vendredi 20 novembre 2015

Quelle était la faute de Hom et pourquoi Kano´an fut maudit (d'après Rash''i) ?

ב״ה

Quelle était la faute de Hom et pourquoi Kano´an fut maudit (d'après Rash''i) ?

Illustration : une pince à castrer

Cet article peut être téléchargé ici.

L'un des épisodes les plus obscures de la Tôroh concerne la faute commise par Hom ע״ה envers son père, Nôah ע״ה, et le fait que Nôah décida de maudire l'un des fils de Hom pour la faute de ce dernier. Cela nous est rapporté dans la Sidhroh de cette semaine, suivant le cycle triennal, la Sidhrath Wayyihyou Vané-Nôah (qui est téléchargeable dans la colonne de droite sur le blog). La Tôroh en parle en des termes très vagues. En fait, à première vue, la nature de la faute commise n'est pas du tout évidente. Voici ce que nous lisons1 :

Et les fils de Nôah qui sortirent de l'arche étaient Shém, Hom et Yofath. Et Hom était le père de Kano´an. Ces trois-là sont les fils de Nôah, et d'eux toute la terre fut peuplée. Et Nôah commença homme de la terre, et il planta une vigne. Et il but du vin, fut ivre et se découvrit au milieu de sa tente. Et Hom, le père de Kana´an, vit la nudité de son père, et il le raconta à ses deux frères à l'extérieur. Shém prit, ainsi que Yafath, une couverture, ils la placèrent sur les épaules des deux, et allant à reculons ils couvrirent la nudité de leur père ; et leur visage était à reculons. Ils ne virent pas la nudité de leur père. Et Nôah se réveilla de son vin, et il connut ce que lui avait fait son fils, le petit. Et il dit : « Maudit soit Kano´an ; qu'il soit l'esclave des esclaves pour ses frères ! ». Et il dit : « Béni soit `adhônoy, le Dieu de Shém, et que Kana´an soit un esclave pour lui ! Que `alôhim agrandisse Yafath ! Qu'il réside dans les tentes de Shém, et que Kana´an soit un esclave pour lui ! ».
וַיִּֽהְי֣וּ בְנֵי־נֹ֗חַ הַיֹּֽצְאִים֙ מִן־הַתֵּבָ֔ה שֵׁ֖ם וְחָ֣ם וָיָ֑פֶת וְחָ֕ם ה֖וּא אֲבִ֥י כְנָֽעַן׃ שְׁלֹשָׁ֥ה אֵ֖לֶּה בְּנֵי־נֹ֑חַ וּמֵאֵ֖לֶּה נָֽפְצָ֥ה כָל־הָאָֽרֶץ׃ וַיָּ֥חֶל נֹ֖חַ אִ֣ישׁ הָֽאֲדָמָ֑ה וַיִּטַּ֖ע כָּֽרֶם׃ וַיֵּ֥שְׁתְּ מִן־הַיַּ֖יִן וַיִּשְׁכָּ֑ר וַיִּתְגַּ֖ל בְּת֥וֹךְ אָֽהֳלֹֽה׃ וַיַּ֗רְא חָ֚ם אֲבִ֣י כְנַ֔עַן אֵ֖ת עֶרְוַ֣ת אָבִ֑יו וַיַּגֵּ֥ד לִשְׁנֵֽי־אֶחָ֖יו בַּחֽוּץ׃ וַיִּקַּח֩ שֵׁ֨ם וָיֶ֜פֶת אֶת־הַשִּׂמְלָ֗ה וַיָּשִׂ֨ימוּ֙ עַל־שְׁכֶ֣ם שְׁנֵיהֶ֔ם וַיֵּֽלְכוּ֙ אֲחֹ֣רַנִּ֔ית וַיְכַסּ֕וּ אֵ֖ת עֶרְוַ֣ת אֲבִיהֶ֑ם וּפְנֵיהֶם֙ אֲחֹ֣רַנִּ֔ית וְעֶרְוַ֥ת אֲבִיהֶ֖ם לֹ֥א רָאֽוּ׃ וַיִּ֥יקֶץ נֹ֖חַ מִיֵּינ֑וֹ וַיֵּ֕דַע אֵ֛ת אֲשֶׁר־עָ֥שָׂה ל֖וֹ בְּנ֥וֹ הַקָּטָֽן׃ וַיֹּ֖אמֶר אָר֣וּר כְּנָ֑עַן עֶ֥בֶד עֲבָדִ֖ים יִֽהְיֶ֥ה לְאֶחָֽיו׃ וַיֹּ֕אמֶר בָּר֥וּךְ יְהוָ֖ה אֱלֹ֣הֵי שֵׁ֑ם וִיהִ֥י כְנַ֖עַן עֶ֥בֶד לָֽמוֹ׃ יַ֤פְתְּ אֱלֹהִים֙ לְיֶ֔פֶת וְיִשְׁכֹּ֖ן בְּאָֽהֳלֵי־שֵׁ֑ם וִיהִ֥י כְנַ֖עַן עֶ֥בֶד לָֽמוֹ׃

Rash''i ז״ל offre une explication frappante2 :

Maudit soit Kana´an : À cause de toi, je n'aurai pas un quatrième fils pour me servir. Maudit soit donc ton quatrième fils, et qu’il soit asservi aux descendants des aînés sur lesquels incombe désormais la charge de me servir !3 Et pourquoi Hom l'a-t-il émasculé ? Il a dit à ses frères : « `odhom a eu deux fils, dont l'un a tué l'autre pour l’héritage du monde. Notre père a déjà trois fils, et il en voudrait encore un quatrième ? ! »4.
אָרוּר כְּנַעַן. אַתָּה גָּרַמְתָּ לִי שֶׁלֹּא אוֹלִיד בֵּן רְבִיעִי אַחֵר לְשַׁמְּשֵׁנִי אָרוּר בִּנְךָ רְבִיעִי לִהְיוֹת מְשַׁמֵּשׁ אֶת זַרְעָם שֶׁל אֵלּוּ הַגְּדוֹלִים שֶׁהוּטָל עֲלֵיהֶם טוֹרַח עֲבוֹדָתִי מֵעַתָּה. וּמַה רָאָה חָם שֶׁסֵּרְסוֹ אָמַר לָהֶם לְאֶחָיו אָדָם הָרִאשׁוֹן שְׁנֵי בָּנִים הָיוּ לוֹ וְהָרַג זֶה אֶת זֶה בִּשְׁבִיל יְרוּשַׁת הָעוֹלָם וְאָבִינוּ יֵשׁ לוֹ שָׁלֹשׁ בָּנִים וְעוֹדֶנּוּ מְבַקֵּשׁ בֵּן רְבִיעִי

Ce qui ressort de ce commentaire est l'explication de ce que Hom aurait fait à Nôah ; il l'aurait castré. Cette explication aide à clarifier pourquoi Nôah accuse Hom de l'avoir « empêché » d'avoir un quatrième fils. Cela aide également à faire le lien entre l'acte commis par Hom et pourquoi Nôah maudit Kano´an : Nôah avait trois fils (Shém, Hom et Yofath), tandis que Hom en avait quatre (Koush, Misrayim, Pout et Kano´an). Hom l'ayant empêché d'avoir un quatrième fils, Nôah maudit le quatrième fils de Hom, qui était Kano´an. Mais nous devons également comprendre pourquoi Nôah était si désireux d'avoir un quatrième fils. Le même Midhrosh auquel se réfère Rash''i explique que lorsqu'il était encore dans l'arche, Nôah souffrit énormément de son désir intense d'avoir un quatrième fils pour le servir. Cela semble avoir été un désir ardent de sa part. Nous devons également nous demander pourquoi Nôah ressentit plus particulièrement ce désir durant le temps où il résidait dans l'arche. Une autre question qui émerge à la lecture de ce Midhrosh est qu'il semble que la raison pour laquelle Hom empêcha Nôah d'avoir un quatrième fils n'était pas liée au désir de Nôah d'avoir un autre enfant. Nôah désirait un fils pour le servir, tandis que Hom voyait un nouvel enfant comme une sorte de menace, semblant sous-entendre qu'avoir un fils dans le but de servir son père n'était en rien un problème. Est-ce effectivement le cas ?

Répondre à ces questions, comme pour toute explication midrashique, n'est pas chose aisée. Un commentaire sur le Midhrosh concernant le désir de Nôah d'avoir un quatrième fils relève que le but de ce quatrième fils, pour le servir, se rapporte au ָבוֹד « Kovôdh » (honneur) dont un enfant doit faire preuve envers ses parents. C'est un point très pertinent lorsqu'il est compris dans le contexte du déluge et l'objectif du כִּיבּוּד הוֹרִים « Kibboudh Hôrim » (honneur des parents). Le déluge fut la destruction de l'humanité, un redémarrage aux proportions épiques. Ainsi, la Miswoh de פִּרְיָה וְרִבְיָה « Piryoh Warivyoh » (fructification et multiplication ; la Miswoh de faire des enfants) prit un tout autre sens. Nôah avait trois enfants, dont chacun individuellement allait contribuer à repeupler le monde. Et il ne fait aucun doute qu'une partie de son désir d'avoir un quatrième fils était liée à sa volonté d'également se joindre à ce renouvellement de la Miswoh. Mais c'était tout, il n'y aurait eu aucune nécessité d'ajouter l'envie d'avoir un fils pour le servir. Avoir un quatrième fils aurait suffit en soi. ,non, Nôah avait une autre idée à l'esprit, une idée qu'il considérait comme faisant partie intégrante du concept même de repeuplement du monde.

L'une des notions fondamentales du Kibboudh Hôrim est que cette Miswoh est un moyen d'atteindre une compréhension plus grande de la relation entre l'homme et HaShem ית׳. La dépendance créée entre un enfant et un parent doit mener l'enfant à reconnaître sa dépendance ultime à HaShem. La notion même d'avoir été « créé » par ses parents mène chacun à voir HaShem comme le Créateur ultime. Les parents, à travers la Miswoh de Kibboudh Hôrim, deviennent un véhicule pour la compréhension de ces idées importantes sur HaShem. Nous pouvons comprendre de la perspective de l'enfant l'importance de voir cela. Dans le même temps, nous devons voir le rôle que les parents remplissent ; ils servent de véhicule vers ces idées essentielles. Il est possible que Nôah aspirait à remplir ce rôle avec son quatrième enfant.

Mais n'en avait-il pas déjà trois ? N'était-il pas possible de remplir ce rôle avec ses trois autres enfants qui lui étaient nés avant le déluge ? Il est possible que le déluge ait redéfini le rôle des parents en tant que véhicules. Nôah et sa famille furent les témoins directs de l'annihilation totale de l'humanité. Ils virent de leurs propres yeux la manifestation de la Providence Divine. Cela était plus qu'évident qu'ils furent les uniques survivants. Pensez à l'impact énorme qu'une telle réalisation a dû avoir sur eux. Ils comprirent l'étendue de leur dépendance à HaShem. Ils reconnurent sans l'ombre du moindre doute la réalité du Créateur. Il n'y avait plus besoin de véhicule, d'un mécanisme pour parvenir à la compréhension de ces concepts. Les parents n'étaient plus un véhicule pour Shém, Hom et Yofath. Mais cela ne signifie pas qu'ils n'honoraient pas leurs parents. Ils le faisaient, mais le rôle significatif que joue le Kibboudh Hôrim dans le perfectionnement d'un enfant n'avait plus de pertinence, puisqu'ils pouvaient parvenir à la compréhension de ces concepts sans leurs parents, car la Divinité et Sa Providence étaient plus qu'évidentes.

Nôah perçut cela comme un vide dans la Miswoh de Piryoh Warivyoh. À son niveau le plus basique, la Miswoh de peupler la terre est en phase avec la nécessité de perpétuer l'espèce humaine. Néanmoins, on ne doit pas voir Piryoh Warivyoh comme étant simplement un moyen d'assurer la croissance de la population humaine. Par le résultat même de Piryoh Warivyoh arrive l'opportunité de s'adonner au Kibboudh Hôrim. Chaque enfant né, lié à ses parents, possède désormais un véhicule disponible et accessible pour se rapprocher d'HaShem. Oui, il y a deux Miswôth distinctes, une de perpétuer la race humaine et l'autre d'honorer ses parents. Mais l'idée ici est qu'il y a un lien philosophique entre les deux. Il se pourrait donc que Nôah désirait ce quatrième fils plus que le recommencement de Piryoh Warivyoh ; c'était un renouvellement du concept même de Kibboudh Hôrim.

Nous voyons que Hom ne prit pas bien les souhaits de Nôah. Mais, à la lumière des idées exprimées plus haut, nous pouvons voir la menace qui relie le raisonnement de Nôah à la « rébellion » de Hom. Hom avait survécu au déluge, et était, à l'évidence, affecté. Il ne fait aucun doute que le concept de Kovôdh envers son père changea également ; ce furent les événements de l'époque qui causèrent ce changement. Hom se rapportait à présent à son père différemment en raison de ce changement de Kovôdh. Comme nous l'avons expliqué plus haut, un père sert de véhicule vers des idées plus profondes. Mais il remplit également une autre fonction : c'est un pourvoyeur d'héritage. Puisque son père n'était plus un véhicule vers des idées plus profondes, le rôle essentiel de son père n'était donc plus qu'être un pourvoyeur d'héritage, et c'était quelque chose que Hom ne voulait pas voir changer ou être affecté de quelque façon que ce soit. Certainement, d'autres facteurs psychologiques entraient en compte. Mais le thème développé ci-dessus aide à expliquer une partie de ce qui a causé cet acte de brutalité que constitue une castration.

L'idée essentielle à retenir ici réside dans la compréhension que Nôah avait du lien existant entre la perpétuation des espèces et l'opportunité du Kibboudh Hôrim. Un quatrième enfant, aux yeux de Nôah, signifiait la restauration de cette relation importante.

Précisons toutefois que la castration n'est qu'une seule des deux opinions de ce qu'a été la faute commise par Hom envers son père. Rash''i lui-même, dans son commentaire sur Baré`shith 9:22, cite la Gamoro` de Sanhédhrin 70a qui rapporte une divergence d'opinion à ce sujet entre Rov ז״ל et Shamou`él ז״ל : d'après l'un, la faute de Hom fut qu'il castra son père, comme nous l'avons expliqué dans cet article, tandis que d'après l'autre, sa faute fut qu'il sodomisa son père. Rash''i ne prend pas vraiment position dans ce débat, indiquant par-là qu'il considère les deux opinions comme plausibles et valables. Concernant l'opinion selon laquelle Hom sodomisa Nôah, Kano´an fut maudit parce que c'est lui qui a vu nu Nôah en premier et est allé ensuite, par vice, alerter son père, Hom, qui sodomisa Nôah en présence de Kano´an qui, non seulement ne fit rien pour stopper son père, mais eut plaisir de ce qu'il voyait.5 Hom et Kano´an étaient tous les deux mauvais, mais étant donné que c'est Kano´an qui fut à l'origine de la faute de Hom, c'est lui qui fut maudit par Nôah.

Ce qui est important à retenir ici est qu'un acte très grave s'est produit et était d'une nature, à l'évidence, sexuelle. Et il existe sept indices dans le texte même de la Tôroh pour soutenir chacune des deux opinions (la castration ou la sodomie). Pour ma part, je trouve l'hypothèse de la sodomie plus convaincante, car cela explique mieux pourquoi Kano´an fut lui aussi maudit, car il a eu un rôle actif dans le péché commis par son père, alors que si on considère que c'est l'hypothèse de la castration qui est la bonne, pourquoi Kano´an, qui n'a rien fait, aurait mérité d'être maudit pour le péché commis par son père ? Cela n'a pas tellement de sens de maudire le quatrième fils de Hom simplement parce que Hom empêcha Nôah d'avoir un quatrième fils...à moins de dire que Kano´an vit Nôah nu et ivre en premier, alla alerter son père, et lui suggéra l'idée de la castration ou eu une part active dans la castration. Mais comme cela a été dit (et nous y reviendrons sans doute une autre fois), il y a de nombreux indices disséminés dans le texte de la Tôroh elle-même pouvant soutenir les deux approches, et il est certain que Hom a soit sodomisé soit castré son père, Nôah (mais seule le scénario de la sodomie permet clairement de comprendre pourquoi Kano´an fut maudit par Nôah. En outre, sur les sept indices textuels, la majorité d'entre eux accréditent fortement l'hypothèse de la sodomie plus que celle de la castration).

1Baré`shith 9:18-25
2Commentaire sur Baré`shith 9:25
3Midhrosh Baré`shith Rabboh 36:7
4Ibid., 36:5

5Midhrosh Baré`shith Rabboh 36
Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...