בס״ד
Suivre le Yaroushlami
plutôt que le Bavli
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Le document phare de la Halokhoh
est sans aucun doute le Ṭalmoudh ; plus précisément, le Ṭalmoudh de
Babylone (Bavli). Le Ri’’ph[1] ז״ל, le Rambo’’m[2] ז״ל et le Ro`’’sh[3] ז״ל, qui sont considérés être les trois plus Pôsaqim
de l’histoire du peuple juif, notent que la doctrine de base de la loi juive
est la suprématie du Ṭalmoudh babylonien. Mais quel est alors le statut du Ṭalmoudh
palestinien ? Peut-on s’appuyer dessus, ou devrions-nous compter et nous
appuyer que sur le Bavli ? Il existe deux écoles de pensée distinctes à ce
sujet. Selon l’opinion de certains Ri`shônim et `aḥarônim, le Ṭalmoudh
Yaroushlami
est un document très secondaire, presque hors de propos et qui peut être
pratiquement ignoré.
L'autre point de vue considère le Ṭalmoudh
Yaroushlami
comme un document central de la Halokhoh, et qu’il faut donc
interpréter le Bavli à la lumière du Yaroushlami. Comme l'écrit Moran Yôséph Qa`rô ז״ל :[4] « Toute
façon par laquelle nous pouvons interpréter le Bavli pour l'empêcher d’être en
contradiction avec le Yaroushlami est meilleure, même si l'explication est un
peu forcée ». Si on devait reformuler ses
propos d’une manière légèrement plus forte, nous pouvons dire qu’il est
quasiment impossible de déterminer la Halokhoh, d’après ce point de
vue, sans une compréhension solide du Yaroushlami car on ne peut pas toujours adopter comme
normative halakhiquement la meilleure et la plus simple explication du Bavli –
une explication difficile du Bavli qui est compatible avec le Yaroushlami
est meilleure au niveau du droit juif normatif qu'une meilleure explication du
Bavli qui est incompatible avec le Yaroushlami. C'est ce qu’avance Moran Yôséph
Qa`rô ! Ainsi, contrairement à ce que prétendent beaucoup de rabbins
aujourd’hui, il n’existe aucune règle halakhique imposant de suivre le Bavli
plutôt que le Yaroushlami ! Citons d’ailleurs le passage suivant
du Ṭalmoudh Bavli :[5]
Rov a dit : « Dès que
l'homme passe de l'étude de la Halokhoh à l'étude des Écritures,
il n'a plus la paix ». Et Shamou`él a dit : « Il s’agit de celui qui se sépare
du Ṭalmoudh pour la Mishnoh ». Et Rov Yôḥonon a dit : « Même
du Ṭalmoudh pour le Ṭalmoudh ! ».
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אמר רב כיון שיוצא אדם מדבר הלכה לדבר מקרא שוב אין לו
שלום. ושמואל אמר זה הפורש מתלמוד למשנה. ורבי יוחנן אמר אפילו מתלמוד לתלמוד
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Commentant ce passage talmudique,
Rash’’i ז״ל déclare ceci :
« Du Ṭalmoudh pour le Ṭalmoudh »
du Ṭalmoudh Yaroushlami pour Ṭalmoudh Bavli, puisqu’il est plus
profond. Ainsi qu’ils nous l’ont dit dans Sanhédhrin (24a) : « ‘’Il
m’a renvoyé dans les ténèbres, comme les morts de l’éternité’’[6] ; Il s’agit du Ṭalmoudh de Babylone ».
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אפילו מתלמוד לתלמוד – מתלמוד ירושלמי לתלמוד בבלי שהוא
עמוק, כדאמרינן בסנהדרין (כד, א) במחשכים הושיבני כמתי עולם זו התלמוד של בבל
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Nous voyons donc que d’après l’avis
des Ḥakhomim des temps talmudiques, le Ṭalmoudh Yaroushlami est
supérieur au Ṭalmoudh Bavli, au point d’affirmer que celui qui abandonne
l’étude du Ṭalmoudh Yaroushlami pour se mettre à l’étude du Ṭalmoudh
Bavli n’aura pas de paix (car, en réalité, il sera dans l’obscurité totale
quant à savoir ce qu’il faudrait faire au niveau pratique, tout comme celui qui
abandonne l’étude de la Halokhoh pour étudier le TaNa’’Kh, ou encore celui qui
abandonne l’étude du Ṭalmoudh pour l’étude de la Mishnoh). En outre, dans le Ṭalmoudh
Bavli lui-même, le Ṭalmoudh Bavli est comparé aux ténèbres (sous-entendu que le
Ṭalmoudh Yaroushlami
est la lumière).
Quiconque étudie régulièrement le
Rashba’’` ז״ל ou le Ritva’’` ז״ל, qui a pu lire une fois les Hilkôth Hayyaroushlami
du Rambo’’m, ou qui a étudié Ribbénou Ḥanon`él ז״ל percevra aisément
que ces Ri`shônim étaient des experts du Yaroushlami ainsi que du Bavli. Ce n'est pas le
cas de Rash’’i et de ses disciples (les Ṭôsophôth), qui ne font presque pas
usage du Yaroushlami
et ne semblent en fait peut-être n’avoir jamais eu de considération pour le Yaroushlami.
En effet, un point commun de la méthodologie des commentateurs ashkénazes
traditionnels est qu’ils utilisent rarement le Yaroushlami (sauf, peut-être, le Ra`aviya’ḥ ז״ל) comparé aux Ri`shônim séfarades. De grands commentateurs
ashkénazes comme le Môrdokhay, le Mahara’’m, le Yarém,
le Sama’’q,
etc., ne citent presque jamais le Yaroushlami.
Il semble y avoir eu dans le monde
ashkénaze un mépris à peine voilé pour le Yaroushlami, qui persiste jusqu’à nos jours. Prenons
pour exemple les Ṭôsophôth. Dans leur commentaire sur Barokhôth
11b, ils déclarent ceci en réponse à une
difficulté présentée par un passage du Yaroushlami : « Et le R’’i répond que nous
n'acceptons pas ce Yaroushlami puisque notre Ṭalmoudh ne le cite pas ». Selon le R’’i, les sources non citées
dans « notre Ṭalmoudh » [le Bavli] ne sont pas contraignantes.
Cela illustre parfaitement bien le manque de considération des ashkénazes pour
le Yaroushlami.
Cette même divergence s’est poursuivie
pendant des siècles, certaines autorités halakhiques préférant une étude
approfondie du Yaroushlami et d'autres l'ignorant entièrement. Par
exemple, quiconque étudie de près le ´oroukh Hashshoulḥon voit qu'il cite
régulièrement le Yaroushlami. Ses citations reflètent souvent qu'il était
un étudiant régulier du Yaroushlami avec des idées nouvelles et fluides. Ce
n'est pas le cas du Mishnoh Barouroh, qui ne cite jamais le Yaroushlami
sauf lorsqu'il est cité par d'autres qu’il mentionne. Il en va de même pour les
`iggarôth
Môshah et les Dibbarôth Môshah. La maîtrise de Rov Môshah
Feinstein avec le Bavli est incroyable et ses idées sont incomparables. Mais lorsqu’on
lit ses œuvres, on n’y retrouve pratiquement aucune citation du Yaroushlami.
Les écrits du Rov Soloveitchik contiennent
de nombreux commentaires vraiment perspicaces sur le Bavli mais pas un seul
vrai Ḥiddoush sur le Yaroushlami, alors que le Brisker Rov reflète également
dans ses écrits une extrême familiarité avec les enseignements et l’approche du
Rambo’’m. En effet, le Rov Soloveitchik semblait presque ignorer le rôle central
du Yaroushlami
dans le Mishnéh Ṭôroh du Rambo’’m ! Prenez les commentaires du Rov
Soloveitchik[7]
traitant du port des Ṭaphillin pendant Ḥôl Hammô´édh, qui contiennent
une analyse pointilleuse sur la nature des Ṭaphillin pendant Ḥôl Hammô´édh tout en ignorant
complètement le Yaroushlami qui est clair et contraire à sa thèse. En
effet, le fait que les adeptes de l'approche de Brisk insistent
méthodologiquement sur l'harmonisation du Rambo’’m avec le Bavli, même
lorsqu'il existe des preuves considérables que le Rambo’’m puise dans un
éventail plus large de sources, est plus que quelque peu inquiétant. À la
lumière du Yaroushlami[8] qui
stipule explicitement qu'il faut porter des Ṭaphillin pendant Ḥôl Hammô´édh, et du fait
qu’il y a ambiguïté dans le Mishnéh Ṭôroh concernant le port des Ṭaphillin
pendant Ḥôl Hammô´édh, il est raisonnable de penser que le Rambo’’m tranche
qu’il faut porter des Ṭaphillin pendant Ḥôl Hammô´édh, et que
l'approche mentionnée par le Rov Soloveitchik est donc difficile à défendre.
Le Ra`ava’’d[9] ז״ל, souvent opposé au Rambo’’m, écrit que le Rambo’’m s'appuie
souvent sur le Yaroushlami, et le Go`ôn de Wilno`[10] ז״ל explique également que la voie du Rambo’’m consiste à s’appuyer
dans la plupart des cas sur le Yaroushlami. En outre, s'il y a un passage du Yaroushlami
qui est explicite par rapport à un passage du Bavli dont la position est juste sous-entendue
mais pas explicite, le Rambo’’m préfère généralement le passage explicite du Yaroushlami,
contrairement aux autres Ri`shônim qui préfèrent même généralement les « sous-entendus »
du Bavli.
Cette différence d’approche et
d’attitude vis-à-vis du Yaroushlami se révèle être assez importante dans de
nombreuses constructions halakhiques, où une explication moins qu'idéale du
Bavli est éclairée par le Yaroushlami ou que l'explication idéale du Bavli est
complètement incompatible avec celle du Yaroushlami. Que faire dans de telles situations reste
une vaste Maḥlôqath entre les Pôsaqim. Prenons quatre exemples concrets :
les Ṭaphillin
pendant Ḥôl Hammô´édh, la répartition des ´aliyôth dans une ville où
tous les hommes sont des Kôhanim, la question de savoir si la fille
d'un Gôy et d'une femme juive pourrait se marier à un Kôhén, et l'utilisation
de fonds de Ṣadhoqoh
pour construire des Botté Kanosiyôth plutôt que de soutenir les pauvres.
Dans les quatre cas, le Bavli est
silencieux tandis que le Yaroushlami aborde directement ces questions. Sur le
sujet des Ṭaphillin
pendant Ḥôl Hammô´édh, le Yaroushlami[11] est
clair sur le fait que les Ṭaphillin doivent être mises ; concernant la
deuxième question, le Yaroushlami[12] déclare
clairement que même dans une ville où tous les hommes sont des Kôhanim,
les femmes ne sont pas appelées à la Ṭôroh ; concernant la troisième
question, le Yaroushlami[13] déclare
clairement qu'une telle femme ne peut pas épouser un Kôhén ; enfin, sur la
quatrième question, le Yaroushlami[14] stipule
clairement qu'une Béth Hakkanasath est un bénéficiaire valide de la Ṣadhoqoh.
Bien qu'il soit évident que chacune de ces quatre questions fait l’objet d’une Maḥlôqath
parmi les Pôsaqim
qui ne considèrent que le Bavli, il serait très facile de les résoudre en
considérant le Yaroushlami. Beaucoup d’autres exemples de questions
non résolues dans le Bavli, mais parfaitement élucidées dans le Yaroushlami,
auraient pu être donnés.
On pourrait affirmer que le Rambo’’m ne
tombe pas clairement dans l'un ou l'autre des deux camps qui divergent quant à
l’autorité du Yaroushlami, et sa méthodologie exacte pour résoudre
les différends talmudiques reste cachée dans le mystère. Cependant, il est
clair qu'il était assez familier avec le Yaroushlami et acceptait souvent les décisions du Yaroushlami
même lorsqu'elles s'opposaient aux décisions apparentes du Bavli. Le Rambo’’m a
utilisé des outils logiques pour résoudre les différends et n'était même pas
pleinement lié à la notion de la prétendue complète supériorité du Bavli sur le
Yaroushlami.
Le fait que le Rambo’’m diverge fréquemment du Bavli est largement relevé par
des commentateurs de toutes les époques. (Voir Sadhé Ḥamadh.[15] Voir
aussi de nombreuses références de ce type dans le Ṭôsophôth Yôm Tôv ; le
Rashba’’` ;[16]
le Ritva’’` ;[17] Yam Shal
Shalômôh ;[18] Pané
Yahôshoua´ ;[19] le Ḥathom
Sôphér,[20] etc.)
J’invite donc vivement tous les
amoureux de la Halokhoh à prendre en considération le Yaroushlami
et l’étudier minutieusement. C’est seulement là que vous pourrez avoir un
tableau complet de la Halokhoh. Je m’y suis mis depuis longtemps, et
je ne le regrette pas. Contrairement aux générations antérieures, le Yaroushlami
est facilement accessible de nos jours, aussi bien dans l’araméen originel que
dans des traductions. Profitez-en ! Vous finirez par vous demander
pourquoi vous ne vous y étiez pas pris plus tôt !