dimanche 27 décembre 2015

Faire du vélo à Shabboth

ב״ה

Faire du vélo à Shabboth


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Question : Est-il permis, d'un point de vue strictement halakhique, de rouler à vélo le Shabboth ?

Réponse : Tout le monde est d'accord pour dire que rouler en soi n'implique aucune Malo`khoh de Shabboth. En effet, exercer une force sur une pédale et par un liaison mécanique faire bouger ou stopper les roues n'implique aucune Malo`khoh. La Halokhoh est remplie d'exemples de mécanismes similaires, qui sont tout à fait permis, comme exercer une pression sur le levier d'un aérosol, tirer la chasse d'eau des toilettes ou encore faire tourner l'aiguille d'une montre qui fonctionne. (Nous ne faisons pas tourner l'aiguille d'une montre qui s'est arrêtée, car autrement cela équivaudrait à opérer une « réparation » d'un objet « cassé », ce qui est interdit.) Néanmoins, la majorité des Pôsqim modernes et contemporains interdisent de rouler à vélo le Shabboth, et ce, pour quatre raisons principales, dont nous allons analyser la pertinence.

  • Argument n°1 : Peut-être que quelque chose sur le vélo va se casser et le cycliste aura à le réparer. Réparer est interdit.

Il est bien connu que le Ban `ish Hay ז״ל (Rabbi Yôséf Hayim de Bagdad, 1835-1909) a rédigé une très longue responsa (רָב פְּעָלִים « Rov Pa´olim ») dans laquelle il réfute tous les arguments avancés pour interdire de rouler à vélo le Shabboth. Concernant ce point précis, il écrit ceci, dans l'addenda, au tout début du Rov Pa´olim :

J'ai entendu certains dire que nous devrions interdire [le vélo à Shabboth là où il y a un ´érouv] parce qu'il pourrait se casser et la personne pourrait en arriver à le réparer. C'est également un argument vain et qui ne mérite même pas d'être mentionné. Tout d'abord, il ne se casse pas si facilement. En outre, nous ne devrions pas émettre des décrets qui ne furent pas émis par les rabbins du Talmoudh, car autrement il y aurait de nombreux objets permis qui peuvent aisément se casser que nous devrions interdire. Nous voyons dans le Shoulhon ´oroukh Simon 339 de nombreuses choses interdites à Shabboth par les rabbins du Talmoudh parce qu'on pourrait en arriver à écrire ou réparer ; et pourtant, nous ne devons pas appliquer ces décrets de notre propre initiative à des choses qui n'ont pas été spécifiquement mentionnées par les rabbins. Ainsi, il existe de nombreux cas où ces décrets selon quoi on pourrait en arriver à écrire ou réparer pourraient s'appliquer mais qui sont permis parce que les rabbins n'ont pas appliquer ces décrets à ces cas-là.

Dans son introduction au Mishnéh Tôroh, le Ramba''m ז״ל a lui aussi clairement écrit que depuis que le Talmoudh a été scellé, émettre de nouveaux décrets n'est pas autorisé. Nous ne devons nous baser uniquement que sur ce qui a été tranché par HaZa''l, qui avaient l'autorité biblique d'imposer des décrets à l'ensemble du peuple d'Israël, ce qui n'est pas le cas des rabbins post-talmudiques. Notons que le Hydo''` ז״ל (Rabbi Hayim Yôséf Dowidh `azoula`y, 1724-1807) écrit la même chose1, en précisant qu'il n'est pas permis de comparer les décrets des rabbins les uns avec les autres, sauf lorsque le Talmoudh lui-même fait une comparaison. En d'autres mots, ce n'est pas parce qu'une chose semble similaire à ce qui est dit dans le Talmoudh qu'il serait permis d'appliquer la règle à cette situation ; si le Talmoudh dit que la règle s'applique dans tel ou tel cas, mais ne précise pas qu'elle s'applique également à d'autres, nous ne pouvons pas l'appliquer à ces autres cas, quand bien même ils sembleraient être similaires. Et il cite le Sifathé Kôhén ז״ל (Rabbi Shabbothay ben Mé`ir Hakkôhén, 1621-1662) et le Moghén `avrohom ז״ל (Rabbi `avrohom `abbélé Halléwi Gômbiner, 1635-1682) comme ayant écrit la même chose.

S'appuyant sur ce principe, le Ban `ish Hay rejette l'argument du vélo qui pourrait se casser, car si l'interdiction de rouler à vélo devait s'appuyer sur cela, il y aurait alors plein de choses que nous ne pourrions pas faire à Shabboth à cause du risque de casser quelque chose, puisque pratiquement n'importe quoi est susceptible de se casser de façon inattendue, comme par exemple s'asseoir sur une chaise dont on ne savait pas qu'elle était fragilisée. Et pourtant, nos Sages ne nous ont pas interdit de nous asseoir à Shabboth par crainte que la chaise puisse se casser. Cela équivaut donc à émettre un nouveau décret.

  • Argument n°2 : Peut-être que le cycliste ira au-delà du Tahoum de Shabboth, ce qui est interdit

Il y a une interdiction rabbinique de dépasser le Tahoum de Shabboth, c'est-à-dire de parcourir 2000 `ammôth (900 mètres) au-delà de la dernière maison de la ville où l'on se trouve, car on ne peut pas passer d'une ville à l'autre le jour du Shabboth. C'est basé sur le verset suivant de la Tôroh2 : שְׁבוּ אִישׁ תַּחְתָּיו, אַל-יֵצֵא אִישׁ מִמְּקֹמוֹ--בַּיּוֹם הַשְּׁבִיעִי « Que chacun demeure où il est, que nul ne sorte de son endroit le septième jour ».

Là encore, le Ban `ish Hay rappelle l'interdiction d'émettre de nouveaux décrets post-talmudiques. Même lorsque les Sages ont interdit de monter un animal à Shabboth, ils n'ont pas justifié cela en disant qu'il y avait une crainte qu'on en arrive à sortir de sa ville si on montait son cheval ou son âne, par exemple. Par conséquent, on ne peut interdire de monter un vélo sur base du concept de Tahoum Shabboth.

En outre, signalons que l'interdiction du Tahoum ne s'applique que lorsqu'il y a une zone d'au moins 900 mètres sans maisons entre une ville et l'autre. En d'autres mots, si entre deux villes il n'y a pas de zone non habitée, elles sont considérées comme étant connectées l'une à l'autre, et la deuxième ville ne sera alors que la continuité de la première. De ce fait, il sera permis, sans aucun problème, de passer de l'une à l'autre pendant le Shabboth. C'est le cas de nombreuses villes aujourd'hui, comme notamment à Bruxelles, qui est composée de dix-neuf petites villes qui forment le grand Bruxelles. Il n'y a aucune zone non habitée entre la majorité de ces dix-neuf villes, et passer d'une à l'autre est permis. Il y a également des villes qui sont tellement grandes, comme Paris ou Brooklyn, que le risque d'aller au-delà du Tahoum Shabboth est pratiquement inexistant.

  • Argument n°3 : Rouler sur une surface en terre cause des sillons dans le sol, ce qui inclus dans la Malo`khoh de Hôrésh

Cet argument est basé sur l'interdiction de traîner des objets lourds sur un sol en terre par crainte de creuser des sillons. Or, nous avions expliqué que les objets sur roues comme les poussettes compressent le sol par le mouvement de roulement des roues. Cela n'améliore en réalité pas du tout le sol s'il devait y avoir un ensemencement, et cela n'est donc pas considéré comme du Hôrésh. (Voir l'article intitulé « Les trente-neuf Malo`khôth : Hôrésh – Labourer ».) Cette Malo`khoh ne peut donc pas être appliquée au vélo.

Deuxièmement, celui qui roule n'a absolument aucune intention de creuser des sillons dans la terre.

Troisièmement, même si on devait dire qu'il était inévitable de creuser des sillons en roulant en vélo sur une certaine surface en terre, le cycliste ne roule certainement pas dans un champ sur lequel on comptait faire pousser quelques cultures agricoles.

Enfin, lorsque des sillons sont « creusés » d'une telle manière « anormale » (sans pelle ou bêche), sans aucune intention de creuser et sans tirer le moindre profit des sillons qui auraient été causés, il n'existe là aucune transgression du Shabboth.

Tels sont les arguments avancés par le Ban `ish Hay.

(Il conviendrait de relire l'article intitulé « Les trente-neuf Malo`khôth – Travail réfléchi », concernant les conditions à remplir pour considérer que l'on a accompli une Malo`khoh.)

  • Argument n°4 : Rouler à vélo est une ´ouvadho` Dhahôl

La majorité des Juifs d'aujourd'hui ne roulent pas à vélo à Shabboth parce qu'ils considèrent que c'est une activité de semaine, et est donc interdit à Shabboth. Le raisonnement est que puisqu'on prend son vélo en semaine pour aller au travail, faire des courses et d'autres types d'activités, il n'est pas permis d'en faire usage à Shabboth, parce que cela contreviendrait à l'esprit du Shabboth.

Le Ban `ish Hay ne voit pas pourquoi cela devrait être considéré « activité de semaine », d'autant plus qu'il est évident que le vélo ne sera pas utilisé pour les activités susmentionnées. En effet, nous avions expliqué dans l'article intitulé « Exposer les fausses notions : ´ouvadhin Dahôl – Les activités de semaine », que ce n'est pas parce qu'une activité est réalisée en semaine que cela signifie qu'elle doit être prohibée à Shabboth. Cette notion vient juste nous interdire les activités qui vont contre l'esprit du Shabboth ou qui pourraient amener, si elles sont réalisées de la façon ordinaire qu'on les accomplirait en semaine, à l'accomplissement de Malo`khôth. Or, non seulement rouler à vélo n'implique aucune Malo`khoh, mais en plus il est tout à fait possible de l'utiliser pour d'autres activités qui, elles, sont en phase avec l'esprit du Shabboth, comme rouler pour le plaisir, pour jouer, pour visiter la famille et des amis, etc. D'ailleurs, dans certaines circonstances, rouler en vélo est une alternative crédible à la voiture le Shabboth.

Ainsi, même l'argument de ´ouvadho` Dhahôl ne s'applique pas au fait de rouler à vélo. C'est ainsi que le Ban `ish Hay écrit3 :

Nous ne devons pas émettre de nouveaux décrets sur la base de nos opinions propres ; si les gens de ces générations-ci prennent soin de respecter les décrets explicitement mentionnés par les rabbins du Talmoudh, c'est suffisant ! Par conséquent, il est permis [de rouler à vélo] à l'intérieur d'un ´érouv à Shabboth et Yôm Tôv, même si c'est juste à des fins récréatives.

Le Ban `ish Hay écrit qu'on peut même l'utiliser à l'intérieur d'un ´érouv pour aller accomplir une Miswoh, comme par exemple un Môhél qui doit circoncire un bébé le Shabboth, ou un Hozzon qui doit aller diriger la prière. Et le fait de l'avoir utiliser pour une Miswoh fait que ce n'est pas du tout une ´ouvadho` Dhahôl. Il ajoute que puisque le cycliste se rend à vélo pour une Miswoh, si jamais le vélo se cassait il n'en viendrait pas à chercher à le réparer, puisqu'il aurait à l'esprit l'interdiction de réaliser une Miswoh sur base d'une transgression. Il n'y a donc aucune pertinence à interdire le vélo sur base qu'il pourrait se casser, puisque celui qui connaît l'importance du Shabboth et ses interdictions n'en arrivera pas à faire ce qu'il sait être interdit (réparer un objet cassé).

Si le Ban `ish Hay insiste sur la présence d'un ´érouv, c'est parce que porter dans le domaine public est évidemment interdit. Si quelqu'un descend de son vélo dans le domaine public et se met à le tirer, il accomplit effectivement un acte de « porter », ce qui est interdit à Shabboth sans ´érouv. S'il n'y a pas de ´érouv, on ne doit donc pas tirer son vélo.

Ainsi, de tous les arguments avancés contre le vélo à Shabboth, seul celui de l'absence d'un ´érouv est pertinent. En définitive, il est permis de rouler à vélo le Shabboth à l'intérieur d'un ´érouv.

Notons que certaines personnes dérangées par ce Pasaq du Ban `ish Hay ont prétendu que plus tard, il aurait changé d'avis, ce qui est complètement faux. Et bien que la majorité des Pôsqim interdisent de faire usage du vélo à Shabboth, même avec un ´érouv, une minorité de Pôsqim (principalement Safaradhim) autorisent. Nous ne devons jamais oublier que l'on ne peut pas comparer l'opinion d'un rabbin moderne à un décret des Sages du Talmoudh ; la première n'est contraignante que pour celui qui l'accepte ou suit ce rabbin en question, tandis que le deuxième est contraignant sur l'ensemble du peuple d'Israël.

1Birké Yôséf, sur `ôrah Hayim 339
2Shamôth 16:29
3Rov Pa´olim 1:25
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