mercredi 2 mars 2016

Shoushon et Shoushan Habbiroh ne sont pas le même endroit

ב״ה

Étymologie des mots dans la Langue Sainte

Shoushon et Shoushan Habbiroh ne sont pas le même endroit


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Poursuivons notre analyse des mots intéressants que l'on retrouve dans la Maghillath `astér, et qui sont d'origines étrangères. Penchons-nous cette fois sur le terme ִירָה « Biroh ». En raison du fait qu'en Hébreu moderne il signifie « capitale », l'écrasante majorité des Juifs qui lisent la Maghilloh déduisent faussement que l'expression שׁוּשַׁן הַבִּירָה « Shoushan Habbiroh », qui apparaît d'innombrables fois à travers le texte, désigne donc « Suse, la capitale ». Or, il n'en est pas ainsi !

Le mot « Biroh » provient en réalité de l'Akkadien « Birtou », qui signifie « forteresse ». Les Israélites de Babylonie l'adoptèrent sous la forme araméenne de בִּירְתָּא « Birto` ». En-dehors de la Maghillath `astér, « Biroh » est employé dans le livre de Nahamyoh en référence à Shoushan1, mais également en référence à la forteresse qui protégeait le Béth Hammiqdosh2. De même, dans le premier livre des Divré Hayyomim, il est là encore employé pour désigner la forteresse protégeant le Béth Hammiqdosh.3 Enfin, il est employé dans le livre de Doniyé`l en référence à Shoushan.4

De ces différents cas où il est employé, nous pouvons clairement voir qu'il n'avait absolument pas le sens moderne de « capitale ». Dans la Maghilloh, « Biroh » est employé pour désigner une forteresse, une citadelle, ou encore un palais fortifié. Plus tard, dans l'Hébreu rabbinique (utilisé dans les temps talmudiques), « Biroh » a fini par désigner un bâtiment imposant ou une insula. C'est le sens utilisé dans le Midhrosh où `avrohom `ovinou ע״ה est comparé à quelqu'un qui aperçoit une Biroh (un manoir) en feu, et s'en va chercher le בַּעַל הַבִּירָה « Ba´al Habbiroh » (maître du manoir). Mais jamais ce mot n'a eu la moindre connotation de « capitale », ce qui est une innovation de l'Hébreu moderne.

En fait, jusqu'à relativement récemment, tous les commentateurs, linguistes et traducteurs étaient d'accord sur le fait que « Biroh » désigne une espèce de forteresse (que ce soit un bâtiment ou une enceinte). Par exemple, le `ibn ´azro` ז״ל, dans son commentaire sur `astér 1:2, fait la différence entre la ville de Shoushon et la Biroh de Shoushan. Cette distinction est nécessaire parce qu'à deux reprises dans la Maghilloh5, nous voyons que la ville de Shoushon et la Biroh de Shoushan sont mentionnées ensemble, indiquant clairement qu'il s'agit donc de deux entités distinctes.

Comprendre que le terme « Biroh » désigne une forteresse ou un palais imposant, et non une capitale, nous permet de résoudre certaines difficultés dans le texte de la Maghilloh :

  1. Dans `astér 1:5, il est dit que le roi `ahashwérôsh organisa un banquet dans son jardin, et y invita tous ceux qui habitaient à « Shoushan Habbiroh ». Si le texte voulait parler de l'entièreté de la ville de Shoushon (Suse), il aurait été impossible de comprendre comment une ville entière aurait pu se trouver dans son jardin. Mais puisque le terme « Biroh » se réfère à une forteresse, nous comprenons que la fête ne concernait pas toute la ville de Shoushon, mais uniquement ceux qui résidaient dans la forteresse du roi, à Shoushan. On suppose que près de 1000 personnes y vivaient, ce qui est un nombre raisonnable de personnes dans les jardins de la résidence royale.
  2. Dans `astér 2:5, il est fait mention du fait qu'un Juif, Mordokhay ע״ה, vivait à « Shoushan Habbiroh ». Cela semble indiquer que dans toute la ville, il était le seul Juif. Comment cela pourrait-il être possible, puisque de très nombreux Juifs vivaient dans la ville de Shoushon ? Or, le texte veut simplement nous dire qu'il était le seul Juif dans l'enceinte de la forteresse royale. Le Go`ôn de Wilno` ז״ל met cela en avant dans son commentaire sur la Maghilloh, en disant que cela fait davantage ressortir la nature miraculeuse de l'histoire, puisque Mordokhay fut suffisamment béni que pour pouvoir se trouver dans la forteresse du roi, d'où le salut des Juifs commença. (C'est donc la Divine Providence qui a fait qu'il vivait là.)
  3. Dans `astér 9:6, il est dit que les Juifs tuèrent 500 hommes à « Shoushan Habbiroh ». Or, juste quelques versets plus loin, dans `astér 9:15, il est dit qu'après en avoir obtenu la permission de la part du roi, les Juifs tuèrent 300 personnes à Shoushon. Si Shoushan Habbiroh et Shoushon désignaient la même chose, il y a alors contradiction, ou un problème dans le texte. Or, puisque « Biroh » ne signifie pas « capitale », mais « forteresse », le texte nous dit en réalité qu'ils ont d'abord tué 500 personnes dans la forteresse de Shoushan, et seulement après 300 autres dans la ville de Shoushon. Il s'agit donc bien de deux endroits différents, de deux incidents distincts.
  4. Enfin, שׁוּשַׁן הַבִּירָה « Shoushan Habbiroh » s'écrit avec un Pattah sous le deuxième Shin, tandis que la ville de שׁוּשָׁן « Shoushon » s'écrit avec un Qomas sous le deuxième Shin, indiquant par-là que l'on ne parle pas du tout du même endroit, mais de deux lieux distincts.

Cela nous est d'ailleurs conformé par les recherches de très nombreux archéologues Gôyim modernes, principalement celles de Marc-Auguste Dieulafoy (1844-1920), qui ont mis à jour que la forteresse servait à faire la distinction entre l'acropole, où se trouvait le palais royal, et la ville de Suse, beaucoup moins fortifiée, et qui se trouvait de l'autre côté de la rivière de Karkheh. Cela démontre bien que Shoushan et Shoushon sont bien deux endroits différents. D'ailleurs, il est intéressant de signaler qu'un Midhrosh rapporté dans la Gamoro` de Maghilloh 15a relate que Mordokhay dû traverser une rivière afin de transmettre de `astér ע״ה (qui se trouvait dans la Biroh de Shoushan) un message aux Juifs (qui se trouvaient dans la ville de Shoushon). Là encore, Shoushan et Shoushon sont clairement deux endroits différents, et la mention de la rivière dans ce Midhrosh confirme les trouvailles archéologiques faites par Marc-Auguste Dieulafoy et d'autres.

C'est un exemple classique de la manière dont l'Hébreu moderne trompe les lecteurs de la Tôroh, puisqu'à cause du fait que « Biroh » fut choisi pour indiquer le mot « capitale », les lecteurs de la Maghilloh croient faussement depuis lors que l'expression « Shoushan Habbiroh » signifie « Suse, la capitale », alors que cela signifie « la forteresse de Shoushan », qui n'a rien à voir avec la ville de Shoushon (Suse), qui était située un peu plus loin. Le palais royal était situé à Shoushan, et c'est de lui que l'on parle par l'expression « Shoushan Habbiroh », alors que la ville de Shoushon est située de l'autre côté de la rivière de Karkheh. Shoushon était bien la capitale de l'Empire Perse, mais n'est pas liée à Shoushan ! Il est important de dorénavant clairement comprendre cette distinction chaque fois que vous lirez la Maghillath `astér !

La toute première fois que l'expression « Shoushan Habbiroh » fut traduite dans un ouvrage juif par « Suse, la capitale », ce fut par Artscroll, dans leur toute première publication, qui fut une traduction anglaise de la Maghillath `astér. Vous pouvez cliquer ici pour lire un extrait de ce livre. Ils ont traduit le verset de `astér 1:2 de la manière suivante :

that in those days, when King Ahasuerus sat on his royal throne which was in Shushan the capitol

Or, dans le commentaire sur ce verset, ils écrivent ceci :

Shoushan la Capitale
Il s'agit du palais entouré par la ville de Shoushon moins fortifiée, la partie résidentielle de Shoushon où les Juifs vivaient. (La capitale était séparée de la ville par une rivière.)

Qu'est-ce qui a bien pu passer par la tête de Artscroll lorsqu'ils ont écrit une telle bêtise ? (Et les livres de Artscroll sont remplis d'erreurs de ce genre.) « Capitol » (au lieu de « Capital », en Anglais) était-ce une erreur de frappe, et voulaient-ils écrire « Capital » ? Cette hypothèse n'est pas plausible, puisque dans leur commentaire, ils identifient clairement Shoushan comme étant le palais, et non la ville. Dans l'introduction de ce livre, Artscroll explique être plus proche de la tradition dans sa traduction que son concurrent de JPS, qui a traduit le TaNa''Kh sous le titre de « JPS 1917 ». La JPS 1917 traduit l'expression « Shoushan Habbiroh » par « Shoushan, le Château ». Peut-être qu'ils se sont dits qu'ils pouvaient se démarquer de la JPS en changeant la traduction de cette expression. Mais dans tous les cas, c'est du grand n'importe quoi, et c'est à cause de cette erreur de Artscroll, combinée à l'imposture de l'Hébreu moderne, que les gens comprennent généralement « Shoushan Habbiroh » comme désignant « Suse, la capitale », ce qui est faux, ainsi que nous l'avons démontré. (Cela dit en passant, dans leur dernière édition de la Maghillath `astér, Artscroll a remplacé « capitol » par « capital ». Il n'en reste pas moins que leur traduction est fausse.) Ce que nous avons donc ici est une innovation qui devrait être rejetée par tous les Juifs traditionnels.

C'est un excellent exemple sur l'importance de bien maîtriser la Langue Sainte, qui est totalement différente de l'Hébreu moderne, car si vous lisez le TaNa''Kh en ayant le sens donné aux mots par l'Hébreu moderne, vous passerez à côté du sens réel du texte que vous lisez !

1Nahamyoh 1:1
2Ibid., 2:8 et 7:2
31 Divré Hayyomim 29:1, 19
4Doniyé`l 8:2

5`astér 3:15 et 8:14-15
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