dimanche 18 octobre 2015

Pourquoi le fromage des non Juifs est-il interdit ?

ב״ה

Pourquoi le fromage des non Juifs est-il interdit ?


Cet article peut être téléchargé ici.

Nous avions conclu le précédent article en disant que tous les produits laitiers des Gôyim, dès lors que les autres ingrédients étaient évidemment Koshér, étaient permis à la consommation de l'Israélite, excepté le fromage. La question naturelle qui se pose donc est : pourquoi nos Sages ont-ils interdit la consommation des fromages des Gôyim ?

  1. Raisons de l'interdiction

Dans son Mishnéh Tôroh, le Ramba''m ז״ל fait, à juste titre, remarquer que d'un point de vue logique il y aurait plus matière à permettre le fromage d'un Gôy plutôt que le lait d'un Gôy. La raison à cela, comme le dit le Ramba''m, est que le lait provenant d'un animal Koshér ne pourra jamais être transformé en fromage, car il ne coagule pas. S'il en est ainsi, il n'existe aucun risque que le fromage soit fait à base de lait d'un animal non Koshér. Logiquement, donc, il n'y aurait, à première vue, pas matière à interdire le fromage d'un Gôy car, contrairement au cas du lait, il n'existe pas le risque qu'il soit fait à base d'un lait interdit. Malgré tout, HaZa''l ont interdit le fromage des Gôyim.1 La Mishnoh2 explique qu'à l'origine, HaZa''l n'ont pas du tout donné la raison de ce décret. C'est pourquoi la Gamoro` tente d'offrir différentes raisons pouvant expliquer ce décret3 :

  1. HaZa''l l'ont interdit, car les Gôyim font cailler le lait avec la muqueuse de l'estomac (présure) d'un animal qui ne fut pas abattu rituellement, ce qui fait que l'animal est en fait une Navéloh, chose qu'il nous est interdite de consommer, ou
  2. HaZa''l l'ont interdit, car les Gôyim ne prenaient pas suffisamment soin de correctement couvrir le lait qui serait utilisé pour faire le fromage, et l'on craignait alors que des serpents et autres animaux venimeux libèrent leur venin dans les liquides non couverts, ou
  3. HaZa''l l'ont interdit, car les Gôyim saupoudraient le fromage de graisse de porc, ou
  4. HaZa''l l'ont interdit, car ils craignaient qu'il puisse rester dans le fromage des gouttes de lait n'ayant pas caillé, et il était possible que ces gouttes proviennent d'un animal non Koshér, ou
  5. HaZa''l l'ont interdit, car les Gôyim faisaient leur fromage avec du vinaigre non Koshér.

Ce sont là les cinq positions différentes avancées dans la Gamoro` pouvant expliquer la raison du décret d'interdiction du fromage des Gôyim, décret que l'on appelle גבינת עכו״ם « Gavinath ´akkou''m – fromage des adorateurs des étoiles et des astres ».

  1. Positions des Ri`shônim

Puisqu'il existe différentes approches mentionnées dans la Gamoro`, les Ri`shônim débattirent de celle qui faisait autorité. Le Ramba''m, fidèle a son idéologique rationaliste, tranche que la seule explication rationnelle et sensée est que HaZa''l ont interdit le fromage des Gôyim parce qu'ils utilisent la muqueuse de l'estomac d'une Navéloh pour faire cailler le fromage. Il ajoute que si l'on avance comme contre-argument que la muqueuse de l'estomac est une très petite quantité lorsqu'on la compare au lait qui est utilisé, et qu'on devrait donc avoir recourt à la règle des 1/60ème et ne donc pas prendre en compte la muqueuse de l'estomac, ce raisonnement n'est pas valable dans le cas présent, parce que cette muqueuse de l'estomac d'une Navéloh est utilisée comme catalyseur pour faire cailler le fromage. Étant donné que le catalyseur qui amène le fromage à cailler est interdit, c'est tout l'ensemble du fromage qui l'est aussi !4 En d'autres mots, la règle selon laquelle lorsqu'une substance interdite se retrouve dans un mélange on peut permettre le mélange si l'aliment interdit se retrouve dans une proportion inférieure à 1/60ème de l'ensemble, ne s'applique que dans le cas d'une erreur, ou lorsque la matière interdite s'est malencontreusement mélangée à la matière permise. Mais elle ne s'applique pas a priori lorsqu'on a fait exprès de l'intégrer au mélange (sinon, ce serait trop facile, et il suffirait, par exemple, d'ajouter une très petite quantité de porc à un aliment permis pour permettre de consommer le porc. Donc, ce n'est pas ainsi que fonctionne la règle des 1/60ème).

Par contre, Rabbénou Ta''m ז״ל (Rabbi Ya´aqôv ban Mé`ir, 1100-1171) est d'avis que la raison de l'interdiction du fromage des Gôyim par HaZa''l est due au fait que le lait aurait pu être exposé au venin des animaux venimeux.5

Un autre sujet de débat entre les Ri`shônim consiste à savoir si le décret interdisant la Gavinath ´akkou''m s'applique même lorsque la raison invoquée pour l'interdire n'est plus pertinente. Rabbénou Ta''m6, qui soutient que la raison de l'interdiction de Gavinath ´akkou''m est due au fait que des animaux venimeux auraient pu déposer leur venin dans le lait non couvert, affirme que cette raison n'est plus pertinente aujourd'hui étant donné que les serpents ne sont plus courants dans nos environs. Ajoutons à cela qu'avec les appareils de stockage du lait à nos époques, ce risque n'existe plus du tout, quand bien même il y aurait des serpents dans les environs. Rabbénou Ta''m affirme alors que HaZa''l n'ont jamais appliqué ce décret dans des situations où le problème du venin des serpents n'était pas pertinent, et ajoute ceci : « En de nombreux endroits, des Juifs consomment du fromage produit par des non Juifs étant donné que les non Juifs utilisent des plantes pour faire cailler le lait, et les Ga`ônim de Narbonne (dans le Sud de la France) ont permis cette pratique. Cependant, dans nos contrées (dans le Nord de la France et en Allemagne), il y a des raisons d'être strict, étant donné que les non Juifs utilisent des muqueuses d'estomac pour faire cailler le lait ». En d'autres mots, peu importe l'approche que nous soutenons parmi les cinq que propose la Gamoro`, si la raison invoquée pour interdire la Gavinath ´akkou''m s'applique encore, on doit alors s'interdire de consommer leurs fromages, mais si la raison invoquée pour l'interdire ne s'applique pas, on peut alors se permettre de consommer leurs fromages.

Quant au Ramba''m, sa position n'est pas claire. Il se contente de rapporter que certains Ga`ônim ont tranché que l'interdiction de Gavinath ´akkou''m s'appliquait même lorsque les raisons invoquées pour cette interdiction n'étaient plus pertinentes. Il écrit7 : גבינה שמעמידין אותה הגויים בעשבים, או במי פירות כגון שרף תאנים, והרי הן ניכרין בגבינה--הורו מקצת גאונים שהיא אסורה: שכבר גזרו על כל גבינת הגויים, בין שהעמידוה בדבר אסור בין שהעמידוה בדבר מותר « [Concernant] le fromage que les Gôyim font cailler avec des plantes ou des jus de fruit, comme par exemple du sirop de figue, et qu'il semble [que ces matières furent utilisées pour] le fromage : certains des Ga`ônim ont tranché qu'il est interdit, car ils (les Sages) auraient déjà émis un décret contre tous les fromages des Gôyim, qu'ils les aient fait cailler avec une matière interdite ou qu'ils les aient fait cailler avec une matière permise ».

Certains font remarquer que le Ramba''m n'a cité aucune autorité s'opposant à cette décision des Ga`ônim et qu'il ne la critique pas non plus. C'est ainsi que Rabbi Yôséf Qa`rô ז״ל (aussi bien dans son Kasaf Mishnéh que dans son Béth Yôséf) affirme que le Ramba''m s'aligne derrière cette décision des Ga`ônim. C'est la raison pour laquelle il tranche dans son Shoulhon ´oroukh8 (et c'est la position majoritaire aujourd'hui dans le monde religieux) que même lorsque la présure provient de sources Koshér, comme par exemple de la présure microbienne ou des chardons, il reste interdit de consommer le fromage des non Juifs.

Mais cette façon de considérer les propos du Ramba''m est erronée. Premièrement, le seul fait d'écrire « certains des Ga`ônim » indique à lui tout seul que ce n'était pas la décision de tous les Ga`ônim, et qu'il y avait donc bien des autorités qui s'opposaient à cette décision. Deuxièmement, le Ramba''m traite parfois de sujets dans son Mishnéh Tôroh en rapportant diverses positions, sans directement indiquer derrière laquelle il s'aligne, pour la simple raison que le sujet n'est lui-même pas tranché, voire même mentionné, dans le Talmoudh. Cette question de savoir si le décret de Gavinath ´akkou''m s'appliquait même lorsque les raisons invoquées n'étaient plus pertinentes n'est pas traitée dans le Talmoudh en lui-même. Or, dans son introduction au Mishnéh Tôroh (que vous pouvez lire ou relire ici), le Ramba''m a clairement stipulé que toute décision prise après que le Talmoudh a été achevée n'a aucune valeur contraignante sur l'ensemble du peuple juif. Chacun pourra, en son âme et conscience, après avoir pesé le pour et le contre de chaque argument avancé, et vu si l'argument allait à l'encontre ou pas d'une décision déjà prise dans le Talmoudh, décider pour lui-même s'il suit l'avis ou pas de tel ou tel rabbin, car en l'absence d'un Sanhédhrin légitime à Jérusalem, aucun rabbin n'a le pouvoir d'imposer une décision n'étant pas explicite dans le Talmoudh. Le Talmoudh ne dit pas si oui ou non le décret de Gavinath ´akkou''m s'applique même lorsque les raisons invoquées pour l'interdire ne sont plus pertinentes. C'est pour cela que le Ramba''m est flou sur son opinion, car son Mishnéh Tôroh est fait uniquement pour rapporter les Halokhôth talmudiques. Puisque le Talmoudh n'aborde pas le sujet, le Ramba''m s'abstient de dire s'il faut ou pas suivre certains (et pas tous) des Ga`ônim ayant tranché que l'interdiction de Gavinath ´akkou''m s'appliquait même dans des circonstances où les raisons de l'interdiction n'étaient plus pertinentes. Il ne fait que rapporter leur position et la raison de cette position, et non pas qu'il s'aligne derrière eux. (En plus, il n'avait pas besoin de rapporter l'opinion de ceux qui s'opposent à ce décret, ni la raison pour laquelle ils s'y opposaient, car il est évident pourquoi ils s'y opposeraient, tandis que défendre que ce décret s’applique encore, même lorsque les raisons invoquées ne sont plus d'actualité, nécessite qu'on explique la raison de cette position, ce qu'il a fait.) Ainsi, il laisse la porte ouverte, et chacun décidera s'il s'aligne derrière ceux qui l'interdisent encore aujourd'hui, ou derrière ceux qui le permettent lorsque les raisons pour interdire ne s'appliquent pas/plus. Troisièmement, nous voyons qu'au Yémen les autorités juives permirent aux Juifs de consommer le fromage des Musulmans. Et dans certains cas, lorsque des Musulmans devaient personnellement faire du fromage pour des Juifs, certains Juifs leur demandaient expressément d'utiliser du sirop de figue plutôt que les muqueuses de l'estomac des brebis pour faire cailler le lait. Or, les Juifs yéménites étaient Rambamistes ; s'il était évident des propos du Ramba''m que le fromage des non Juifs étaient interdits même lorsque les raisons invoquées pour l'interdire ne s'appliquaient plus, cela n'aurait jamais été permis au Yémen ! De ce fait, nous ne pouvons rien déduire des propos du Ramba''m qu'il s'alignait derrière certains des Ga`ônim l'ayant interdit même quand les raisons de l'interdiction ne sont plus pertinentes.

  1. Conclusion

Le Shoulhon ´oroukh s'aligne derrière le Ramba''m, et tranche que la raison de l'interdiction de Gavinath ´akkou''m est due à l'emploie de présure animale d'une Navéloh dans le processus de caillage du lait. Il ajoute que selon lui, on peut déduire du Ramba''m que même lorsque les raisons invoquées pour l'interdire ne sont pas/plus pertinentes, l'interdiction reste en vigueur, et c'est donc l'intégralité des fromages des non Juifs qui est interdite. Le Ramo''` ז״ל (Rabbi Yôséf `issarlès), dans ses gloses sur le Shoulhon ´oroukh, ajoute que c'est la pratique communément acceptée et prévient qu'il ne faut pas aller à l'encontre de cette pratique suivie par la quasi totalité des Juifs. Cependant, il précise que là où la communauté juive a la tradition de suivre l'approche permissive des Ga`ônim de Narbonne, il sera permis de consommer le fromage des non Juifs si les raisons de l'interdiction de Gavinath ´akkou''m ne sont pas pertinentes à ces endroits-là. Rabbi Yôséf Qa`rô est moins indulgent, car, dans son Béth Yôséf, il presse ardemment les quelques communautés qui suivent l'approche permissive d'adopter la pratique de l'écrasante majorité des communautés juives à travers le monde, et d'être stricts sur ce point.

Mais il y a des raisons de ne pas suivre cet appel à la rigueur du Béth Yôséf et de plutôt suivre la position du Ramo''` (bien que lui-même défendait la position stricte), car rien ne permet de conclure que nos Sages auraient interdit le fromage des non Juifs même dans des circonstances où les raisons de leur décret ne s'appliquaient pas/plus.

C'est une question d'une grande pertinence, car dans l'Europe continentale, la pratique qui prévaut dans la filière de production de fromages consiste encore à utiliser de la présure animale d'une Navéloh. Par contre, aux États-Unis et en Grande-Bretagne, de la présure microbienne (et donc artificielle) est généralement utilisée, et il existe également de nombreuses variétés de fromages portugais que l'on fait cailler avec du chardon, et peuvent donc être permis à la consommation, car les raisons du décret ne s'appliquent pas à ces fromages.

La conclusion est que ceux qui veulent être stricts et s'interdire catégoriquement tout fromage des non Juifs, même lorsqu'il n'y a pas de raison rationnelle de l'interdire, peuvent le faire (mais ils doivent comprendre que le raisonnement sur lequel est basée cette position n'est pas correct, puisque cette approche se fonde sur une interprétation des propos du Ramba''m que nous avons démontré ne pas être correcte. Ainsi, il s'agit d'une pratique basée sur une erreur. Et le Ramba''m rapporte que tout Minhogh basée sur une erreur doit être abandonnée). Quant à ceux qui veulent être indulgents et permettre les fromages des non Juifs qui n'utilisent pas de présure animale d'une Navéloh pour faire cailler le fromage, ils ont largement sur qui s'appuyer pour se le permettre (les Tôsofôth, Rabbénou Ta''m, plusieurs Ga`ônim, dont ceux de Narbonne, et même le Ramba''m, dans une certaine mesure. Dans de nombreux pays, comme le rapporte Rabbénou Ta''m, des Juifs avaient la coutume de se permettre la consommation des fromages non Juifs sans présure animale d'une Navéloh, et cela se faisait aussi au Yémen).

Il convient de signaler qu'un fromage que l'on a fait cailler avec de la présure animale provenant d'un animal abattu rituellement est permis. Le problème n'est donc pas l'interdiction du mélange de la viande et du lait, mais la façon dont la présure a été obtenue : si elle provient d'un animal n'ayant pas été égorgé rituellement, puisque consommer le produit d'une Navéloh est interdit, le fromage est interdit, peu importe la quantité de la présure par rapport à l'ensemble. Mais puisque ce qui est extrait d'un animal ayant été rituellement égorgé est permis dès le départ, utiliser de la présure obtenue d'un animal ayant été rituellement égorgé ne rend pas le fromage interdit.

P.S. : On m'a fait remarquer qu'une petite erreur s'était glissée dans l'article d'origine, au dernier paragraphe. Cela a été corrigée, ainsi que dans le fichier PDF.

1Mishnéh Tôroh, Hilkôth Ma`akholôth `asourôth 3:10
2´avôdhoh Zoroh 29b
3Ibid., 35a
4Mishnéh Tôroh, Hilkôth Ma`akholôth `asourôth 3:10
5Rabbénou Ta''m cité par les Tôsofôth sur ´avôdhoh Zoroh 35a
6Ibid.
7Mishnéh Tôroh, Hilkôth Ma`akholôth `asourôth 3:12
8Yôréh Dé´oh 115:2
Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...