mardi 26 mai 2020

L’origine des voyelles : L’histoire VS le Zôhar


בס״ד

L’origine des voyelles : L’histoire VS le Zôhar


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Les voyelles hébraïques, ou נְקוּדּוֹת « Naqouddôth », sont les points en bas, au centre et en haut des lettres de l’alphabet hébraïques.

Étonnamment, les origines des Naqouddôth font l'objet d'un débat très émotionné, qui est parfois devenu assez passionné. Il s’est aussi transformé en un débat symbolique qui fait la séparation entre les « rationalistes » et les « kabbalistes ».

Voyons voir ensemble l’évolution historique du système des voyelles.

§  Les Ba´alé Hammosôroh

Les Masoretes ou Ba´alé Hammosôroh ont été actifs entre le 6ème et le 10ème siècle de notre ère. Ils étaient un groupe de scribes (dont beaucoup étaient des karaïtes) qui ont été impliqués dans l'identification et l'établissement des textes les plus précis, et des lectures de ceux-ci, pour la future transmission de la Ṭôroh.

Cependant, ce n'est qu'à partir du 7ème siècle environ que le système des Naqouddôth semble avoir été fermement établi.

A partir du 9ème siècle environ, les Ba´alé Hammosôroh ont développé des écoles officielles de grammaire et de vocalisation hébraïques. Trois écoles principales existaient à cette époque : l'école babylonienne, ou Niqoudh Bavli ; l'école de Jérusalem, ou Niqoudh `araṣ Yisro`él ; et l'école tibèrienne, ou Niqoudh Tavériyoni.

L'école babylonienne a développé six voyelles, l'école de Jérusalem en a développé cinq et l'école tibèrienne en avait sept.

Dans les écoles de Babylone et de Jérusalem, les Naqouddôth étaient placés au-dessus des lettres, appelées vocalisation superlinéaire. Les Juifs yéménites ont conservé de nombreux manuscrits utilisant ces types de vocalisation. Avec le temps, l'école de Tibèriade est devenue plus dominante et reste le système encore en usage aujourd'hui. L'école de Tibèriade a également utilisé des marques de cantillation qui indiquent la mélodie avec laquelle laquelle le texte doit être lu, ce qu’on appelle les « Ta´amé Hammiqro` » ou « Ta´omim ».



§  
Ban `oshér (décédé en 960)

`aharôn ban Môshah ban `oshér était une figure clé de l'école de Tibèriade, et le texte de la Ṭôroh que nous suivons aujourd'hui, ainsi que la prononciation générale de la plupart des Juifs, sont largement conformes à sa version. Sa Ṭôroh, plus connue sous le nom de « Codex d’Alep », a ensuite été approuvée par le Rambo’’m ז״ל.

Ironiquement, il est tout à fait possible que la famille Ban `oshér soit karaïte.

§  Ban Naphṭoli (décédé en 940)

Une famille concurrente des Ba´alé Hammosôroh de la même période était la famille Ban Naphṭoli. Ya´aqôv ban Naphṭoli a également écrit sa propre version de la Ṭôroh qui fournissait différentes Naqouddôth et prononciations. Le Rov Sa´adhyoh Go`ôn ז״ל a préféré la version Ban Naphṭoli.

Il y a environ 875 différences entre les écoles Ban `oshér et Ban Naphṭoli.

§  Ribbénou `éliyohou Habboḥour (1468-1549)

Au cours du 16ème siècle, Ribbénou `éliyohou Boḥour ז״ל a fait scandale quand il a suggéré - bien que confirmé par les archives historiques - que les Naqouddôth n'étaient pas aussi anciennes que beaucoup le maintenaient. Beaucoup croyaient, sur la base du Zôhar (dont nous parlerons plus bas) qui était apparu 200 ans plus tôt, que la tradition des Naqouddôth remontait directement au Sinaï. Ribbénou `éliyohou Boḥour, cependant, a suggéré que les origines des Naqouddôth étaient relativement récentes - remontant à la fin de la période talmudique vers le 5ème siècle de l’ère courante- et ne remontant pas au Sinaï.

Ribbénou `éliyohou Boḥour a avancé quelques arguments solides pour défendre sa position. Le plus convaincant était le fait que les Naqouddôth ne sont mentionnés ni dans la Mishnoh (0-200 E.C) ni dans le Ṭalmoudh (200-500 E.C), ni dans les `aggodhôth ni dans les Midhroshim, alors que toutes ces sources prennent le temps d’expliquer symboliquement le sens des lettres et même parfois leurs prononciations. Mais concernant les voyelles, aucune source de la littérature de nos Sages n’en fait mention avant l’apparition du Zôhar !

De plus, Ribbénou `éliyohou Boḥour écrit que « la plupart des noms des Naqouddôth ne sont pas hébreux, mais ils sont araméens ». C’est un argument solide soutenant l'idée qu’elles sont relativement récentes et ne peuvent pas être considérées comme étant anciennes, car sinon elles auraient reçu des noms hébreux. De la même manière, puisque les Ta´omim furent inventés par les Ba´alé Hammosôroh, vous aurez remarqué que la quasi-totalité des noms des Ta´omim sont araméens et non hébreux. Aucune personne sensée ne peut prétendre qu’ils remontent au Sinaï.

§  Rov Natrôna`y bar Hila`y (décédé en 858)

Ribbénou `éliyohou Boḥour n'était pas le premier rabbin de premier plan à suggérer cela, car d'autres savants, comme le Rov Natrôna`y II bar Hila`y ז״ל (le Go`ôn de Souro`), avaient déjà fait des suggestions similaires au 9ème siècle.

Le Rov Natrôna`y II bar Hila`y a répondu à une question pour savoir s'il était permis de mettre des points de voyelles dans un Séphar Ṭôroh :

Il a répondu ceci :

... puisque la Ṭôroh, telle qu'elle a été donnée à Möshah sur le Sinaï, n'avait aucun point, et ... ayant été inventés par les Sages, et placés pour servir de signes pour le lecteur; et de plus, comme il nous est interdit de faire des ajouts à partir de nos propres cogitations, de peur que nous ne transgressions la Miṣwoh « Vous n'ajouterez pas » ...; il ne faut donc pas mettre des points dans les Siphré Thôroh.

On ne peut être plus clair !

§  Le Maḥzôr Witri (décédé en 1105)

De la même manière, le Maḥzôr Witri - écrit par Ribbénou Simḥoh ban Shamou`él ז״ל de Witri qui était un élève de Rash’’i ז״ל, rapporte ceci :[1]

Dans les Ṭashouvôth Hagga`ônim … la Ṭôroh qui a été donnée à Möshah au Sinaï ne contenait pas de Naqouddôth, et en fait, les Naqouddôth n'ont même pas été donnés au Sinaï. . . c'est pourquoi nous ne plaçons pas les Naqouddôth dans le Séphar Ṭôroh.

§  Le `ibn ´azro` (1089-1167)

À peu près à la même époque, le `ibn ´azro` ז״ל a fait une observation similaire.

Se référant aux points sur le Shin et le Sin, le `ibn ´azro` écrit :

... c'était la coutume des Sages de Tibèriade de noter ces points ... c’est d’eux que nous avons obtenu tout le système de ponctuation.

§  Le Codex Hilali (600 E.C.)

Historiquement, tous ces faits que nous avons rapporté jusqu’à présent sont corroborés par le Codex Hilali :[2]

Il est maintenant généralement reconnu parmi les érudits que le Codex Hilali tire son nom du fait qu'il a été écrit à Hilla, une ville près des ruines de l'ancienne Babel.

Ce Codex, qui a été achevé vers 600 après J.-C., avait non seulement les points des voyelles et les accents nouvellement inventés à l'époque, mais il était garni de commentaires massorétiques.

Il a été apporté à Tolède vers 1100 après J.-C, où le grammairien Jacob b. Eléazar l'a utilisé pour ses ouvrages, et une partie a été achetée par la communauté juive en Afrique, vers 1500 après J.-C.

§  Le Zôhar (publié en 1558)

Jusqu'à présent, toutes nos sources indiquent unanimement que les Naqouddôth ont été introduites au cours de la période des Ba´alé Hammosôroh entre 500 et 1000 de l’E.C.

Cependant, à l'autre extrémité du spectre se trouvait le Zôhar qui fut la première (et seule) source à considérer les Naqouddôth comme anciennes et données par Hashshém :[3]

Les points-voyelles procèdent du même Saint-Esprit qui a indiqué les Écritures sacrées, et Ḥos Washolôm la pensée de dire que les scribes ont créé les points.

En raison de la position de prééminence du Zôhar parmi de nombreux (la plupart ?) Juifs, cette opinion est naturellement devenue la position dominante au mépris des preuves historiques que nous avons rapportées.

Il convient de souligner, cependant, qu'il existe des opinions divergentes concernant la datation et l'autorité du Zôhar, et cela avait été exposé dans divers articles sur ce blog.

Ce qui est incroyable avec cette position du Zôhar est que si les Naqouddôth avaient été données par Hashshém en même temps que les lettres hébraïques, on les aurait retrouvées dans un Séphar Ṭôroh ainsi que dans des textes anciens des époques antérieures et contemporaines à Ribbi Shim´ôn ban Yôḥa`y, le supposé auteur du Zôhar. Or, non seulement il n’existe aucun Séphar Ṭôroh avec des Naqouddôth, mais en outre aucun texte datant des temps bibliques, mishnaïques et talmudiques n’a jamais affiché la moindre voyelle avant qu’elles ne soient inventées à partir du 6ème siècle. Cette position du Zôhar n’a absolument rien sur quoi s’appuyer !

§  Ribbénou ´azaryoh Di Rossi (1512-1577)

Ribbénou ´azaryoh Di Rossi, dans son Ma`ôr ´énayim, attaque Ribbénou `éliyohou Boḥour pour sa vision de la datation des origines des Naqouddôth comme remontant aux alentours du 5ème siècle.

Ribbénou ´azaryoh Di Rossi souscrit avec ferveur à la position du Zôhar qui prétend que les Naqouddôth sont originaires du Sinaï.

Ribbénou ´azaryoh Di Rossi a cité Ribbénou `éliyohou Boḥour qui avait proclamé avec confiance : « Je succomberai à la volonté de toute personne qui pourrait réfuter mon argument contre nos rabbins ».

Ribbénou ´azaryoh Di Rossi déclara avec tout autant de confiance qu’il était parvenu à réfuter Ribbénou `éliyohou Boḥour parce que - très simplement - le Zôhar avait réglé le débat et que les Naqouddôth provenaient du Sinaï ! Drôle d’argument !

Mais il donne à Ribbénou `éliyohou Boḥour une petite marge de manœuvre parce qu'il reconnaît que :[4]

... les œuvres kabbalistiques auxquelles nous nous référerons n'étaient pas encore imprimées de son vivant ...
Mais aujourd'hui ... le Bahir, le Zôhar, les Tiqqounim ... ont été publiés. . . et ils discutent tous des Naqouddôth par leurs noms et leurs descriptions ...

Ainsi, la vision de Boḥour est manifestement minée car nous avons des indications pour prouver que les différents types de voyelles et d'accents existaient non seulement avant la fin de la Gamaro`, mais avant même la composition de la Mishnoh.

Et s'il était avec nous aujourd'hui, il se soumettrait certainement à notre point de vue.

Ribbénou `éliyohou Boḥour est mort en 1549, le Zôhar a été imprimé pour la première fois à Mantoue en 1558 [bien qu'il ait fait surface 300 ans plus tôt, écrit par Möshah de León (1240-1305)], et le Ma`ôr ´énayim a été publié en 1573.

Le soutien de Ribbénou ´azaryoh Di Rossi au Zôhar et le point de vue selon quoi les Naqouddôth ont été données au Sinaï est assez surprenant car il n’a à l’évidence pas été accepté dans le camp traditionnel. En fait, des rabbins comme le Mahara’’l ז״ל et même Rabbi Yôséph Qa`rô ז״ל (auteur du Shoulḥon ´oroukh) avaient voulu interdire ses écrits, y compris son Ma`ôr ´énayim.

§  Le Ḥida’’` (1724-1806)

Malgré l’absence de preuves recevables, le Rov Ḥayyim Yôséph Dowidh `azoula`y ז״ל, le kabbaliste connu sous le nom de Ḥida’’`, défend également le point de vue du Zôhar :

Dans ma jeunesse, j'ai vu. . . dans Masôrath Hammasôrath [par Ribbénou `éliyohou Boḥour] que les Ta´omim et Naqouddôth ont été institués après la fin de l'ère talmudique par les Sages de Tibèriade.

Ribbénou `éliyohou est incorrect et doit demander pardon, car ces [Naqouddôth] sont une Halokhoh Lamôshah Missinay.

De plus, il est déjà connu que Ribbi Shim´ôn ban Yôḥa`y, le maître de Ribbi Yahoudhoh Hannosi`, le compilateur de la Mishnoh, dans le Tiqqouné Zôhar dit des merveilles concernant les Ta´omim et les Naqouddôth.

Là encore, le seul argument avancé est que puisque les Naqouddôth apparaissent dans le Zôhar, qui aurait été écrit par Ribbi Shim´ôn ban Yôḥa`y, c’est que forcément les Naqouddôth remontent au Mont Sinaï ! Qui peut recevoir un tel argument ? Mais pire encore, le Ḥida’’` affirme que les Naqouddôth seraient une Halokhoh Lamôshah Missinay (autrement dit, une loi que Môshah Rabbénou aurait reçu au Sinaï), alors que, là encore, AUCUNE source traditionnelle de nos Sages n’en fait la moindre mention. Même le Rambo’’m, pour qui il existerait au total 31 Halokhôth pouvant être décrites comme une « Halokhoh Lamôshah Missinay », ne mentionne pas les Naqouddôth comme en faisant partie. Aucune source, je le répète, ne déclare cela, que ce soit dans les temps bibliques, mishnaïques, talmudiques, ga`ôniques ou mêmes du temps des Ri`shônim !

§  Rov Ya´aqôv d’Emden (1697-1776)

Rov Ya´aqôv d’Emden, qui était un grand partisan du Zôhar, tout en rejetant l’affirmation selon laquelle ce livre aurait été écrit par Ribbi Shim´ôn ban Yôḥa`y, a rédigé le commentaire suivant lorsqu’il est tombé sur une référence à la voyelle Qomaṣ dans le Tiqqouné Zôhar :

Ce langage est une preuve claire que ceci n’est pas écrit par Ribbi Shim´ôn ban Yôḥa`y, car on sait que les Ba´alé Haddiqdouq sont venus bien plus tard.

Ils [les signes voyelles] ne datent pas des Tanno`im, ni même des périodes des `amôro`im ou des Ga`ônim, car il n'y est pas fait mention d'eux, ils sont plutôt venus après la période des Ga`ônim, dans les pays de l'Est, c'est là que l'on trouve le premier Ba´al Diqdouq, Ribbénou Yahoudhoh `ibn Hayyouj.

Rov Ya´aqôv d’Emden situe les origines des Naqouddôth bien plus tard que quiconque dans ce débat - à la fin de la période des Ga`ônim, c’est-à-dire aux alentours du 11ème siècle, ce qui est même 500 ans plus tard que l'estimation de Ribbénou `éliyohou Boḥour !

§  Conclusion

Ce sujet est typique dans le débat concernant la véracité du Zôhar et son authenticité, car ceux qui soutiennent le Zôhar vont accepter la théorie selon laquelle les Naqouddôth auraient été données au Sinaï, malgré le fait incontestable que le Zôhar soit la seule source à soutenir cette position, mais que toutes les sources historiques et traditionnelles, unanimement, sont claires sur les origines tardives des Naqouddôth, qui ne peuvent, raisonnablement pas, avoir existé dans les temps bibliques, mishnaïques et talmudiques.


[1] Maḥzôr Witri, page 192
[2] Masôrath Hammasôrath, note de bas de page n°40
[3] Le Zôhar sur Shir Hashshirim 57b
[4] Ma`ôr ´énayim, page 413

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