mardi 2 juin 2020

La raison des Qôrbonôth : L’école rationaliste VS l’école mystique


בס״ד

La raison des Qôrbonôth : L’école rationaliste VS l’école mystique

 

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Il existe une Maḥlôqath bien connue entre le Rambo’’m ז״ל et le Rambo’’n ז״ל. Elle est extrêmement intense et montre la différence entre un grand Rov qui utilise son propre raisonnement pour élucider des questions compliquées et un grand Rov qui croit qu'il doit y avoir un sens plus profond (c’est-à-dire mystique, non compréhensible par l'homme). IL s’agit évidemment de la Maḥlôqath soulevée par le Rambo’’n dans son commentaire sur Wayyiqro` 1: 9 où il part dans une contestation de l’opinion que le Rambo’’m a au sujet des Qôrbonôth.

Le Rambo’’m, dans son Môréh Navoukhim, déclare :[1]

Les Écritures nous disent, selon la version de `ounqalôs, que les Égyptiens adoraient le Bélier, et donc s’abstenaient de tuer des moutons, et méprisaient les bergers. כִּי תּוֹעֲבַת מִצְרַיִם, נִזְבַּח « Car c’est l’abomination des Égyptiens que nous victimiserons, etc. »[2] ; כִּי-תוֹעֲבַת מִצְרַיִם, כָּל-רֹעֵה צֹאן « Car tout berger de troupeau est une abomination des Égyptiens »[3]. Certaines sectes parmi les Sabéens adoraient les démons et imaginaient que ceux-ci prenaient la forme de chèvres ; c’est pourquoi ils appelaient les démons par le terme de « chèvres » [Sa´irim]. Ce culte était répandu. וְלֹא-יִזְבְּחוּ עוֹד, אֶת-זִבְחֵיהֶם, לַשְּׂעִירִם, אֲשֶׁר הֵם זֹנִים אַחֲרֵיהֶם « Et ils n'offriront plus leurs victimes aux Sa´irim, derrrière lesquels ils se prostituent »[4]. Pour cette raison, ces sectes s’abstenaient de manger de la viande de chèvre. La plupart des idolâtres s’opposaient au fait de tuer du bétail, tenant cette espèce d'animaux en grande estime. Par conséquent, les gens de Hôddou [Inde] jusqu'à ce jour n’égorgent pas du bétail même dans les pays où d'autres animaux sont égorgés. C’est en raison de ces faux principes que la Ṭôroh nous ordonne de n'offrir des Qôrbonôth que de ces trois sortes : אָדָם כִּי-יַקְרִיב מִכֶּם קָרְבָּן, לַיהוָה--מִן-הַבְּהֵמָה, מִן-הַבָּקָר וּמִן-הַצֹּאן, תַּקְרִיבוּ, אֶת-קָרְבַּנְכֶם « Un humain qui apporterait parmi vous un Qôrbon à `adhônoy, c’est d’entre l’animal domestique, d’entre le gros bétail, et d’entre le menu bétail que vous apporterez votre Qôrbon ».[5] Ainsi l'acte même qui est considéré par les idolâtres comme le plus grand crime, est le moyen d'approcher Hashshém et d'obtenir Son pardon pour nos péchés. De cette manière, les mauvais principes, les maladies de l'âme humaine, sont guéris par d'autres principes diamétralement opposés.

En substance, le Rambo’’m dit que la raison pour laquelle nous, Juifs, sommes tenus de sacrifier à Hashshém ית׳ est simplement afin de contrer l'idolâtrie. Il n'y a pas d'importance inhérente aux Qôrbonôth. (De la même manière, la seule raison pour laquelle Hashshém demanda d’offrir le Qôrban Pasaḥ était pour tuer en nos esprits la fausse croyance selon laquelle le mouton, vénéré par les Égyptiens, était une vraie divinité.) S'il n'y avait jamais eu d'adorateurs d'idoles, il n'y aurait jamais eu besoin de Qôrbonôth. Cependant, dès l’instant où il y a des gens qui sacrifient des animaux à un faux dieu ou s’abstiennent de le faire par adoration de ces animaux, alors nous recevons notre Miṣwoh de sacrifier à Hashshém.

Le Rambo’’n attaque à boulets rouges le Rambo’’m sur cette question.[6] Il dit que les mots du Rambo’’m sont complètement faux. L'une des preuves qu'il apporte est que Nôaḥ ע״ה a apporté des Qôrbonôth après le Mabboul, même s'il n'y avait pas d'adorateurs d'idoles.[7] De plus, la Ṭôroh dit sur le Qôrbon apporté par Nôaḥ וַיָּרַח יְהוָה, אֶת-רֵיחַ הַנִּיחֹחַ « Et `adhônoy respira l’odeur agréable ». Cela implique qu'il y a une raison plus profonde pour laquelle les Qôrbonôth sont importants et cela n'est pas lié à la négation de l’idolâtrie, mais concerne plutôt la signification spirituelle et la qualité des Qôrbonôth, d’après le Rambo’’n.

Cette Maḥlôqath est le paradigme de tout ce qui sépare une approche rationnelle d'un sujet et une approche mystique. Le Rambo’’n dit qu'il est impossible que Hashshém nous dise de faire quelque chose juste pour nier un de nos désirs ou effacer une mauvaise tendance. Il doit y avoir, d’après lui, une signification spirituelle plus profonde qui est un Sôdh (secret) qui est extrêmement important. Cette idée est centrale pour l'école de pensée mystique, qui soutient que tout a un aspect spirituel et que les humains sont incapables de comprendre le but de Hashshém pour ce monde.

Le Rambo’’m est d'une école de pensée différente. Celle des rationalistes. (Il convient de signaler que contrairement à ce qu’affirment souvent les gens, l’école rationaliste ne rejette pas le mysticisme, mais soutient que même le mysticisme a des aspects rationnels qu’il est possible de comprendre et d’expliquer rationnellement, notamment, mais pas que, grâce au savoir scientifique.) Il observe le judaïsme dans tous ses détails et affirme qu'il doit y avoir un aspect logique à tout. Hashshém n'instituerait pas une loi, en particulier une qui engloberait en elle de nombreuses autres lois, sans un besoin très pressant. Le Rambo’’m nous dit que le peuple juif vivait dans une société où le culte des animaux et le sacrifice d'animaux étaient des aspects centraux de la vie. Par conséquent, Hashshém a réalisé qu'il était nécessaire d'intégrer cela dans la vie quotidienne et de réguler ces activités afin de nous éloigner des dérives. (C’est exactement comme le fait que c’est après que le peuple eut commis le péché du veau d’or que Hashshém énonça la Miṣwoh de Lui bâtir un Sanctuaire. Avant ce péché, cela n’était pas nécessaire. Mais quand Hashshém vit que le peuple avait péché car ils croyaient que Môshah Rabbénou ע״ה ne reviendrait pas et qu’il était mort, Hashshém comprit que le peuple avait, dans sa faiblesse, constamment besoin d’une présence rassurante au milieu d’eux. Par conséquent, Il donna l’ordre : וְעָשׂוּ לִי, מִקְדָּשׁ; וְשָׁכַנְתִּי, בְּתוֹכָם « Et ils Me feront un Sanctuaire, et Moi Je résiderai en eux ».[8] De la même manière, en raison notamment de la faiblesse de la nature humaine, nous voyons que Hashshém toléra la polygamie. Il comprenait que l’interdire ne ferait qu’augmenter le taux d’infidélité dans les couples, et que ce serait une loi insupportable pour de nombreux hommes. De même avec les Qôrbonôth : cela faisait tellement partie du quotidien des gens d’antan qu’il n’aurait pas été réaliste d’abolir ces pratiques. Par conséquent, Hashshém Se contenta d’éloigner de l’idolâtrie cette pratique et de lui donner une orientation exclusivement tournée vers Lui.) Si nous regardons l'histoire du peuple juif, nous pouvons voir qu'il y avait une grande attraction pour le culte des idoles. Le ṬaNa’’Kh est rempli d’actes d’idolâtrie accomplis par nos ancêtres. Hashshém, dans Son infinie sagesse, nous a alors permis de réaliser notre désir mais d’une manière appropriée, régulée et sainte.

Ces deux Ri`shônim, que sont le Rambo’’m et le Rambo’’n, représentent les deux grandes écoles de pensée différentes qui existent à l'intérieur du judaïsme. Il y a les Juifs « mystiques » qui croient que tout ce qu'ils font a un certain sens spirituel, et a des conséquences même invisibles sur le cosmos. Ensuite, il y a les Juifs « rationalistes » qui croient que le judaïsme est plein d'idées qui ont un sens dans la vie concrète et pratique. Il y a certaines Miṣwôth qui ne sont pas toujours comprises, mais de manière générale toutes les Miṣwôth nous aident à expérimenter la vie aussi bien dans ce monde que dans le monde futur.

Telle est donc la question : est-ce que les Qôrbonôth, et par extension toutes les Miṣwôth, ont un sens dans ce monde ou est-ce que tout est spirituel ? C’est autour de cette question essentielle que sont divisées ces deux écoles de pensée.


[1] Volume 3, Chapitre 46
[2] Shamôth 8 :22
[3] Baré`shith 46 :34
[4] Wayyiqro` 17 :7
[5] Ibid., 1 :7
[6] Commentaire du Rambo’’n sur Wayyiqro` 1 :9.
[7] Baré`shith 8 :21
[8] Shamôth 25 :8

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