lundi 27 janvier 2020

Existe-t-il une moralité sans Tôroh ?


בס״ד

Existe-t-il une moralité sans Tôroh ?


Cet article peut être téléchargé ici.

Y a-t-il de la morale sans la Tôroh ? Tout au long de l'histoire de la philosophie, les philosophes ont débattu de l'existence d'une morale naturelle contraignante même en l'absence de règles éthiques législatives. De même, les philosophes Juifs ont débattu de la question de savoir s'il y aurait du bien et du mal moral objectif si Hashshém ית׳ n'avait pas révélé Sa volonté et nous avait commandé diverses obligations morales, des sept lois noahides aux six cent treize Miswôth de la Tôroh.1 Sous cette question s'en cache une autre : les Gôyim et d'autres qui n'ont pas la Tôroh, sont-ils capables de mener une vie morale et éthique sans elle, en déduisant par le simple fait de leur raisonnement des règles de bon comportement ?

  • Le `ésh Qôdhash : Il n'existe pas de moralité naturelle

Le Rabbi de Piaseczno, dans sa collection de sermons appelée `ésh Qôdhash,2 affirme qu'un Gôy qui agit de manière éthique le fait parce qu'il croit en l'existence d'une vérité morale indépendante. D'après cette conception, les commandements de Hashshém reflètent cette vérité indépendante préexistante. Cependant, nous, Juifs, croyons que Hashshém est la seule source valable de vérité morale. Selon le Rabbi de Piaseczno, il est interdit de voler uniquement parce que le vrai Dieu nous a ordonné de ne pas voler, et il est interdit de tuer uniquement parce que le vrai Dieu a interdit le meurtre. Ces commandements ont créé une vérité morale parce qu'ils émanaient du vrai Dieu.

Il prouve cette affirmation du fait que la Halokhoh autorise les torts moraux dans certaines circonstances, ce qui ne serait pas possible s'ils étaient objectivement interdits. Par exemple, le vol est autorisé lorsqu'il est autorisé par le Béth Din (הֶפְקֵר בֵּית דִּין הֶפְקֵר « Haphbqér Béth Din Haphqér »). Plus radicalement, Hashshém Lui-même a explicitement autorisé le meurtre dans le commandement donné à `avrohom `ovinou ע״ה de sacrifier son fils Yishoq ע״ה, ce qui constituait une obligation contraignante, bien qu'elle ait finalement été annulée en raison de considérations extérieures.

Selon cette approche, il n'y a pas de bien ou de mal moral objectif dans le monde. Ce que nous appelons l'intuition morale naturelle n'est que l'influence des modes de pensée laïques ou le fonctionnement intelligent du Yésar Hora´. La seule source valable de vérité est la révélation divine.

Cette négation de toute vérité valable qui émerge du raisonnement ou de l'intuition humaine nous semble très dévote et correspond en fait à une répudiation générale des conclusions du raisonnement humain non assisté, qui est omniprésente dans certaines communautés religieuses. Mais cette perspective est-elle cohérente avec les textes sources de notre tradition ?

  • Deux passages talmudiques qui soutiennent une moralité naturelle

Nous trouvons deux passages talmudiques dans lesquels les Hakhomim se rapportent explicitement à la question théorique de ce qui aurait été si Hashshém n'avait pas révélé Sa volonté dans la Tôroh. Le Talmoudh déclare3 :

R. Yôhonon a dit : Même si la Tôroh n'avait pas été donnée, nous aurions appris la pudeur du chat [qui couvre ses excréments], et que le vol est répréhensible de la fourmi [qui ne prend pas le grain d'une autre fourmi], et les relations interdites de la colombe [qui est fidèle à son / sa partenaire].

On peut se demander pourquoi nous aurions appris la pudeur du chat et la fidélité de la colombe, et non pas la violence mortelle du lion ou la malice du serpent. Il semble que R. Yôhonon ז״ל n'ait pas l'intention de suggérer que nous imitions simplement ce que font les animaux autour de nous, mais plutôt que nous utilisions notre intuition morale naturelle pour observer les comportements des différentes espèces animales et réaliser intuitivement lesquelles de ces caractéristiques sont dignes de l’émulation et lesquelles doivent être condamnées. En tout cas, R. Yôhonon déclare clairement que même si Hashshém ne nous avait jamais révélé Sa volonté, nous aurions été responsables d'apprendre la morale par nous-mêmes.

De même, nous trouvons ceci dans un autre passage talmudique4 :

Nos Maîtres ont enseigné : אֶת-מִשְׁפָּטַי תַּעֲשׂוּ « Vous ferez Mes Mishpotim »5 - [« Mes Mishpotim » sont une référence à] des sujets qui, même s'ils n'avaient pas été écrits, il aurait été logique qu'ils soient écrits. Ce sont les interdictions contre la ´avôdhoh Zoroh, les relations sexuelles interdites, les effusions de sang, le vol et la bénédiction de Hashshém6. [Le Posouq se poursuit :] וְאֶת-חֻקֹּתַי תִּשְׁמְרוּ « Et vous garderez Mes Houqqôth » - [Ceci est une référence aux] sujets que le Soton conteste parce que la raison de ces Miswôth n'est pas connue. Ce son les interdictions de manger du porc et de porter des sha´atnéz ; effectuer la cérémonie de Halisoh avec une Yavomoh ; la cérémonie de purification du Masôro´ ; et le bouc émissaire. Et de peur que vous ne disiez que ce sont des actes dénués de sens [car ils n'ont aucune raison], le Posouq déclare alors : אֲנִי, יְהוָה « Je suis `adhônoy », pour indiquer : Je suis le Seigneur - J'ai décrété ces Houqqôth et vous n'avez pas le droit de douter d'elles.

Le Talmoudh déclare explicitement que les commandements de la Tôroh qui sont étiquetés « Mishpotim » auraient été légiférés même s'ils n'avaient pas été consignés dans la Tôroh. En d'autres termes, nous sommes censés avoir de l'intuition et suivre certaines règles de moralité même en l'absence de révélation.

  • Le Rambo''m et le Rambo''n soutiennent la moralité naturelle

C'est également la position de Rambo''n ז״ל, telle qu'exprimée dans son commentaire sur l'histoire du Mabboul.7 Le Rambo''n demande pourquoi, selon la tradition midhrashique, le sort de la génération du Mabboul a été scellé à cause du péché de vol, par opposition à leurs nombreuses perversions sexuelles. Il répond que l'interdiction du vol est intuitive et s'impose donc même en l'absence de révélation prophétique. La génération de Nôah ע״ה a été punie pour avoir transgressé la loi morale naturelle, même en l'absence de révélation. De même, Ribbénou Yôséph `albô ז״ל8 explique qu'il existe trois types de lois, dont la première, appelée « loi naturelle », est contraignante en tout temps et en tout lieu, même sans acte de législation humaine ou divine.9

De même, le Rambo''m ז״ל écrit que l'esprit humain sans aide peut déduire l'existence de divers préceptes moraux. Il écrit explicitement que les sept lois noahides peuvent être connues par notre intuition morale même en l'absence de révélation,10 et il déclare qu'un Gôy qui obéit à ces sept commandements noahides simplement à cause de l'inclinaison de la raison humaine est considéré comme « Hokhom » (sage), bien qu'il ne soit pas « Hosidh » (pieux), parce qu'il suit le chemin de la sagesse même s'il ne tient pas compte de la révélation.11

  • Le Rov Sa´adhyoh Go`ôn

Le Rov Sa´adhyoh Go`ôn ז״ל est peut-être le plus ambitieux dans sa formulation de l'importance de la morale naturelle. Il explique que Hashshém a implanté dans la psychologie humaine une intuition morale capable de discerner des vérités morales universellement contraignantes.12 Le Rov Sa´adhyoh Go`ôn déclare clairement que même avant la révélation de la Tôroh, nous étions obligés de suivre les préceptes de la morale naturelle. Il suppose en outre que la Tôroh ne peut pas contredire la morale naturelle, et affirme hardiment que si Môshah Rabbénou ע״ה était descendu du Har Sinay et nous avait commandé une Tôroh qui contredisait les préceptes de la morale naturelle, nous aurions été tenus de la rejeter. Il suppose même que même Hashshém Lui-même est lié par la morale naturelle, et c'était donc un impératif moral pour Hashshém de promulguer les commandements trouvés dans la Tôroh, parce que la morale naturelle dicte qu'un souverain sage qui est capable d'encourager la pratique morale doit le faire.13

  • En résumé

Le `ésh Qôdhash affirme que d'un point de vue religieux, il n'y a pas de vraie morale autre que celle révélée par le commandement divin. Nous avons démontré, sur la base de deux passages talmudiques et des déclarations des grands philosophes Juifs médiévaux, que d'un point de vue juif, l'esprit humain est capable d'atteindre une connaissance morale contraignante. Hashshém Lui-même, qui a implanté une intuition morale chez les êtres humains, attend de chacun qu'il suive les préceptes de la morale naturelle même en l'absence de révélation, et Il nous tient pour responsables si nous ne le faisons pas. Même un Juif peut donc convenir qu'il existe une vérité morale objective indépendante des commandements divins.
1La question de savoir si la morale existe en l'absence de révélation divine n'est pas équivalente à la question de savoir si la morale pourrait exister sans Hashshém. Il est certainement possible de prétendre que la moralité ne peut pas exister en l'absence de Hashshém mais pourrait exister sans révélation divine. Dans cet article, nous n'analyserons pas la question de savoir s'il pourrait y avoir de la morale si Hashshém n'existait pas. Puisque nous croyons que le monde entier n'existerait pas si Hashshém n'existait pas, il est impossible de se demander ce que serait le monde s'il avait existé sans Hashshém. Au lieu de cela, nous supposerons l'existence d'un monde créé par Hashshém et analyserons si Hashshém nous obligerait à nous comporter de manière éthique s'Il ne nous avait pas ordonné de le faire.
2Page 68. Ce sermon spécifique fut donné à Rô`sh Hashshonoh 5700 (1940), dans le ghetto de Varsovie.
3´érouvin 100b
4Yômo` 67b
5Wayyiqro` 18:4
6Un euphémisme pour parler du fait de maudire Hashshém.
7Rambo''n sur Baré`shith 6:13
8Séphar Ho´iqqorim, Livre 1, Chapitre 7
9Ses deux autres catégories sont le droit conventionnel, qui est contraignant en raison de la législation humaine et vise à améliorer la société conformément aux besoins spécifiques de l'époque et du lieu, et le droit divin, qui est ordonné par la révélation divine et vise à atteindre la spiritualité et sainteté.
10Mishnéh Tôroh, Hilkôth Malokhim Oumilhomôth 9:2
11Ibid., 8:14. La position de Rambo''m sur la nature de la connaissance morale est complexe. Dans les deux textes des Hilkôth Malokhim Oumilhomôth, le Rambo''m déclare que la logique penche vers ces préceptes moraux, mais pas qu'elle démontre absolument leur exactitude. De même, dans l'introduction de son commentaire sur la Masakhath `ovôth, connu sous le nom de Shamônah Paroqim, le Rambo''m prend ombrage à la caractérisation du Rov Sa´adhyoh Go`ôn de ces commandements qui chevauchent la morale naturelle en tant que commandements « logiques » (Miswôth Sikhliyôth), parce que le Rambo''m soutient que cette connaissance morale n'a pas le même statut épistémologique que la connaissance métaphysique et n'est pas soumise à une preuve logique stricte. Voir les Shamônah Paroqim, chap. 6; Môréh Navoukhim Volume 1 Chapitre 2, et Volume 3 Chapitre 27.
12Les philosophes ont présenté un certain nombre de théories concernant la source de la morale naturelle. De nombreux philosophes ont émis l'hypothèse que la morale naturelle consiste en ces obligations qui peuvent être déduites de certains principes fondamentaux ou primaires qui sont supposés axiomatiques, par exemple l'utilitarisme ou l'impératif catégorique de Kant. À l'inverse, le Rov Sa´adhyoh Go`ôn et d'autres philosophes soutiennent que la source de la morale naturelle n'est pas un système philosophique, mais plutôt une intuition morale qui se trouve naturellement dans l'esprit humain. Selon cette conception, il est possible qu'il existe une morale naturelle mais pas une loi naturelle. En d'autres termes, nous pouvons connaître intrinsèquement les principes généraux qui régissent le comportement moral, mais pas nécessairement toutes les règles spécifiques qui constituent l'application des principes moraux au monde réel.
13Le Rov Sa´adhyoh Go`ôn affirme que même les parties de la Tôroh qui traitent de nos obligations rituelles envers Hashshém et qui n'auraient pas pu être connues via la morale naturelle relèvent néanmoins des obligations de la morale naturelle. La morale exige que nous rendions grâce avec gratitude et reconnaissance, et nous sommes donc moralement tenus de louer et de servir Hashshém, parce qu'Il nous a créés. La morale naturelle, cependant, ne spécifie pas les façons particulières dont nous devons exprimer notre appréciation à Hashshém.

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...