jeudi 9 mai 2019

Traitement de la Dépression et Bases de la Relation Patient-Docteur


בס״ד

Traitement de la Dépression et Bases de la Relation Patient-Docteur, par Ribbénou HaRambo''m (1138-1204) : Rabbin, Médecin, et Philosophe


Cet article peut être téléchargé ici.

Ribbénou Môshah ban Maymôn, une figure illustre dans l'histoire, la médecine, et la philosophie Juive, a consacré la majorité des dix dernières années de sa vie aux écrits médicaux, au cours desquels il a aussi étudié les maladies mentales et a fourni ce qui peut être considéré comme la toute première description de la médecine psychosomatique. Dans sa lettre médicale envoyée au neveu gravement malade de le Saladin le Grand au Caire, qui souffrait d'un trouble maniaco-dépressif, Ribbénou discute de la consommation possible de l'alcool par son patient Musulman – le seul traitement disponible à l'époque pour la dépression. Ribbénou analyse le conflit entre l'interdiction religieuse pour son patient de boire de l'alcool et sa propre responsabilité professionnelle en tant que médecin vis-à-vis de son patient. Cette lettre illustre l'attitude de Ribbénou concernant la relation patient-docteur, forge une synthèse de la religion et la médecine, et démontre un respect interculturel et une sensibilité psychologique envers son patient Musulman. Ribbénou incorpore avec brio des sources tirées de la culture Juive et Islamique et laisse la décision finale à son patient.

Nous offrons ici cette traduction Française de sa lettre médicale pour laisser Ribbénou parler pour lui-même. Dans nos brefs commentaires qui suivront, nous détaillerons les messages éthiques de Ribbénou pour les lecteurs modernes.

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Lettre Médicale de Ribbénou

Son serviteur est bien conscient que notre Maître, par sa large intelligence et compréhension profonde, sera capable de se conduire de la manière appropriée, en accord avec le traité précédent et ces chapitres. Combien plus lorsque se tient devant lui [un médecin] auprès de qui il pourrait demander une guidance professionnelle ou rechercher une instruction pratique.

Dieu, puisse-t-Il être exalté, est un témoin, et Son témoignage suffit (Qour`ân 4:79-81), que le grand désir de son humble serviteur est de servir notre Maître par sa propre personne et conversation, et non par papier et plume.

Cependant, sa pauvre constitution et la faiblesse de ses facultés naturelles – déjà dans sa jeunesse, et combien plus dans sa vieillesse – constituent une barrière entre lui et de nombreux plaisirs. Je ne parle pas de plaisirs, mais plutôt de bonnes œuvres, dont la plus importante et élevée est de servir notre Maître de façon pratique. Que Dieu soit remercié pour toutes les circonstances qui nous arrivent, les générales et les particulières, dans la totalité de l'existence et ses détails, en chaque individu, en accord avec Sa volonté, qui concorde avec ce qui est dicté par Sa sagesse, dont aucun homme ne peut imaginer les profondeurs. Et que Dieu soit béni pour toute circonstance, peu importe la direction que pourraient prendre les événements.

Notre Maître ne devrait pas critiquer son humble serviteur pour avoir mentionné dans ce traité l'usage du vin et des chants, qui sont tous deux détestés par la religion. Car ce serviteur n'a pas commandé d'agir de la sorte ; il a simplement déclaré ce qui est dicté par sa profession. En effet, les législateurs religieux savent, comme les médecins, que le vin a des bienfaits pour l'homme.

Un médecin est lié, en ce qu'il est un médecin, de se présenter avec un régime bénéfique, qu'il soit défendu ou autorisé ; le patient est doté du libre-arbitre de choisir de le suivre ou pas. Si [le médecin] échoue à mentionner tout ce qui pourrait être utile, qu'il soit défendu ou autorisé, il est coupable d'avoir agi malhonnêtement, car il n'a pas un conseil digne de confiance.

Il est bien connu que la loi religieuse commande ce qui est bénéfique et défend ce qui est nuisible par rapport au Monde-à-Venir. De l'autre côté, le médecin instruit ce qui bénéficiera au corps et avertit concernant ce qui lui nuira dans ce Monde-ci.

La différence entre des commandements religieux et un conseil médical est que la religion commande et contraint quelqu'un à faire ce qui lui bénéficiera dans le futur, et défend ce qui lui nuira dans le futur, et punit pour cela. De l'autre côté, le médecin conseille [quelqu'un] concernant ce qui lui bénéficiera, et l'avertit concernant ce qui lui causera du mal. Il n'utilise pas la coercition, et ne punit pas ; il présente simplement l'information au patient à la façon d'un conseil. Et c'est le choix [du patient de suivre ou pas le conseil].

La raison à cela est évidente. Le mal et le bienfait d'après une perspective médicale sont immédiats et clairement évidents. Ainsi, il n'y a pas lieu d'user de coercition ou de punition. Toutefois, concernant les commandements religieux, le mal et le bienfait qu'ils apportent ne sont pas évidents dans ce Monde-ci. De ce fait, l'insensé pourrait imaginer en lui-même que tout ce qui est décrit comme étant nuisible ne l'est pas, et que tout ce qui est décrit comme bénéfique ne l'est pas, parce que ces choses ne sont pas clairement évidentes pour lui. Pour cette raison la loi religieuse contraint quelqu'un à pratiquer le bien et punit pour avoir commis le mal, car le bien et le mal ne deviendront apparents que dans le Monde-à-Venir. Tout cela est un acte de bonté à notre égard, une faveur qui nous est faites à la lumière de notre folie, une miséricorde sur nous due à la faiblesse de notre compréhension. C'est la mesure de ce que le serviteur a considéré approprié de stipuler devant son Maître et Dominateur, puisse Dieu lui accorder de longues années. Je reste volontiers disponible pour servir notre Maître. Remerciements et louanges à Dieu !

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Commentaires

  • Introduction

Ribbénou HaRambo''m souligne au début les capacités intellectuelles du patient qu'il considère être la clef de la relation patient-docteur et de la réussite du traitement. Ribbénou est le « serviteur » pour le patient, son « maître » (le neveu du Sultan). En citant le Qour`ân, Ribbénou présente le fondement religieux de sa mission médicale d'après le système de croyance du patient. Pour gagner la confiance de son patient, le médecin doit également être familier avec son monde spirituel et religieux.

  • La condition médicale de Ribbénou

Pour Ribbénou, empêcher la souffrance et fournir un soutien médical et spirituel à ceux qui en ont besoin est également un devoir religieux. En partageant partiellement avec son patient sa propre condition médicale, qui ne le détourne pas de ses doubles activités, il encourage son patient à gérer de la même manière ses problèmes médicaux. Ribbénou et son patient Musulman partagent une profonde croyance en Le Créateur, enracinée dans leurs religions respectives.

  • L'obligation médicale du médecin Versus les commandements religieux

Boire de l'alcool peut être médicalement justifié pour traiter la dépression, mais Ribbénou est pleinement conscient de l'interdiction religieuse pour son patient d'en boire (Qour`ân 2:219 ; 5:90-91). Suivant son obligation de médecin, Ribbénou discute franchement des bienfaits de l'alcool avec son patient, qui est le chef religieux d'un royaume Islamique.

  • L'obligation médicale du médecin et l'autonomie du patient

Sur la base de l'obligation professionnelle du médecin, qui est également encrée dans les écrits religieux de Ribbénou, le médecin est tenu de conseiller son patient conformément à ses connaissances médicales, même si le conseil qu'il prodigue contredit la tradition religieuse du patient. Ne pas communiquer des informations médicales à son patient transgresserait l'obligation du médecin d'informer ses patients. Ribbénou détaille la complexité éthique d'un traitement remis en cause à cause des convictions religieuses de son patient Musulman mais laisse la décision finale entre les mains de son patient. Ce rôle clef de l'autonomie du patient est en accord avec la philosophie religieuse de Ribbénou.

  • Commandements religieux Versus instructions médicales

Ribbénou fait la distinction entre la médecine et la religion : l'objectif de la médecine est le bien-être dans ce monde physique. La religion se focalise sur le futur spirituel dans le Monde-à-Venir, où les bienfaits ne sont « pas évidents dans ce Monde-ci ». Sauver des vies et promouvoir le bien-être humain dans ce Monde-ci ne doit pas être négligé à cause de commandements religieux. D'après la tradition Juive, sauver une vie doit recevoir la priorité sur les commandements religieux. Par conséquent, Ribbénou permet de jouir du vin dans certaines limites et encourage son patient Musulman malade de considérer le bienfait de l'alcool dans le traitement de sa maladie.

  • Conclusions

D'importantes valeurs éthiques sont présentées dans la lettre médicale de Ribbénou. Les qualités personnelles du médecin incluent la modestie, l'honnêteté, et un sens du devoir vis-à-vis de sa profession. L'autonomie du patient à décider de suivre ou pas le traitement doit être respectée, y compris avec des patients psychiatriques, ce qui constitue une attitude remarquablement moderne dans la médecine médiévale, qui est une époque où les attitudes paternalistes prévalaient. Dans sa relation patient-docteur, Ribbénou démontre une familiarité avec le monde religieux de son patient en citant le Qour`ân. En traitant franchement aussi bien des réticences religieuses de son dominateur Islamique et des devoirs professionnels du médecin, Ribbénou compare ses valeurs philosophiques et médicales avec celles de son patient. Il analyse le conflit entre la médecine et la religion en définissant leurs caractéristiques et objectifs différents. Pour Ribbénou, sauver une vie est en soi un devoir religieux qui a priorité sur pratiquement toutes les autres obligations religieuses. Étant donné que Ribbénou respecte les nombreuses valeurs communes que le Judaïsme partage avec les diverses religions, ces concepts que l'on retrouve dans la loi Juive sont également pertinents pour son patient Musulman, dont la religion affirme être une continuité du Judaïsme. Ces ponts interculturels entre cet immense érudit de la Tôroh et son patient Musulman sont remarquables pour le 12ème siècle, une période où la persécution religieuse définissait l’atmosphère politique et sociale dans les pays Chrétiens et Musulmans. Dans cette œuvre éthique, Ribbénou combine avec succès des talents médicaux, religieux, philosophiques, et psychologiques, créant une discussion interculturelle respectueuse pour le bienfait et bien-être de ses patients. Pour toutes ces réalisations spéciales, Ribbénou HaRambo''m, surnommé Maïmonide, une autorité rabbinique médiévale remarquable, un philosophe, et médecin, reste un exemple bioéthique pour les médecins contemporains.

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