dimanche 20 mars 2016

Le sens du mot « Simhoh »

ב״ה

Étymologie des mots dans la Langue Sainte

Le sens du mot « Simhoh »


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Poursuivons notre analyse des termes intéressants apparaissant dans la Maghillath ´astér ou étant en lien avec la fête de Pourim.

Nous avions vu dans l'article intitulé « Les autres Miswôth de Pourim – Le repas de fête et les dons aux pauvres ». que le concept de « Simhoh » était très présent et important pour les célébrations de la fête de Pourim. Lorsqu'on pose la question de la signification du terme « Simhoh », la quasi totalité des gens répondront qu'il veut dire « joie ». Nous allons voir que ce n'est pas là son unique définition.

ִמְחָה « Simhoh » provient de la racine מח. On forme le nom en ajoutant un ה, comme c'est le cas pour d'autres mots renvoyant à des sentiments comme אַהֲבָה « `ahavoh – amour », יִרְאָה « Yir`oh – crainte », ou encore חֶמְדָה « Hamdhoh – désir ». En plus de sa signification de « joie » en général, dans l'Hébreu talmudique il a commencé à se référer également à une « occasion/célébration joyeuse ». Il existe également l’adjectif שַׂמֵחַ « Saméah – joyeux ». Mais quel est le sens-même de la racine מח ?

Elle est liée à l'Ougaritique « shmh » (« être joyeux », « se réjouir »), à l'Arabe « shamaha » (« était élevé », « était fier »), et à l'Akkadien « shamahou/samahou » (« germer », « fleurir »). Étant donné que dans l'Hébreu authentique, les lettres et צ ont un son quasiment identique (d'où la raison pour laquelle je représente le צ par un s souligné – s -, afin de le distinguer du , comme c'est également le cas chez les Safaradhim orientaux, par exemple les Syriens, ou encore chez les Témonim et Irakiens, contrairement à ceux qui le translittèrent « ts », ce qui en fait une diphtongue, alors qu'il n'y a pas de diphtongue dans la langue hébraïque, puisque chaque lettre ne constitue qu'un seul son, et non une combinaison de deux sons ou plus. Voir également l'article intitulé « L'Hébreu Ancien », où nous avions montré qu'à l'origine, les lettres et ס ne constituaient en réalité qu'une seule et même lettre), la racine מח est en réalité également liée à la racine צמח, qui signifie « germer », « pousser », ou encore « surgir », un peu comme l'Akkadien « shamahou/samahou ».

Lorsqu'on sait tout cela, on a plus facile à comprendre certains versets dont la traduction habituelle est problématique. Prenons pour exemple le verset suivant1 :

`ôr Saddiqim Yismoh Wanér Rasho´im Yidh´okh
אוֹר־צַדִּיקִים יִשְׂמָח; וְנֵר רְשָׁעִים יִדְעָךְ

Ce verset est communément traduit par « La lumière des justes se réjouira, mais la lampe des méchants s'éteindra ». Cette erreur est basée sur le mythe couramment répandu selon quoi la racine מח signifie uniquement « se réjouir », « être joyeux ». Mais cela n'a aucun sens ici ! Comment une lumière peut-elle être joyeuse ? Et si le verset voulait dire que la lumière des justes rendra joyeuse (les autres), Shalômôh Hammalakh ע״ה aurait alors employé le mot יִשַׂמֵחַ « Yisaméah » au lieu de יִשְׂמָח « Yismoh ». Certains traducteurs ont vu le problème que posait la traduction susmentionnée, et n'ont rien trouvé de mieux que de complètement transformer le verset, comme par exemple la Bible du Rabbinat, qui le traduit de la manière suivante : « La lumière des justes répand une joyeuse clarté; la lampe des méchants est fumeuse », ce qui s'écarte totalement des propos de Shalômôh Hammalakh. En fait, יִשְׂמָח « Yismoh » signifie ici « jaillira » (dans le sens de gagner en intensité), et est donc proche de la signification de יִצְמָח « Yismoh », qui signifie « jaillira », « surgira », « poussera ». D'ailleurs, Yônoh `ibn Jon`oh, un lustre grammairien hébreu du 11ème siècle, écrit que la racine מח signifie « augmenter », et le Mé`iri ז״ל commente le verset susmentionné en disant qu'il signifie « la lumière des justes augmentera chaque jour ». Ainsi, nous pouvons plus correctement traduire par « La lumière des justes augmentera, mais la lampe des méchant s'éteindra ». Mais les gens qui se bornent à traduire la racine מח comme voulant uniquement dire « se réjouir » ne peuvent percevoir le message que transmet ici Shalômôh Hammalakh.

J'ai toujours dit qu'il existait un grave problème dans la manière dont la Langue Sainte est enseignée de nos jours dans la plupart des institutions religieuses. Les enfants se font enseigner les bases du Loshôn Haqqôdhash à un très jeune âge, dès le début de leur éducation religieuse formelle, mais leurs enseignants prêtent très peu d'attention aux détails, à la sagesse profonde, à la multiplicité des sens des mots, et à la beauté presque mathématique inhérente au Loshôn Haqqôdhash. Je donne moi-même des cours de Loshôn Haqqôdhash, et je suis frappé de voir que des gens qui ont appris cette langue Divine depuis l'enfance ne savent en réalité pas comment elle fonctionne, comment elle est harmonieuse.

Une autre signification de la racine מח est « briller » (tout comme en Anglais, le verbe « to brighten » peut signifier à la fois « rendre heureux » et « éclairer »), comme la racine araméenne צמח. Cela permet d'élucider un nombre important d'autres versets très familiers, comme par exemple : יִרְאוּ יְשָׁרִים וְיִשְׂמָחוּ « les gens intègres verront et seront radieux »2, ou encore : אוֹר, זָרֻעַ לַצַּדִּיק; וּלְיִשְׁרֵי־לֵב שִׂמְחָה « La lumière est semée pour les justes, l'éclat pour ceux dont le cœur est intègre »3. Les traducteurs de la NJPS connaissaient ce sens méconnu de la racine מח, et c'est pour cela qu'ils ont également traduit le verset de Mishlé 13:9 de la manière suivante : « La lumière des justes sera radieuse, mais la lampe des méchant s'éteindra », ce qui est tout à fait correct.

À la lumière de tout cela, nous devons admettre qu'au fur et à mesure du temps, des distinctions ont commencé à être faites en Hébreu entre les racines מח et צמח, alors qu'à l'origine elles signifient la même chose, comme nous pouvons le voir dans les autres langues sémitiques, comme l'Arabe ou encore l'Akkadien. Aujourd'hui, la plupart traduisent par מח « se réjouir » et צמח par « germer/pousser/grandir », alors qu'aucune différence ne devrait être faite entre elles.

Tout cela mit ensemble nous permet de comprendre qu'il existe un lien, et même un jeu de mots, entre « la joie », « le bonheur », « la lumière », et « l'éclat », dans les versets suivants de la Maghillath `astér4 :

Et la ville de Shoushon se réjouit (Sohaloh) et fut joyeuse (Soméhoh). Pour les Juifs, il y avait de la lumière (`ôroh), de la joie (Simhoh), du bonheur et de l'honneur.
וְהָעִיר שׁוּשָׁן, צָהֲלָה וְשָׂמֵחָה. לַיְּהוּדִים, הָיְתָה אוֹרָה וְשִׂמְחָה, וְשָׂשֹׂן, וִיקָר

Ce qui est remarquable dans ce verset, c'est que la racine מח peut aussi bien signifier « se réjouir » que « briller », mais qu'il en est également de même pour la racine צהל, que nous avons traduit ci-dessus par « se réjouit », et qui signifie à la fois « briller » et « se réjouir ». Il ne fait donc aucun doute qu'en associant ces deux racines verbales dans le même verset, avec le mot אוֹרָה « `ôroh » (lumière), l'auteur de la Maghillath `astér était en train de faire un jeu de mots servant à nous indiquer qu'ils ont tous le même sens, qu'ils sont tous liés les uns aux autres.

Je ne peux qu'inviter tout le monde à passionnément s'intéresser à la Langue Sainte, qui est d'une richesse insoupçonnée pour beaucoup. Et en vous penchant sur les sens multiples d'un même mot, vous comprendrez que la traduction « traditionnelle » n'est pas nécessairement la seule possible. D'ailleurs, de nombreux versets ont un sens totalement différent lorsqu'ils sont rapportés dans le Talmoudh, et plusieurs Sages pouvaient comprendre un même verset de diverses manières, grâce, précisément, à la richesse de la Langue Sainte. Un texte ne doit jamais être limité à un seul sens. C'est la Parole de Dieu, et Dieu étant infini, Sa Parole revêt des significations infinies, et selon les contextes et les situations un sens sera plus approprié qu'un autre.

1Mishlé 13:9
2Tahillim 107:42
3Ibid., 97:11

4`astér 8:15-16
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