vendredi 3 avril 2020

Les différents mots hébreux pour désigner la « liberté »


בס״ד

Les différents mots hébreux pour désigner la « liberté »


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Il m'a été envoyé la question suivante :

Un des arguments des rabbanim anti-sionistes contre l'hymne israélienne est la présence du mot « 'hofshi » qui signifierait « affranchi du joug des misvotes »; or un rav sioniste religieux du nom d'Eliyyakim Simsovic a affirmé sur le site Cheela, que cet argument est stupide puisque le mot 'hoshi apparaît en bamidbar 15:12.

Quelle est l'opinion du Rav (shalit"a) sur cette divergence sémantique ?

C'est une question très intéressante pour les amoureux de la langue hébraïque, d'autant qu'elle a une pertinence pour la fête de Pasah, qui débutera la semaine prochaine. Mais pour y répondre intégralement, nous nous devons d'explorer les divers mots hébraïques se rapportant à la notion de « liberté » pour bien comprendre ce qu'il en est du mot חָפְשִׁי « Hôphshi ».

La fête de Pasah, lorsque le peuple juif a été émancipé de l'esclavage en Égypte, est décrite dans notre liturgie comme זְמַן חֵרוּתֵנוּ « Zaman Hérouthénou », « le temps de notre liberté ». Cependant, comme nous le verrons dans les lignes à venir, le mot « Hérouth » n'est pas le seul mot hébreu pour désigner la « liberté ». Lorsque la Tôroh fait référence à la libération des esclaves, elle utilise deux autres mots pour « liberté » : חֹפֶשׁ « Hôphash » et דְּרוֹר « Darôr ». Un mot supplémentaire, conceptuellement lié, est הֶפְקֵר « Haphqér » (« sans propriétaire »), qui est également lié à la liberté. Nous chercherons à comprendre les différences entre ces quatre mots et ce qui est à la base de ces mots. Chacun saura alors quel type de liberté exprime chaque mot.

Nous commençons par les mots « Darôr » et « Hôphash ». Le mot « Darôr » apparaît pour la première fois dans la Tôroh lorsque l'on parle de la libération des esclaves pendant l'année du Yôvél.1 Rash''i ז״ל, se basant sur Rô`sh Hashshonoh 9b, explique que le mot « Darôr » est lié au mot דָּר « Dor » (« habitant »), et fait référence à celui qui habite dans son propre domaine, et ne tombe pas sous le contrôle des autres.

« Darôr » est aussi un type d'oiseau dont l'essence même exprime cette notion. Le `ibn ´azro` ז״ל explique que l'oiseau « Darôr » chante joyeusement lorsqu'il est libre par ses propres moyens, mais s'il est capturé et coincé dans le domaine de l'homme, il refuse de manger jusqu'à sa mort. Le Séphar Ho´oroukh ז״ל raconte également que l'oiseau « Darôr » est suicidaire lorsqu'il perd sa liberté. Le Rada''q ז״ל, dans son Séphar Hashshôroshim, explique que l'oiseau « Darôr » est appelé ainsi parce qu'il construit des nids à l'intérieur des maisons des gens sans crainte d'être capturé, comme s'il était complètement libre de toute possibilité de capture.2 Ainsi, « Darôr » dénote le fait d'être « libre comme un oiseau ».

Lorsque la Tôroh demande que la « myrrhe pure » soit utilisée dans l'huile d'onction,3 le mot « Darôr » est utilisé pour dire « pure ». Ribbénou Yônoh `ibn Jano`h ז״ל et le Rambo''n ז״ל expliquent que c'est parce que la Tôroh exige qu'ils utilisent une myrrhe qui est exempte d'impuretés et de contrefaçons extérieures. Fait intéressant, le mot « Darôr » peut parfois être abrégé en דַּר « Dar », comme dans `astér 1:6 quand il fait référence à `ahashwérôsh accordant aux marchands une exonération fiscale spéciale.4

Le mot « Hôphash » apparaît également dans le TaNa''Kh dans le contexte de la libération des esclaves,5 bien qu'il signifie « vacances » en hébreu moderne. En ce qui concerne leur association mutuelle avec le concept de « liberté », le Rov Shalômôh `aharôn Wertheimer (1866-1935) explique que « Darôr » et « Hôphash » ne se réfèrent pas exactement au même phénomène. « Hôphshi » se réfère à la liberté d'une obligation de travailler, tandis que « Darôr » se réfère à la liberté de l'assujettissement à une personne spécifique qui domine sur l'individu. Ainsi, à première vue, aussi bien les sionistes que les antisionistes comprendraient et emploieraient le mot « Hôphshi » de travers. Lorsque les antisionistes enseignent que « Hôphshi » désignerait l'affranchissement du joug des Miswôth, ce serait en réalité une notion qui se retrouve plutôt dans le sens du mot « Darôr » et non « Hôphshi ». Quant aux sionistes, chanter dans leur hymne qu'ils ont attendu 2 000 ans pour être un peuple libéré de l'obligation de travailler, ce serait tout autant ridicule, et là encore, le mot « Darôr » serait de loin plus approprié s'ils voulaient exprimer le fait d'être désormais libres comme des oiseaux !

Le mot « Hérouth » n'apparaît pas dans le TaNa''Kh dans le contexte de la liberté. Néanmoins, c'est le mot standard utilisé pour libérer un esclave dans le langage rabbinique. Dans la prière de la Birkhath Hahôdhash, que nous disons le jour d'un Shabboth qui précède Rô`sh Hôdhash, nous implorons Hashshém ית׳ de nous faire passer de la « ´avdhouth » (« servitude ») vers la « Hérouth » (« liberté »). De plus, le terme mishnaïque שִׁחְרוּר « Shihrour » est un apparenté de « Hérouth » qui se réfère à l'acte formel de libérer un esclave, et la phrase mishnaïque עֶבֶד שֶׁנִּשְׁתַּחְרֵר « ´avadh Shannishtahrér » fait référence à un esclave libéré. Le soir de Pasah, nous nous efforçons d'agir comme des בְּנֵי חוֹרִים « BaHôrim » - « hommes libres ».

Bien que le TaNa''Kh lui-même n'utilise jamais le mot « Hérouth » dans le contexte de la liberté, la tradition rabbinique6 trouve une allusion biblique à une telle signification. La Tôroh décrit les Louhôth que Môshah Rabbénou ע״ה a apportées du Har Sinay comme מַעֲשֵׂה אֱלֹהִים, הֵמָּה; וְהַמִּכְתָּב, מִכְתַּב אֱלֹהִים הוּא--חָרוּת, עַל-הַלֻּחֹת « l'œuvre de `alôhim, et l'écriture était l'écriture de `alôhim, gravée (Horouth) sur les Louhôth ».7 La racine du mot hébreu qui signifie « graver » est généralement orthographié חרט. Cependant, dans ce contexte, une variante d'orthographe est utilisée, remplaçant le ט final par un ת. En raison de cette légère déviation de la norme, les Hakhomim ont trouvé quelque chose de plus profond dans ce verset : « Ne lis pas ''Horouth'' (''gravé''), mais ''Hérouth'' (''liberté''), car la seule personne qui est vraiment libre est celle qui s'occupe de l'étude de la Tôroh ». Il semble assez clair que si le but ultime de la Yasi`ath Misrayim était de donner au peuple juif la Tôroh au Har Sinay, alors le mot pour la liberté résultant de la Yasi`ath Misrayim devrait convenablement être « Hérouth » - et la fête qui célèbre cette liberté devrait être appelée « Zaman Hérouthénou ».

Néanmoins, notre compréhension de « Hérouth » ne tient pas compte de sa signification vis-à-vis des autres mots pour « liberté ». Pourquoi donc les Hakhomim ont-ils décidé d'utiliser le mot « Hérouth » pour « liberté » au lieu des mots trouvés dans le TaNa''Kh ?

Le philosophe britannique Isaiah Berlin (1909-1997) a distingué de façon célèbre deux types de liberté distincts : la « liberté négative » et la « liberté positive ». Sur la base de cette distinction philosophique, le rabbin Lord Jonathan Sacks (Grand Rabbin émérite du Royaume-Uni), offre une compréhension plus approfondie de la différence entre le « Hôphash » et la « Hérouth ». Il explique que l'adjectif « Hôphshi » désigne ce qu'un esclave devient quand il est libéré, affranchi. Cela signifie qu'il peut faire tout ce que son cœur désire. Le mot « Hôphash » est lié au חָפַץ « Hophés » (désir) et à חִפֵּשׂ « Hippés » (« chercher »). Le Rov Sacks, philosophe, identifie ce type de liberté avec la « liberté négative » car il dénote simplement le manque de coercition. C'est donc en cela que l'argument des antisionistes sur le terme « Hôphshi » est pertinent et exact.

La liberté négative peut valoir la peine au niveau individuel, mais au niveau de la société, il doit y avoir une certaine forme de règles - on ne peut pas simplement faire ce qu'on veut. D'un autre côté, la loi et l'ordre ne doivent pas être imposés de manière coercitive, car alors les masses en auront du ressentiment et résisteront à cette loi. Au lieu de cela, la loi doit être présentée et enseignée de manière à ce que chacun l'accepte de son plein gré. Lorsque cela se produit, la loi fait alors partie des citoyens qui l'ont acceptée - ancrée dans leur essence même - pour le plus grand bien. À cet effet, les Hakhomim ont inventé un nouveau terme « Hérouth », qui désigne une sorte de liberté qui vient à la société où les gens non seulement connaissent la loi, mais l'étudient constamment jusqu'à ce qu'elle soit gravée dans leur cœur (afin que חָרוּת « Horouth » et חֵרוּת « Hérouth » deviennent un). À première vue, cette « liberté positive » semble restrictive, mais en fait elle se révèle assez libératrice.

À vrai dire, le mot « Hôrim » apparenté à « Hérouth » apparaît réellement dans le TaNa''Kh, mais pas dans le contexte de la liberté en soi. « Hôrim » apparaît treize fois dans le TaNa''Kh en référence aux nobles et d'autres dignitaires.8 Rash''i9 explique que les « Hôrim » sont des gens de lignée. L'illustre Rov de Wurzberg, le rabbin Yishoq Dôv Bamberger (1807-1878), explique que « Hôrim » est lié aux mots araméens dont la racine est חור, qui signifie « blanc ». Il explique que les dignitaires sont appelés « blancs » parce que leur réputation doit être sans tache, et parce que seules les personnes importantes étaient autorisées à porter des vêtements blancs dans le monde antique.

Cela étant dit, il semble donc que les Hakhomim ont choisi d'utiliser le mot « Hérouth » et diverses déclinaisons de celui-ci afin de transmettre l'idée de liberté à Pasah pour une raison très importante. Ils souhaitaient souligner que les esclaves nouvellement libérés commencent leur nouvelle vie avec une table rase et qu'ils ont le potentiel de devenir des personnes importantes et nobles à part entière. À Pasah, nous reconnaissons et célébrons ce potentiel de grandeur. Ce regard optimiste, mais difficile, sur le brillant avenir d’un affranchi justifiait l’adoption par les Hakhomim d’un nouveau mot pour « liberté », même si le TaNa''Kh a déjà deux mots pour ce concept.

Ainsi, les sionistes et ceux qui ont composé la « Hatikva » (hymne national israélien) n'ont pas choisi le terme le plus approprié pour exprimer la liberté du peuple juif. D'où les objections religieuses, philosophiques et sémantiques des Juifs antisionistes vis-à-vis de la « Hatikva ».
1Wayyiqro` 25:10
2Voir aussi soh 24a.
3Shamôth 30:23
4Voir Maghilloh 12a.
5Notamment dans Shamôth 21, Davorim 15 et Yirmayohou 34.
6Mishnoh, `ovôth 6:2
7Shamôth 32:16
8Voir Rash''i sur Yirmayohou 27:20.
9Sur Sôtoh 49a.

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