lundi 7 décembre 2020

L’allumage public des lampes de Ḥanoukkoh

 

בס״ד

 

L’allumage public des lampes de Ḥanoukkoh

 

 

Cet article peut être téléchargé ici.

 

Les lampes de Ḥanoukkoh sont allumées dans la majorité des synagogues dans le monde. Puis, sous l’impulsion des Ḥasidhé ḤaBa’’D-Loubavitch l’innovation consistant à les allumer dans l’espace public de nombreuses villes à travers le monde s’est répandue. Il y a également, chaque année, un allumage des lampes de Ḥanoukkoh effectué à la Maison Blanche, auquel assistent de nombreuses personnalités politiques, parmi lesquelles le président des Etats-Unis. Tout le monde aime assister à ces événements publics… mais peu se posent la question du statut halakhique de ces allumages. Sont-ils halakhiquement et objectivement autorisés ? Quelle est la source des allumages publics ? Et une Barokhoh peut-elle être récitée à de tels événements ? Ce sont à ces questions nous répondrons dans le présent article.

 

·        L’origine

 

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’allumage public des lampes de Ḥanoukkoh n’est pas requise ni même recommandée dans le Ṭalmoudh. En fait, à l’époque des événements de Ḥanoukkoh, il n’existait aucun Minhogh (coutume) répandu d’allumer la Manôroh, pas même dans les maisons. Ḥanoukkoh fut instituée comme des jours de joie et de bonheur, et des lampes n’étaient allumées que dans le Béth Hammiqdosh en présence de la foule rassemblée. Aucune lampe de Ḥanoukkoh n’était allumée en-dehors du Béth Hammiqdosh !

 

Quand les Juifs furent finalement exilés de leur terre par les Romains, de façon à ce que la pratique ne soit pas complètement oubliée, les Rabbonim développèrent le Minhogh que chaque famille devait allumer elle-même les lampes de Ḥanoukkoh à l’entrée de sa maison, comme le rapporte Ribbénou ז״ל dans son Mishnéh Ṭôroh :[1] וּמַדְלִיקִין בָּהֶן הַנֵּרוֹת בָּעֶרֶב עַל פִּתְחֵי הַבָּתִּים « et ils y allument les lampes au soir aux entrées des maisons ». Pour finir, les gens commencèrent à allumer à l’intérieur de leurs maisons, et non plus aux entrées de leurs maisons, à cause du danger causé par les Gôyim environnants. Enfin, il fut institué d’allumer les lampes de Ḥanoukkoh dans les synagogues, de façon à faire un parallèle avec l’allumage qui, à l’origine, n’avait lieu que dans le Béth Hammiqdosh.[2]

 

Nous pouvons donc voir qu’allumer les lampes de Ḥanoukkoh dans les espaces publics, en plein air, est un phénomène totalement nouveau, qui n’avait jamais eu lieu d’antan. C’est sous l’impulsion des ḤaBa’’D, qui aiment toujours se différencier de tout le monde et répandre des innovations, que ce phénomène est né.

 

·        L’allumage à la synagogue et lieux publics

 

Comme indiqué plus haut, originellement les lampes de Ḥanoukkoh n’étaient allumées qu’à l’intérieur du Béth Hammiqdosh, et nulle part ailleurs. A la suite de l’exil, on commença à allumer aux entrées des maisons. Si quelqu’un n’avait pas de maison il était exempté de l’allumage, comme on le déduit aisément des propos suivants de Ribbénou dans sa description de la pratique :[3]

 

Combien de lampes allume-t-il durant Ḥanoukkoh ? Sa Miṣwoh est que chaque maison allumera une seule lampe, que les membres de la maison soient nombreux ou qu’il n’y ait dedans qu’un seul être humain. Et celui qui embellit la Miṣwoh allume des lampes d’après le nombre des membres de la maison : une lampe pour chacun, qu’il s’agisse d’homme ou de femmes. Quant à celui qui embellit davantage à ce propos et accomplit le plus haut niveau de la Miṣwoh, il allume une lampe pour chacun durant la première nuit, et continue à en ajouter une à chaque nuit.

כַּמָּה נֵרוֹת הוּא מַדְלִיק בַּחֲנֻכָּה--מִצְוָתָהּ שֶׁיִּהְיֶה כָּל בַּיִת וּבַיִת מַדְלִיק נֵר אֶחָד, בֵּין שֶׁהָיוּ אַנְשֵׁי הַבַּיִת מְרֻבִּין, בֵּין שֶׁלֹּא הָיָה בּוֹ אֵלָא אָדָם אֶחָד.  וְהַמְּהַדֵּר אֶת הַמִּצְוָה, מַדְלִיק נֵרוֹת כְּמִנְיַן אַנְשֵׁי הַבַּיִת, נֵר לְכָל אֶחָד וְאֶחָד, בֵּין אֲנָשִׁים בֵּין נָשִׁים.  וְהַמְּהַדֵּר יוֹתֵר עַל זֶה וְעוֹשֶׂה מִצְוָה מִן הַמֻּבְחָר, מַדְלִיק נֵר לְכָל אֶחָד וְאֶחָד בַּלַּיְלָה הָרִאשׁוֹן, וּמוֹסִיף וְהוֹלֵךְ בְּכָל לַיְלָה וְלַיְלָה, אֶחָד

 

Il est clair que la pratique ne concerne que les foyers ! Et comme dit plus haut, quiconque n’aurait ni foyer ni maison est exempt de la pratique de l’allumage. Cependant, on développa en plus de l’allumage à la maison la pratique d’également allumer à la synagogue.

 

Cette pratique de l’allumage des lampes de Ḥanoukkoh n’est elle aussi jamais mentionnée dans le Ṭalmoudh, ni dans aucun des textes de la littérature de nos Sages (Mishnoh, Midhrosh, Ṭôsaphṭoˋ, etc.). On ne la retrouve pas non plus mentionnée dans les écrits des Gaˋônim (les sages qui succédèrent aux Sages du Ṭalmoudh). Elle est née à l’époque des Riˋshônim, et depuis lors beaucoup la suivent.[4] Pour sa part, Ribbénou ne fait jamais mention d’un quelconque allumage des lampes de Ḥanoukkoh à la synagogue. La raison originelle invoquée pour justifier la pratique est que l’allumage des lampes de Ḥanoukkoh se faisait à la synagogue pour les invités de passage qui n’avaient pas où loger.[5] En effet, les synagogues d’antan étaient constituées de pièces servant à loger les étrangers qui étaient de passage dans la communauté. Et puisqu’ils dormaient à la synagogue, qui était alors considérée comme leur maison tout le temps de leur séjour, les lampes de Ḥanoukkoh étaient allumées en leur honneur à la synagogue. Cela rappelle inévitablement la Halokhoh du Ṭalmoudh demandant au Shaliaḥ Ṣibbour de faire deux fois le Qiddoush le vendredi soir : une première fois à la synagogue pour acquitter les visiteurs de passage qui dorment à la synagogue (car peut-être qu’ils ne savent pas faire eux-mêmes le Qiddoush), puis une deuxième fois en rentrant chez lui afin d’acquitter sa femme et ses enfants.

 

C’est là la véritable raison de l’allumage à la synagogue : pour acquitter les visiteurs qui dorment à la synagogue, au cas où ils ne sauraient pas allumer et bénir par eux-mêmes ! En dehors de cette raison, rien ne justifierait en fait que les lampes de Ḥanoukkoh soient allumées à la synagogue, car comme indiqué plus haut la pratique est que l’allumage doit se dérouler dans chaque foyer. (Tout comme rien d’autre ne justifierait de réciter le Qiddoush à la synagogue le vendredi soir.)

 

Par conséquent, plusieurs Pôsaqim tranchent qu’étant donné que nous allumons à la maison, il n’y a aucune nécessité halakhique d’allumer également à la synagogue.[6] Bien qu’aujourd’hui le Minhogh répandu soit d’allumer à la synagogue, c’est cette position des Pôsaqim qui est correcte ! D’ailleurs, aujourd’hui encore, en Terre Sainte, beaucoup de Juifs ont le Minhogh de ne pas faire de bénédiction sur l’allumage des lampes de Ḥanoukkoh effectuée à la synagogue, puisque la pratique en Terre Sainte consiste à allumer à l’extérieur des maisons, rendant totalement inutile l’allumage à la synagogue.[7]

 

A la lumière de tout cela, de très nombreux Pôsaqim débattent quant à savoir s’il faudrait effectivement réciter ou pas une bénédiction lorsque les lampes de Ḥanoukkoh sont allumées à la synagogue. Et plusieurs s’y opposent en arguant qu’il ne convient pas de réciter une bénédiction sur une pratique qui n’est pas mentionnée dans le Ṭalmoudh.[8] D’autres s’y opposent en avançant que la Halokhoh interdit de réciter une bénédiction sur une pratique qui n’est qu’une coutume et non une obligation. Effectivement, cette Halokhoh existe et est d’ailleurs rapportée par Ribbénou lui-même dans son Mishnéh Ṭôroh :[9]

 

Toute chose qui est un Minhogh, quand bien même il s’agirait d’un Minhogh des Prophètes, comme par exemple le secouement du saule au septième jour de la Fête,[10] et inutile de mentionner un Minhogh des Sages, comme par exemple la lecture du Hallél aux Roˋshé Ḥôdhoshim et à Ḥoullô Shallappasaḥ,[11] ils ne bénissent pas dessus !

כָּל דָּבָר שְׁהוּא מִנְהָג--אַף עַל פִּי שֶׁמִּנְהַג נְבִיאִים הוּא, כְּגוֹן נְטִילַת עֲרָבָה בַּשְּׁבִיעִי שֶׁלֶּחָג, וְאֵין צָרִיךְ לוֹמַר מִנְהַג חֲכָמִים, כְּגוֹן קְרִיאַת הַהַלֵּל בְּרָאשֵׁי חֳדָשִׁים וּבְחֻלּוֹ שֶׁלַּפֶּסַח--אֵין מְבָרְכִין עָלָיו

 

Cette Halokhoh est plus que claire ! Ainsi, même si, malgré qu’il n’y ait pas d’invités qui dormiront à la synagogue, une communauté fait néanmoins le choix d’allumer les lampes de Ḥanoukkoh à la synagogue, halakhiquement parlant aucune bénédiction ne devrait être faîte, car non seulement il ne s’agit que d’une coutume, mais en plus nos Sages n’ont jamais exiger que les lampes de Ḥanoukkoh soient allumées à la synagogue ! Les bénédictions récitées lors de l’allumage des lampes de Ḥanoukkoh à la synagogue sont donc prononcées en vain !

 

Evidemment, la pratique s’est tellement répandue que les Rabbonim ont trouvé des moyens et justificatifs pour autoriser la récitation des bénédictions. Mais comme je le dis toujours : ce qui est populaire n’est pas forcément correct, et pour le coup, ici, c’est inconvenant !

 

De même, bien que les allumages publics organisés par ḤaBa’’D soient si populaires et ont fini par être acceptés par une grande parie du peuple juif, les bénédictions qui y sont récitées sont faites en vain, comme l’ont tranché plusieurs Pôsaqim contemporains.[12] D’après ces Pôsaqim, le seul espace, en-dehors de la maison, où les lampes de Ḥanoukkoh pourraient être allumées avec une Barokhoh, serait la synagogue, et nulle part ailleurs. Mais même d’après le Rivo’’sh ז״ל, qui a encouragé à allumer les lampes de Ḥanoukkoh également à la synagogue afin de publier le miracle, il tranche néanmoins qu’aucune Barokhoh ne devrait être récitée ! Si déjà il l’a interdit à la synagogue, à combien plus forte raison lors des allumages publics organisés par ḤaBa’’D en plein air !



[1] Hilkôth Ḥanoukkoh 3 :3

[2] Mô´adhim Ouzmannim 6 :89

[3] Hilkôth Ḥanoukkoh 4 :1

[4] Shibbôlé Hallaqat 185 ; Kôl Bô 44 ; Hammanhigh 2:531; le Méˋiri, Shabboth 23b ; le Ritva’’ˋ, Shabboth 23a ; ˋôraḥôth Ḥayyim, Ḥanoukkoh 17 ; le Tour ; le Shoulḥon ´oroukh, ˋôraḥ Ḥayyim 671 :7 ; Ḥayyé ˋodhom 154 :17 ; Pisqé Môshah 12 :1 ; Mibbéth Léwi 10 :17 :1.

[5] Béth Yôséph 671 ; Kôl Bô 44.

[6] Voir Shibbôlé Hallaqat 185 ; Birkath Yôséph 671:6; Mô´adhim Ouzmannim 6 :89 ; Darké Ḥayyim Washolôm 819.

[7] Mô´adhim Ouzmannim 6 :89 ; Ṭashouvôth Wahanhoghôth 1 :397, 2 :335.

[8] Mô´adhim Ouzmannim 6 :89 ; Ṭashouvôth Wahanhoghôth 2 :342

[9] Hilkôth Barokhôth 11 :16

[10] C’est-à-dire, Hôsha´noˋ Rabboh, lorsqu’on frappe le saule contre le sol.

[11] Les jours intermédiaires de Pasaḥ.

[12] Waya´an Yôséph 3 :401 :4 ; Maqaddésh Yisroˋél (Ḥanoukkoh) 101, 116 ; Minḥath Ḥén 2 :37.

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