révélation Divine qui fut accordée
à `avrohom `ovinou. HaShem lui apparut donc sous la forme d'une
vision prophétique dans laquelle le Patriarche contempla trois anges
se présentant devant sa tente et se leva pour les saluer et leur
servir un repas. De même, dans la Parashath Boloq, le Ramba''m
interpréta le récit de l'ânesse comme un développement du rêve rapporté juste avant ce récit. HaShem exprima à Bil´om Son
consentement réticent en lui montrant cette vision prophétique de
l'ange invisible et de l'ânesse dotée de la parole.
Enfin,
la théorie du Ramba''m élimine une énigme plus évidente encore
dans cet épisode : l'impassibilité inexplicable de Bil´om
tandis que son animal parlait. La Tôroh ne donne aucune indication
d'un quelconque étonnement de la part de Bil´om lorsqu'il entendit
soudainement son ânesse parler. Bien au contraire, il lui répond
tout naturellement, quoique avec colère, en plaidant sa cause et en
accusant l'animal de désobéissance. Comme l'a très bien fait
remarquer le Shada''l ז״ל
(Rov
Shamou`él Dowidh Luzzatto,
Italie, 1800-1865), si l'ânesse avait réellement parlé, Bil´om
aurait été saisi d'un choc et d'horreur, au point même de presque
en mourir. Le fait que Bil´om réponde à son ânesse sans exprimer
la moindre surprise face au phénomène d'un animal qui parle doit
nous amener à croire que l'ânesse ne lui a pas réellement parlé.
Ne désirant néanmoins pas reléguer tout cet épisode dans la
catégorie d'une prophétie, le Shada''l tente de résoudre cette
énigme en suggérant que bien que l'ânesse n'ait pas réellement
parlé, elle a émis des braiments permettant de comprendre sa
frustration. Mais évidemment, pour le Ramba''m il n'y a jamais eu la
moindre difficulté concernant l'absence de surprise de la part de
Bil´om, puisque tout cet épisode ne s'est jamasi réellement
produit et n'était qu'un rêve !