mardi 11 août 2020

Comment & pourquoi le Shoulḥon ´oroukh s’est imposé sur le Mishnéh Ṭôroh

 

בס״ד

 

Comment & pourquoi le Shoulḥon ´oroukh s’est imposé sur le Mishnéh Ṭôroh

 

 

Cet article peut être téléchargé ici.

 

Dans cet article, nous explorerons certaines des raisons avancées pour justifier la nécessité de passer outre et remplacer le Mishnéh Ṭôroh du Rambo’’m ז״ל par le Shoulḥon ´oroukh de Rabbi Yôséph Qa`rô ז״ל.

 

·        Le Mishnéh Ṭôroh était originellement « accepté par tout Israël »

 

La plus grande autorité contemporaine du mouvement des Ṭalmidhé HoRambo’’m, le Rov Yôséph Qa`phiḥ ז״ל, a écrit ceci :[1]

 

Il est clair que la méthode du Rambo’’m est une norme que le monde entier devrait utiliser.

 

Sans surprise, selon un Ṭalmidh HoRambo’’m assumé comme le Rov Qa`phiḥ (1917-2000), le Mishnéh Ṭôroh devrait toujours rester le code essentiel de la loi juive et n’aurait jamais dû être remplacée par un autre code. Mais peu savent que cette opinion sur le Mishnéh Ṭôroh n’est pas propre aux Ṭalmidhé HoRambo’’m. C’est ainsi que pour étayer davantage sa thèse, le Rov Qa`phiḥ montre comment, historiquement, il y avait une acceptation à Tolède que personne, en aucune façon, ne devrait trancher différemment du Rambo’’m. Il en était de même en Castille et à Tunis.

 

D’ailleurs, Ribbénou `avrohom Zakkoutho ז״ל a écrit :[2]

 

Lorsque le Mishnéh Ṭôroh fut publié et distribué dans toute la dispersion, tout Israël a accepté de le suivre et d’agir conformément à lui dans toutes les lois de la Ṭôroh.

 

Ce dernier point est intéressant car l’argument généralement avancé pour justifier le fait que la majorité des Juifs suivent le Ṭalmoudh Bavli plutôt que le Ṭalmoudh Yaroushlami est que « tout Israël a accepté de le suivre ».

 

Et la raison pour laquelle la majorité des Juifs suivent le Shoulḥon ´oroukh de Rabbi Yôséph Qa`rô plutôt que le Mishnéh Ṭôroh du Rambo’’m est aussi que « tout Israël a accepté de le suivre ».

 

Et pourtant, nous voyons, historiquement, qu'après que le Rambo’’m ait écrit son Mishnéh Ṭôroh, « tout Israël a accepté de le suivre », et, pour des raisons que l’on va tenter de comprendre ensemble, il a été remplacé plus tard par le Shoulḥon ´oroukh.

 

·        Mishnéh Ṭôroh – Tour – Shoulḥon ´oroukh

 

Entre le Mishnéh Ṭôroh du Rambo’’m (1180) et le Shoulḥon ´oroukh de Rabbi Yôséph Qa`rô (1563), il y eu encore un autre code halakhique connu sous le nom de « `arbo´oh Tourim » (vers les années 1300) qui a été rédigé par Ribbénou Ya´aqôv ban `oshér ז״ל. Rabbi Qa`rô a écrit un commentaire sur le `arbo´oh Tourim, connu sous le nom de « Béth Yôséph », qui devint le précurseur de son œuvre ultérieure, le Shoulḥon ´oroukh.

 

·        Raison de la rédaction du Tour

 

C'est ainsi que le Tour a justifié la nécessité de son nouveau code halakhique, juste un siècle après le Mishnéh Ṭôroh du Rambo’’m :[3]

 

En raison de notre long exil, notre force est affaiblie ... notre pensée est devenue imparfaite, les dissensions (quant à la clarté de la Halokhoh) ont augmenté (entraînant avec elles) des points de vue opposés, au point où on ne peut pas trouver une seule Halokhoh pratique qui n'implique pas de controverse.

 

Selon le Tour, à peine cent ans après que le Rambo’’m eut présenté son Code Halakhique dans le Mishnéh Ṭôroh (qui était écrit en hébreu clair et simple), le monde Halakhique était apparemment dans une telle agitation et un tel désordre qu’il était devenu nécessaire de composé un nouveau Code.

 

·        Raison de la rédaction du Béth Yôséph (qui mena à la rédactionb du Shoulḥon ´oroukh)

 

Et voici comment Rabbi Yôséph Qa`rô justifia na nécessité d’un nouveau Code, 300 ans après le Rambo’’m :[4]

 

À la suite de notre long exil où nous avons été dispersés d'un endroit à l'autre, et avons enduré différentes épreuves successivement ... (suivant ce qui nous fut annoncé à l’avance par le prophète Yasha´yohou), nos Ḥakhomim ont perdu leur Ḥôkhmoh. La force de la Ṭôroh et le nombre de ses étudiants ont diminué. Il n'y a plus que deux écoles opposées (comme Hillél et Shamma`y) mais un nombre incommensurable d'écoles (halakhiques).

 

Cela a été provoqué en raison du nombre d’ouvrages halakhiques différents. Si les auteurs de ces nombreux ouvrages ont cherché à nous éclairer, ils ont plutôt ajouté à la confusion ...

 

Beaucoup de ces auteurs citent une loi comme si elle était universelle et incontestée, alors que la réalité est exactement le contraire.

 

Rabbi Yôséph Qa`rô reflète et développe essentiellement les mêmes sentiments que ceux exprimés par le Tour ci-dessus. Et il ressort donc que si les Juifs s’étaient contentés du Mishnéh Ṭôroh, le monde halakhique s’en serait mieux porté. Mais plus les ouvrages halakhiques se multipliaient plus la confusion grandissait, et plus quelqu’un justifiait la rédaction d’un nouveau code halakhique censé remettre de l’ordre dans la confusion ! Je pense que vous êtes tous intelligents pour comprendre l’absurdité de la démarche ! Car, effectivement, comme le dit le Rov Yôséph Qa`rô lui-même, la multiplication d’ouvrages halakhiques est malsaine, et ne résout aucun problème, mais, au contraire, ne fait que les accroitre. Il est donc ironique qu’ayant fait lui aussi ce constat il se soit tout de même lancé dans la rédaction d’un code halakhique supplémentaire, qui a également ajouté davantage à la confusion qu’il dénonçait ! (En effet, après la rédaction du Shoulḥon ´oroukh, de nombreux ouvrages halakhiques virent le jour pour contester les décisions du Shoulḥon ´oroukh qui, contrairement au mythe répandu, ne fut jamais véritablement accepté.)

 

C’est l’origine de tous les maux et divergences dans le monde juif : trop d’ouvrages halakhiques tuent la Halokhoh et alourdissent la pratique religieuse, car chaque ouvrage ajoute des pratiques, lois, règles et coutumes supplémentaires, au point qu’il y ait aujourd’hui des milliards de points à respecter ! Ce qui, à la longue, sera insupportable et invivable. En principe, il ne devrait y avoir qu’un seul Code Halakhique accepté de tous, ou chaque individu ou groupe devrait se choisir, parmi tous les codes qui existent, un seul d’entre eux et se cantonner à suivre les instructions de ce seul code.

 

·        Les critiques de Rabbi Yôséph Qa`rô à l’égard du Mishnéh Ṭôroh

 

Pourquoi donc Rabbi Yôséph Qa`rô, qui considérait le Rambo’’m comme l’un des plus grands décisionnaires halakhiques de l’histoire du peuple juif, ne se contenta pas de suivre le Mishnéh Ṭôroh ? Car Rabbi Yôséph Qa`rô avait également quelques critiques à faire sur le Mishnéh Ṭôroh du Rambo’’m, désapprouvant essentiellement le fait que le Rambo’’m n’ait pas fourni les sources talmudiques sur lesquelles s’appuyaient ses décisions, et insiste sur le fait que le processus halakhique est beaucoup plus complexe que ce que le Rambo’’m a laissé percevoir :

 

Si l’on voulait faire remonter les sources du Rambo’’m pour ses lois jusqu’au Ṭalmoudh, ce serait extrêmement difficile. Bien que Hashshém nous ait bénis avec un (remède pour le manque de sources talmudiques du Rambo’’m) dans le commentaire du Rov Hammaggidh[5] qui a retracé les origines talmudiques des lois de Rambo’’m, néanmoins il y a de nombreuses limites car à moins d'être un grand érudit, ces sources seront difficiles à comprendre.

 

En outre, il ne suffit pas de connaître la source talmudique, mais il faut également consulter Rash’’i, les Ṭôsophôth, le Môrdokhay, le Rambo’’m, ainsi que la littérature des Sha`ilôth Outhshouvôth pour voir si une décision particulière était universellement acceptée.

 

·        Pourquoi Rabbi Yôséph Qa`rô a-t-il choisi le Tour plutôt que le Mishnéh Ṭôroh

 

Ensuite, Rabbi Yôséph Qa`rô explique pourquoi il a décidé de joindre son commentaire du Béth Yôséph (le précurseur de son Shoulḥon ´oroukh) au Tour et non au Mishnéh Ṭôroh du Rambo’’m :

 

À cause de tout cela, moi Yôséph ban Horov `aphroyim ... j'ai pris des mesures drastiques pour éliminer tous les pièges, et j'ai décidé de rédiger un ouvrage qui incorporera toutes les lois qui sont pratiquées aujourd'hui - ainsi que leurs sources telles que trouvées dans le Ṭalmoudh et les opinions des décisionnaires halakhiques, sans exception.

 

Pour éviter les répétitions, j'ai décidé de joindre cet ouvrage à un précédent halakhique antérieur ... Au départ, je pensais l'ajouter au Mishnéh Ṭôroh du Rambo’’m, mais puisqu’il ne rapporte que son opinion, j'ai plutôt décidé de l'ajouter au `arbo´oh Tourim parce qu'il a inclus la plupart des autres opinions.

 

J'ai déterminé qu'en raison des trois piliers de la pensée halakhique sur lesquels repose toute la Maison d'Israël, à savoir le Ri’’ph, le Rambo’’m et le Ro`’’sh (le père du Tour), il serait prudent de trancher suivant la majorité (c'est-à-dire deux sur trois).

 

De toute évidence, Rabbi Yôséph Qa`rô ne considérait pas que le Rambo'’m était l’autorité finale en matière de Halokhoh. Il respectait le Rambo’’m, mais ne le considérait que comme une partie ou un composant d'un schéma beaucoup plus élaboré d'effort halakhique.

 

Cela semble être en contradiction flagrante avec le récit historique apparent tel que noté par Ribbénou `avrohom Zakkoutho (mentionné plus haut) et d'autres, qui brossent un tableau du Mishnéh Ṭôroh comme étant largement accepté comme le texte faisant autorité à travers le monde juif dans les générations suivant immédiatement le décès du Rambo’’m.

 

·        Le rejet acerbe du Shoulḥon ´oroukh par le Maharsha’’l

 

Ribbénou Shelômôh Louryo` (1510-1573), connu sous le nom de Maharsha’’l ז״ל, était un grand Pôséq ashkénaze qui a écrit de manière plutôt cinglante contre Rabbi Yôséph Qa`rô et son nouveau Shoulḥon ´oroukh :[6]

 

Ribbénou Yôséph Qa`rô a pris sur lui de rendre des décisions halakhiques finales de son propre chef ... Cela va à l'encontre de nos traditions que nous avons maintenues jusqu'à ce jour.

 

Ceux qui lisent son ouvrage ignorent totalement que souvent ses décisions vont à l'encontre des décisions acceptées des Ṭôsophôth et des décisionnaires halakhiques, dont nous suivons les décisions ...

 

Malheureusement, cela nous place dans une situation difficile car le fait est que ce que les gens lisent dans un livre est toujours pris au sérieux (et considéré comme faisant autorité et étant exact). Au point où même si quelqu’un « criait comme une grue (une espèce d’oiseau) » et montrait avec des preuves convaincantes que quelque chose est inexact, personne ne ferait attention ...

 

Il est déjà assez mauvais qu'il ait utilisé le principe majoritaire de choisir deux sur trois en ce qui concerne le Ri’’ph, le Ro`’’sh et le Rambao’’m, sans tenir compte de tout le monde - comme s'il avait reçu seul cette « Tradition » (qu’il faudrait adopter la position majoritaire entre les trois) directement des Anciens ; mais il n'a jamais plongé assez profondément dans la mécanique de la Halokhoh ...

 

De plus, il ne travaillait pas à partir de textes et de sources exactes et par conséquent, il copiait et perpétuait souvent des erreurs et des inexactitudes.

 

Outre l'objection très vive de certains rabbins comme le Maharsha’’l, il y avait également d'autres problèmes fondamentaux dans la rédaction du Shoulḥon ´oroukh, que nous allons voir maintenant.

 

·        Déduit-on la Halokhoh à partir du Zôhar ?

 

C'est un principe bien établi dans la Halokhoh que nous ne suivons pas le Zôhar ni aucune forme de mysticisme lorsqu'il s'agit de définir et de déterminer la loi pratique. La raison à cela est très simplement à comprendre : les principes du mysticisme ne s’appliquent pas à tous, mais uniquement à une certaine élite de personnes très pieuses, alors que la Halokhoh pratique doit concerner les lois en application pour tous les individus. Par conséquent, les Rabbonim ont toujours été unanimes sur le point que le mysticisme ne peut JAMAIS être employé pour déterminer la Halokhoh.

 

Pourtant, nous savons aussi que Rabbi Yôséph Qa`rô était un fervent kabbaliste qui, apparemment, était enseigné d’après ses propres dires par un être angélique connu sous le nom de « Maggidh ». Ce Maggidh lui aurait informé que le Rambo’’m avait approuvé son nouveau Shoulḥon ´oroukh. Ce qui est ridicule ! Et nous savons que de nombreuses pratiques kabbalistiques ont en effet été incorporées dans son Shoulḥon ´oroukh, sans aucune base halakhique ou talmudique.

 

Dans les mots du Maggidh Méshorim lui-même, il ne fait aucun doute que Rabbi Yôséph Qa`rô a fusionné la Qabboloh avec la Halokhoh :[7]

 

Parce que tu as combiné (la Halokhoh et la Qabboloh) ensemble, tous les êtres célestes ont tes intérêts à cœur ...

 

Le fait même que Rabbi Yôséph Qa`rô ait basé son Shoulḥon ´oroukh sur des soi-disant enseignements qu’il aurait reçus d’un être céleste est problématique, car cela contrevient au principe selon lequel « la Ṭôroh n’est plus dans le ciel ». Vous pouvez voir que tout au long du Ṭalmoudh, chaque fois qu’un Rov ou Ribbi enseignait une loi qu’il aurait reçue par révélation « Divine » ou un être céleste, le Ṭalmoudh écrit systématiquement que son opinion était rejetée en vertu de ce principe. De la même manière, l’autorité du Shoulḥon ´oroukh ne peut pas être acceptée sur base de ce même principe, d’autant plus qu’il contient de nombreuses erreurs et inexactitudes comme mentionné plus haut par le Maharsha’’l.

 

·        Rabbi Yôséph Qa`rô reconnait le Zôhar comme référence halakhique

 

Dans son introduction au Béth Yôséph, Rabbi Yôséph Qa`rô écrit ceci :

 

Quiconque a ce livre devant lui aura les paroles du Ṭalmoudh, de Rash’’i, des Ṭôsophôth, du Ra’’n, du Ri’’ph, du Ro`’’sh [et il énumère environ 30 autres sources] ... toutes clairement arrangées et bien expliquées devant lui. Aussi, à certains endroits, nous citons le Zôhar.

 

·        Le Ḥida’’` élève Rabbi Yôséph Qa`rô

 

Le halakhiste et kabbaliste du 18ème siècle, Rabbi Ḥayyim Yôséph Dowidh `azoula`y, connu sous le nom de Ḥida’’`, écrit :[8]

 

Le Maggidh (être angélique) lui a dit d'appeler son œuvre « Béth Dowidh » ou « Shoulḥon ´oroukh » ...

 

Sache que j'ai reçu une tradition d'un grand homme à la fois dans la sagesse et dans la crainte du Ciel, qui l'a reçue d'un grand rabbin qui à son tour l'a reçue des anciens, que pendant la génération de Rabbi Yôséph Qa`rô - une génération avec des gens saints tels que Rabbi Môshah de Cordoue et le `ariza’’l - il y avait une assistance spéciale du Ciel parce que les Juifs ont besoin d'un ouvrage halakhique qui rassemblerait les lois et leurs sources et établirait la conclusion halakhique finale.

 

Il y avait trois candidats pour cette tâche au cours de cette génération ... et l'un d'eux était Rabbi Yôséph Qa`rô, et en raison de son humilité, il a été choisi (pour écrire le Shoulḥon ´oroukh).

 

Le Ḥida’’` donne un air mystique et divin à l'histoire de la rédaction du Shoulḥon ´oroukh, l'élevant ainsi apparemment au-dessus de sa fonction pratique de code halakhique, et en faisant de lui un livre divin. Ce qui est proche du blasphème ! Il continue dans cette veine :

 

Sache que j'ai reçu une tradition d'anciens pieux qui l'ont à leur tour reçue du grand Maître et Saint Homme, Rabbi Ḥayyim `abboula´aphyoh, que ... environ 200 rabbins de sa génération ont accepté la position de Rabbi Yôséph Qa`rô [d'écrire un nouveau Code halakhique]. Et `abboula´aphyoh disait qu'obéir à Rabbi Yôséph Qa`rô était comme obéir aux 200 rabbins ...

 

J'ai aussi entendu dire que lorsque le Béth Yôséph est sorti pour la première fois, Rabbi Yôséph ban Léwi [Mahariva’’l] s'y est opposé et a interdit à ses Ṭalmidhim d'étudier à partir de celui-ci, disant que cela diminuerait l’érudition talmudique.

 

Au lieu de cela, ses Ṭalmidhim étudieraient le Tour en sa présence. Il s'est avéré que le Mahariva’’l était incapable de trouver une source particulière et a déclaré : « Je vois que le Ciel a en effet décrété que le Béth Yôséph doit se répandre dans le monde entier ». Et par la suite, il a permis à ses Ṭalmidhim de l'étudier.

 

Encore une fois, nous voyons que le cadre des événements relatifs à l'émergence du Shoulḥon ´oroukh est placé par le Ḥida’’` dans un idiome surnaturel, mystique, quasi divin. Sa référence à `abboula´aphyoh vaut également la peine d’être souligné pour bien comprendre le crédit à accorder au témoignage du Ḥida’’`, puisque que `abboula´aphyoh est considéré (même selon les normes mystiques normales) comme un « Kabbaliste extrême » aux connotations messianiques qui pratiquait la Kabbale « extatique » et « prophétique » !

 

Ce qui est également intéressant, c'est que c'est le seul récit rapportant qu’il y aurait eu quelque 200 rabbins qui auraient accepté le nouveau Shoulḥon ´oroukh comme faisant autorité sur tous les autres Codes. Ce qui est de la pure aberration !

 

·        Retour à la question de départ

 

Après avoir établi qu'il y avait une association kabbalistique assez forte autour de l’apparition et de la perpétuation du Shoulḥon ´oroukh de Rabbi Yôséph Qa`rô, et après avoir montré que certains, comme le Maharsha’’l, étaient rigoureusement opposés à son émergence soudaine, nous pouvons revenir à notre question initiale : si le Mishnéh Ṭôroh était déjà le code halakhique le plus largement accepté, pourquoi la nécessité d'un autre code trois cents ans plus tard ? Et qu’est-ce qui amène encore aujourd’hui la majorité des Juifs à préférer le Shoulḥon ´oroukh au Mishnéh Ṭôroh ?

 

La réponse réside dans le fait qu'en plus d'être un rationaliste, le Rambo'’m a vécu à l'époque pré-zoharique. Le mysticisme du Zôhar était inconnu avant son apparition au milieu du 13ème siècle (n’en déplaise à tous ceux qui croient que le Zôhar proviendrait de Rabbi Shim´ôn ban Yôḥo`y ז״ל) et le Rambo’’m est décédé en 1204.

 

Cependant, l'apparition du Zôhar a changé le visage du judaïsme pour toujours, son influence (à un degré plus ou moins grand) affectant presque toute sa pensée et sa littérature ultérieures. Aujourd’hui, l’écrasante majorité des Juifs croient dans le Zôhar comme la Parole du Dieu Vivant.

 

Lorsque le Zôhar s’est répandu, le judaïsme est devenu de plus en plus irrationnel et kabbalistique, et de ce fait, le Mishnéh Ṭôroh fut de plus en plus rejeté.

 

Rov Yisro`él Drazin a parfaitement bien expliqué les raisons pour lesquelles les rabbins ultérieurs ont préféré le Shoulḥon ´oroukh, alors que le Mishnéh Ṭôroh du Rambo’’m est le code halakhique le plus fidèle et proche de la pensée talmudique :

 

L'omission [dans le Mishnéh Ṭôroh] des débats rabbiniques et des sources des lois étaient la raison ostensible, mais probablement pas la véritable, pour laquelle d'autres rabbins estimaient devoir écrire leurs propres codes. C'est évident car si ces deux omissions étaient ce qui dérangeait vraiment les rabbins qui composaient de nouveaux codes, ils auraient dû se satisfaire en n'ajoutant que des gloses indiquant les sources et les points de vue opposés [et non en rédigeant carrément des livres entiers].

 

La vraie raison, selon toute vraisemblance, était l'incapacité des non-rationalistes à faire face au rationalisme du Rambo’’m et son refus d'inclure les pratiques superstitieuses, la conduite magique, l'utilisation de présages, le mysticisme et d'autres comportements irrationnels si chers au grand public. Ces comportements non rationnels étaient monnaie courante chez de nombreux Juifs - y compris de nombreux rabbins ...

 

Les livres de droit post-Rambo’’m ont codifié ces types de comportements.

 

C’est la triste réalité dans laquelle nous nous trouvons jusqu’à présent ! Plus une pratique est superstitieuse et prétend pouvoir apporter la bénédiction et éloigner une chose négative, plus elle est populaire, aux dépends des lois pourtant très claires dans la Ṭôroh interdisant la superstition et divers actes « magiques » et d’enchantements. Il suffit de voir la liste chaque fois plus longue des Segoulot qui sont proposées par divers « grands de la génération » ! Mais les gens les adoptent sans se rendre compte que plus la liste augmente plus cela indique leur inefficacité ! Comme la soi-disant Segoula du Rov Ḥaïm Kanievsky, accordant une immunité au coronavirus si on fait un don conséquent à son organisme de Tsedaka…mais maintenant qu’il est flagrant que cela ne marche pas, puisque les religieux en Israël sont toujours autant affectés qu’avant d’avoir fait leur don, plus personne ne veut en parler pour ne pas entacher l’image de « Prince de la Torah » du Rov Kanievsky.

 

Le peuple est facilement manipulable lorsqu’on lui présente des choses qui sortent de l’ordinaire et qui donnent l’impression d’ajouter à la spiritualité. Lorsque l’histoire farfelue de l’origine céleste du Shoulḥon ´oroukh s’est répandue, ainsi que toutes les pratiques insensées et mystiques qu’il contient, beaucoup l’ont accepté les yeux fermés, pensant y trouver la plénitude.

 

Hashshém Yishmôr !

 

 

 



[1] Introduction du Rov Qa`phiḥ à son édition du Mishnéh Ṭôroh.

[2] Séphar Yôḥasin, page 122

[3] Tiré de l’Introduction au Tour, par Ribbénou Ya´aqôv ban `oshér.

[4] Tiré de l’Introduction au Béth Yôséph, par Rabbi Yôséph Qa`rô.

[5] Ribbénou Widh`al de Toulouse (fin du 14ème siècle).

[6] Introduction au Yam Shal Shalômôh, Ḥoullin.

[7] Maggidh Méshorim 258

[8] Shém Haggadhôlim Ma`arakhath Hassaphorim `arakh Béth Yôséph

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