lundi 13 mai 2019

Réflexions sur la bonne et mauvaise éducation torahique – Partie IV


בס״ד

Réflexions sur la bonne et mauvaise éducation torahique – Partie IV


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  1. La nature des déclarations midrashiques/`aggadiques

Bien que certains rabbins aient favorisé une interprétation littéralistes des paroles de HaZa''l, de nombreux autres ont rejeté dans le langage le plus dur cette approche. HoRov Savi Hirsch Hayyôth (5565-5615), l'un des plus grands talmudistes de Galicie et ardent défenseurs de la sagesse de HaZa''l, fit l'observation suivante :

Il existe quelques sujets dans la Gamoro` dont le sens ne peut être pris littéralement, parce que le texte pris littéralement dépeindrait D.ieu comme un être corporel, et constituerait de temps à autres un acte de blasphème. Nous devrions, et nous y sommes en réalité astreints, croire que les transmetteurs de la vraie Qabboloh, qui nous sont connus pour être des hommes justes et saints et également comme des Talmidhé Hakhomim accomplis, ne s'exprimeraient pas d'une manière si absurde. Nous devons, par conséquent, croire que leurs paroles furent prononcées dans un sens allégorique ou mystique et qu'elles renvoient à des choses de l'importance la plus élevée, qui dépassent de loin notre capacité mentale.

HoRov Hayyôth offrit des exemples d'enseignements rabbiniques qui furent donnés d'une manière rhétorique afin d'éveiller la curiosité des auditeurs ; qui exprimaient des idées profondes dans un style figuré ; qui usaient de paraboles et d'hyperboles. Prendre ces Midhroshim littéralement aurait pour conséquence de complètement mal comprendre les méthodes et messages de HaZa''l.

HoRov Hayyim Dowidh Halléwi fit remarquer que HaZa''l étaient fréquemment en désaccord les uns les autres dans leurs interprétations midrashiques. Il est impossible que deux opinions opposées puissent toutes deux être historiquement vraies ! Par exemple, la Tôroh rapporte qu'après la mort de Yôséph Hassaddiq un nouveau Pharaon se leva sur l’Égypte. Le Talmoudh déclare que Rov suggéra que cela se référait littéralement à un nouveau Pharaon, tandis que Shamou`él interpréta cette phrase torahique comme voulant dire qu'il s'agissait du même Pharaon mais qui passa des décrets nouveaux contre les Israélites. Ces deux déclarations ne peuvent pas être vraies simultanément !1 Ni Rov ni Shamou`él n'apporta la moindre preuve historique ou traditionnelle pour soutenir son opinion ; plutôt, leurs opinions découlaient de leur propre lecture du texte biblique ! Il est donc important de comprendre que les Midhroshim ne font PAS partie de la Tôroh Orale d'Israël, mais ne sont que les lectures et compréhensions personnelles de nos Sages sur le texte biblique !

Les interprétations de HaZa''l étaient souvent énoncées afin de communiquer une leçon morale, et non pour commenter des événements réellement historiques. Par exemple, le Talmoudh rapporte que Rov Nahmon suggéra que Ya´aqôv `ovinou et sa famille, sur le chemin vers l’Égypte pour se réunir à Yôséph, s'arrêtèrent à Ba`ér Shova´ et abattirent des arbres qui avaient été plantés par `avrohom `ovinou. Ils emportèrent ce bois avec eux en Égypte, et le gardèrent tout au long des siècles de leur esclavage égyptienne. Lorsqu'ils quittèrent l’Égypte, ils emportèrent ce bois avec eux, et l'utilisèrent pour bâtir le Mishkon dans le désert.2 C'est une belle façon de lier ensembles l'histoire des Israélites à leur ancêtre originel, `avrohom. Toutefois, il n'existe aucune raison de supposer, et encore moins d'affirmer, que Rov Nahmon fit des recherches historiques qui le conduisirent vers cette interprétation, et il n'y a également aucune raison convaincante de croire qu'il détenait une tradition orale à ce sujet ; chose que lui-même n'a, d'ailleurs, pas prétendu ! L'importance et la signification de cette interprétation n'ont rien à voir avec son historicité, mais tout à voir avec l'influence endurante de `avrohom sur les Bané Yisro`él.

Puisque HaZa''l faisaient usage de diverses techniques littéraires et rhétoriques, il est essentiel de prendre leurs déclarations avec recul. Il est aussi essentiel de reconnaître que leurs interprétations reflètent leurs propres opinions personnelles, et non une tradition orale clairement définie ou divinement ordonnée.

HoRov Hay Go`ôn enseigna que la `aggodhoh incluait des déclarations des Sages où « chacun interprétait selon ce qui lui montait au cœur ». Il ajouta que nous ne nous appuyons pas sur les paroles de la `aggodhoh, mais les considérons comme des opinions personnelles.3 HoRov Shariro` Go`ôn enseigna que la `aggodhoh, le Midhrosh et les interprétations homilétiques de la Bible doivent être classés dans la catégorie des `oumdano`, c'est-à-dire des opinions personnelles et spéculations.4 Le Go`ôn Shamou`él ban Hôphni déclara : « Si les paroles des anciens contredisent la raison, nous ne sommes pas obligés de les accepter ! »5

La position selon laquelle les déclarations de HaZa''l ne doivent pas être comprises littéralement a une longue et distinguée tradition acceptée par tous les Ga`ônim (rabbins venus juste après la période du Talmoudh), Shamou`él Hannoghidh, Ribbénou, son fils, et de nombreux autres Ri`shônim (les rabbins venus juste après la période des Ga`ônim). Plus récemment, cette position fut magistralement défendue par HoRov Samson Raphaël Hirsch, qui déclara que « les dires `aggadiques n'ont pas d'origine sinaïques...Et quelqu'un dont l'opinion diffère de celle de nos Sages en matière de `aggodhoh ne doit pas être traité d'hérétique, d'autant que les Sages eux-mêmes divergeaient fréquemment ».

Lorsque nous enseignons des Midhroshim/`aggodhôth, nous devons être suffisamment sophistiqués pour considérer ces passages dans leur contexte littéraire et rhétorique. Nous ne devons pas forcer une interprétation littéraliste, encore moins lorsqu'une telle interprétation va à l'encontre de la raison, ou lorsque des interprétations alternatives valides sont également disponibles.

Certains Sages examinèrent les histoires bibliques et calculèrent que Rivqoh `imménou était âgée de trois ans lorsqu'elle abreuva les chameaux du serviteur de `avrohom. Ce calcul, rapporté dans le Sédhar ´ôlom, suppose que `avrohom envoya son serviteur trouver une épouse à Yishoq `ovinou immédiatement après la ´aqédhoh. Et pourtant, la Tôroh elle-même ne précise pas que cela se produisit immédiatement après la ´aqédhoh ou s'il y eut un laps de quelques années entre les deux histoires. Bien que Rash''i rapporte cet enseignement midrashique dans son commentaire de la Tôroh, ses propres disciples, les Tôsophôth, rapportent un autre calcul rabbinique qui conclut que Rivqoh aurait été âgée de quatorze ans lorsqu'elle abreuva les chameaux !6 Ainsi, les commentaires de Rash''i ne constituent pas une vérité absolue. Il est étrange de voir que l'étude de la Tôroh de nos jours se résume à simplement étudier la Tôroh avec Rash''i, alors que même au sein de la littérature rabbinique classique il y a des divergence d'opinion quant à l'âge qu'avait Rivqoh. L'opinion selon quoi elle était âgée de trois ans avait simplement pour but de mettre en avant les qualités inhabituelles, voire même miraculeuses, de Rivqoh, mais n'est pas à prendre littéralement. De l'autre côté, l'opinion selon quoi elle était âgée de quatorze ans désirait comprendre le texte d'une manière plus réaliste et rationnelle, puisqu'il est clair, à partir du texte lui-même, que Rivqoh était suffisamment mature que pour abreuver des chameaux, décider de quitter sa famille afin de se marier, et pour épouser Yishoq. Il est donc intenable de prétendre qu'elle n'avait que trois ans littéralement.

Ainsi, lorsqu'on discute de l'âge de Rivqoh avec nos enfants et élèves, ce n'est pas un problème de rapporter l'enseignement rabbinique selon quoi elle avait trois ans, en tant que moyen midrashique de mettre en avant les qualités inhabituelles de Rivqoh, tout comme un Midhrosh voudrait que `avrohom aurait découvert HaShem à l'âge de trois ans. Mais il faut également faire parvenir à leur connaissance qu'un enseignement rabbinique plus valide que celui-ci soutient que Rivqoh avait en fait quatorze ans à ce moment (et `avrohom, quarante, quarante-huit, ou cinquante ans, lorsqu'il découvrit D.ieu). Cette approche est évidemment plus raisonnable et rationnelle. Aucun parent ou enseignant ne doit insister pour qu'un enfant ou élève croit que Rivqoh était âgée de trois ans « parce que HaZa''l l'ont dit ». Or, HaZa''l ont aussi dit qu'elle avait quatorze ans ! Il faut dire aux enfants et élèves que les déclarations midrashiques sont souvent énoncées pour communiquer une leçon, et non pour rapporter des vérités historiques. Si on fait le choix de citer ou d'enseigner un Midhrosh, il faut alors prendre le temps d'enseigner les leçons qu'il communique.

Lorsqu'un Midhrosh est enseigné comme s'il faisait partie intégrale du texte biblique, cela porte préjudice au texte biblique, et aussi au Midhrosh. Les élèves doivent constamment être capables de différencier entre ce qui est dit dans le texte, et ce qui n'est rien d'autre qu'une interprétation rabbinique. Il faut plus particulièrement faire attention lorsque des Midhroshim incluent des détails surnaturels ou très bizarres ; les élèves pourraient en arriver à croire que ces éléments midrashiques font réellement partie de la bible. Car si on ne leur apprend pas à différencier entre le texte et son interprétation homilétique, si un jour ils en arrivent à rejeter ces Midhroshim bizarres ils pourraient culpabiliser en pensant faussement rejeter la bible elle-même ; et cela peut mener à davantage de catastrophes spirituelles.

Une tendance bien connue du Midhrosh est de glorifier les personnages justes et dépeindre de façon vile les personnages mauvais. Les héros bibliques deviennent plus larges que la vie dans leurs bontés ; et les vilains bibliques sont caractérisés par toutes sortes de vices et défauts. Cela fait partie de la méthode hyperbolique et moralisante de la littérature midrashique. Cette méthode midrashique doit être enseignée aux élèves, de sorte qu'ils se familiarisent avec le style de HaZa''l dans leurs éloges des justes et condamnations des impies. Cette méthode nous permettra de comprendre la façon qu'a le Midhrosh de présenter Washti.

Le texte de la Maghilloh ne nous dit pratiquement rien sur Washti. Nous ne savons pas pourquoi elle refusa de se présenter malgré l'ordre du roi. Son refus pourrait être très positivement interprété : elle était pudique, et refusa courageusement d'obéir à l'ordre inapproprié de son époux (en effet, du texte de la Maghilloh, on peut aisément déduire que l'ordre du roi était qu'elle se présente toute nue devant tous les invités.) Néanmoins, l'esprit midrashique veut démoniser `ahashwérôsh et sa femme. Pour se faire, le Midhrosh sous-entend que Washti était une descendante du méchant Navoukhadhna`ssar ; c'est pour cela qu'elle aurait été la compagne parfaite de `ahashwérôsh. Ils sont tous les deux corrompus. Si elle fait partie de la famille impie de Navoukhadhna`ssar, c'est qu'elle aussi doit être mauvaise. Pourquoi, donc, ne s'est-elle pas présentée malgré l'ordre de `ahashwérôsh ? La raison ne pouvait pas être qu'elle était pudique ou courageuse ; sinon cela la dépeindrait d'une façon positive. C'est la raison pour laquelle le Midhrosh suggère, sans doute avec une dose d'humour, que Washti était dotée de défauts physiques hideux (de longues oreilles et une queue), de sorte qu'elle avait honte de paraître devant le roi et ses convives. C'est pour cela qu'elle refusa de venir. Cette description midrashique prive ainsi Washti de la moindre vertu morale, et fait d'elle un personnage puni de défauts physiques symbolisant en réalité son âme mauvaise. Il n'y a donc rien de littéral ou de véridique dans ce Midhrosh !

En vérité, nous pouvons nous interroger s'il y a la moindre pertinence éducative à enseigner cette interprétation midrashique à des enfants à l'école maternelle. Il est improbable qu'ils puissent comprendre la méthode midrashique cachée derrière cette description de Washti. Les enseignants pourraient aimer l'enseigner afin de faire rire les enfants et éveiller leur imagination. Mais à long terme cette leçon fait du tort aux enfants, à moins que l'enseignant stipule clairement qu'il ne s'agit là que d'une exagération midrashique sur Washti, mais non d'une partie de la description que le texte de la Maghilloh fait d'elle. HaZa''l n'ont jamais affirmé que leurs Midhroshim devaient être inséparables et indistinguables du texte biblique, et nous ne devons pas non plus faire une telle affirmation pour eux !

Les conclusions à tirer de cette série de quatre articles devraient être claires et évidentes pour tous ceux qui sont intéressés à donne une éducation torahique véridique et authentique à leurs enfants et élèves. Pourtant, le fait est que beaucoup de mauvaises éducations se retrouvent dans nos maisons, synagogues et écoles. Une approche simpliste et littéraliste des paroles de HaZa''l continue d'avoir de l'influence, et est même très répandue. Ce n'est pas seulement intellectuellement et pédagogiquement insensé ; c'est même carrément une humiliation et dégradation de la Tôroh et de HaZa''l, comme cela fut dit par Ribbénou lui-même ! Nous devons tous élever nos voix pour l'amour de la Tôroh, de la vérité et du bien-être religieux de nos générations.
1´aséh Lakho Rov 5:49
2Midhrosh Rabboh Hammavô`or, Volume 4, Baré`shith 94:4
3sar Hagga`ônim, Volume 4, pages 59-60
4Ibid., page 60
5Ibid., pages 4-5
6Tôsophôth, sur Yavomôth 61b


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