lundi 20 juillet 2020

Frapper sa femme & la Halokhoh


בס״ד

Frapper sa femme & la Halokhoh




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Question : Un mari peut-il frapper / battre sa femme ?

·        Introduction

C’est l’un des sujets les plus sensibles qui puissent exister, car cela touche quelque chose de très intime : la vie de couple. Et le secret et la sacralité de la vie de couple empêchent souvent les femmes victimes d’en parler et les maris de rechercher de l’aide pour mettre fin à cette pratique. Pourtant, les violences domestiques sont un phénomène très fréquent. Ainsi, par exemple, d’après de récentes recherches, un peu plus de 10% des maris en Israël battent leurs femmes, et dans la communauté juive mondiale c’est un phénomène présent dans une minorité (quoique conséquente) de foyers religieux. Ce que nous allons faire ici est de nous contenter strictement de rapporter la Halokhoh sur ce sujet sensible, sans jugement ni critique envers qui que ce soit, mais les choses doivent être dîtes une bonne foi pour toute, et le plus clairement possible !

Il existe de très nombreux textes halakhiques abordant le sujet. En raison de la nature inhabituelle du crime, les principes et dispositifs juridiques sont poussés à leurs limites, avec des résultats remarquables. On voit ainsi les Boṭṭé Dhinim acceptent les témoignages de femmes et de proches de la plaignante (alors qu’en règle générale la Halokhoh n’accepte pas les témoignages d’une femme et des proches des parties), adoptent une attitude de présomption de culpabilité, emploient des méthodes innovantes de séparation sans divorce, appellent à un divorce forcé, autorisent de torturer le mari, permettent de faire appel aux auitorités non juives pour que le mari cesse de battre sa femme, et autorisent les femmes battues à posséder des biens immobiliers totalement indépendantes du contrôle de leur mari, entre autres phénomènes. Battre sa femme est un acte tellement grave que les Pôseqim de toutes les époques ont consenti à dévier des voies ordinaires et faire des exceptions dans le traitement de telles affaires.

Tous les principaux codes halakhiques traitent des principes juridiques que les Pôseqim appliquent à ce type spécifique de crime. Parmi les principales sources sur cette question figurent une série de Ṭashouvôth par Ribbénou Shalômôh ban `avrohom `adharath ז״ל (le Rashbo’’`, +/- 1235 - +/- 1310 Barcelone),[1] une Gazéroh de Ribbénou Paraṣ ban `éliyohou ז״ל (le Rapa’’sh, décédé en 1295 Corbeil), et une série de Ṭashouvôth par Ribbénou Binyomin ban Maṭṭithyohou Za`év ז״ל (né +/- 1510 Turquie).[2]

Cet article traite de plusieurs aspects de la réponse des Rabbonim aux sévices infligés aux femmes, y compris les jugements moraux généraux, les demandes de dommages-intérêts, le but et le mode d'intervention des Boṭṭé Dhinim, la présomption de culpabilité, le divorce forcé et la conduite envers une « femme méchante ».

·        Jugements moraux

Le Ṭalmoudh contient de nombreux avertissements et recommandations concernant les relations d'un mari avec sa femme : « Un homme ne doit pas faire régner une peur excessive dans sa maison » ;[3] « Un homme doit toujours veiller à respecter sa femme, car toute bénédiction trouvée dans sa maison n'est que grâce à elle, comme le dit l'Écriture :[4] וּלְאַבְרָם הֵיטִיב, בַּעֲבוּרָהּ ‘’Et à cause d'elle [Soray] il fut fait du bien à `avrom’’ » ;[5] « Nos rabbins ont enseigné : Concernant celui qui aime sa femme comme son propre corps et la respecte plus que son propre corps, l’Écriture déclare :[6] וְיָדַעְתָּ, כִּי-שָׁלוֹם אָהֳלֶךָ;    וּפָקַדְתָּ נָוְךָ, וְלֹא תֶחֱטָא ‘’Et tu sauras que ta tente est en paix, et tu inspecteras ton pli et ne fauteras pas’’ ».[7] Ce dernier exemple a été repris de la manière suivante dans le Mishnéh Ṭôroh du Rambo’’m :[8] וְכֵן צִוּוּ חֲכָמִים שֶׁיִּהְיֶה אָדָם מְכַבֵּד אֶת אִשְׁתּוֹ יוֹתֵר מִגּוּפוֹ, וְאוֹהֲבָהּ כְּגוּפוֹ « Et de même, les Ḥakhomim ont ordonné qu’un homme honore sa femme plus que son propre corps et l’aime comme son propre corps ».

De même, les Rabbonim ont beaucoup à dire sur les relations entre une personne et une autre en général, en plus de souligner le dicton biblique וְאָהַבְתָּ לְרֵעֲךָ כָּמוֹךָ « Et tu aimeras ton semblable comme toi-même ».[9] Frapper une autre personne est discuté dans de nombreuses sources. Ribbénou Môshah ban Ya´aqôv (du début au milieu du 13ème siècle, Coucy) dans son célèbre Séphar Miṣwôth Gadhôlôth fait une déclaration typique sur le sujet :[10]

Il est interdit à quelqu’un de se blesser ou de blesser autrui; et non seulement blesser mais aussi quiconque frappe un autre Juif - enfant ou adulte, homme ou femme - pour les déshonorer, une telle personne transgresse une interdiction, comme le dit l'Écriture :[11] « N'ajoute pas [au nombre requis de coups de fouet] » - si la Ṭôroh avertit de ne pas porter de coups à un coupable, à combien plus forte raison cela s'applique-t-il davantage à un innocent ! Même lever la main contre un autre, même si on ne le frappe pas réellement, est appelé de l’impiété, comme le dit l’Écriture :[12] וַיֹּאמֶר, לָרָשָׁע, לָמָּה תַכֶּה, רֵעֶךָ « Et il dit au Rosho´ : Pourquoi frapperas-tu ton semblable ? »

Le deuxième passage biblique susmentionné est d’une grande importance : Môshah Rabbénou ע״ה vit deux hébreux se disputer, et lorsque l’un des deux leva sa main dans l’intention de frapper l’autre, Môshah intervint en demandant au Rosho´ pourquoi est-ce qu’il comptait frapper son semblable. Le texte ne parle pas au passé « Pourquoi as-tu frappé » mais emploie le futur « Pourquoi frapperas-tu ». Il ne l’avait donc pas déjà frappé mais s’apprêtait juste à le faire. De là, les Ḥakhomim ont déduit dans le Ṭalmoudh que même un Juif qui avait l’intention de frapper un autre Juif, même s’il n’a pas fini par le faire, il est néanmoins considéré comme un Rosho´ (impie), ainsi que nous le voyons dans cet épisode biblique !

Ribbénou Paraṣ, dans sa Gazéroh, cite une Ṭashouvoh de Ribbénou Yiṣḥoq qui déclare qu’ « il détient sous l'autorité de trois grands Ḥakhomim, à savoir Ribbénou Shamou`él, Ribbénou Ya´aqôv Ṭam et Ribbénou Yiṣḥoq, les fils de Ribbénou Mé`ir, que celui qui bat sa femme est dans la même catégorie que celui qui bat un étranger ». De même, Ribbénou Môshah ban Yisro`él `issarlés ז״ל (le Ramo’’`, 1530-1572 Cracovie) dans son commentaire sur le Shoulḥon ´oroukh note que « un homme qui frappe sa femme transgresse comme celui qui frappe son semblable ».[13]

En fait, frapper ou battre sa femme est parfois spécifiquement condamné comme étant pire que de frapper quelqu'un d'autre. Par exemple, Ribbénou Binyomin Za`év dit que :[14]

Celui qui acquiert une servante hébraïque est comme celui qui acquiert un maître ; combien plus avec sa femme, car quiconque la frappe transgresse « n’ajoute pas » et sa punition est plus grande que pour celui qui frappe son semblable. … À mon humble avis, il n'y a personne qui transgresse une Ṭaqqonoh (ordonnance rabbinique) plus que celui qui bat sa femme et la dénigre.

De nombreux Ri`shônim déclarent à propos de la violence domestique que « c'est quelque chose que ne font pas les Juifs ». En disant cela, ils ne nient pas l’existence de femmes juives battues, mais ont plutôt l'intention de montrer clairement qu'un tel comportement n'est pas acceptable dans la société juive et n’est cautionnée par aucune loi juive. L'intensité de leur opposition à la violence domestique est démontrée par la sévérité avec laquelle les hommes qui battent leurs femmes sont traités en droit, comme nous le verrons ci-dessous.

·        Dommages-intérêts

La règle selon laquelle celui qui bat sa femme tombe dans le même genre de catégorie halakhique que celui qui bat un étranger peut être retracée plus loin que les petits-fils de Rash’’i ז״ל. En effet, cela remonte au moins à la période mishnaïque. La Mishnoh, au Chapitre 8 de la Masakhath Bavo` Qammo`, délimite cinq types de dommages-intérêts qui peuvent être réclamés contre celui qui blesse son semblable, à savoir : les blessures corporelles, les souffrances, les frais médicaux, la perte de revenus et la honte. Remarquablement, elle précise que ceux-ci s'appliquent à toutes sortes de personnes, telles que la mère, l'ami, l'esclave Gôy, l'aveugle, l'enfant, le pauvre, et fait même la distinction entre les propres esclaves de la personne et ceux des autres, mais pour une raison quelconque, la propre femme de cet homme est absente de la liste. La Tôsaphṭo`, cependant, mentionne spécifiquement une épouse :[15]

Celui qui blesse sa femme, qu'il l’ait blessée lui-même ou que d'autres l’aient blessée, paie les frais et achète des biens immobiliers avec, et il [le mari] jouit de l'usufruit. Ribbi Yahoudhoh ban Bathéroh dit : « Pour la disgrâce privée, elle obtient les deux tiers et lui un tiers ; pour la disgrâce publique, il obtient les deux tiers et elle obtient un tiers ; pour sa part, ils le lui donnent, et pour la sienne, il achète des biens immobiliers et il profite de l'usufruit ».
החובל באשתו בין שחבל בה הוא בין שחבלו בה אחרים מוציאין מידו וילקח בהן קרקעות והוא אוכל פירות ר' יהודה בן בתירה אומר בושת שבסתר לה שני חלקים ולו אחד בושת שבגלוי לו שני חלקים ולה אחד שלו נותנין לו מיד ושלה ילקח בהן קרקע והוא אוכל פירות.

En d’autres mots, d’après la Ṭôsaphṭo`, si un homme frappe sa femme et la blesse, ou demande à quelqu’un d’autre de blesser sa femme pour lui, il doit être condamné par le Béth Din à payer les cinq types de dommages-intérêts et acheter des biens immobiliers qui appartiendront à son épouse, lui ne pouvant jouir que de l’usufruit. Néanmoins, dans son Mishnéh Ṭôroh,[16] le Rambo’’m dit que lorsqu'un mari blesse sa femme, il paie trois types de dommages : toutes les blessures corporelles, les souffrances et toute la honte. Il tranche en outre que le mari ne jouit pas de l'usufruit et que la femme a en effet le plein contrôle sur cette propriété que le mari est condamnée à lui acheter en guise de dommage-intérêt ! Comme le soulignent certains Pôsaqim, les frais médicaux et la perte de revenus ne sont pas inclus dans les dommages-intérêts par le Rambo’’m tout simplement parce qu’un mari est toujours responsable des frais médicaux de sa femme et parce qu’il profite de toute façon des revenus de sa femme. Il n’était donc pas nécessaire de préciser qu’il incombait aussi au mari de payer pour les frais médicaux et le salaire de sa femme (si elle a été incapable d’aller travailler à cause des coups qu’il lui a portés).

Quant à l'usufruit, Ribbénou Ya´aqôv ban `oshér (1270-1343) dans son Tour,[17] il rapporte au nom des Ga`ônim que ne pas permettre au mari de profiter de l'usufruit est une amende imposée par les Rabbonim, réconciliant ainsi le Rambo’’m avec la Ṭôsaphṭo`. En d’autres mots, bien que la loi de la Ṭôroh permette au mari de tirer profit de l’usufruit, les Rabbonim décidèrent néanmoins de ne pas le permettre afin de sanctionner l’homme qui bat sa femme. Ribbénou Yô`él ban Shamou`el Yophah Sirqis (16ème-17ème siècles, Pologne), dans ses notes sur le Tour, est d'accord.[18]

·        Intervention du Béth Din

L’approche du Béth Din à l’égard des femmes battues semble avoir plusieurs objectifs. Le premier consiste à effectuer la réconciliation entre l’homme violent et sa femme battue ; le deuxième est d'arrêter les coups dans tous les cas. En cas d'échec, le Béth Din souhaite être en mesure de savoir qui est en faute afin de pouvoir attribuer des dommages-intérêts, émettre des amendes, faire toucher la Kathoubboh ou prendre toute autre mesure appropriée.

L'une des premières sources de la réponse du Béth Din à une allégation de violence conjugale est une Ṭashouvoh attribuée à Ribbénou Yôséph `ibn `avyotour, au 10ème ou 11ème siècle. L'affaire concerne une femme qui prétend que son mari la bat et la fait souffrir. Ribbénou Yôséph répond :[19]

Soyez informé : s'il est établi par des témoins qu'il l'a frappée à maintes reprises, le Béth Din est obligé de le réprimander et de lui dire : « Nous t’informons par la présente que tu n'es pas autorisé à la frapper et si tu reproduits ta cruauté, elle sera répudiée avec une Kathoubboh complète ». Ils la laissent avec lui avec un observateur (Na`amon), et s’il répète sa cruauté, elle est répudiée avec une Kathoubboh complète.

Nous lisons la même chose dans le Mishnéh Ṭôroh du Rambo’’m.[20]

Le Rashbo’’` donne une réponse similaire à un cas similaire :[21]

Ainsi ont écrit les Ga`ônim dans leur Ṭashouvoh sur des cas comme celui-ci, que nous la calmons une ou deux fois, et si elle continue à se plaindre, nous plaçons entre eux un homme ou une femme pour être un observateur. Si cela est impossible, nous excommunions tout homme qui fait cela [qui bat sa femme]. Cette affaire et celles du même genre sont traitées comme les juges le jugent bon selon le lieu, l'heure et les personnes.

Un degré comparable de sévérité halakhique est suggéré par les mesures fortes préconisées par Ribbénou Simḥoh ban Shamou`él :[22]

Celui qui bat sa femme… devrait être excommunié et ostracisé et attaché et puni de toutes sortes de torture, même en lui coupant la main s'il persiste à la battre….

·        Présomption de culpabilité

De manière significative, Ribbénou Binyomin Za`év, citant une Ṭashouvoh de Rashbo’’`[23] cité dans une Ṭashouvoh attribuée à Ribbénou Môshah ban Naḥmon ז״ל (le Rambo’’n, 1194-1244, Espagne et Israël), dit que s’il est connu que le mari bat régulièrement sa femme, on ne le croit pas s'il prétend qu'elle est la cause du conflit ; c’est-à-dire que la réclamation de l’épouse est présumée fondée jusqu’à preuve du contraire. Ribbénou Binyomin Za`év formule sa propre position en ces termes : « Si le Béth Din n’a pas la connaissance que la femme est la cause, et si elle n'est pas présumée être une ‘’femme légère’’, il faut dire que c’est lui qui est la cause ».[24]

Le Ramo’’`, dans ses notes sur le Shoulḥon ´oroukh, ainsi que Ribbénou Môrdokhay ban Hillél hakkôhén ז״ל (13ème siècle, `ashkanaz) citant une Ṭashouvoh de son maître Ribbénou Mé`ir de Rothenburg ז״ל, tranchent de la même manière.[25]

De nombreux sages ajoutent, cependant, que si la femme refuse de rester avec son mari sous l'œil d’un observateur (qui sera chargé d’analyser le comportement du couple), au moins dans certains cas, cette présomption de culpabilité est annulée et elle peut être répudiée sans Kathoubboh.

·        Forcer le divorce

L'une des principales questions soulevées dans nos sources est de savoir si le Béth Din peut obliger le mari à accorder le divorce en cas de violence domestique. La Mishnoh de la Masakhath Nadhorim énumère plusieurs circonstances dans lesquelles le Béth Din peut forcer un mari à divorcer de sa femme, et la Gamoro` élabore sur ces cas, mais le fait de battre sa femme n'est pas spécifiquement mentionné comme motif pour forcer le divorce. Forcer le divorce est considéré comme une mesure halakhique extrême, et ne fut approuvé que plus tard pour ce type de cas. Selon la Ṭashouvoh de Ribbénou Yôséph `ibn `avyotour, le Béth Din peut exiger le divorce :[26]

Même s'il s'est avéré vrai qu'il l'a frappée à plusieurs reprises comme vous l'avez décrit, nous ne forçons pas le mari à lui donner un Gét (acte de divorce) et à lui payer une Kathoubboh, jusqu'à ce que le Béth Din et les dirigeants de la communauté l'aient d’abord averti… et quand il reçoit l'avertissement et qu'il est obligé de vivre sous l'œil d’un observateur, si l'observateur témoigne qu'il a répété sa violence nous percevons sa Kathoubboh pour elle.

Le Rashbo’’` semble conclure de façon similaire dans l'une de ses Ṭashouvôth.[27]

De plus, Ribbénou Simḥoh ban Shamou`él, cité dans de nombreuses sources, déclare explicitement que le Béth Din peut se tourner vers les Gôyim pour le forcer à se soumettre à la décision du Béth Din, c’est-à-dire accorder un Gét à sa femme ; ceci est également spécifiquement préconisé par plusieurs autres sages. Il fait valoir que si déjà un homme peut être contraint de répudier sa femme pour ne pas avoir pourvu aux besoins de sa femme - un cas où le Béth Din pourrait même, d’après la Halokhoh, confisquer ses biens - il pourrait certainement être également contraint dans le cas où il la bat, ce qui est une situation qui ne peut être corrigée par des moyens pécuniaires.[28]

Ribbénou Binyomin Za`év, qui soutient le pouvoir du Béth Din de forcer le divorce dans les cas où le mari a clairement tort et insiste pour continuer à battre sa femme, souligne que le fait que la Mishnoh et le Ṭalmoudh n'énumèrent en aucun cas spécifiquement le fait de battre sa femme  n'élimine en aucun cas cette situation comme motif recevable pour forcer le divorce ; en effet, dans la mesure où les exemples énumérés dans la Mishnoh et le Ṭalmoudh sont des conditions qui se sont produites involontairement (par exemple, le mari développe des furoncles), il va de soi que lorsque le mari cause intentionnellement des souffrances à la femme, le divorce peut certainement être forcé par le Béth Din.[29] Le Go`ôn de Wilno` fait une remarque similaire dans son commentaire sur le Shoulḥon ´oroukh.[30] Le Ramo’’`, dans son Darké Môshah, cite également le raisonnement et la conclusion de Ribbénou Binyomin Za`év.[31] Le Môrdokhay utilise le même raisonnement sur un point similaire dans son commentaire au tout début de Kathoubbôth, Chapitre « Hammaddir ».

Le Ramo’’` rapporte ceci dans son commentaire sur le Shoulḥon ´oroukh :[32]

S'il le fait régulièrement, le Béth Din est autorisé à le châtier et à l’excommunier et à le frapper avec toutes sortes de punitions et de contraintes et à lui faire prêter serment qu'il ne le fera plus, et s'il n'obéit pas au Béth Din, il y a ceux qui disent qu'ils le forcent à divorcer dès lors qu’ils lui auront d'abord donné un ou deux avertissements.

Ribbénou Paraṣ, dans son décret du 13ème siècle, ne demande pas le divorce forcé. Au lieu de cela, il écrit :

Si quelqu'un refuse obstinément d'obéir à nos paroles, le Béth Din du lieu où la femme ou ses proches porteront plainte affectera son entretien selon sa situation et selon l'usage du lieu où elle habite. Ils fixeront sa Kathoubboh comme si son mari était parti pour un voyage lointain.

Ribbénou Paraṣ voulait introduire dans la Halokhoh le principe de la séparation sans divorce ; puisque le mari ne traitait pas correctement sa femme, elle devait être libérée de son devoir de vivre avec lui, mais lui resterait dans l’obligation de continuer à pourvoir à ses besoins, malgré qu’ils ne vivent plus ensemble.

Globalement, on constate que presque toutes les sources examinées permettent au Béth Din de forcer le divorce dans ce cas extrême de mariage intolérable. Même Ribbénou Binyomin Za`év, qui s'oppose au divorce forcé dans d'autres cas, le permet dans ce cas-ci ![33]

·        Une femme mauvaise

Jusqu'à présent, nous avons discuté de cas où le mari battait sa femme innocente. Mais que faire si la femme n'est pas si innocente ? Le mari peut-il la battre ? Le Rambo’’m tranche ceci dans son Mishnéh Ṭôroh :[34]

Toute femme qui refuse de faire un travail parmi les travaux qu’elle est obligée de faire, ils la contraignent à le faire, même par le bâton.
כָּל אִשָּׁה שֶׁתִּמָּנַע מִלַּעֲשׂוֹת מְלָאכָה מִן הַמְּלָאכוֹת שְׁהִיא חַיֶּבֶת לַעֲשׂוֹתָן--כּוֹפִין אוֹתָהּ וְעוֹשָׂה, וְאַפִלּוּ בַּשּׁוֹט

Qui peut la frapper avec le bâton ? Il ne s’agit pas du mari ! Le « ils la contraignent » se réfère aux membres du Béth Din. En d’autres mots, même dans le cas d’une épouse désobéissante, le mari n’a pas le droit de la frapper lui-même ! Il devra l’accuser auprès du Béth Din, et si ce dernier l’estime approprié, décision peut être prise de la faire frapper au bâton par des agents du Béth Din. Mais le Rambo’’m poursuit en disant :

S’il a affirmé qu’elle ne fait pas [son travail], mais qu’elle dit qu’elle ne refuse pas de faire [son travail], ils font habiter une femme entre eux ou des voisins. Et cette affaire suit ce que le juge verra comme étant possible dans l’affaire.
טָעַן הוּא שְׁאֵינָהּ עוֹשָׂה, וְהִיא אוֹמֶרֶת שְׁאֵינִי נִמְנַעַת מִלַּעֲשׂוֹת--מוֹשִׁיבִין אִשָּׁה בֵּינֵיהֶן אוֹ שְׁכֵנִים; וְדָבָר זֶה, כְּמוֹ שֶׁיִּרְאֶה הַדַּיָּן שֶׁאִפְשָׁר בַּדָּבָר

Ainsi, si le mari et l’épouse ont des versions divergentes sur l’attitude de l’épouse, le Béth Din ordonnera qu’une femme ou des voisins habitent quelques temps avec le couple pour les observer et voir lesquels des deux est responsables des disputes et bagarres. Tout se fera selon ce que le juge du Béth Din estimera approprié pour faire la lumière sur cette affaire et décider des sanctions à appliquer. Mais le mari, lui, n’a pas le droit de battre sa femme.

Il y a, toutefois, un cas dans lequel le mari est explicitement autorisé à frapper sa femme. Ribbénou Yisro`él ban Pathiyohou `isserlein (1390-1460) a reçu cette question :

Celui qui a entendu sa femme maudire et dénigrer son père et sa mère et l'a réprimandée verbalement pour cela plusieurs fois en vain - est-il autorisé à la frapper pour la réprimander de sorte qu’elle ne le refasse plus, ou non ?

Dans sa réponse, citant le Môrdokhay et la Ṭashouvoh de Ribbénou Simḥoh, Ribbénou `isserlein ז״ל souligne que frapper sa femme est normalement une grave transgression, mais le permet dans ce cas unique afin d’empêcher la femme de transgresser une autre interdiction grave. Étant donné que Ribbénou `isserlein fait valoir qu'il est établi qu'un homme peut frapper ses esclaves afin de les empêcher de commettre une transgression, il existe un principe selon lequel « quiconque est le tuteur de quelqu'un, et il voit qu'il commet une transgression, il est autorisé à le frapper et à le châtier afin de l'empêcher de transgresser, et il n'est pas nécessaire de le traduire en justice ». Le mari étant, d’une certaine façon, le tuteur der son épouse, cela s’appliquerait également au mari qui voit sa femme commettre une grave transgression comme le fait de maudire ou dénigrer ses parents.[35]

Écrivant un siècle plus tard, le Ramo’’` propose une décision similaire :[36]

Mais si elle le maudit ou dénigre son père et sa mère, et qu'il la réprimande verbalement mais qu'elle ne fait pas attention à lui, il y a ceux qui disent qu'il est permis de la frapper, et il y a ceux qui disent qu'il est interdit de frapper même une méchante femme ; et la première opinion est la principale.

De toute évidence, ces décisions ne sont pas un feu vert pour le mari de frapper sa femme. L'intention de ceux qui permettent au mari de frapper la femme dans un tel cas est afin d’empêcher une transgression très grave, qui est celle de maudire ou dénigrer des parents ; ainsi, frapper à titre de mesure punitive reste interdit en vertu de la restriction « il n’ajoutera pas ». Frapper sa femme dans une situation autre que celle-ci, peu importe son comportement ou ce que le mari pourrait lui reprocher, ne servira à rien et ne permettra, de toute façon pas, au mari d’atteindre son but, car une femme battue devient, en réalité, plus rebelle et moins obéissante à son mari. Donc, si le but était de la rendre plus obéissance, plus soumise, etc., la frapper crée l’effet inverse ! En outre, cela amènera le mari à développer une tendance à frapper sa femme pour tout et n’importe quoi, en se justifiant d’avoir raison de le faire. Tout comme « une Miṣwoh entraîne une autre Miṣwoh, une ´avéroh (transgression) entraîne une autre ´avéroh ».

Il n’y a donc aucune justification halakhique permettant à un mari de battre ou frapper son épouse ! Et le seul cas où cela a été permis par certaines autorités, c’était dans le but d’empêcher une femme de dénigrer les personnes les plus précieuses que Hashshém a mises pour nous sur la Terre, à savoir les parents. Même dans ce cas-là, ces autorités parler de « frapper » et non de la battre. Il n’a pas le droit de lui briser des os, de l’amocher, de lui casser des dents, de lui donner des coups de poings ou de pieds, de la cogner contre le mur, etc. En effet, quand on parle de « frapper » dans les textes halakhiques, il s’agit toujours de le faire soit par une petite tape, ou d’utiliser une petite lanière, comme le rapportent de très nombreux ouvrages. Utiliser son poing, ses pieds, des objets qui font très mal, etc., équivaut à frapper un Juif à la manière d’un ennemi, ce qui est strictement interdit par la Halokhoh même avec ses propres enfants !

Il est dit dans le Ṭalmoudh : « Si tu frappes un enfant, frappe-le uniquement avec la lanière d’une chaussure ».[37] Rash’’i commente que cela signifie que l'enfant doit être puni d'un coup très léger qui ne lui fait pas de mal. Ainsi, la perspective juive sur la discipline préconise une punition physique restreinte. Car, comme vu plus haut, battre un Juif reste interdit, même son propre enfant, et encore plus concernant sa femme, qui est la personne la plus proche d’un homme selon nos Sages ! Le Rambo’’m conclut qu'un enseignant peut frapper un élève afin de le discipliner, mais il ne doit pas le frapper durement comme il le ferait pour un ennemi. Par conséquent, il tranche que l'enseignant ne doit pas frapper les élèves avec un bâton ou un fouet mais avec une petite ficelle.[38]

Ne croyez donc pas que la permission de « frapper » sa femme dans le cas unique où elle aurait maudit, insulté ou dénigré les parents du mari, signifie que le mari a carte blanche pour la tabasser !

Il n’y a aucune place dans le judaïsme pour la violence domestique. Un mari, peu importe l’attitude de sa femme ou ce qu’il lui reprocherait, n’a pas le droit de la battre et de l’humilier. S’il n’est pas capable de supporter son épouse, et qu’il la considère comme la pire des personnes, mieux vaut qu’il divorce plutôt que de se rendre coupable du crime très grave d’avoir battu son épouse ! Comme l’a écrit le ´oroukh Hashshoulḥon :[39]

Le principe de la loi est valable même aujourd'hui bien que nous n’ayons pas le pouvoir de suivre correctement la loi ; en tout état de cause, nous enquêtons minutieusement et essayons de faire la paix entre mari et femme, et si nous voyons qu'il est impossible de faire la paix entre eux, nous essayons de les faire, par voie de divorce, se séparer de bonne volonté.

Puisse cet article vous avoir aidé à y voir plus clair sur la gravité de l’acte de battre une femme ! Et puisse Hashshém aider à la délivrance et à la guérison de toute femme tombée sur un mari abusif et violent !


[1] Shou’’th Rashbo’’` 693 ; Séphar Shou’’th HoRashbo’’` 4 :113 et 5 :264
[2] Séphar Shou’’th Binyomin Za`év 78
[3] Gittin 6b
[4] Baré`shith 12 :16
[5] Bavo` Maṣi´a` 59a
[6] `iyôv 5 :24
[7] Yavomôth 62b
[8] Hilkôth `ishouth 15 :19
[9] Wayyiqro` 19 :18
[10] Miṣwôth ´aséh 70
[11] Davorim 25 :2-3
[12] Shamôth 2 :13
[13] `évan Ho´ézar 154 :3. Il est également cité dans le ´oroukh Hashshoulḥon.
[14] Binyomin Za`év, pages 247-248
[15] Ṭôsaphṭo`, Bavo` Qammo` 9 :5
[16] Hilkôth Ḥôvél Oumazziq 4 :14
[17] `évan Ho´ézar, Hilkôth Kathoubbôth 83
[18] Ibid. Il cite également le Ra`ava’’d et le Séphar Miṣwôth Gadhôlôth.
[19] Séphar Sha´aré Ṣadhaq Miṭṭôkh Siphré Hagga`ônim Ṭashouvôth Ouphsoqim, 2ème Partie, Section 42
[20] Hilkôth `ishouth 21 :10
[21] Rashbo’’` 264
[22] Cité dans le Béth Yôséph de Ribbi Yôséph Qa`rô, ainsi que dans le Tour, `évan Ho´ézar Hilkôth Gittin 154 :76.
[23] Rashbo’’` 113
[24] Binyomin Za`év 250
[25] `évan Ho´azar, Hilkôth Gittin 154 :3
[26] Séphar Sha´aré Ṣadhaq Miṭṭôkh Siphré Hagga`ônim Ṭashouvôth Ouphsoqim, 2ème Partie, Section 42
[27] Rashbo’’` 693
[28] Cité dans Binyomin Za`év page 247 ; Ribbénou Yisro`él de Krenz (Autriche, 14ème siècle), dans Haghohôth `oshéri, début du Chapitre Hammaziq (Bavo` Qammo` 32a) ; Rabbi Yôséph Qa`rô, `évan Ho´ézar, Hilkôth Gittin 154
[29] Binyomin Za`év page 248
[30] `évan Ho´ézar, Hilkôth Gittin 154 :3 :10
[31] `évan Ho´ézar, Hilkôth Gittin 154 :15-17
[32] `évan Ho´ézar, Hilkôth Gittin 154 :3. Le ´oroukh Hashshoulḥon (`évan Ho´ézar, Hilkôth Gittin 154 :18) rapporte cette opinion du Ramo’’` et déclare qu’elle constitue l’essentiel de la Halokhoh.
[33] Binyomin Za`év, Section 116 :315-317
[34] Hilkôth `ishouth 21 :10
[35] aroumath Haddashan 118
[36] `évan Ho´ézar, Hilkôth Gittin 154 :3
[37] Bavo` Bathro` 21a
[38] Mishnéh Ṭôroh, Hilkôth Ṭalmoudh Tôroh 5 :2
[39] `évan Ho´ézar, Hilkôth Gittin 154 :18

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