mercredi 7 septembre 2016

Les Simonim de Rô`sh Hashonoh

ב״ה

Les Simonim de Rô`sh Hashonoh


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Nous poursuivons notre passage en revue des lois, pratiques et coutumes relatives aux fêtes de Tishri.

Un Minhogh bien connu des Sapharadhim et des Mizrahim consiste à consommer des aliments spécifiques les nuits de Rô`sh Hashonoh. Ils servent de סִימָנִים « Simonim » (signes) pour que l'année qui commence soit propice.

Comme pour le Sédhar de Pasah, où des aliments spécifiques, comme les herbes amères et la Massoh symbolisant respectivement la souffrance et la liberté, sont consommés, lors de ce Sédhar de Rô`sh Hashonoh les aliments consommés par les Sapharadhim et Mizrahim sont également revêtus de sens symboliques. Chaque aliment symbolise un souhait positif pour l'année qui commence, et avant que chaque aliment ne soit consommé une bénédiction particulière commençant chaque fois par יְהִי רָצוֹן « Yahi Rosôn » (qu'il soit agréable/désirable) est récitée, avec souvent un jeu de mot basé sur le nom hébreu ou araméen de l'aliment. Quelles sont les origines de ce Minhogh ?

Il existe deux passages talmudiques qui discutent des Simonim de certains aliments pour Rô`sh Hashonoh. Le premier est celui-ci1 :

`abbayé a dit : « À présent que tu affirmes que les signes ont une importance, on doit [toujours] s'habituer à regarder au début de l'année de la citrouille, du fenugrec, du poireau, de la betterave et des dattes. »
אמר אביי השתא דאמרת סימנא מילתא היא [לעולם] יהא רגיל למיחזי בריש שתא קרא ורוביא כרתי וסילקא ותמרי

Et le deuxième est celui-ci2 :

`abbayé a dit : « À présent que tu affirmes que les signes ont une importance, un homme doit s'habituer à consommer au début de l'année de la citrouille, du fenugrec, du poireau, de la betterave et des dattes. »
אמר אביי השתא דאמרת סימנא מילתא היא יהא רגיל איניש למיכל ריש שתא קרא ורוביא כרתי סילקא ותמרי

Ces cinq aliments sont mentionnés car ils poussent en profusion et sont donc des symboles de prospérité.

Nous avons donc là deux passages talmudiques qui recommandent certains aliments à Rô`sh Hashonoh en raison de leur symbole. Mais il y a une différence flagrante entre les deux passages. Dans celui du traité Hôroyôth, `abbayé ז״ל est cité par la Gamoro` comme ayant déclaré qu'il fallait « regarder » ces aliments à Rô`sh Hashonoh, tandis que dans le traité Karithôth il est cité comme ayant dit qu'il fallait « consommer » ces aliments. Mais rien dans ces deux passages n'indique qu'il s'agisse d'une Halokhoh. En fait, ces deux passages sont à chaque fois, dans les deux traités, suivis d'une série de conseils relatifs à différents sujets, comme par exemple comment untel ou untel demandait à ses fils de se tenir et se comporter avant un cours de Halokhoh, etc. Nous sommes bien dans le registre de la recommandation plutôt que dans celui de la Halokhoh. C'est pourquoi, ni le Ri''f ז״ל (Rabbénou Yishoq ban Ya´aqôv Hakkôhén `alfasi, 1013-1103) ni le Ramba''m ז״ל ne rapportent cette pratique dans leurs écrits et ouvrages halakhiques, car nous ne sommes pas dans le registre de la Halokhoh mais dans celui d'une simple recommandation ou pratique personnelle.

De l'autre côté, nous voyons que le Ra''n3 ז״ל (Rabbénou Nissim ban Ra`ouvén de Gérone, 1320-1376) rapporte ceci : « On raconte que lorsque le Talmidh Hokhom babylonien Hay Go`ôn4 quittait la Synagogue à Rô`sh Hashonoh, ses disciples lui apportaient un panier rempli de divers fruits sur lesquels il récitait différentes bénédictions et des versets bibliques. » Ce témoignage ne se retrouve nulle part ailleurs, et remarquez le « On raconte que... ». Personne ne peut dire avec certitude si cette anecdote est vraie ou pas. Le Ban `ish Hay ז״ל (Hokhom Yôséph Hayim de Bagdad (1832-1909) mentionne le Sédhar de Rô`sh Hashonoh dans son rassemblement de lois et pratiques juives, et le fit appliquer également à la deuxième nuit de Rô`sh Hashonoh.

Lorsque ce Minhogh s'est développé, les Ga`ônim se sont interrogés quant à savoir si ce ne pouvait pas être considéré comme une forme de sorcellerie ou de divination, pratiques que la Tôroh interdit de façon catégorique. Suggérer que certains aliments peuvent influencer notre sort durant l'année qui vient de commencer, n'est-ce pas là une pratique qui se rapproche de l'hérésie ou du blasphème ?

Le Mé`iri ז״ל (Rabbi Ménahém Mé`iri, 1249-1310), un illustre rabbin catalan, talmudiste et Maïmonidien (ou Rambamiste), explique que les Simonim n'ont pas, en fait, de pouvoir intrinsèque. Des passages talmudiques susmentionnés, nous voyons et comprenons que `abbayé ne disait pas que ces aliments avaient le pouvoir de faire en sorte que notre année se déroulerait bien, mais plutôt que le but des Simonim est simplement d'éveiller nos cœurs à la repentance, ce qui, en retour, aura comme effet de nous faire mériter un jugement favorable pour une nouvelle année douce et prospère. (C'est exactement comme pour les Sisith. Ce n'est pas le fait d'en porter qui va nous faire respecter la Tôroh, mais c'est le fait de comprendre et prendre à cœur le symbole qu'elles représentent qui nous fait marcher droit et nous rappelle notre engagement à respecter les Miswôth.) Pour se faire, le Mé`iri explique que diverses prières commençant par « Yahi Rosôn – Qu'il soit agréable/désirable [devant Toi] » furent instituées pour accompagner chaque Simon. En effet, l'expression « Yahi Rosôn » exprime toujours le fait que l'on n'exprime qu'un souhait, et que l'accomplissement ou pas de ce souhait ne dépend que d'HaShem ית׳. Ainsi, nous ne disons pas que c'est parce que nous avons pris ces aliments à Rô`sh Hashonoh que nous mériterons une bonne et douce année. Ces aliments ne sont que des symboles, et non pas la raison de notre bénédiction. Notre bénédiction ne dépendra que du bon vouloir d'HaShem.

Il nous reste une dernière question à élucider : Comment réconcilier les deux passages talmudiques ? Doit-on regarder ces aliments ou les consommer ?

En fait, ces deux passages talmudiques reflètent simplement les deux opinions divergentes quant à savoir s'il y a une obligation de prendre un repas de fête ou plutôt de jeûner à Rô`sh Hashonoh.

Rô`sh Hashonoh est effectivement une fête contradictoire. D'un côté, Rô`sh Hashonoh est un Yôm Tôv, ce qui nous obligerait à prendre des repas de fête. Mais de l'autre côté, Rô`sh Hashonoh est également un jour de prière, de jugement et de repentance, ce qui nous obligerait alors à jeûner. Nous sommes tirés vers deux directions opposées à Rô`sh Hashonoh. Le Haggohôth Maymôniyôth5 ז״ל cite l'opinion du Rov Natrôna`y Go`ôn ז״ל (Rov Natrôna`y bar Rov Hilla`y, deuxième moitié du 9ème siècle) selon qui il serait recommandé de jeûner à Rô`sh Hashonoh, ainsi qu'à Shabboth Shouvoh (le Shabboth qui précède Yôm Hakkippourim). Mais il rapporte également l'opinion divergente du Rov Hay Go`ôn et du Rov Nahshôn Go`ôn ז״ל (Rov Nahshôn ban Saddôq, qui succéda à son père à la tête de la Yashivoh de Souro`, de 874 à 882), parmi d'autres Ga`ônim, selon qui il est interdit de jeûner à Rô`sh Hashonoh. La version du traité Hôroyôth, selon quoi nous sommes censés regarder ces aliments, correspond à l'opinion de ceux qui soutiennent qu'il faut jeûner à Rô`sh Hashonoh, tandis que la version du traité Karithôth, selon quoi nous sommes censés consommer ces aliments, correspond à l'opinion de ceux qui soutiennent qu'il faut prendre des repas de fête à Rô`sh Hashonoh. Cette deuxième approche est bien exprimée dans le Shoulhon ´oroukh, où Rabbi Yôséph Qa`rô ז״ל écrit ceci6 :

Que l'homme s'habitue à consommer à Rô`sh Hashonoh du fenugrec, c'est-à-dire une plante verte appelée « Silqo` Tamri. » Et lorsqu'on mange du fenugrec, on doit dire « Que cela soit agréable devant Toi que nos mérites soient multipliés. »7 [Pour le] poireau : « [Que cela soit agréable devant Toi] que nos ennemis soient retranchés. »8 [Pour la] betterave : « [Que cela soit agréable devant Toi] que ceux qui nous haïssent soient frappés. »9 [Pour les] dattes : « [Que ce soit agréable devant Toi] que nos ennemis soient dépossédés. »10 [Et pour la] citrouille : « [Que cela soit agréable devant Toi] de déchirer le [mauvais] décret de notre jugement et que nos mérites soient proclamés devant Toi. »11
יהא אדם רגיל לאכול בראש השנה רוביא, דהיינו תלתן, כרתי, סילקא, תמרי, קרא. וכשיאכל רוביא, יאמר: יהי רצון שירבו זכיותינו. כרתי, יכרתו שונאינו. סלקא, יסתלקו אויבינו. תמרי, יתמו שונאינו. קרא, יקרע גזר דיננו ויקראו לפניך זכיותינו

Commentant ce passage du Shoulhon ´oroukh, le Ramo''` ז״ל rapporte la coutume des `ashkanazim de consommer d'autres aliments que ceux-là : des pommes trempées dans du miel, des grenades, de la viande, des aliments fris dans de l'huile et tout aliment au goût doux ou sucré. Tout cela se rapporte à l'avis de ceux qui soutiennent que l'on ne doit pas jeûner à Rô`sh Hashonoh, d'où le fait que Rabbi Yôséph Qa`rô reprend la version du traité Karithôth (« Que l'homme s'habitue à consommer ») et non celle du traité Hôroyôth (« Que l'homme s'habitue à regarder ») ! Notez également que Rabbi Yôséph Qa`rô n'emploie pas le langage d'une obligation, mais celle d'une recommandation. Il ne dit pas « Que l'homme consomme » mais « Que l'homme s'habitue à consommer » !

Nos Sages n'ont jamais tranché cette question. Par conséquent, chacun pourrait faire comme il le sent ; ceux qui veulent jeûner à Rô`sh Hashonoh pourraient jeûner et se contenter de simplement regarder ces aliments, tandis que ceux qui ne veulent pas jeûner pourrait prendre un repas de fête et consommer ces aliments. C'est pour cela que même des écrits du Ramba''m il n'est pas évident de trancher cette question. En effet, dans les Hilkôth Hanoukkoh, où le Ramba''m explique la raison pour laquelle nous ne récitons pas le Hallél à Rô`sh Hashonoh et à Yôm Hakkippourim, bien que ce soit des jours de Yôm Tôv, il écrit ceci12 :

Mais à Rô`sh Hashonoh et Yôm Hakkippourim il n'y a pas de Hallél, parce que ce sont des jours de repentance, de crainte et d'effroi mêlé de respect, et non des jours de joie excessive
אֲבָל רֹאשׁ הַשָּׁנָה וְיוֹם הַכִפּוּרִים, אֵין בָּהֶן הַלֵּל, לְפִי שְׁהֶן יְמֵי תְּשׁוּבָה וְיִרְאָה וּפַחַד, לֹא יְמֵי שִׂמְחָה יְתֵרָה

De ce passage, nous pourrions déduire qu'il est donc approprié de jeûner à Rô`sh Hashonoh, tout comme on le fait à Yôm Hakkippourim, car ces deux jours-là partagent les thèmes communs de la repentance. Nous pourrions également le déduire du fait que le Ramba''m préconise de réciter les Salihôth durant l'intégralité des dix jours allant de Rô`sh Hashonoh à Yôm Hakkippourim, et nous avions vu que la récitation de Salihôth ne fut instituée que pour les jours où l'on jeûne. (Voir l'article intitulé « Brève histoire des Salihôth ») Si le Ramba''m préconise de faire les Salihôth dès Rô`sh Hashonoh et que nous avions vu qu'il existait une coutume de jeûner durant les dix jours de repentance, nous pouvons déduire qu'il est donc préférable de jeûner à Rô`sh Hashonoh.

De l'autre côté, le Ramba''m écrit également ceci13 :

Tous les sept jours de Pasah et les jours de la Fête14, ainsi que les autres Yomim Tôvim, il est défendu de prononcer une oraison funèbre ou de jeûner. L'homme est astreint en ces jours à être joyeux et d'une bonne disposition de cœur, lui, ses enfants, sa femme, les enfants de ses enfants, et tous ceux qui dépendent de lui.
שִׁבְעַת יְמֵי הַפֶּסַח וּשְׁמוֹנַת יְמֵי הֶחָג עִם שְׁאָר יָמִים טוֹבִים, כֻּלָּם אֲסוּרִים בְּסֵפֶד וְתַעְנִית. וְחַיָּב אָדָם לִהְיוֹת בָּהֶן שָׂמֵחַ וְטוֹב לֵב, הוּא וּבָנָיו וְאִשְׁתּוֹ וּבְנֵי בֵּיתוֹ וְכָל הַנִּלְוִים עָלָיו

Si on considère que l'expression עִם שְׁאָר יָמִים טוֹבִים « ainsi que les autres Yomim Tôvim » se réfère à Shovou´ôth et Rô`sh Hashonoh, on doit donc déduire de ses propos qu'il est défendu de jeûner à Rô`sh Hashonoh. Mais de part le fait que Yôm Hakkippourim est également un Yôm Tôv et pourtant nous jeûnons ce jour-là, et aussi parce qu'il semble y avoir plus d'indications dans les écrits du Ramba''m qu'il faudrait jeûner à Rô`sh Hashonoh, on pourrait dire que Rô`sh Hashonoh et Yôm Hakkippourim sont des Yomim Tôvim d'une catégorie différentes du reste des Yomim Tôvim, et donc que l'obligation de se réjouir lors des Yomim Tôvim ne s'appliquerait pas à ces deux fêtes. Mais puisque nos Sages n'ont pas tranché la question, le Ramba''m non plus ne dit pas explicitement qu'il faudrait jeûner à Rô`sh Hashonoh. C'est laissé à l'appréciation de chacun, d'où les deux versions divergentes de la Gamoro`.

En résumé :

  • La pratique consistant à tenir un Sédhar de Rô`sh Hashonoh au cours duquel des aliments symboliques des choses que l'on espère pour l'année qui vient de commencer sont consommés tire ses origines du Talmoudh lui-même ;
  • Cette pratique n'est en aucun cas une obligation halakhique, mais une simple recommandation pour éveiller nos cœurs à la repentance ;
  • Il y a une divergence d'opinion remontant déjà à l'époque de nos Sages quant à savoir s'il faut prendre des repas de fête durant Rô`sh Hashonoh ou plutôt jeûner ce jour-là. Nos Sages n'ont jamais tranché la question et ont permis à chacun de suivre la pratique qu'il désire ;
  • Par conséquent, ceux qui sont d'avis qu'il est approprié de jeûner n'auront pas de Sédhar de Rô`sh Hashonoh, mais se contenteront juste de regarder ces aliments et penser à ce qu'ils représentent (et ils les consommeront à la sortie de Rô`sh Hashonoh), tandis que ceux qui sont d'avis qu'il est approprié de se réjouir et prendre des repas de fête ce jour-là pourront tenir un Sédhar de Rô`sh Hashonoh et consommer ces aliments qui représentent leurs souhaits pour l'année qui vient de commencer.

Nous pouvons comprendre ainsi le fait de ne pas avoir tranché cette question : Rô`sh Hashonoh est un jour de jugement, mais nous ne sommes pas tous égaux à ce niveau. Certains auront plus de fautes à leurs compteurs que d'autres personnes, par conséquent nous ne pouvons pas tous avoir le même état d'esprit un jour de jugement. Quand quelqu'un n'a pas grand chose à se reprocher il se rend au tribunal le cœur plus ou moins léger, tandis que celui qui a beaucoup de choses à se reprocher ou qui est accusé de choses très graves s'y rend le cœur lourd, angoissé par ce qui l'attend car son issue est incertaine. Nos Sages n'ont pas tranché la question afin de laisser le soin à chacun de vivre Rô`sh Hashonoh selon ses propres impressions : si quelqu'un pense qu'il a beaucoup de choses à se reprocher et à se faire pardonner à Rô`sh Hashonoh, ou tout simplement qu'il est très incertain quant à son sort car il n'a pas été régulier dans son comportement et son ´avôdhath HaShem durant l'année écoulée, il est plus approprié qu'il jeûne ce jour-là ; par contre, s'il a très peu de choses à se reprocher ou se faire pardonner ce jour-là, et que l'année écoulée fut très positive au niveau de son comportement et son ´avôdhath HaShem, il est plus approprié qu'il passe le jour de Rô`sh Hashonoh avec sérénité et qu'il ne jeûne pas, mais se réjouisse !

1Hôroyôth 12a
2Karithôth 6a
3Commentaire sur le Ri''f, Rô`sh Hashonoh 12b
4Né en 969 et décédé en 1038
5Sur le Ramba''m, au début des Hilkôth Shôphor
6`ôrah Hayim 583:1
7Fenugrec se dit רוביא, d'où le jeu de mot avec שירבו, qui signifie « qu’ils soient multipliés »
8Poireau se dit כרתי, d'où le jeu de mot avec יכרתו, qui signifie « qu'ils soient retranchés »
9Betterave se dit סלקא, d'où le jeu de mot avec יסתלקו, qui signifie « qu'ils soient frappés »
10Dattes se dit תמרי, d'où le jeu de mot avec יתמו, qui signifie « qu'ils soient dépossédés »
11Citrouille se dit קרא, d'où les jeux de mots avec יקרע et ויקראו, qui signifient respectivement « qu'il soit déchiré » et « qu'ils soient proclamés »
12Hilkôth Maghilloh Wahanoukkoh 3:6
13Hilkôth Shavithath Yôm Tôv 6:16

14L'appellation rabbinique de Soukkôth
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