dimanche 7 décembre 2014

Des Séfardîm en vêtements Ashkénazes

בס״ד

Des Séfardîm en vêtements Ashkénazes !

Illustration : Le Baba Salé זצ״ל

Depuis plusieurs décennies maintenant, nous sommes témoins d'un phénomène plus qu'inquiétant, qui est l'ashkénazification des Séfardîm. Cela ne touche pas que les simples Séfardîm, puisqu'on voit même d'éminents rabbins Séfardîm s'habiller à l'Ashkénaze, à savoir, costume et chapeau noir, ce qui ne fait pas partie de la tradition Séfarade. Lorsqu'on demande à ces éminents rabbins pourquoi est-ce qu'ils ont abandonné l'ancien style vestimentaire des Séfardîm pour adopter celui des `Ashkénazîm, c'est toujours la même réponse qui revient : l'habit Ashkénaze est devenu « la norme » pour les Talmîdéi Hakhomîm, et les rabbins Séfardîm ne seraient pas pris au sérieux s'ils ne s'habillent pas en conformité avec cette mode ! En d'autres mots, c'est ainsi que les rabbins doivent s'habiller ! Depuis quand et selon qui ? En outre, mon exemple personnel démontre qu'il est faux d'assumer que si l'on ne s'habille pas à l'Ashkénaze, on ne sera pas pris au sérieux ! Bien au contraire, c'est une marque d'authenticité, et cela augmente en réalité le respect que les autres pourraient avoir, car ils voient qu'ils sont en présence de quelqu'un qui accorde une énorme importance aux traditions. Le monde juif a besoin d'une diversité de rabbins, et d'après quelle « norme » tout le monde devrait s'aligner sur le modèle Ashkénaze ? Plus large est la diversité, et plus grande sera notre capacité à attirer un plus grand public vers la religiosité. En fait, beaucoup de gens aiment le Judaïsme mais ne veulent pas s'en rapprocher parce qu'ils ne prennent pas au sérieux l'habit Ashkénaze. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'ils savent que ce style « juif », mais est un copier-coller du style qui prévalait dans le monde juif du 19ème siècle. J'ai une fois assisté à une scène où deux jeunes hommes, en voyant un Juif habillé à l'Ashkénaze, se sont exclamés « Ils me font rire ces Juifs ! Comme si leurs ancêtres s'habillaient comme ça, avec costume et chapeau ! » Même les Hasîdîm, qui se prétendent les gardiens de la tradition et s'enorgueillissent de n'avoir rien changé ont tendance à oublier que non seulement leur habillement est calqué sur celui des Gôyîm, mais qu'en plus même le saint Ba'al Shém Tôv זצ״ל, qui est le fondateur de ce mouvement, ne s'habillait pas en Békishe et chapeau noir, et encore moins en Shtreimel !

Illustration : Le Ba'al Shém Tôv

Ce qui est extraordinaire, c'est que depuis sa tendre enfance, chaque Juif se fait enseigner la gravité de l'interdiction d'imiter les Gôyîm, de s'habiller comme eux, ou encore l'importance de se tenir aux traditions de nos ancêtres. Cela va jusqu'au point de nous rappeler que si nous sommes sortis d’Égypte, c'était uniquement en raison de trois choses :

  1. Nous n'avons pas adopté le style vestimentaire des Égyptiens.
  2. Nous avons gardé notre langue.
  3. Nous avons gardé nos noms hébreux plutôt que d'adopter des noms égyptiens.

Mais à croire que tout cela n'est rien d'autre que de belles paroles, puisque non seulement les `Ashkénazîm ont adopté le style vestimentaire des Gôyîm du 19ème siècle, mais ils font également pression pour que les Séfardîm abandonnent leurs traditions et adoptent celles des `Ashkénazîm (mais lorsqu'on demande aux `Ashkénazîm de suivre les traditions séfarades, car le Judaïsme est né en Orient et non en Europe de l'Est, ils vous répondent « Il est interdit d'abandonner les coutumes de ses ancêtres ! »)

Que l'habillement des `Ashkénazîm d'aujourd'hui (chapeau noir, long manteau noir, etc.) fut imposé par les Gôyîm est très bien documenté :

  • 1804 : Alexandre Ier fait passer une loi qui encourage les Juifs à adopter l'habillement des non Juifs Germains en permettant à ceux qui y adhèreront de jouir d'une plus grande liberté. Par contre, les enfants Juifs scolarisés n'eurent pas le choix et furent contraints d'adopter le style vestimentaire germain.
  • 1835 : Le 13ème jour du 4ème mois, Nicolas Ier durcit la loi susmentionnée en y ajoutant que les Juifs étudiant dans les universités devaient s'habiller en conformité avec les normes germaines. De même pour les Juifs élus à des positions civiles.
  • Décembre 1841 : Les Juifs de Riga reçurent la permission de conserver leur citoyenneté à la condition de se conformer au style vestimentaire local.
  • 1845 : Durant le 4ème mois, une loi est votée qui contraint tous les Juifs de Russie à s'habiller selon le style vestimentaire germain. Ces Juifs Russes qui soutenaient la « modernisation » du peuple Juif furent heureux de la promulgation de cette nouvelle loi. Leurs critiques sur la façon avec laquelle les Juifs religieux méprisaient cette loi sont rapportées dans la littérature qu'ils rédigèrent à cette époque-là.

Ce que les gens ne réalisent pas, c'est que cet habillement Ashkénaze, basé sur le style vestimentaire des non Juifs Germains, va à l'encontre de diverses Halokhôth. En plus du fait d'adopter l'habillement des non Juifs, ce qui est une grave interdiction, cela contrevient aussi à la règle suivante, qui est pourtant rapportée dans le Qisour Shoulhon 'Oroukh, Chapitre 3, Paragraphe 3, à savoir : לא ילבוש בגדים יקרים כי דבר זה מביא את האדם לידי גאוה « On ne se vêtira pas de vêtements coûteux, car une telle chose mène l'homme à l'orgueil ». C'est une interdiction qui est rappelée régulièrement dans le Talmoud et d'autres Pôsqîm. Vous avez des gens qui ont du mal à joindre les deux bouts, qui ont à peine ce qu'il faut pour pouvoir manger chaque jour, mais dépensent des fortunes (ou empruntent de l'argent) pour s'acheter un Shtreimel à 4 500 € (en sachant que beaucoup doivent en avoir deux au moins), un chapeau à 180 € (là encore, il en faut généralement plus qu'un. Le chapeau coûte tellement cher qu'on le protège avec un sac plastique afin de ne pas l'abimer lorsqu'il pleut !) et d'autres articles coûteux faisant partie de la garde-robe Hassidique !

Deuxièmement, dans les temps talmudiques, le noir était la couleur associée au deuil, comme nous le rapportent plusieurs passages talmudiques et midrashiques. En fait, les gens s'habillaient en vêtements colorés, et le noir était pour les occasions tristes et exceptionnelles. (Évidemment, les rabbins d'aujourd'hui donnent comme explication que bien qu'il est vrai qu'il n'était pas courant de se vêtir en noir tous les jours, nous le faisons aujourd'hui au quotidien en signe de deuil pour la destruction du Temple. Sauf que les Rabbins du Talmoud et du Midrosh qui sont cités comme méprisant cette pratique vivaient après la destruction du Temple !) Le Talmoud va jusqu'à dire que s'habiller en noir au quotidien était la pratique de ceux qui étaient sous un décret d'excommunication ! C'était le signe extérieur qui permettait aux autres d'identifier celui qui était excommunié.1 Ce signe était important, puisqu'il est interdit de fréquenter celui qui est excommunié, tout comme il est interdit de manger et boire avec lui, ou encore de le compter dans un Minyon ! Mais voilà qu'aujourd'hui, on presse tous les Juifs à s'habiller en noir au quotidien !

Troisièmement, tous les kabbalistes sur lesquels les Juifs religieux s'appuient ont employé des termes très durs à l'égard de ceux qui s'habillaient en noir à Shabboth, allant jusqu'à dire que ces gens compromettaient leur part dans le Monde-à-Venir ! (Cela fera l'objet d'un autre article, D.ieu voulant.) Et tous les premiers Hasîdîm se tenaient à cette règle et s'habillaient tout en blanc pour Shabboth et Yôm Tôv (et souvent m^me durant la semaine).

Les Hasîdîm d'aujourd'hui ne peuvent donc pas prétendre prétentieusement qu'ils n'ont rien changé et qu'ils font tout comme avant, puisque la pratique des premiers Hasîdîm et de bon nombre de kabbalistes sur lesquels ils s'appuient (comme par exemple le `ArîZa''l) contredit leur pratique !

Dans le monde d'aujourd'hui, c'est devenu à la mode (même dans les milieux dits « Orthodoxes Modernes ») de montrer sa piété en revêtant un chapeau noir, un costume noir, une chemise blanche, de belles chaussettes blanches visibles à des kilomètres et en arborant des Sîsîth qui pendent presque jusque par terre ! Tout cela n'est que de l'orgueil ! Cette tendance s'est aussi frayée un chemin dans la communauté séfarade, plus particulièrement lorsque des Séfardîm ont étudié dans des Yéshîvôth ashkénazes. (Le complexe d'infériorité de beaucoup de Séfardîm les pousse à inscrire leurs enfants dans des institutions ashkénazes.) Même des rabbins Séfardîm ont adopté le look « chapeau noir », de façon à se « conformer » et s'identifier à une version plus extrême de l'Orthodoxie. (Il est bien connu que les `Ashkénazîm disent des Séfardîm qu'ils soient moins « stricts » et moins « rigoureux » qu'eux, ce qui a tendance à créer des complexes d'infériorité chez certains Séfardîm, alors que la culture et la tradition séfarade sont tellement riches.)

C'est une tendance malheureuse, parce que, pour finir, cela développe des valeurs malsaines :

  1. cela fait la promotion d'une conformité à des normes purement superficielles ;
  2. cela compromet les cultures/identités religieuses et traditions séfarades, yéménites et d'autres communautés non ashkénazes ;
  3. cela développe le rejet de la diversité, qui est pourtant une des sources vitales de la force du Judaïsme et du peuple Juif ;
  4. cela envoie comme message que pour être un bon Juif religieux, vous devez vous habiller selon un style bien précis, autrement votre religiosité est remise en question ou regardée avec suspicion.

(De toute façon, il suffit de voir le comportement des Hasîdîm entre eux : rien que le fait de voir que la personne en face d'eux appartient à une communauté Hassidique « rivale », parce qu'elle porte ses chaussettes d'une autre manière et a un chapeau spécifique qui l'identifie comme appartenant à telle ou telle communauté, ils deviennent comme fous. Ils jugent les gens selon le style vestimentaire, et non selon ce qu'est la personne, à savoir, un Juif religieux qui observent la Tôroh et les Miswôth comme eux, mais qui a une tradition et des coutumes différentes des leurs !)

Ce serait une excellente chose que les rabbins Séfardîm cessent d'adopter le look des rabbins Harédîm `Ashkénazîm. Ce serait une bonne chose si les assemblées séfarades demandaient à leurs rabbins de ne pas suivre la mode du « chapeau noir ». Ce serait une bonne chose si les Séfardîm qui envoient leurs enfants dans des Yéshîvôth ashkénazes pouvaient inculquer à leurs fils la confiance suffisante pour ne pas tomber dans le piège de la conformité.

Pourquoi le slogan אַל-תִּטֹּשׁ, תּוֹרַת אִמֶּךָ « n'abandonne pas la Tôroh de ta mère »2, que l'on cite régulièrement pour instruire aux gens qu'ils ne doivent pas se détourner des traditions de leurs ancêtres, ne s'appliquerait-il qu'aux `Ashkénazîm et non aux autres, à qui on demande d'abandonner leurs traditions, leur culture et leur style vestimentaire, et de s'ashkénazifier ?

Rabbî Yôséf Karo זצ״ל

Le Bèn `Îsh Hזצ״ל

Le Rav Kadouri זצ״ל

Des Juifs Marocains

Un Juif Algérien

Un Juif Tuinisien
1Voir par exemple dans Bavo` Mésîa' 59b.

2Mishléi 6:20
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