vendredi 11 décembre 2015

Jusqu'où va l'application de la Malo`khoh de Bôrér ?

ב״ה

Jusqu'où va l'application de la Malo`khoh de Bôrér ?


Cet article peut être téléchargé ici.

L'une des trente-neuf Malo`khôth de Shabboth mentionnées dans la Mishnoh1 est בּוֹרֵר « Bôrér », qui consiste à « séparer » un mélange de déchet et de nourriture. C'est l'une des Malo`khôth nécessaires à la סִידּוּרָא דְּפַּת « Siddouro` Dapath », l'ordre des activités dans le processus de préparation du pain, depuis le labourage de la terre jusqu'à la cuisson du pain.

En général, comme les Ri`shônim l'apprennent de la Gamoro` de Shabboth 74a-b, vous ne pouvez sélectionner au sein d'un mélange que sous trois conditions :

  1. vous retirez la nourriture du déchet, et non vice-versa
  2. vous retirez la nourriture à la main
  3. vous retirez la nourriture pour une consommation immédiate.

Lorsqu'une de ces trois conditions n'est pas remplie, la Malo`khoh de Bôrér a été transgressée. Nous avions abondamment parlé de cette Malo`khoh dans l'article intitulé « Les trente-neuf Malo`khôth : Bôrér – Sélectionner ».

L'une des questions centrales qui se posent concernant Bôrér est : jusqu'où va son application ? Quelles sortes d'éléments mélangés sont inclues dans l'interdiction ? Juste la nourriture et le déchet, ou aussi les fourchettes et les couteaux ?

La majorité des Juifs d'aujourd'hui applique cette Malo`khoh aux vêtements (sortir un vêtement d'une armoire, lorsqu'on a plusieurs tenues différentes, constituerait un acte de Bôrér), aux livres (sélectionner un livre dans une pile constituerait un acte de Bôrér), ainsi qu'aux couverts (séparer des fourchettes de couteaux constituerait un acte de Bôrér). Mais tout cela est du non sens. Qu'est-il dit dans le Talmoudh ?

Il y a deux approches rapportées dans le Talmoudh, et les deux sont complémentaires. D'un côté, Rébbi Yôhonon ז״ל (et dans une moindre mesure, Rébbi Youdhon ז״ל également) explique que lorsqu'on analyse comment cette Malo`khoh était réalisée dans le contexte du Mishkon, on peut la définir comme le fait de purifier des ingrédients dont on fera de la nourriture. Cela est parfaitement logique, puisque après avoir vanné le blé, on séparait à la main les grains des déchets qui ne s'étaient pas envolés après le vannage, gardant ainsi uniquement les grains que l'on comptait utiliser pour la confection du pain. Cette Malo`khoh ne s'appliquerait donc qu'au fait de retirer les déchets non comestibles d'un aliment, comme la balle des grains ou la lie du vin. Cette approche est rapportée dans le Talmoudh Yarousholmi.2

Mais les `ammôro`im du Talmoudh Bavli, et tous les rabbins qui leur succédèrent (les Ga`ônim et les Ri`shônim), tranchent que la Malo`khoh de Bôrér s'applique au fait de séparer tous types différents d'aliments.3 Nous pouvons aisément comprendre la première approche, mais qui a-t-il de « mal » à séparer une sorte d'aliment d'une autre ?

Cette question est au cœur de l'essence de l'acte de Bôrér. Il y a deux interprétations possibles de la Malo`khoh de Bôrér. L'une est que Bôrér est un acte de תִּיקּוּן « Tiqqoun », c'est-à-dire d'amélioration ou « rectification » d'un aliment, et de ce fait cette Malo`khoh s'applique uniquement au fait de retirer des déchets pour rendre l'aliment consommable (ou apte à être utilisé pour en faire de la nourriture). Mais l'autre est que Bôrér signifie littéralement « séparer » un mélange, et au vue du sens littéral cela s'appliquerait dès lors que nous avons deux sortes d'aliments qui sont mélangés ensemble. Ainsi, la première approche colle mieux à la Siddouro` Dapath telle que cela se faisait dans le contexte du Mishkon, tandis que la deuxième colle mieux au sens même du terme « Bôrér ». Mais ces approches ne sont pas exclusives l'une par rapport à l'autre, car même en adoptant la première approche il pourrait toujours être interdit de séparer un mélange de deux aliments. En effet, l'aliment que vous ne désirez pas sur le moment peut subjectivement être défini comme étant du « déchet ».4 C'est pourquoi les deux approches furent acceptées, et en vertu de la Malo`khoh de Bôrér, il est tout autant interdit de littéralement retirer des déchets d'un aliment (ou de quelque chose que l'on compte utiliser pour en faire de la nourriture) que séparer deux sortes d'aliments mélangées ensemble. D'ailleurs, en lisant le Ramba''m ז״ל, dans son Mishnéh Tôroh5, il fait la distinction entre les lois de Bôrér pour un mélange de deux aliments et les lois de Bôrér pour un mélange de déchets dans un aliment, indiquant par-là que sont les deux faces de la même pièce.

Le Talmoudh, les Ga`ônim et les Ri`shônim n'ont toujours appliqué cette Malo`khoh qu'à la nourriture. D'où provient donc le fait de l'appliquer également aux choses non liées à la nourriture, comme des livres, des couverts ou encore des vêtements ?

Le tout premier Pôséq à appliquer cette Malo`khoh à d'autres choses que la nourriture fut le Touré Zohov (Rabbi Dowidh Halléwi Ségal, 1586-1667). Il déduit cela de la déclaration suivante : אמר רבא: האי מאן דעבד חביתא חייב משום שבע חטאות « Ravo` a dit : Celui qui fait un baril [en faïence] est coupable en raison de sept transgressions ».6 Les sept transgressions de Shabboth dont on parle ici sont :

  1. les mottes de terre sont d'abord écrasées et réduites en poudre, ce qui est la transgression de la Malo`khoh de moudre,
  2. les morceaux plus épais qui n'ont pas bien été réduits en poudre sont retirés, ce qui est la transgression de la Malo`khoh de séparer (Bôrér),
  3. la terre est ensuite tamisée,
  4. la poudre est mélangée à de l'eau, ce qui est la transgression de la Malo`khoh de pétrir,
  5. l'argile qui en résulte est poli lorsqu'est réalisé le moule de l'ustensile, ce qui constitue la transgression de la Malo`khoh de polir/lisser,
  6. le feu est allumé dans le four, et
  7. l'ustensile est durci dans le four, ce qui est la transgression de la Malo`khoh de cuire.

Rash''i ז״ל commente cette Gamoro` en disant que Bôrér s'applique donc également au processus de confection de la faïence, qui n'est, à l'évidence, pas de la nourriture. Le Touré Zohov conclut donc que la Malo`khoh de Bôrér ne s'applique pas qu'à la nourriture. C'est ainsi que de nombreux autres Pôsqim, parmi lesquels le Tôsafath Shabboth, le Shoulhon ´oroukh Horov, le Hayé `odhom, le Tif`arath Yisro`él et le Mishnoh Barouroh soutiennent que Bôrér peuvent s'appliquer à de nombreuses choses autres que de la nourriture, d'où les exagérations que nous connaissons aujourd'hui au niveau de cette Malo`khoh.

Le raisonnement de tous ces Pôsqim est erroné. Premièrement, il existe des Malo`khôth qui ne s'appliquent à la base qu'à un domaine en particulier, mais que HaZa''l ont appliqué également à un autre domaine à cause des similitudes frappantes entre les deux domaines. Mais cela ne veut pas dire que parce qu'ils ont fait une exception à la règle nous pouvons élargir l'application de ces Malo`khôth à d'autres domaines non mentionnés par nos Sages. Prenons l'exemple de la Malo`khoh de Dosh. Bien que cette Malo`khoh ne s'applique, à la base, qu'aux choses qui poussent de la terre, HaZa''l l'ont également appliquée au fait de traire une vache, extraire du lait des mamelles d'une femme, et presser un fruit pour en extraire le jus, car tous ces actes remplissent en tous points les critères de la Malo`khoh de Dosh et causent le même résultat. (Voir l'article intitulé « Les trente-neuf Malo`khôth : Dosh – Battre ».) Mais nous ne pouvons pas aller au-delà de ces exceptions et les appliquer à d'autres choses. Par exemple, le Ramba''m écrit clairement que la Malo`khoh d'essorer (qui est un dérivé de la Malo`khoh de blanchir) ne s'applique pas aux cheveux ! Une femme (ou un homme) peut presser ses cheveux mouillés à Shabboth pour les faire sécher. Ce n'est pas parce que presser un vêtement pour en extraire l'eau est interdit que nous devons considérer que tout acte de pression avec n'importe quoi est interdit ! De même ici, ce n'est pas parce qu'une exception a été faite pour appliquer la Malo`khoh de Bôrér à la confection de faïence que l'on doit considérer que tout acte de tri ou de sélection avec n'importe quoi peut donc être interdit. Si une exception a été faite avec l'argile, c'est parce que dans son essence, retirer des déchets de la terre que l'on souhaite garder pour en faire un ustensile est, dans le fond, un acte qui peut effectivement remplir les critères de la Malo`khoh de Bôrér. Mais en quoi est-ce comparable au fait d'ouvrir une armoire et sélectionner une chemise plutôt qu'une autre, de séparer des fourchettes de couteaux, ou choisir dans une pile un livre plutôt qu'un autre ?

Deuxièmement, aucun des Ga`ônim et des Ri`shônim n'a compris ce passage talmudique comme étant de la Halokhoh. C'est uniquement l'opinion de Ravo` ז״ל qui est rapportée. Et le simple fait, qu'à part ici, la Malo`khoh de Bôrér a toujours été comprise dans le Talmoudh comme ne s'appliquant qu'à la nourriture, et que les Ga`ônim et les Ri`shônim ne l'ont également jamais appliquée à quoi que ce soit d'autre qu'à la nourriture, démontre à lui tout seul que l'opinion de Ravo` n'a jamais été pris pour la Halokhoh. (Cela n'empêche pas que fabriquer un baril en faïence à Shabboth est, évidemment, interdit.)

En fait, bien que le Hiddoush du Touré Zohov soit aujourd'hui largement accepté, il n'a aucun sens et plusieurs Pôsqim ont exprimé être mal à l'aise face à cette approche et tentèrent d'en limiter l'application. Par exemple, le ´oroukh Hashoulhon7 ז״ל écrit que sélectionner quelque chose d'une pile de vêtements, de couverts et de livres, n'est pas du tri mais simplement l'acte de « prendre » quelque chose ! Deuxièmement, quand bien même cela constituerait du tri, prendre quelque chose pour un usage immédiat est permis, tout comme trier de la nourriture pour une consommation immédiate est permis. Le `ôr Saméah8 ז״ל limite également la portée du Hiddoush du Touré Zohov avec des arguments similaires. Et des Pôsqim contemporains9 sont également d'avis que Bôrér ne s'applique pas du tout aux vêtements, aux livres et aux ustensiles, même si, dans le même temps, pour ne pas se mettre les « religieux » à dos, ils ajoutent que Lakhattahiloh il serait préférable de ne pas le faire.

Mais à la lumière de tout ce qui a été dit, Bôrér ne s'applique qu'à la nourriture (ou ce que l'on compte utiliser pour la confection d'un aliment), et à rien d'autre ! Par conséquent, il ne convient pas du tout de prendre en compte cette opinion de « prudence », et « trier » dans les vêtements, livres ou couverts ne pose aucun problème de Bôrér !

1Shabboth 73a
2Shabboth 7:2
3Shabboth 74a
4Tôsofôth sur Shabboth, Ibid.
5Hilkôth Shabboth Chapitre 8
6Shabboth 74b
7319:9
8Sur Hilkôth Shabboth 8:11

9Voir, par exemple, dans Yabbia´ `ômér 5:31 et Sis `ali´azar 12:35
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