jeudi 9 janvier 2020

Quelle version du Talmoudh utilisez-vous ?


ב״ה

Quelle version du Talmoudh utilisez-vous ?


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Alors que des milliers de Juifs à travers le globe ont commencé cette semaine un nouveau cycle d'étude quotidienne du Talmoudh (« Daf Yomi »), il vaut la peine de se poser cette question très simple : quelle version du Talmoudh lisez-vous ?

Au fil des siècles, les éditions du Talmoudh qui ont échappé à la destruction physique (autodafé) ont été confrontées à un autre défi : la censure. Le texte qui a survécu et qui se trouve dans presque toutes les éditions aujourd'hui est basé sur l'édition dite « le Shas de Vilna », publié pour la première fois par The Widow and Brothers Romm en 1886. Il est également la base du texte utilisé dans le Talmoudh de Schottenstien. Mais c'est un texte qui a été à certains endroits fortement censuré par les autorités chrétiennes, et l'utilisation de ce texte censuré peut conduire à des résultats désobligeants. Un exemple se trouve dans l'une des premières pages du Talmoudh qui décrit Hashshém assis toute la nuit, Se lamentant de la perte de Son Béth Hammiqdosh. Le texte original non censuré se lit comme suit1 :

Malheur à Moi, car J'ai détruit Ma maison, J'ai brûlé Mon palais, et Je les ai exilés au milieu des nations du monde.
אוי לי שהחרבתי את ביתי ושרפתי את היכלי והגליתים לבין אומות העולם

Toutefois, le texte de la version standard utilisée de nos jours déclare plutôt ceci :

Malheur aux fils car par leurs iniquités J'ai détruit Ma maison, J'ai brûlé Mon palais et Je les ai exilés au milieu des nations du monde.
אוי לבנים שבעונותיהם החרבתי את ביתי ושרפתי את היכלי והגליתים לבין אומות העולם

La différence est flagrante. Alors que dans le premier cas Hashshém Se lamente sur Lui-même, dans le deuxième le blâme est mis sur le peuple juif. Les mots supplémentaires לבנים שבעונותיהם ont été ajoutés par les censeurs chrétiens pour faire une déclaration théologique sur l'état déchu des Juifs. Le texte corrompu a été relevé dans le Diqdouqé Sôpharim, mais rien de tout cela ne semble avoir été évident pour les rédacteurs du Talmoudh de Schottenstein en anglais, qui ont aggravé l'erreur en ajoutant la note homilétique suivante au texte corrompu :


Dans ses efforts pour commenter (presque) tout, l'édition Schottenstein a ajouté une explication homilétique d'un texte corrompu écrit (presque certainement) par un apostat Juif servant de censeur chrétien. Heureusement, les éditions hébraïque et anglaise du Koren, ainsi que l'édition hébraïque du Talmoudh de Schottenstein (ArtScroll) ont redonné au texte sa forme originale et non censurée. Aucune gymnastique homilétique n'est alors nécessaire.

Prenons pour autre exemple le traité ´avôdhoh Zoroh, qui traite principalement des types d’interactions et relations que les Juifs pourraient ou pas avoir avec leurs voisins idolâtres. Bien que la plupart de ces voisins soient décrits par les termes de עוֹבְדֵי עֲבוֹדָה זָרָה « ´ôvadhé ´avôdhoh Zoroh » (adorateurs d'un culte idolâtre) ou מִינִים « Minim » (sectaires / hérétiques), à au moins trois reprises le texte se réfère à eux en les appelant נוֹצְרִים « Nôsrim », terme qui désigne communément les disciples de Yéshou.

Le problème est que vous pourriez ne jamais le savoir si vous utilisez la version censurée du Talmoudh. Les siècles passant, cette version est devenu le texte hébreu standard. On la retrouve dans pratiquement toutes les éditions basées sur le « Shas de Vilna ».

Prenez ce passage de ´avôdhoh Zoroh 6a, qui discute des règles des affaires commerciales. Si vous regardez dans la version standard, vous n'y verrez aucune mention des gens avec lesquels nous avons l'interdiction de commercer un dimanche. Dans l'édition Schottenstein (ArtScroll) la traduction ajoute l'explication selon laquelle ce passage talmudique ferait référence aux idolâtres Babyloniens qui respectent une fête d'adoration du soleil chaque dimanche :


Sauf que ce n'est absolument pas ce que le texte dit réellement ! Dans un manuscrit datant du 14ème siècle, de la Bibliothèque Nationale de Paris (Suppl. Heb 1337), voici ce que nous pouvons lire :

Shamou`él a dit : « D'après les paroles de Ribbi Yishmo´é`l, il est toujours interdit [de commercer avec un] Nôsri »
אמ[ר] שמואל נוצרי לדברי ר[בי] ישמע[אל] לעולם אסור

La version du Rambo''m dit pratiquement la même chose, en précisant que l'on parle du dimanche :

Shamou`él a dit : « D'après les paroles de Ribbi Yishmo´é`l, il est toujours interdit [de commercer avec un] Nôsri le dimanche »
אמר שמואל יום א' {נוצרי} לדברי ר' ישמעאל לעולם אסור

Ainsi, dans le texte talmudique originel d'avant la censure chrétienne, il est explicitement mentionné que les Juifs ont une interdiction stricte de commercer avec les Nôsrim le dimanche, qui est leur jour d'adoration. Le texte ne mentionne absolument pas les idolâtres Babyloniens. Le Talmoudh Koren, qui est plus récent, restaure le texte sous sa forme originelle :


Il y a deux autres endroits de ce traité (6a et 7b) où le mot « Nôsri » a été effacé par la censure, mais préservé dans l'édition Koren. En outre, un peu plus tard (17a), un passage entier faisant référence à יֵשׁוּ הַנּוֹצְרִי « Yéshou le Nôsri » a été effacé du Talmoudh censuré, mais là encore préservé dans l'édition Koren (il se retrouve aussi dans le manuscrit du Rambo''m) :


Utiliser la version standard censurée empêche donc de savoir réellement ce que le Talmoudh enseigne sur l'idolâtrie en général, et les disciples de Yéshou Hannôsri en particulier.

Alors, à présent que beaucoup ont entamé un nouveau cycle d'étude du Talmoudh Bavli, quelle édition utilisez-vous ? Et quelle édition devriez-vous utiliser ?

1Barokhôth 3b

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