ב״ה
Les
problèmes de la Hasidhouth Breslev
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On
me demande régulièrement, ici et là, mon opinion sur la Hasidhouth
Breslev, et j'ai pu me rendre compte qu'en parler négativement ou
émettre le moindre doute ou critique sur Rabbi Nahmon de
Breslev, suscitait chez beaucoup de gens (même lorsqu'ils ne sont
pas eux-mêmes des Breslevers) un lever de bouclier et une réaction
très émotionnelle, parce qu'on a touché au « Saddiq ».
Les
enseignements moraux de Rabbi Nahmon de Breslev touchent
énormément de personnes, qui se reconnaissent d'ailleurs dans les
nombreuses souffrances qu'il a endurées durant sa vie, et les
messages d'espoir et de foi qu'il a pu transmettre en dépit de tout
cela. Ce n'est absolument pas une mauvaise chose en soi, et n'importe
qui d'objectif se doit d'admettre qu'il y a une réelle beauté et
profondeur dans ces enseignements de Rabbi Nahmon. Mais cela
éclipse toutes les choses qui ont été enseignées par lui, ou
rapportées en son nom par son plus proche disciple, Rabbi Nothon.
(En réalité, Rabbi Nahmon de Breslev n'a rien écrit. Tout
ce que nous avons et savons de lui se trouve dans les écrits de
Rabbi Nothon.) Les gens ne connaissent pas réellement les fondements
de la Hasidhouth Breslev, mais uniquement la partie la plus
belle, à laquelle ils ont eu accès à travers les traductions
françaises de bon nombre de textes prétendant rapporter les paroles
de Rabbi Nahmon sur tout sujet. Les Breslevers sont parvenus à
vendre du « rêve », à habiller la doctrine de Rabbi
Nahmon dans un grand esthétisme, et faire en sorte de toucher
le plus large public possible, avec des publications à l'eau de
rose, très spirituelles, sur des sujets qui parlent aux gens
(comment contrôler la colère, comment être heureux dans son
mariage, comment exprimer sa reconnaissance envers les gens, comment
développer la patience, etc.). Le produit est tellement bien vendu
qu'émettre la moindre réserve sur Rabbi Nahmon de Breslev,
en particulier, et la Hasidhouth Breslev, en général, est un
acte qui frôle l'hérésie pour beaucoup. Ils n'auraient aucun
problème sur une analyse critique de Satmar, Loubavitch, Gour, et
d'autres sectes hassidiques, mais il ne faut pas toucher à
Rabbi Nahmon !
La
raison doit toujours dominer sur les émotions ! Et Rabbi Nahmon
est souvent traité, même si les gens ne l'admettent pas, comme un
demi-dieu (il est même parfait pour ses Hasidhim, et même le
Messie pour certains), au point d’oublier de faire preuve
d'objectivité dans l'analyse de ses enseignements. Quels sont donc
les problèmes de la Hasidhouth Breslev ?
- La doctrine du Saddiq
La
doctrine principale de cette secte hassidique est le concept
du צַדִּיק
« Saddiq »
(juste), tel que développé par Rabbi Nahmon. Pour examiner
cela sérieusement, et en toute objectivité, nous devons d'abord
comparer et voir jusqu'à quel point ce concept est enraciné dans
les sources juives traditionnelles.
Nous
voyons dans la Tôroh que Môshah Rabbénou ע״ה
pria
pour les Israélites après le péché du Veau d'Or, et HaShem Se
retint de les détruire. Mais le portrait de Môshah Rabbénou qui
est fait par HaZa''l, n'était pas celui d'un demi-dieu, d'un
surhomme, d'un homme parfait, etc. Sa relation qu'il entretenait avec
le peuple d'Israël est décrite comme étant celle d'un enseignant
et transmetteur de la Tôroh.1
D'ailleurs, c'est pour cela que nous l’appelons « Rabbénou »,
c'est-à-dire, « notre maître ». Un rabbin est celui qui
apprend la Tôroh et la Halokhoh à ses élèves, sa communauté. Il
était donc un « rabbin », notre rabbin, Rabbénou !
Évidemment, l'esprit et le niveau de prophétie de Môshah Rabbénou
devaient être exceptionnellement grands pour recevoir la Tôroh pour
tout un peuple ; néanmoins, les sources traditionnelles ne
parlent jamais d'une rédemption du peuple qui se ferait à travers
une connexion à Môshah Rabbénou lui-même, et il n'y a aucun texte
faisant de lui l'objet de la moindre vénération. L'idée de
s'attacher ou se lier à Môshah Rabbénou est entièrement absente
et étrangère aux sources juives traditionnelles.
L'idée
du Sage en tant qu'enseignant de la Tôroh et également comme un
exemple de traits de caractère admirables, aussi bien dans la piété
que dans le comportement envers les autres, est sans aucun doute bien
enracinée dans la littérature de HaZa''l, et elle se
perpétua tout au long de la période des Ri`shônim. Il est vrai que
HaZa''l parlent de certains hommes qui n'étaient pas
forcément reconnus pour leur érudition en Tôroh mais plutôt pour
leur « Hasidhouth » (piété), comme par exemple
Rébbi Pinhos ban Yo`ir ז״ל
ou
encore Rébbi Hanino` ban Dôsso` ז״ל.
Mais même là, HaZa''l n'en parlaient que comme des personnes
à imiter ou de qui apprendre de belles leçons de morale et de
comportement approprié dans certains domaines et
pratiques, et non pas comme les « Rébbé`im » de la
philosophie hassidiques, des hommes à qui l'on devrait se
« connecter » pour élever son âme.
Il
ne fait aucun doute que les « enseignements » de Môshah
Rabbénou étaient uniques. Mais en quoi étaient-ils uniques ?
Ils le sont en ce que ce n'était pas ses enseignements, mais plutôt
une révélation Divine dont ont été témoins des centaines de
milliers de personnes, et ne souffraient donc d'aucun doute. Mais
cette place particulière n'est réservée, d'après le Judaïsme
traditionnel, qu'à Môshah Rabbénou uniquement, car la Tôroh fut
révélée par son intermédiaire à l'entièreté du peuple
d'Israël.
Il
est vrai que nous trouvons dans la littérature talmudique l'idée
selon laquelle un Saddiq élèverait le monde par ses vertus.
Par exemple, Rébbi Yôhonon ז״ל
a
dit que le monde entier pouvait subsister même grâce aux vertus
d'un seul Saddiq.2
Nous lisons concernant Rébbi Shim´ôn ban Yôho`y ז״ל,
ce Sage que Rabbi Nahmon lui-même considérait comme son
prototype, qu'il déclara à son propre sujet qu'il était capable
d'exempter le monde d'un jugement depuis le jour où le monde fut
créé jusqu'à présent.3
L'insistance la plus frappante sur ce concept se retrouve sans aucun
doute dans le Midhrosh4,
où Rébbi Shim´ôn déclare que s'il ne devait y avoir qu'un seul
Saddiq par qui le monde serait soutenu, ce serait lui. En outre, dans
les sources de HaZa''l, Rébbi Shim´ôn est décrit comme un
faiseur de miracles. Il y a également l'histoire de sa période de
refuge dans une grotte telle qu'elle est rapportée dans le Talmoudh
Bavli5,
au cours de laquelle `éliyohou Hannovi` ע״ה
lui
serait apparu pour étudier la Tôroh avec lui. Par conséquent, il
serait mensonger de prétendre que le concept de Saddiq
enseigné par Rabbi Nahmon ne possède aucun précédent dans
la littérature talmudique, que c'est quelque chose qu'il a inventé
« à partir de rien ».
Cependant,
les différences surpassent de loin les similitudes. Il faut
premièrement signaler que le récit parallèle que l'on retrouve
dans le Talmoudh Yarousholmi est beaucoup plus prosaïque et
`éliyohou Hannovi` n'est pas mentionné, tout comme il n'est pas dit
qu'il se trouvait en compagnie de son fils `al´ozor ע״ה.
Dans l'ensemble, nous sommes plus qu'en droit de préférer la
véracité historique du récit du Yarousholmi, qui, en tant que
source de `aras Yisro`él, présente généralement une
version plus historique et raisonnée de bon nombre d'événements
(Hanoukkoh, la révolte de Bar Kôzivo`, etc.). Deuxièmement,
et plus important encore, le tableau qui est fait de Rébbi Shim´ôn
dans les sources de HaZa''l est qu'il était principalement
apprécié en tant que Hokhom (sage). Troisièmement, des
textes talmudiques eux-mêmes, il n'existe aucune indication que
Rébbi Shim´ôn ait été à la tête d'une école ésotérique, et
certainement pas d'une qui aurait été la précurseur des
enseignements de base du Zôhar. Il est mentionné et apprécié pour
sa connaissance de la Tôroh, pour être un Talmidh Hokhom, et
c'est dans ce contexte-là que son nom apparaît une dizaine de fois
dans le Midhrosh et d'autres œuvres de HaZa''l.
Mais
la différence la plus significative se trouve dans la nature de la
relation au Saddiq, et la description de son rôle. Nous ne
trouvons aucune trace dans la littérature talmudique du fait que ses
collègues ou disciples le vénéraient dans le sens du Saddiq
exprimé dans les enseignements de Rabbi Nahmon, qui décrit
Rébbi Shim´ôn comme étant le seul canal à travers lequel les
enseignements de la Tôroh atteignent ce monde. Comme nous l'avons
mentionné plus haut, le rôle du Saddiq, du point de vue
traditionnel, consiste à disséminer la Tôroh et être peut-être
un exemple de traits et comportements vertueux. Si sa vertu soutient
le monde, c'est une affaire privée. Comme nous le voyons à travers
de nombreux textes, on n'attendait pas des collègues de Rébbi
Shim´ôn qu'ils se soumettent à lui ou acceptent ses opinions sur
tous les sujets. En fait, à plusieurs reprises nos Sages tranchent
contre lui ! Même ses disciples n'étaient pas astreints à
accepter ses décisions tout le temps. En règle générale, la
Halokhoh ne suit pas Rébbi Shim´ôn, mais plutôt Rébbi Yahoudhoh
ז״ל,
chaque fois qu'ils sont en conflit. Ainsi, bien que le concept de
Saddiq, dont Rabbi Nahmon a fait la promotion, puisse se
baser sur des précédents dans la littérature talmudique, une
analyse plus minutieuse révèle que les similitudes sont
superficielles et fragiles, tandis que les différences sont
substantielles.
Rébbi
Nahmon ne se basait en réalité pas tant sur HaZa''l,
mais sur les innovations du `ari. Ce dernier développa une notion
selon laquelle la révélation Divine est progressive dans le sens
« vertical » ; c'est-à-dire que de nouvelles
révélations Divines peuvent être transmises. Et bien qu'elles
soient exprimées de façon à donner l'impression qu'elles ne sont
que des prolongations fidèles de révélations antérieures, elles
représentent en réalité des nouveaux concepts et systèmes de
pensée qui prétendent constituer une source nouvelle d’autorité
dans la Tôroh. Ces révélations nouvelles parviennent toujours à
un homme, comme le `ari, en privée, et furent toujours expliquées
et justifiées à travers des affirmations mystiques, comme par
exemple : telle ou telle révélation m'est parvenue par
l'intermédiaire de `éliyohou Hannovi, ou j'ai expérimenté une
élévation dans les mondes supérieurs, etc. En raison de cela, et
de par la promotion de telles révélations par les disciples de ceux
qui prétendaient les avoir reçues, elles devinrent incontestables.
Mais la déviation de cette Hashqofoh vis-à-vis du Judaïsme
traditionnel est frappante, car le Judaïsme traditionnel a toujours
jugé de la véracité d'un propos ou enseignement par rapport à sa
concordance avec la Tôroh Écrite et Orale telle qu'exprimée par
les Sages que nous appelons HaZa''l. Cela devint un principe
de foi que ces nouveaux enseignements reflétaient la révélation
originelle, et tous les textes mystiques avaient pour but d'expliquer
comment il en était ainsi, mais dans la méthodologie et au niveau
de l'autorité, et par la même occasion au niveau des conséquences,
les deux approches ne peuvent jamais vraiment s'entremêler et
coexister.
En
gardant à l'esprit le fait que le mouvement hassidique, dès
le départ, soutenait l'idée d'une révélation Divine progressive
et des sources d'autorité nouvelles, nous pouvons revenir à ce que
nous avions précédemment mentionné, à savoir, que le Judaïsme
traditionnel n'a jamais fait de la connexion à un saint homme une
vertu dans le sens entendu par le hassidisme. Et pourtant, une
caractéristique significative du mouvement hassidique, qui
est, certes, plus prononcée dans certaines branches par rapport à
d'autres (par exemple, la Hasidhouth de Reb `élimalakh de
Lizbensk), est que le Rebbe sert justement de canal vers Dieu, et que
le Hosidh jouissait de nombreux bienfaits et bénédictions
précisément en vertu du fait qu'il avait une relation avec un
Saddiq, le Rebbe. Le mouvement hassidique a légitimé
un certain type de sage et l'a élevé à un rang digne de
vénération, ce qui est quelque chose qui était du jamais vu
jusqu'alors. Quant à la nature de la relation avec le Rebbe, le
hassidisme a dévié du Judaïsme a un degré plus ou moins
plus grand encore, en fonction des écoles constituant le hassidisme.
Il l'a fait en soulignant les bienfaits spirituels abondants accordés
au Hosidh en vertu du fait d'être le Hosidh d'un
certain Saddiq ou Rebbe. (Ce qui a mené et mène encore
aujourd'hui à une compétition enfantine entre les Hasidhim,
car chacun estime son Rebbe comme le plus grand, le plus beau, le
plus merveilleux, etc.) En d'autres mots, la connexion elle-même
élève spirituellement le Hosidh, et la personne du Saddiq
devient l'objet d'un culte, d'une vénération. Dans sa forme la plus
extrême, le Saddiq devient plus qu'un homme, une sorte de
demi-dieu. Exactement comme chez les Catholiques ! (Et nous
verrons qu'il y a d'autres similitudes entre le hassidisme et
le catholicisme.)
Bien
que le hassidisme a changé le rôle du Saddiq en
ajoutant l'élément du bienfait spirituel (et il faudrait ajouter
matériel également, de temps à autres) par le simple fait d'être
un Hosidh, Rabbi Nahmon a amené ce concept plus loin
encore à plusieurs égards. Tout d'abord, il a promulgué l'idée du
Saddiq, le SEUL et UNIQUE Saddiq qui est
la tête et le chef de tous les Saddiqim de la génération
(et en fait, de toutes les générations), et le fondement du monde.
Par exemple, dans le Liqqouté Mohara''n 20:1, nous lisons que
le Saddiq est le canal par lequel les enseignements de la
Tôroh parviennent au monde. Ailleurs, et il est important de
resituer cet enseignement dans le contexte historique des efforts et
de la ferveur messianique au sein de Breslev qui a échoué à porter
des fruits tangibles, Rabbi Nahmon présente l'idée selon
quoi le Saddiq peut être le chef de tous les autres, même si
cela n'est pas extérieurement apparent ; mais intérieurement,
à un niveau spirituel, ils lui sont tous soumis.6
Rabbi Nahmon parle à de nombreuses reprises du « Saddiq »
ou déclare « il y a un Saddiq », et à chaque
fois il est plus que clair qu'il parlait de lui-même !
En
fait, il semble que Rabbi Nahmon considérait que parler
autant de lui-même de cette manière-là à ses disciples était
d'une importance capitale. En parlant de lui-même en des termes si
élogieux et mystiques, il donnait l'impression à ses disciples
qu'ils possédaient au milieu d'eux le don le plus précieux au
monde. Il n'est, par conséquent, pas étonnant de voir la réaction
de certaines personnes lorsqu'on émet la moindre réserve ou
critique à l'égard de Rabbi Nahmon, puisqu'ils le
considèrent comme LE SADDIQ, le plus grand de tous, et le
surnomment même « Môshah-Moshiah », une
combinaison de Môshah Rabbénou et du Roi-Messie ! Rien que
ça ! Dans plusieurs de ses textes, il ressort clairement que
Rabbi Nahmon peut être décrit comme narcissique, quelqu'un
de fasciné, voire même dépassé, par ses complexes et sa
personnalité énigmatique.
Mais
ce qui est sans doute la caractéristique la plus dangereuse de ce
développement radical est le fait que, d'après Rabbi Nahmon,
le Saddiq (donc, lui-même) est investi de ce que l'on peut
qualifier de rôle rédempteur, et est doté d'une âme rédemptrice
qui inclut en elle-même les âmes de l'humanité. C'est-à-dire
qu'en se connectant au Saddiq, ceux qui le suivent expient
leurs âmes et se « délivrent » dans un sens spirituel.
Cette caractéristique centrale de la relation au Saddiq
ressort dans bon nombre des enseignements et déclarations de Rabbi
Nahmon, comme lors de sa fameuse affirmation selon laquelle,
si quelqu'un se rendait sur sa tombe à Ouman, y récitaient les dix
Psaumes qui composent le תִּקּוּן
הַכְּלָלִי « Tiqqoun
Hakkaloli » (une innovation qu'il a introduite en 1805), et
donnait de la Sadhoqoh, Rabbi Nahmon parcourrait alors la
longueur et la largeur de la création pour lui venir en aide, et le
retirer du Géhinnom par ses Pé`ôth. Cela se rapproche tellement
clairement de la doctrine chrétienne du « salut » que
l'on peut se demander s'il n'y aurait pas là quelques influences
chrétiennes dans le hassidisme Breslev. En vérité, ce
phénomène n'est pas unique, et nous voyons, au contraire, beaucoup
de doctrines et pratiques hassidiques influencées par le
milieu chrétien dans lequel cette religion (car je l'ai déjà dit,
je ne considère pas bon nombre de Hasidhim comme pratiquant
le Judaïsme) s'est développée.
Pour
résumer et conclure sur ce point, à moins d'accepter la doctrine du
Saddiq (ce qui n'est pas mon cas), Rabbi Nahmon doit
être traité comme n'importe quel autre rabbin. Cela signifie que
nous n'avons pas à nous sentir contraints d'accepter tout ce qui a
été dit par lui, tout comme nous n'avons pas à nous sentir
contraints d'accepter tout ce qui vient du Ramba''m ז״ל
(et
à travers de nombreux articles, j'ai déjà pu mettre en lumière
certaines divergences que les Témonim et d'autres Talmidhé
HaRamba''m avaient par rapport au Ramba''m, bien qu'on le considère
comme le plus grand Pôséq et talmudiste).
Ce
gros point, qui est le plus essentiel, ayant été abordé, nous
pouvons à présent passer à d'autres objections.
- Le rejet du rationalisme
Rabbi
Nahmon peut clairement être décrit comme appartenant à
l'école des anti-rationalistes. Le Ramba''m, dans son Môréh
Navoukhim (Guide des Égarés), bien qu'il fut un rationaliste, admet
sans aucun problème que des fondements de la foi israélites tels
que croire en Dieu sont admis sur la seule base de la foi et
transcendent les preuves ou contre-preuves rationnelles. Le Ramba''m
croit que Dieu existe, non pas parce qu'il peut le prouver, mais
parce que c'est du domaine de la foi pure, quelque chose que l'on ne
peut pas toujours expliquer rationnellement, avec des mots. On le
sent, on le voit, on le vit ! Mais à part cela, il est faux
d'affirmer, comme le promeut le hassidisme, que la recherche
rationnelle doit être complètement rejetée, ou que l'on doit
renoncer à ses facultés intellectuelles pour ne s'imprégner que
des paroles du Rebbe. Ce serait comme un fabricant de voiture qui
s'est donné beaucoup de peine à intégrer dans la voiture un
système hautement complexe, et qui voit l'acheteur de sa voiture
s'en débarrasser sans même ne avoir fait usage. On ne peut ignorer
ou disputer cet élément de l'être humain dont on a été doté par
Dieu et qui nous distingue de l'anomal. Et l'on ne doit pas prétendre
que le faire constitue un degré supérieur et ultime de service
Divin ! Des recherches rationnelles peuvent en fait servir à
augmenter la foi et enrichir grandement notre compréhension de la
Tôroh. À l'inverse, insister sur une foi simple et lobotomiser
artificiellement l'être humain peut résulter en une foi immature,
fragile et abrutissante. (Et sans manquer de respect aux Hasidhim,
c'est précisément ce genre de foi qui est courante au milieu
d'eux.)
- L’exagération abusive sur la « pureté sexuelle »
Rabbi
Nahmon se focalise énormément sur la pureté sexuelle, ou
שְׁמִירַת
הַבְּרִית « Shamirath
Habbarith – préservation de l'alliance ». Dans ses
enseignements, il fait la promotion d'une vie sexuelle ascétique, au
point que le moindre déversement de la semence, même involontaire
(par exemple, lorsque c'est causé par un rêve nocturne), devient
une calamité spirituelle majeure. D'ailleurs, à l'origine, il
institua la récitation des dix Psaumes de son Tiqqoun Hakkaloli pour
les cas de « pollution nocturne » ou de masturbation. Des
« démons » seraient créés à chaque fois qu'il y a un
déversement de semence « en vain », qui se chargeraient
de tourmenter cet homme. Ainsi, de nombreux problèmes qu'il
expérimentera dans sa vie, comme la pauvreté, les problèmes de
couple, etc., sont en fait causés par ces « démons »
qu'il a lui-même créés par son déversement de semence. Le désir
sexuel, comme cela ressort de ses propres enseignements et du fait
qu'il atteste avoir lutté lui-même pour l'annuler en lui, est
quelque chose qui bloque la spiritualité. Or, en regardant les
sources de HaZa''l, un tableau totalement différent émerge.
Nous lisons dans le Talmoudh7
que la Halokhoh est qu'un homme peut faire tout ce qu'il désire avec
sa femme et embrasser n'importe lequel des organes qu'il le désire,
et cela est codifié par le Ramba''m et le Ro`''sh ז״ל,
et une position que l'on retrouve également parmi les Tôsofôth
ז״ל.
Concernant
le déversement de la semence, le Talmoudh Yarousholmi8
mentionne qu'à l'occasion d'un certain Yôm Hakkippourim, Rébbi
Yôsé ban Halfétho` ז״ל
fut
vu par certaines personnes en train de s'immerger en privée à cause
d'une émission séminale. Ce récit est rapporté par le Yarousholmi
pour démontrer que bien que l'on ne doit pas se laver à Yôm
Hakkippourim, il est permis de s'immerger pour une émission de
semence que l'on aurait eu la nuit de Yôm Hakkippourim. On parle
d'une émission involontaire, étant donné que les relations intimes
sont interdites cette nuit. Comme le Talmoudh lui-même le dit, il
est évident que Rébbi Yôsé n'avait pas eu de rapports avec sa
femme la veille de Yôm Hakkippourim, et que son immersion n'était
pas non plus due au fait qu'il aurait oublié de s'immerger avant Yôm
Hakkippourim. Ce qui est significatif pour nous ici, est que le
Talmoudh mentionne en passant, et le fait que l'un des plus grands
Tanno`im ait eu une émission séminale la nuit n'est pas du tout
considéré comme quelque chose d’étrange, honteux, ou comme une
catastrophe spirituelle. Au contraire, le Talmoudh en parle comme
d'une occurrence normale, quelque chose de la vie, de biologique.
HaZa''l n'avait pas une approche obsessive vis-à-vis de la
sexualité ou de la « pureté sexuelle ». Il y a même
des anecdotes talmudiques sur le comportement de certains de nos
Sages durant leurs rapports intimes avec leurs épouses, pour montrer
que ce sujet était traité comme n'importe quel autre sujet. De la
même manière, tout en nous prévenant des excès possibles dans ce
domaine-là, la Tôroh a une approche très modérée sur la
sexualité, et accepte même le désir sexuel comme un aspect normal
et sain de la nature humaine, même pour les plus grands personnages
bibliques. Une telle approche est de loin plus saine que ce qu'offre
la religion hassidique. L'obsession sur la « pureté
sexuelle » et les maux du déversement de la semence ont des
conséquences préjudiciables sur le peuple juif, et les Hasidhim
en particulier, parmi lesquelles une répression sexuelle très
poussée qui mène à certaines dérives inqualifiables.
- Les effets cosmiques des actes mondains
Un
autre thème très présent dans les enseignements de Rabbi Nahmon
est l'idée selon laquelle les actes mondains peuvent causer de
grandes rectifications cosmiques. Cette idée des rectifications
cosmiques (que l'on appelle תִּקּוּנִים
« Tiqqounim » ;
תִּקּוּן
« Tiqqoun »
au singulier) n'a pas été inventée par Rabbi Nahmon. En
fait, c'est un fondement central de la Qabboloh du `ari. Ce que Rabbi
Nahmon a fait, c'est l'étendre davantage pour inclure le
domaine des activités qui ne sont pas des Miswôth, comme par
exemple frapper des mains durant la prière et danser (c'est
d'ailleurs pour cela que de nombreux Breslevers peuvent être vus en
train de danser et frapper des mains en public. Ils croient que cela
provoque des rectifications cosmiques). En outre, dans de nombreuses
affirmations rapportées par son fidèle disciple, Rabbi Nothon,
Rabbi Nahmon donne l'impression que le moindre mouvement, la
moindre parole, était imprégné de nombreuses significations
mystiques et cachées. Rien de ce qu'il faisait ne pouvait pas ne pas
être doté d'une signification cosmique. Cette idée consiste à
faire la promotion d'une conscience par laquelle chaque acte mondain
(comme par exemple, mettre sa main devant la bouche lorsqu'on baille)
est imprégné de toutes sortes de significations cachées. La
conséquence de cela, dans sa forme la plus extrême, est
l'incapacité à mener une vie de façon réaliste et proactive, car
même les actes les plus simples deviennent des réceptacles de
grands effets cosmiques et mystiques qui rapprochent de Dieu et
rectifient le monde. En d'autres mots, c'est purement et simplement
de la théurgie !
N'ayons pas peur des mots !
- Hithbôdhadhouth
Rabbi
Nahmon a enseigné que la ´avôdhath HaShem devait être
sincère. Il souligna abondamment l'importance de bâtir une relation
personnelle solide avec Dieu. La ´avôdhath HaShem et plus
particulièrement la prière devaient être passionnées et
excitantes, et pas un exercice de routine. Ses enseignements sur la
הִתְבּוֹדְדוּת
« Hithbôdhadhouth »
(le fait de s'isoler et répandre son cœur devant Dieu en
s'adressant à Lui avec ses propres mots) s'appuient sans aucun doute
sur des précédents dans les sources antérieures. Et pourtant,
l'insistance sur cette pratique, ainsi que le style et le ton dans
lesquels elle est présentée, sont principalement des innovations.
- La transformation des propos de HaZa''l et des versets de la Tôroh
Rabbi
Nahmon était sans aucun doute très original et créatif dans
sa méthode d'exposition, et on ne peut ressentir que de l'admiration
pour la beauté et l’élégance de son style. Plus que n’importe
qui d'autre, ses enseignements passent sans transition d'une idée à
une autre dans un flux continu, mais sans qu'il n'y ait de réelle
structure. Dans cette méthode d'exposition, Rabbi Nahmon est
sans doute l'interprète le plus artistique, et en réalité, cette
élégance et beauté est l'un des facteurs qui attirent beaucoup de
gens vers ses textes. Mais il convient de signaler qu'une similitude
linguistique entre deux mots apparaissant dans des contextes
totalement différents ne fait pas de l'enseignement qui se base sur
elle une parole nécessairement vraie et juste. De même, cela ne
reflète pas non plus le sens simple et clair du verset cité, tout
comme c'est le cas dans les expositions faites par HaZa''l ou
d'autres commentateurs. C'est plutôt la méthode d'exposition que
Rabbi Nahmon a choisi pour exprimer ses idées, et non pas ce
que « la Tôroh dit ». C'est évidemment parfaitement
légitime de choisir une méthode parmi d'autres. Là n'est pas le
problème. Mais il faut alors que le lecteur soit en capacité de
faire la distinction entre le contenu de l'enseignement et sa méthode
d'expression.
Rabbi
Nahmon, au moyen de son style particulièrement esthétique et
artistique, a créé des enseignements d'une profonde beauté, mais
tout cela n'est en rien indicateur de la véracité ou valeur des
enseignements eux-mêmes.
- Conclusion
Pour
résumer : comme pour les enseignements de n'importe qui, on est
en droit de ne pas accepter tout ce qui vient de Rabbi Nahmon
ou Breslev. Et ce n'est pas parce que certaines choses sont belles à
entendre qu'elles sont vraies ou fiables. En outre, l'idée même
selon laquelle la voie menant à Dieu passe par un individu
spécifique est étrangère au Judaïsme authentique.
Dans
le même temps, même si quelqu'un n'accepte pas tous les
enseignements de Rabbi Nahmon comme provenant du Sinaï, ou
n'adhère pas à la notion du « Saddiq », tout ce
qu'il a dit ne doit pas être ignoré. Il y a dans ses enseignements
de belles choses, des choses vraies, des choses qui aident à avancer
dans la vie et devenir quelqu'un de meilleur. Il incombe à chacun de
pouvoir faire le tri, comme pour n'importe quel autre rabbin. On ne
jette pas le bébé avec l'eau du bain !
1Voir,
par exemple, Talmoudh, ´érouvin 54b
2Talmoudh,
Yômo` 38b
3Talmoudh,
Soukkoh 45b
4Baré`shith
Rabboh 35:2
5Talmoudh,
Shabboth 33b
6Liqqouté
Mohara''n 56:1
7Nadhorim
20a
8Yômo`
8:1