jeudi 9 mai 2019

Réflexions sur la bonne et mauvaise éducation torahique – Partie III


בס״ד

Réflexions sur la bonne et mauvaise éducation torahique – Partie III


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  1. Rouah Ro`oh – Mauvais Esprit

Bon nombre de nos Sages (spécifiquement ceux de Babylone) et rabbins des générations antérieures croyaient dans les démons (Shédhim), en des formes métaphysiques maléfiques (par exemple, le ´ayin Hora´), en l'astrologie, et d'autres choses pareilles. De même que bon nombre des non-Juifs sages et instruits de ces époques-là. Ces croyances, qu'a catégoriquement rejetées Ribbénou, sont non seulement citées dans le Talmoudh Bavli, mais dans certains cas ils ont également été reprises dans les codes halakhiques standards. Si on regarde le Shoulhon ´oroukh de Rabbi Yôséph Qa`rô, qui est considéré par l'orthodoxie comme le livre halakhique de référence, beaucoup des préceptes qui y sont enseignées sont clairement basés sur des superstitions et autres croyances kabbalistiques qui n'ont aucun sens. Comment devons-nous considérer ces sources, et comment les expliquer à nos enfants et élèves ? Penchons-nous sur l'un de ces concepts, celui de la Rouah Ro´oh (esprit mauvais), pour illustrer la façon de traiter de tels sujets.

Voici ce que nous pouvons lire dans le Shoulhon ´oroukh1 :

2. Il prendra soin de verser trois fois des eaux sur elles [les mains], afin de faire passer l'esprit mauvais qui repose sur elles.
ב יְדַקְדֵּק לְעָרוֹת עֲלֵיהֶם מַיִם ג' פְּעָמִים לְהַעֲבִיר רוּחַ רָעָה שֶׁשּׁוֹרָה עֲלֵיהֶן
3. Il ne touchera pas avec sa main, avant un lavage, la bouche, ni le nez, ni les oreilles, ni les yeux.
ג לֹא יִגַּע בְּיָדוֹ קֹדֶם נְטִילָה לַפֶּה, וְלֹא לַחֹטֶם, וְלֹא לָאָזְנַיִם, וְלֹא לָעֵינַיִם

Le Shoulhon ´oroukh enseigne que verser trois fois de l'eau sur ses mains, directement après s'être réveillé, serait le seul moyen efficace de retirer la Rouah Ro´oh qui s'attachent aux mains. Il prescrit qu'avant ce lavage des mains il serait défendu de toucher certaines parties du corps (un peu plus loin, il interdit même de toucher un tonneau de bière). Puisque les mains non lavées posséderaient sur elles une Rouah Ro´oh, toucher ces organes sensibles du corps serait dangereux. Et c'est la croyance dominante parmi les Orthodoxes.

Divers commentateurs ont offert des explications variées sur la nature même de cette Rouah Ro´oh et si elle existe réellement. Certains disent qu'elle s'attache aux mains parce que durant le sommeil les mains de la personne pourraient avoir touché différentes parties du corps et seraient devenues impures. D'autres disent que dormir est une forme de mort ; et tout comme une purification est nécessaire lorsqu'on entre en contact avec un cadavre, de même il y aurait besoin de purification lorsqu'on se réveille de son sommeil. C'est le Zôhar, livre de référence de la Qabboloh, qui enseigne ceci : « Car lorsque quelqu'un dort, son esprit s'envole de lui, et tandis que son esprit le quitte, un esprit impur est prêt à reposer sur ses mains, les souillant ainsi. C'est pourquoi il est défendu de bénir une bénédiction avec elles sans s'être d'abord laver ».

Bien que la Halokhoh prescrive effectivement un lavage des mains au matin, la croyance en une Rouah Ro´oh est-elle une exigence religieuse ? Peut-on expliquer le lavage des mains d'une autre manière ?

La stricte vérité est qu'un lavage des mains au matin ne fut prescrit par nos Sages qu'avant la prière, et non au réveil, et jamais ils n'attachèrent cette exigence à une quelconque croyance en une Rouah Ro´oh qui reposerait sur les mains ! Au contraire, de la même manière que les Kôhanim devaient se laver le visage, les pieds et les mains avant de commencer leur service dans le Béth Hammiqdosh, nous aussi devons nous préparer à la prière (qui a remplacé le service dans le Béth Hammiqdosh) par des ablutions. C'est ainsi que Ribbénou, fidèle aux instructions de nos Sages, cite la loi du lavage des mains au matin dans ses lois sur la prière2 :

1. Cinq choses retardent la prière, quand bien même son temps serait arrivé : 1) la pureté des mains, 2) le recouvrement de la nudité, 3) la pureté du lieu de la prière, 4) des choses qui dérangent l'individu, et 5) la concentration du cœur.
א  חֲמִשָּׁה דְּבָרִים מְעַכְּבִין אֶת הַתְּפִלָּה, אַף עַל פִּי שֶׁהִגִּיעַ זְמַנָּהּ--טַהְרַת הַיָּדַיִם, וְכִסּוּי הָעֶרְוָה, וְטַהְרַת מְקוֹם הַתְּפִלָּה, וּדְבָרִים הַחוֹפְזִים אוֹתוֹ, וְכַוָּנַת הַלֵּב
2. La pureté des mains : Comment [s'applique-t-elle] ? On lave ses mains avec de l'eau jusqu'à l'articulation, et ensuite on prie. Si on se trouvait en chemin et qu'est arrivée le moment de la prière, mais que l'on n'a pas d'eau, s'il y a entre soi-même et l'eau [une distance de] quatre Milin, c'est-à-dire huit mille `ammoh, on se rend jusqu'au lieu [où se trouve] l'eau et on se lave [les mains], et après cela on prie. Mais s'il y a entre soi-même et l'eau plus que cela, on nettoie ses mains avec une pierre, de la terre ou une poutre, et on prie.
ב  טַהְרַת הַיָּדַיִם כֵּיצַד: רוֹחֵץ יָדָיו בַּמַּיִם עַד הַפֵּרֶק, וְאַחַר כָּךְ יִתְפַּלַּל. הָיָה מְהַלֵּךְ בַּדֶּרֶךְ וְהִגִּיעַ זְמָן הַתְּפִלָּה, וְלֹא הָיָה לוֹ מַיִם--אִם הָיָה בֵּינוֹ וּבֵין הַמַּיִם אַרְבָּעָה מִילִין, שְׁהֶן שְׁמוֹנַת אֲלָפִים אַמָּה--הוֹלֵךְ עַד מְקוֹם הַמַּיִם וְרוֹחֵץ, וְאַחַר כָּךְ מִתְפַּלֵּל; הָיָה בֵּינוֹ וּבֵין הַמַּיִם יָתֵר מִכָּאן--מְקַנֵּחַ יָדָיו בִּצְרוֹר אוֹ בְּעָפָר אוֹ בְּקוֹרָה, וּמִתְפַּלֵּל
3. Dans quel cas les paroles susmentionnées s'appliquent-elles ? Devant soi. Et si le lieu de l'eau se trouve derrière soi, on est astreint à ne revenir sur ses pas que jusqu'à un Mil. Mais si on a dépassé l'eau de plus d'un Mil, on n'a pas l'obligation de revenir [sur ses pas]. Plutôt, on nettoie ses mains et on prie. Dans quel cas les paroles selon lesquelles on ne doit purifier pour la prière que ses mains s'appliquent-elles ? Dans le cas de toutes les prières, excepté la Taphillath Shahrith. Mais à Shahrith, on lave son visage, ses mains et ses pieds, et ensuite on prie. Et si on était éloigné de l'eau, on nettoie ses mains uniquement, et on prie.
ג  בַּמֶּה דְּבָרִים אֲמוּרִים, לְפָנָיו; אֲבָל אִם הָיָה מְקוֹם הַמַּיִם לְאַחֲרָיו, אֵין מְחַיְּבִין אוֹתוֹ לַחְזֹר לְאַחֲרָיו אֵלָא עַד מִיל. אֲבָל אִם עָבַר מִן הַמַּיִם יָתֵר מִמִּיל, אֵינוּ חַיָּב לַחְזֹר, אֵלָא מְקַנֵּחַ יָדָיו, וּמִתְפַּלֵּל. בַּמֶּה דְּבָרִים אֲמוּרִים, שְׁאֵינוּ מְטַהֵר לִתְפִלָּה אֵלָא יָדָיו בִּלְבָד--בִּשְׁאָר תְּפִלּוֹת, חוּץ מִתְּפִלַּת שַׁחְרִית; אֲבָל בַּשַּׁחְרִית--רוֹחֵץ פָּנָיו יָדָיו וְרַגְלָיו, וְאַחַר כָּךְ יִתְפַּלַּל. וְאִם הָיָה רָחוֹק מִן הַמַּיִם--מְקַנֵּחַ יָדָיו בִּלְבָד, וּמִתְפַּלֵּל

En d'autres mots, se laver les mains (le visage et les pieds également) fait partie de la préparation appropriée avant de pouvoir se présenter devant le Tout-Puissant par la prière. Ribbénou, comme le Talmoudh, ne fait aucunement mention d'une quelconque Rouah Ro´oh ! L'obligation de se laver les mains avant la prière n'est qu'une question de propreté physique et de purification rituelle, mais n'est pas connectée à une Rouah Ro´oh. En prenant l'approche de Ribbénou (qui est, en réalité, l'approche talmudique), nous pouvons respecter et enseigner la pratique du lavage des mains au matin sans la conditionner à la croyance en une Rouah Ro´oh.

Bien que Ribbénou rejette la notion d'une Rouah Ro´oh comme raison du lavage des mains au matin, d'autres rabbins ne furent pas si catégoriques. Bien qu'ils doutaient que la Rouah Ro´oh puisse causer le moindre dégât physique, ils étaient peu désireux de rejeter la croyance en l'existence d'une Rouah Ro´oh, car elle est présente dans le Talmoudh Bavli et d'autres textes rabbiniques (d'après leur compréhension). Ils résolurent ce dilemme en suggérant que la Rouah Ro´oh existaient dans les temps passés, mais plus à nos époques modernes. Par exemple, le Mahara''m ban Habbiv, écrivit que : « à nos époques, nous n'avons jamais vu ni entendu qui que ce soit ayant touché ses yeux avec des mains non lavées le matin, qui ensuite serait devenu aveugle ; par conséquent, la Rouah Ro´oh du matin n'existe plus au milieu de nous ».3 L'opinion selon laquelle la Rouah Ro´oh aurait perdu son efficacité à nos époques fut également exprimée par le Maharsha''l, le `éliyoh Rabboh, et d'autres.4

Rabbi Hayyim Dowidh Halléwi, un grand Pôséq qui était un adhérant au Zôhar, releva qu'il existe de nombreux sujets qui dépassent notre compréhension, parmi lesquels la notion de Rouah Ro´oh. Néanmoins, lorsqu'il décrit le lavage des mains au matin, Rabbi Halléwi refuse l'explication du Zôhar et fournit plutôt l'explication suivante : « Étant donné que l'intention du cœur, au fond de lui-même, est l'accomplissement des Miswôth, il convient que l'humain pense au moment du lavage que par ce moyen il se prépare au service du Créateur, tout comme un Kôhén qui lavait ses mains dans le Béth Hammiqdosh ».5

À l'évidence, nous devons pratiquer et enseigner la Halokhoh du lavage des mains au matin. Mais nous ne sommes pas obligés de croire ou d'inculquer une croyance en une Rouah Ro´oh. Lorsque nous enseignons le texte du Shoulhon ´oroukh sur la Rouah Ro´oh, nous pouvons expliquer que beaucoup de gens croyaient en ce concept en ces époques-là ; que Ribbénou n'a jamais fait mention de cette expression dans aucune de ses lois sur le lavage des mains au matin ; qu'il n'est pas religieusement requis de croire en ce concept. On peut également leur communiquer le fait que de nombreux rabbins suggérèrent que la Rouah Ro´oh avait perdu son efficacité à nos époques, c'est-à-dire que ce n'est plus du tout pour nous un sujet pertinent aujourd'hui ! Nous pouvons expliquer le lavage des mains au matin comme une purification rituelle en préparation à la prière. Il est complètement inconvenant de contraindre nos enfants à croire que la Rouah Ro´oh serait un fondement de notre tradition religieuse. C'est mal et insensé d'enseigner que toucher ses yeux, son nez, sa bouche, ou ses oreilles, avec des mains non lavées au réveil leur causera des problèmes corporels. C'est pédagogiquement et intellectuellement stupide de contraindre des élèves à accepter des choses qui s'avèrent à l'évidence être fausses, et de déguiser de tels enseignements dans des vêtements de vérité religieuse. Cela ne peut mener qu'à la dégradation de la foi aux yeux des élèves lorsqu'ils grandiront et auront des raisonnements plus sophistiqués. Ils pourraient également en arriver à conclure que la foi et la superstition se valent, ce qui est une éventualité dangereuse et malheureuse.

À suivre...
1`ôrah Hayim 4:2-3
2Mishnéh Tôroh, Séphar Ho`ahavoh, Hilkôth Taphilloh Ouvirakhath Kôhanim 4:1-3
3Cité dans la note de bas de page numéro 8 du Yalqout Yôséph, rédigé par le fils du Rov ´ôvadhyoh Yôséph, Rov Yishoq Yôséph, Volume Un de la prière, pages 9-10
4Ibid.
5Maqôr Hahayyim, 1:2:5

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